Un article de Thierry Le Peut
lire la présentation de La Conquête de l'Ouest
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La quintessence de
La Conquête de l’Ouest
ou Comment les Macahan ont ouvert la voie à Dallas
En 2000, dans notre hors-série sur Dallas et le soap opera, nous évoquions La Conquête de l’Ouest comme l’une des sources d’inspiration possibles des auteurs de Dallas. L’idée n’est pas une simple fantaisie. L’ombre de John Wayne plane sur chacun des deux programmes : James Arness, le pilier de La Conquête de l’Ouest, doit l’essentiel de sa carrière au coup de pouce du Duke, qui fut envisagé pour le rôle du marshal Matt Dillon comme il le fut, en 1978, pour celui de Jock Ewing dans Dallas, à l’époque où ce titre ne s’appliquait encore qu’à une « mini »( ?) série de cinq épisodes. Les personnages de Zeb Macahan et de Jock Ewing sont, l’un comme l’autre, trempés dans l’« essence » de John Wayne ! En outre, Dallas est bien, d’emblée, inscrite dans la veine du western, par sa situation géographique (le Texas, un ranch) et par ses personnages, à commencer bien entendu par le « patriarche » Ewing. Cow-boys, bétail, bagarres de saloon et pâturages sont aussi caractéristiques de la série que les gratte-ciels et les attaché-cases. On ne s’étonne donc pas d’un autre lien entre les deux titres : leurs génériques sont composés l’un et l’autre par Jerrold Immel, auteur également de l’accompagnement musical des épisodes avec ses deux co-compositeurs de La Conquête de l’Ouest, Bruce Broughton et John Parker.
Mais ce ne sont pas ces rapprochements-là qui constituent la filiation la plus évidente entre ces deux programmes. C’est avant tout une affaire de structure, de scénario. La Conquête de l’Ouest annonce ce que sera Dallas parvenue à maturité : une saga empruntant à la série une forme d’immuabilité et au feuilleton son dessein évolutif. L’alliance de ces deux caractères antinomiques – immuabilité et évolution – fait que l’action linéaire donne l’impression que les personnages évoluent alors qu’en réalité ils restent conformes à leur définition originelle. Ainsi Zeb Macahan est-il un personnage monolithique qui ne varie pas du téléfilm de 1976 à ceux de 1979 ; Luke, bien qu’étant certainement le protagoniste dont le parcours paraît le plus évolutif – jeune fermier encore innocent au début du téléfilm de 1976, il est entré dans l’âge d’homme au terme des téléfilms de 1979, ayant traversé nombre de péripéties -, confirme à la vérité une personnalité « toujours-déjà-là », celle de l’aîné responsable amené à occuper la place laissée vacante par le père absent. La saison 1978 s’appuie sur ces deux personnages, l’un déjà achevé promené à travers diverses péripéties, l’autre s’affirmant à mesure que les péripéties révèlent son caractère. La répartition des rôles sur laquelle s’appuie Dallas est similaire : alors que certains personnages sont posés d’emblée et en grande partie confinés dans leur définition originelle – Jock, Ellie, J.R. -, d’autres s’affirment à mesure que la saga progresse – Bobby, Ray, Sue Ellen. Mais l’évolution de ces derniers ne les affranchit jamais totalement de la place qui était la leur à l’origine : Bobby reste le frère scrupuleux et « gentil » chargé de contrebalancer la vilenie du « méchant » J.R., Ray demeure attaché à la terre en dépit de ses efforts pour intégrer le milieu des affaires, Sue Ellen éprouve les plus grandes difficultés à se définir autrement que par rapport à J.R. L’évolution, si elle existe, n’est jamais radicale au point d’effacer la trame originelle.
