Un article de Thierry Le Peut
publié dans Arrêt sur Séries n°1 (été 2000, épuisé)
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Le mercredi 5 octobre 1983, à 20 h, CBS lance une nouvelle série au concept original. Whiz Kids , traduit chez nous ( tel quel ) par Les Petits Génies , ne restera malheureusement qu’une petite saison à l’antenne, l’audience n’ayant pas répondu aux espoirs de la chaîne. C’est une de ces séries que l’on regarde aujourd’hui avec une indulgence teintée d’une forme de nostalgie : une « étoile filante » du paysage audiovisuel, qui possédait pourtant quelques atouts.
Tout d’abord, Les Petits Génies a été initiée par un producteur qui avait déjà fait ses preuves : Philip DeGuere, ancien scénariste de Super Jaimie en 1976, avait été aussi le principal collaborateur de Stephen J. Cannell et Donald P. Bellisario sur Les Têtes brûlées entre 1976 et 1978 avant de produire et de réaliser le téléfilm Dr Strange (1978), qui paraît-il mérite qu’on s’y attarde. Son expérience de producteur-scénariste lui permit de lancer en 1981, avec son complice Bob Shayne, la série Simon & Simon, ou les aventures de deux frères détectives privés sis à San Diego, entourés de leur maman et de leur chien Marlowe. Invités en 1982 dans un épisode de la saison 2 de Magnum (« Le dieu poison »), qui commence à toucher un public de fidèles, les compères que tout oppose tiendront l’antenne durant huit saisons et aideront d’ailleurs à lancer Les Petits Génies puisque l’un d’eux (A.J., le blond) apparaît dans le troisième épisode et que les jeunes protagonistes de la nouvelle série sont à leur tour les hôtes de l’épisode « Fly the Alibi Skies » de Simon & Simon (saison 3), le lendemain sur CBS.
C’est avec Bob Shayne également que Philip DeGuere conçoit et produit Les Petits Génies. James Crocker, partenaire des Têtes brûlées et de Simon & Simon, est aussi de la partie, ainsi que d’autres scénaristes coutumiers des frères Simon, comme Paul Magistretti et Richard Chapman. Producteur de Simon & Simon, ce dernier donne son nom à un personnage de l’épisode « Brouillage » des Petits Génies (joué par John Pleshette), et outre Jameson Parker dans le rôle d’A.J. Simon deux autres acteurs de Simon & Simon prêtent leur visage à deux personnages de la nouvelle production (Jeannie Wilson dans « Brouillage » et Eddie Barth dans « Attention ! », qui jouent des rôles différents de ceux qu’ils tiennent dans l’autre série).
L’idée de base réalise un croisement entre la série d’investigation et le programme pour ados. Sorte de Club des Cinq évoluant dans la cour des grands, le petit génie de l’informatique Richie Adler et ses amis de la Canyon High School (le nom est affiché dans l’épisode « Father’s Day ») se retrouvent à leur corps défendant embarqués dans des enquêtes impliquant leurs aînés cupides et corrompus. De la découverte d’un squelette à des magouilles politiques, de la petite amie manipulatrice aux agents du KGB, les ficelles utilisées par les scénaristes évoquent les rebondissements improbables d’une série comme Timide et sans complexe ou l’alliance insolite de la ménagère et de l’espion dans Les Deux font la paire. L’adolescent timide et discret, Richie, qui trouve en l’ordinateur un prolongement naturel, doit aussi beaucoup au personnage incarné par Matthew Broderick dans le tout récent Wargames de John Badham, et son amie Alice n’est pas sans rappeler, en plus jeune, le rôle tenu dans le film par Elizabeth Shue. Wargames est d’ailleurs mentionné (par un autre petit génie, Chip Patterson) comme source d’inspiration dans l’épisode « Un ordinateur de trop ».
