par Mark Cotta Vaz

Fleuve Noir, 2006, 176 p.

 

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Un grand succès populaire ouvre les pages de tous les magazines mais aussi les rayons des libraires, où l’on trouve aisément les guides, officiels ou non, publiés aux Etats-Unis. Celui que l’écrivain Mark Cotta Vaz consacre à Lost est tout ce qu’il y a d’officiel et offre, entre autres choses, une incursion sur le tournage de la première saison ainsi que des confessions exclusives des auteurs et des comédiens. L’auteur s’est ainsi entretenu avec J.J. Abrams et Damon Lindelof ainsi qu’avec le comédien Ian Somerhalder (Boone), mais il a également participé à des réunions de travail qui lui ont donné accès aux mille et un secrets de la production. Enrichi de très nombreuses photos de tournage qui s’ajoutent à l’iconographie promotionnelle, l’ouvrage est d’une grande précsiion et d’une lecture agréable. Scindé en trois parties et comptant au total huit rubriques, il s’offre comme une exploration autorisée de la série.

Dans la première partie, vous apprendrez en détails comment l’idée de Lost est passée des bureaux d’ABC à celui de J.J. Abrams qui n’en demandait pas tant et, surtout, ne savait trop qu’en faire. Vous suivrez le script original jusque dans les mains de Damon Lindelof, dont la collaboration avec Abrams se révèlera si fructueuse qu’elle transformera une idée rudimentaire en un hit d’audience et une série maligne. Vous lirez comment, sur la foi des premières idées du tandem, le network ABC a donné le feu vert et aidé le projet à brûler les étapes de la mise en chantier à une vitesse inhabituelle, au point d’autoriser Abrams à réaliser un pilote au budget pharaonique de 12 millions de dollars (pour une petite heure et demie de programme). Vous suivrez la productrice Sarah Caplan dans les premiers repérages à Hawaii et assisterez médusé – même si vous connaissez déjà l’histoire, ce qui après tout ne gâte rien – au tronçonnage en règle d’un long courrier en plein désert Mojave et à son acheminement vers l’archipel du Pacifique. En cours de route, vous aurez l’opportunité, via les déclarations des intéressés, de mesurer le défi que représenta cette opération mais également l’ensemble du tournage étant donné les délais inhabituels imposés à l’équipe de production. Bref, vous vivrez, « comme si vous y étiez », la petite histoire de la genèse de Lost, ce qui vous entraînera dans les coulisses de la télévision américaine, décidément bigger than… la nôtre.

Car l’aspect le plus intéressant de ce livre n’est pas tant l’énoncé de cette genèse que la plongée qu’il nous offre dans un monde dont on fréquente surtout les noms les plus connus (acteurs, producteurs, scénaristes  le cas échéant), sans forcément trouver souvent l’opportunité d’y entrer de plain-pied, autrement que par le biais des bonus dvd, lorsqu’ils existent, et lorsqu’ils ne se contentent pas de faire la promo du produit. Encouragée par ABC, l’exploration de Mark Cotta Vaz a trouvé en Lindelof, Abrams, Bryan Burk (producteur exécutif) des cicerones passionnés et passionnants, décidés à ouvrir toutes grandes les portes de la création et de la réalisation de la série. Si le guide officiel ne donnait la parole qu’à ce trio, sans doute n’apporterait-il qu’assez peu d’informations inédites : les magazines en effet ne manquent pas d’interviews des concepteurs et producteurs de Lost. Mais Cotta Vaz donne également la parole aux techniciens qu’il croise sur le tournage. Appelons cela la cerise sur le gâteau, mais quelle cerise ! Car, outre les directeurs photo Michael Bonvillain et John Bartley – la série en compte trois, avec Larry Fong -, que l’on peut considérer comme des techniciens majeurs, on entend les voix d’artisans rarement conviés à s’épancher, contrairement à ce qui se passe dans le domaine du cinéma. Le décorateur Rick Romer, les assistants réalisateurs Allen DiGioia et Craig West, le cameraman Paul Edwards, le responsable des effets spéciaux Archie Ahuna, le coordonnateur des cascades Michael Vendrell sont quelques-uns des interlocuteurs de Cotta Vaz, et chacun a sa petite histoire à raconter, une riche expérience à partager. Ceux d’entre vous qui ne dédaignent pas de lire les génériques savent que Romer a jadis travaillé sur Magnum, que West fit partie de la boîte de prod de Stephen J. Cann ell pendant des années, que Vendrell a travaillé au cinéma avec des pointures comme Schwarzie et Sean Connery, etc. Entendre tous ces « hommes de l’ombre » - ou pour reprendre l’expression du bouquin ces « combattants de l’impossible » - évoquer leur travail sur la série mais aussi leur carrière en général n’est pas seulement un bonus appréciable pour Lost, c’est une aubaine rare en matière de télévision.

Le livre de Cotta Vaz réussit à rendre familier le plateau de la série. D’abord par toutes ces voix recueillies sur place, ensuite par l’évocation, photos à l’appui, des différents sites de tournage – dont  le Kualoa Ranch qui accueillit les tournages de Jurassic Park ou Godzilla avant de devenir… le terrain de golf de Hurley -, enfin par les anecdotes sur le quotidien de l’équipe, comédiens et techniciens. On voit ainsi Terry O’Quinn (Locke) gratter sa guitare pendant une pause et se faire chambrer par Michael Vendrell, ou encore Naveen Andrews (Sayid) et Dominic Monaghan (Charlie) faire les imbéciles devant l’objectif. Les entretiens permettent aussi de mesurer un phénomène qui n’est pas rare à la télévision : la construction progressive des personnages autour des comédiens qui les incarnent. Nombre des protagonistes de la série étaient à peine définis alors que le casting battait  son plein : Jack devait mourir très vite, Matthew Fox auditionnait alors pour le personnage de Sawyer, Daniel Dae Kim ne savait pour ainsi dire rien sur son rôle, et ainsi de suite. Non seulement les personnages ont pris corps avec les comédiens, mais ceux-ci ont été invités à leur insuffler un peu de leur personnalité : Josh Holloway a par exemple passé l’audition pour Sawyer en modifiant volontairement son accent du Sud des Etats-Unis, qu’il jugeait trop marqué ; l’ayant choisi, les producteurs lui ont demandé au contraire de conserver son parler et ont fait de Sawyer un homme du Sud. De même, Terry O’Quinn dit se sentir très proche de Locke, et d’autres comédiens utilisent leur propre expérience pour donner de l’épaisseur à leurs personnages.

Bien que le guide des épisodes de la première saison ne constitue pas la rubrique la plus intéressante du guide, Cotta Vaz lui donne du relief en le présentant comme le journal d’un rescapé. La lecture en est facilitée et rendue plus captivante, même si l’on connaît les événements ; surtout, l’auteur y intègre une sélection de paroles prononcées par les personnages au cours des épisodes, mettant l’accent sur certains des dialogues les plus significatifs de la saison. Une autre rubrique complète cette incursion dans l’histoire en résumant ce que la série nous apprend des protagonistes, flash-back inclus. Petit bonus pour les amateurs de fiches techniques : celle que dresse Cotta Vaz à la fin de son volume est plus riche que ne le sont les génériques de la série.

Thierry Le Peut

Tag(s) : #Livres
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