DEUX BLOCS, TROIS AXES
Si l’on observe la construction de la saison 1978 de La Conquête de l’Ouest, on constate que celle-ci est structurée en deux blocs d’égale importance. [Se reporter aux tableaux ci-dessous.] Chacun de ces blocs développe en parallèle trois lignes narratives dévolues aux trois éléments principaux d’une Trinité présente dans toutes les saisons de la saga : Zeb, Luke et le reste du clan Macahan, constitué des femmes (la mère, puis la tante, et les deux filles) et du plus jeune frère, Josh. Dans le premier bloc, Zeb est concerné par une guerre entre l’armée et les Sioux puis par une intrigue très romanesque impliquant un ancien amour ; pendant ce temps, Luke vit plusieurs péripéties rattachées à un point d’ancrage géographique, la ville de Jimson’s Break ; et le clan Macahan, lui, vit ses propres péripéties à la ferme. Chacune de ces trois lignes comporte ses personnages épisodiques propres et se développe indépendamment des deux autres. Le bloc se termine cependant sur une nouvelle ligne narrative qui amène les trois éléments de la Trinité à se rejoindre : Luke et Zeb se retrouvent au sein du clan Macahan lorsque la vie de la plus jeune des filles, Jessie, est menacée. De cette réunion procède la ligne qui éloigne de nouveau Zeb et Luke du clan, ensemble d’abord, séparés ensuite. Le second bloc reproduit la même construction tripartite et conduit de nouveau la Trinité à se réunir au cours de l’épisode final. Les trois lignes narratives sont alors conclues successivement : d’abord, Zeb intervient dans la résolution des incidents de Las Mesas (c’est la ligne narrative dévolue à Luke) ; ensuite, Zeb et Luke ramènent le troupeau qu’ils sont allés chercher au début du second bloc ; enfin, le retour des deux hommes au sein du clan Macahan met fin à la troisième ligne, celle qu’avait suivie le clan. L’un et l’autre blocs occupent la moitié de la saison : dix heures chacun.
Le choix de cette structure répond à plusieurs nécessités. L’éclatement en trois axes majeurs permet de présenter des aventures variées, chaque axe se rattachant à un « type » caractéristique de la mythologie de l’Ouest. Les aventures de Zeb sont celles d’un homme mûr, une « légende » de l’Ouest qui s’est formée durant la « grande époque » des mountain men, donc de l’exploration de l’Ouest ; elles affrontent ce personnage monolithique « à la John Wayne » à des péripéties que domine entièrement sa présence et qui sont explicitement rattachées à la grande Histoire de l’Ouest (les guerres indiennes, les routes du bétail). Les aventures de Luke, en revanche, sont celles d’un homme encore jeune, qui fait l’expérience d’une réalité âpre mais également des premiers émois ; elles s’inscrivent dans le stéréotype du héros solitaire qui fuit d’un endroit à l’autre pour accomplir sa destinée qui est de conquérir sa propre liberté. Alors que Zeb oriente les événements, intervenant en général pour « réparer », Luke en est plutôt victime, s’efforçant avant tout de leur survivre. Les intrigues qui lui sont dévolues s’inscrivent dans un parcours individuel et non collectif comme celles de Zeb : avant de pouvoir agir sur les événements, il doit s’accomplir lui-même. Enfin, le troisième axe est celui de la famille : s’il s’inscrit au départ dans la peinture d’une vie de pionniers, dès 1977 il se rattache essentiellement à la veine familiale du western télévisé, celle qui célèbre la cohésion du noyau familial autour d’un foyer aux allures de « jardin d’Eden », chaque « intrusion » d’un personnage extérieur étant assimilable à un danger ou un déséquilibre qu’il s’agit de corriger. On est plus proche d’un Grande vallée et d’un Bonanza que de la fresque historique : les intrigues dévolues aux membres du clan Macahan s’appuient sur les sentiments des uns et des autres et sur des motifs tels que le mariage, l’accident, la maladie. Les émotions et les valeurs travaillées par ces intrigues appartiennent à la veine familiale traditionnelle.