Comme les détectives de Riptide qui ne pointeront le bout de leur nez que l’année suivante sur NBC, les petits génies doivent une grande partie de leur redoutable efficacité à un ordinateur, ici prénommé Ralf. De l’analyse d’un fragment de squelette à celle d’empreintes digitales ou vocales, Ralf est capable de trouver une solution à tous les problèmes. Allié à la formidable maîtrise de son propriétaire et compagnon Richie, que n’arrêtent ni la sécurité d’une prison ni celle d’une banque, il constitue l’élément de base de la série et occupe une place conséquente dans le générique, le titre venant s’incruster sur l’image des doigts de Richie sur son clavier, les images des différents acteurs s’affichant sur un écran d’ordinateur et le générique étant ponctué par des plans où Richie allume les différents composants de l’ordinateur qui occupe une grande partie de sa chambre. Soucieux de l’authenticité et de la crédibilité des appareils montrés dans la série, les producteurs se sont assuré les services des principales marques de l’époque, Apple, Mattel, Atari, Hitachi et d’autres, mentionnées au générique de fin de chaque épisode. L’ordinateur de Richie n’est pas le seul utilisé : d’un épisode à l’autre, les doigts du jeune prodige se posent sur toutes sortes de bécanes, soulignant à quel point l’informatique est devenue incontournable, gérant les services des banques, de la police, des réseaux routiers, de l’industrie du divertissement, des services secrets, etc. Chacun de ces domaines offre des développements parfois attendus parfois insolites aux scénarii de la série.
A l’instar des jeunes enquêteurs d’Enid Blyton, par ailleurs, ceux des Petits Génies sont entourés d’une belle brochette d’aînés. La mère de Richie, qui, signe des temps, élève seule ses deux enfants (la petite Cheryl n’a pas encore dix ans et veut bien sûr accompagner partout son grand frère… qui a mieux à faire que de jouer les baby sitters !), apparaît dans la plupart des épisodes ainsi que le journaliste Lew Farley, moteur de plusieurs histoires, et son beau-frère le lieutenant Neal Quinn, qui assure la liaison avec l’univers policier. Les amis de Richie, quant à eux, composent une équipe complémentaire, comme il se doit, et politiquement correcte : à côté de l’athlétique Hamilton Parker (Ham pour les intimes), qui joue de la batterie, on compte une fille, Alice Tyler, et un Noir, Jeremy Saldino. Sans oublier (encore une résurgence du Club des Cinq, mais aussi un élément incontournable de l’imaginaire US) le chien Rabies (Robbie dans la VF) !
Les adolescents des Petits Génies sont tout ce qu’il y a d’ordinaire. Ils vivent dans un quartier résidentiel de Los Angeles alignant de jolies maisons (éventuellement pourvues d’une piscine) et de larges rues que les ados parcourent à vélo, comme plus tard les gamins de Eerie, Indiana, et déjà, en 1982, ceux d’E.T., une autre référence de la série (la marionnette de l’extra-terrestre apparaît dans le placard de Cheryl dans l’épisode « Brouillage », au moment où tous les appareils électriques de la maison se détraquent pour une raison inexplicable).
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S’adressant au public des teenagers américains, la série a le mérite de présenter dans les rôles titres des acteurs qui ont l’âge de leur rôle. Matthew Laborteaux, l’ex-Albert Ingalls de La Petite maison dans la prairie, a dix-sept ans en octobre 1983 et ses partenaires ont tous quatorze ou quinze ans. Aucun d’eux n’est connu, ce qui facilite l’identification du public : Todd Porter (né le 15 mai 1968) a été la voix de Pinocchio dans une production télé de 1980, Pinocchio’s Christmas, Jeffret Jacquet (né le 15 octobre 1966) a été le petit Eugene dans Mork & Mindy (l’une des séries dérivées des Jours heureux / Happy Days en 1978) et Melanie Gaffin (née le 12 novembre 1973) est apparue l’année précédente dans un épisode de la série Taxi. Quant à Andrea Elson (6 mars 1969), qui deviendra en 1986 la « partenaire » d’une grosse peluche dans Alf (encore E.T. !), elle en est à ses débuts devant la caméra.
Todd Porter |
Jeffrey Jacquet |
Andrea Elson |
Les « grands », en revanche, sont déjà des comédiens confirmés. L’un des plus « anciens », Dan O’Herlihy, qui prête ses traits à Carson Marsh dans plusieurs épisodes, a commencé sa carrière en 1947 et incarné le Président Roosevelt dans un MacArthur de 1977 aussi bien que Robinson Crusoé sous la direction de Luis Bunuel en 1954. A la télévision, il fut le chef de Robert Conrad dans Sloane Agent spécial en 1979 et le père de Kurt Russell dans Les Voyages de Jaimie McPheeters en 1963-1964. On le reverra encore dans Twin Peaks, où il sera Andrew Packard pour sept épisodes en 1991.
Alors qu’O’Herlihy faisait ses débuts, Max Gail n’avait encore que quatre ans mais sa carrière, en 1983, est déjà bien avancée. Visage épisodique de quelques séries, dont Cannon et Les Rues de San Francisco, il a tenu un rôle régulier dans Barney Miller en 1975 et tourné dans plusieurs téléfilms, dont Le Cauchemar aux yeux verts où il avait déjà pour partenaire Matthew Laborteaux, qui jouait son fils, en 1979. En revanche, Madelyn Cain, qui joue la mère de Richie, Irene Adler, n’a pas fait de la comédie son métier. Apparue dans quelques séries entre 1975 et 1985 (Emergency, Barnaby Jones, L’Homme qui valait trois milliards, Quincy, Hooker, Simon & Simon), elle enseigne l’écriture à l’université.
A Martinez, enfin, qui campe le lieutenant Quinn, et qui deviendra dès 1984 Cruz Castillo dans le soap Santa Barbara, puis Daniel Morales dans La Loi de Los Angeles en 1992 et « Coop » dans Profiler en 1996, a déjà derrière lui de nombreuses participations à des séries télé. On l’a vu ainsi dans Bonanza, Les Rues de San Francisco, Hawaii Police d’Etat, Kung Fu ou encore ChiPs, et il a même eu John Wayne pour partenaire dans Les Cow-boys de Mark Robson en 1972, un rôle qu’il a repris brièvement dans une série en 1974.
Les Petits Génies ne manque pas d’atouts qui permettent encore d’en apprécier les dix-huit épisodes. Série non violente, axée sur les situations plus que sur l’action, elle peut encore intéresser malgré le caractère résolument désuet des appareils électroniques et informatiques qu’elle met en scène. C’est peut-être d’ailleurs cette originalité qui l’a condamnée à une forme d’oubli, même si elle reste populaire auprès d’un public de fidèles : apparue à une époque où l’informatique pour tous était à la fois une nouveauté et un domaine évoluant très rapidement, ce qu’elle montrait en 1983 était déjà désuet quelques années plus tard, alors même (et justement parce) qu’elle s’appuyait sur la pointe de la technologie. Ce qui est indémodable, en revanche, c’est l’enthousiasme du casting de jeunes acteurs et le plaisir de jouer de leurs personnages, qui impose une tonalité particulière, atténuant l’effet de sérieux des dramatiques d’une heure, au sein desquelles la série fait figure d’originale. Bien que la banlieue résidentielle dans laquelle les ados évoluent puisse paraître datée, le mode de vie de ces ados n’est pourtant pas si différent de ce que l’on observe encore aujourd’hui dans nos petites villes : le vélo comme mode de déplacement, les sorties au cinéma ou au fast-food (Alice y travaille dans « May I Take Your Order Please ? » mais les personnages s’y retrouvent régulièrement, dans « Candidat au meurtre » ou « Profit sans risque » par exemple), le lycée où l’on s’ennuie mais qui constitue malgré tout une part importante de la vie « sociale » de ses pensionnaires, les petits boulots pour se faire de l’argent de poche, les prémisses des familles recomposées (Irene Adler est divorcée et seul Hamilton Parker semble avoir une cellule familiale complète) mais aussi la façon dont Ham et Jeremy affichent leur complicité par des jeux de mains qui n’ont pas cessé d’être une façon caractéristique de se saluer chez les ados du XXIe siècle !
LA MUSIQUE
Eh ! Wolfgang… on t’a reconnu !
Pour illustrer une série s’intitulant Les Petits Génies et mettant en scène un virtuose du clavier, quelle meilleure idée que de faire appel à un génie de la musique ? Les producteurs se sont donc offert la collaboration de Wolfgang Amadeus Mozart, un compositeur né à Salzbourg, qui s’est illustré dès l’âge de trois ans par ses dons musicaux et a effectué sa première tournée dès… six ans ! Seul problème : Mozart était mort depuis… 1791. Quand on est producteur à Hollywood, cependant, rien n’est insurmontable. Et pour ressusciter Mozart, le petit génie de la grande musique, c’est Paul Chihara, un compositeur de 45 ans, que Philip DeGuere et Bob Shayne ont engagé. Auteur, la même année, du thème musical de Manimal pour Glen A. Larson (juit épisodes sur NBC en 1983), Chihara avait déjà travaillé avec DeGuere sur Dr Strange en 1978. Pour accompagner les évolutions dactyliques de Richie sur le clavier de son ordinateur, il emprunte un morceau du Concerto pour piano & orchestre n°21 en ut, aussi appelé Elvira Madigan. Et la musique de Mozart colle parfaitement au concept de la série, preuve que la grande musique et le petit écran n’ont rien d’inconciliable !