La confluence de ces trois axes aux moments-clés de la saison (le début, le milieu, la fin) est une nécessité dramatique : elle rétablit la cohérence de l’ensemble, fondée sur l’identité de la « famille Macahan », présentée comme le protagoniste fondamental de la saga dans chaque générique d’ouverture. L’éloignement répété des deux figures tutélaires, Zeb et Luke, renforce l’impact dramatique de leurs retours : bien qu’absents, ils sont les garants de la cohésion familiale ; c’est leur retour qui permet la résolution des dangers majeurs : la maladie de Jessie à la fin du premier bloc, la menace que représente Deek Peasley à la fin du second. Qu’ils se produisent finalement ou non, ces retours sont toujours attendus et désirés par le public ; ils entérinent la vision traditionnelle de la famille sur laquelle repose la saga : la cohésion assurée par le pilier, forcément masculin. Même si Kate Macahan puis Molly Culhane représentent des caractères forts, elles ne suffisent pas à maintenir la cohésion de la famille, qui nécessite invariablement la présence masculine.
La division de la saison en deux blocs répond à ce besoin de cohésion. Alors que l’éclatement des lignes narratives rend difficile l’adhésion du public s’il n’a pas regardé les premiers épisodes, présentant les débuts de chaque intrigue, la réunion des personnages en milieu de saison permet de simplifier l’action : au lieu de mener de front trois intrigues parallèles, les parties 6, 7 et 8 n’en contiennent que deux et la partie 6, qui constitue la charnière entre les deux blocs, ne les traite pas en parallèle mais successivement. Un nouveau public peut donc aborder la saga à partir de ce moment, même s’il n’a pas vu les segments précédents. Pour ceux qui ont suivi_ le premier bloc, la transition constitue un moment de relatif repos avant d’attaquer le second bloc. La présence des guest stars au générique accompagne ce temps de repos : l’épisode 6 n’annonce qu’un seul « acteur invité », le jeune Pat Petersen, et les épisodes 5, 7 et 8 en contiennent trois ou quatre contre six à onze dans les autres segments.
La narration modulaire – qui consiste à développer en parallèle plusieurs lignes narratives – et la structure bipartite de la saison sont deux éléments que reprendra Dallas dès sa troisième saison et plus encore dans les suivantes. L’étude des lignes narratives de Dallas montre en effet que la mi-saison constitue une charnière : plusieurs lignes majeures sont développées durant la première moitié puis, après leur conclusion, remplacées par d’autres lignes qui tracent un fil directeur tout au long de la seconde moitié. La mi-saison correspond donc à un moment de résolutions importantes, ce qui facilite l’écriture de la saison autant que l’adhésion du public. Dans la quatrième saison, la première mi-saison culmine ainsi avec le mariage de Lucy ; dans la cinquième, avec la mort de Jock. Les lignes narratives principales s’organisent autour de ces points culminants. Cette construction ne correspond pas seulement à un choix de narration mais aussi à l’organisation de la production. Lorsque l’équipe de tournage se déplace à Dallas pour filmer des extérieurs, essentiellement dans le ranch de Southfork mais également dans la ville, seules des scènes de la première mi-saison sont alors tournées. On s’aperçoit très clairement en regardant la série que les scènes se déroulant dans le ranch au cours de la seconde mi-saison sont tournées en studio : l’éclairage est différent, l’horizon n’est plus réel mais peint. La bipartition est donc lisible à plusieurs niveaux : écriture, production, réception.
UN PROGRAMME PRECURSEUR
Si La Conquête de l’Ouest avait respecté en 1978 le format pour lequel elle avait été écrite – dix téléfilms d’une heure trente chacun -, elle eût sans doute été moins annonciatrice de la réussite du nighttime soap dans la décennie suivante. Mais, telle qu’elle fut diffusée et telle qu’elle nous est parvenue, elle présente un autre point commun majeur avec ce que serait Dallas dans les années 1980 : l’usage du cliffhanger. Bien sûr, celui-ci est propre au serial et plus intrinsèque au feuilleton qu’à la série. Mais, si chacun des téléfilms de 135 minutes qui ouvrent et ferment la saison présente une unité dramatique plus prégnante que les segments de 45 minutes qui les séparent, ces derniers imposent déjà, deux ans avant Dallas, le cliffhanger comme procédé récurrent. La fin de la partie 3 laisse Jessie entre la vie et la mort ; celle de l’épisode suivant introduit le visage d’un personnage qui amène un rebondissement important et exacerbe l’attente du spectateur jusqu’à la semaine suivante ; le segment ultérieur se referme sur une promesse dramatique de Luke à Zeb alors que le sort de Jessie est encore en suspens ; chaque partie ensuite se referme sur une image figée dont la musique, emphatique, vient redoubler l’impact dramatique, tenant le public en haleine jusqu’au segment final. Selon le producteur John Mantley, l’audience des segments de 45 minutes fut amoindrie par la nécessité imposée au public de suivre l’intégralité de la saga ; mais on ne peut douter que La Conquête de l’Ouest a démontré les potentialités du procédé du cliffhanger, que Dallas reprendra ensuite, d’abord prudemment dans les trois premières saisons puis systématiquement à partir de la quatrième, qui s’ouvrait sur les conséquences de l’attentat contre J.R. et marquait la consécration de la série sur le plan international.
L’emploi des personnages secondaires prépare également le terrain au nighttime soap. Une série présente traditionnellement des personnages épisodiques propres à chaque épisode, qui raconte une histoire complète. Lorsqu’il arrive que ces personnages soient récurrents, soit ils amènent à chaque apparition une intrigue qui leur est propre, soit ils appartiennent à l’arrière-plan du show, le plus souvent membres de la communauté au sein de laquelle évoluent les protagonistes. En filant ses intrigues sur plusieurs épisodes, La Conquête de l’Ouest brise le cloisonnement des épisodes et impose la présence de certains personnages secondaires plusieurs semaines durant. Mieux encore : quelques-uns de ces personnages interviennent dans plusieurs intrigues, devenant vite familiers sans appartenir ni aux protagonistes ni à une communauté clairement circonscrite. C’est le cas spécialement de deux personnages : d’abord le Juge Rensen, qui apparaît pour la première fois dans l’intrigue réunissant Zeb et Beth, réapparaît ensuite dans celle du troupeau conduit par Zeb et Luke et enfin joue un rôle prépondérant dans les événements qui entraînent Luke à Las Mesas ; ensuite Deek Peasley, qui est présent dans l’ensemble du second bloc de la saison, prenant part à deux lignes narratives successives. Peasley surtout joue précisément le rôle que joueront ensuite, de manière systématique, les personnages saisonniers de Dallas, les Kristin Shepard, Alan Beam, Leslie Stewart qui seront présents dans une demi-saison, sinon une saison entière. Comme eux, Peasley possède des motivations qui ne sont pas immédiatement révélées et qui jouent un rôle majeur dans le destin des protagonistes.