A MARTINEZ
Né le 27 septembre 1948 à Glendale, Californie, le petit Adolfo Martinez se fera connaître sous la seule initiale de son prénom (et comme pour MacGyver on se demandera : mais… c’est quoi, son prénom ?). A vingt-deux ans, il fait ses débuts dans un épisode de Bonanza, « Gideon, The Good » (1970, début de la saison 12), puis il apparaît dans trois épisodes des Rues de San Francisco entre 1972 et 1976 (dans des rôles différents) et en guest star dans plusieurs autres séries, dont Columbo. Parallèlement, le cinéma lui offre quelques petits rôles, mais rien qui fasse de lui une star. Après avoir été l’un des réguliers de la série Men At Law (ou Storefront Lawyers), en 1975, il trouve dans Les Petits Génies une occasion de se rappeler au bon vouloir des producteurs qui feront appel à lui pour incarner Cruz Castillo, l’un des personnages principaux du soap Santa Barbara en 1984. Succès incontestable puisqu’il restera jusqu’à la fin du feuilleton en 1992. C’est alors La Loi de Los Angeles qui lui ouvre ses portes pendant deux saisons, après quoi il devient le petit ami de Sam Waters dans Profiler, le temps de quelques épisodes.
MATTHEW LABORTEAUX
Le petit Albert a quitté la petite maison
C’est en 1976 que le petit Matthew Laborteaux, qui n’a pas encore dix ans, est choisi pour incarner Charles Ingalls enfant dans un épisode de La Petite maison dans la prairie (« Les Promesses »). Séduit par sa prestation autant que par sa personnalité, Michael Landon (est-il besoin de préciser qu’il joue Charles Ingalls adulte et qu’il produit la série ?) essaie de le lancer dans une série aux côtés de Gil Gerard (qui interprète Chris Nelson dans l’épisode « Un étranger dans la maison » en 1977) mais le téléfilm Killing Stone reste sans suite. Tandis que Gil Gerard se console en devenant Buck Rogers dans une série de Glen A. Larson, Matthew, lui, après avoir de nouveau incarné Charles Ingalls enfant dans « Souvenirs » (1978), entre pour de bon dans la distribution de La Petite maison… en devenant l’orphelin Albert, que les Ingalls adoptent au début de leur cinquième saison.
Sa dernière participation à la série sera contemporaine des Petits Génies, en 1983. Si la mort d’Albert n’est qu’implicite à la fin du téléfilm « Les Chemins du souvenir », elle met fin tout de même à sa présence au sein de la famille Ingalls. Nul doute cependant que le petit Albert, que l’on découvre voleur et orphelin dans « Serrons les coudes » en 1978, réduit à coucher dehors, est l’un des personnages les plus touchants de La Petite maison…, qui ne manque pas d’épisodes pathétiques et émouvants. Plus touchant encore, peut-être, lorsque l’on sait que Matthew Laborteaux, comme son personnage, a été adopté, et que jusqu’à l’âge de cinq ans les médecins le déclaraient autiste. Sa mère adoptive, Frances Marshall-Laborteaux, apparaît dans un petit rôle de l’épisode « Candidat au meurtre » des Petits Génies.
La Petite maison… ne fut cependant pas la première performance du jeune acteur devant les caméras. En 1974, déjà, il était l’un des enfants de Peter Falk et Gena Rowlands dans Une Femme sous influence, de John Cassavetes, et en 1977 il avait tenu un rôle régulier dans une courte série, The Red Hand Gang (La Main rouge), en plus de deux téléfilms (A Circle of Children et Tarantula : le cargo de la mort). La même année, il apparaît aussi (parfois non crédité) dans plusieurs épisodes de la série Mary Hartman, Mary Hartman, dans le rôle de Johnny Doe, un « enfant sauvage » (prémonitoire quand on sait qu’il deviendra l’enfant perdu adopté par les Ingalls).
L’après-Petite maison…, en revanche, le verra s’éloigner des caméras. Quelques épisodes de séries (dont Les Routes du Paradis, la nouvelle production de Michael Landon), quelques téléfilms, un film (L’amie mortelle de Wes Craven en 1986), puis il disparaît des écrans et prête sa voix à des animés et des jeux video sous les noms de Matthew Charles ou Matt Labyorteaux.
A noter : le frère adoptif de Matthew, Patrick, fut aussi l’un des enfants de La Petite maison… de 1977 à 1981, dans le rôle d’Andy Garvey. On l’a vu également dans un épisode de Starsky & Hutch (« L’épidémie » en 1977) et il deviendra l’un des protagonistes de JAG de 1995 à 2005.