Enfin, avançons ici quelques remarques sur le traitement des intrigues, qui justifieraient un développement à part entière. La Conquête de l’Ouest, on l’a vu, file en parallèle des lignes narratives qui ne sont pas forcément amenées à se rencontrer. Les différentes intrigues s’enchaînent le plus souvent : Zeb intervient dans le différend entre l’armée et les Sioux, puis retrouve Beth dont le retour n’a aucun rapport avec la guerre indienne, puis rentre à la ferme des Macahan et s’occupe de la maladie de Jessie. Ces trois intrigues sont indépendantes, comme le seraient trois histoires qu’une série classique traiterait dans trois épisodes distincts. D’autres, en revanche, sont enchâssées plutôt qu’enchaînées : lorsque Luke arrive à Jimson’s Break, il vit une péripétie impliquant le shérif Gant et sa fille Hillary ; puis, quittant Jimson’s Break, il se trouve entraîné dans une péripétie apparemment indépendante avec la bande du Colonel Flint ; mais cette péripétie se révèle finalement liée à la ville de Jimson’s Break et induit bientôt le retour du shérif Gant et de sa fille ; en définitive, la péripétie de la bande de Flint se trouve donc enchâssée dans la ligne narrative de Jimson’s Break. De la même manière, les lignes narratives développant l’errance de Jessie dans le désert et sa rencontre avec Teel-O, puis la découverte d’or sur les terres des Macahan, sont enchâssées dans une ligne plus ample qui concerne le personnage de Deek Peasley. Ces exemples s’inscrivent dans la séparation très claire des lignes narratives dévolues aux trois éléments de ce que l’on appelait tout à l’heure la Trinité de la saga : Zeb, Luke et le clan Macahan. Il arrive aussi, toutefois, que le scénario réunisse puis dissocie ces lignes : les lignes de Zeb et de Luke se trouvent associées lorsque les deux hommes décident d’acheminer un troupeau du Texas jusqu’au Colorado, puis dissociées de nouveau lorsque Luke quitte le convoi pour suivre le juge Rensen à Las Mesas, tandis que Zeb continue de mener le bétail. Cette volonté de tisser des liens entre des lignes narratives essentiellement parallèles ne va pas sans invraisemblances : la manière dont Zeb se trouve finalement impliqué dans les événements de Las Mesas, durant l’épisode final, est par trop artificielle (il est informé du sort de son neveu par deux quasi-ermites qui disent en avoir été informés par des voyageurs, ce qui suppose, en plus d’un hasard assez extraordinaire, que le sort de Luke a déjà acquis une forme de renommée justifiant sa propagation sur des centaines de kilomètres, quasiment « en temps réel »). Mais ce qui importe ici est la façon dont les intrigues sont réparties et traitées au fil des épisodes, de manière à offrir aux différents protagonistes des développements propres tout en les inscrivant tous dans un ensemble cohérent. Même si la plupart du temps les lignes narratives sont indépendantes, ces divers procédés créent l’illusion d’une unité, établissent une cohérence d’ensemble. On les retrouvera, affinés, dans Dallas et dans les autres nighttime soaps des années 1980.
La nécessité de faire une place dans chaque partie à l’ensemble des protagonistes amène une caractéristique que La Conquête de l’Ouest partage avec les nighttime soaps mais aussi avec certaines séries récentes, notamment 24. Les intrigues dévolues aux uns et aux autres sont d’un intérêt inégal et il arrive que les scénaristes donnent l’impression de se fourvoyer. On a beaucoup glosé sur le sort de Kim, la fille de Jack Bauer, dans 24, et particulièrement sur l’épisode du jaguar : égarée en pleine nature, la jeune fille se trouvait face à cet animal sauvage mais également entraînée dans des rebondissements rocambolesques n’ayant aucun rapport avec l’intrigue générale. C’est aussi ce qui arrivait à la femme de Bauer, Terri, dans la première saison, lorsqu’une fois libérée des terroristes qui l’avaient enlevée elle errait, amnésique, à la suite d’un accident. Ces exemples ont un précédent dans La Conquête de l’Ouest, qui avec le recul n’est pas sans susciter quelque ironie : du septième au dixième épisode, Jessie, à peine sauvée de la mort après un précédent incident, erre seule dans le désert, en état de choc, et rencontre un Indien solitaire qui l’entraîne dans des rencontres fortuites. L’intrigue n’est pas dénuée d’intérêt, notamment parce qu’elle entraîne le reste du clan Macahan dans une recherche impliquant également le personnage de Deek Peasley, recherche qui permet d’éclairer la personnalité de ce dernier et de développer ses rapports avec le clan. Son caractère limité dans le temps, cependant, et l’absence de lien avec ce qui précède et ce qui suit peut donner l’impression d’une intrigue téléphonée. Le problème majeur étant peut-être que Jessie, la cadette des Macahan, comme plus tard Kim Bauer dans 24, peine à s’imposer comme un personnage de premier plan.
Ce sont ses spécificités scénaristiques qui font de la troisième époque de La Conquête de l’Ouest un programme précurseur. Comme chaque époque de la saga, elle présente une seule année de la vie des Macahan ; ses différentes intrigues entraînent ses protagonistes dans des aventures variées et mouvementées sans affecter profondément leur nature, ce qui rapproche la saison de la série bien qu’elle emprunte le format d’une mini-série. L’année suivante, le cloisonnement des épisodes – qui n’exclura pas, toutefois, des références ponctuelles à d’autres épisodes et aux époques antérieures – gommera l’originalité de cette saison, d’autant que les intrigues parfois excessivement romanesques et simplistes seront alourdies par un sentimentalisme de mauvais aloi. De cette ultime saison, John Mantley dira qu’elle était très classique essentiellement par manque de temps. C’est l’ampleur ambitieuse de la troisième époque, la variété de ses intrigues, le nombre de ses personnages secondaires alliés au charme et au souffle épique des grands espaces dans lesquels elle se déroule qui en font la quintessence de La Conquête de l’Ouest, la période qui s’imprime le plus profondément dans les mémoires.
Les musiciens de La Conquête
Dans le documentaire Music from Dallas présenté sur le dernier DVD de la saison 7 de Dallas, le thème musical de La Conquête de l’Ouest est décrit par Jon Burlingame, historien de la musique de film et de télévision, comme l’un des meilleurs génériques jamais écrit pour la télévision. Associé aux images magnifiques du générique, le thème de Jerrold Immel est de fait une invitation au voyage dans un cadre superbe. Le score d’Immel fut nominé aux Emmy Awards en 1977, comme le seront en 1983 celui de Côte Ouest et en 1989 celui de Le Cavalier solitaire (Paradise). Mais c’est pour la musique de Dallas qu’Immel sera finalement récompensé en 1987, par un BMI TV Music Award. A l’époque de La Conquête, Immel avait signé pour la télévision quelques partitions pour les séries Harry O, Sergent Anderson et Spencer’s Pilots. Il allait, en 1978, être remarqué par le producteur David Jacobs pour le score de Nowhere to Run, un téléfilm de Richard Lang avec David Janssen. Chargé de composer le thème musical de Dallas, il convainquit si bien Jacobs que ce dernier le rappela ensuite pour Côte Ouest et Le Cavalier solitaire (Paradise), ainsi que pour la mini-série Dallas : Quand tout a commencé, pour laquelle il composa un score que Jacobs trouva magnifique. En 1987, c’est Immel qui composera la partition du téléfilm Gunsmoke : Return to Dodge, marquant le retour de James Arness dans le rôle du marshal Matt Dillon.
Bruce Broughton a débuté à la même époque qu’Immel (1974) et travaillé comme ce dernier sur les séries Sergent Anderson, Spencer’s Pilots, L’Age de cristal et Dallas. Son travail sur cette dernière fut récompensé par deux Emmy Awards, en 1983 et 1984, ainsi que deux nominations en 1980 et 1982. Détenteur de dix Emmy Awards, il a établi un record en la matière et de nombreuses autres récompenses ont sanctionné ses partitions au fil des années. Sollicité par le cinéma autant que par la télévision, il fut nominé aux Oscars pour Silverado, remporta un ASCAP Award pour Perdus dans l’espace et un Saturn Award pour Young Sherlock Holmes. A la télévision, le score de la mini-série Warm Springs produite par HBO en 2005 lui valut un Emmy Award et la musique de JAG plusieurs ASCAP Awards. On lui doit aussi la musique de la mini-série Les bleus et les gris en 1982, de plusieurs épisodes de Buck Rogers au 25ème siècle en 1981, du téléfilm Le retour de Frank Cannon en 1980 et de plusieurs épisodes de Gunsmoke entre 1973 et 1975.
John Parker n’est intervenu sur la série que pour signer les partitions de deux téléfilms au cours de la saison 1979. Mais, comme Jerrold Immel et Bruce Broughton, il a travaillé ensuite sur Dallas, dont il sera l’un des compositeurs réguliers au cours des premières saisons. Son travail pour la télévision a commencé dans les années 1960 et certains de ses thèmes sont connus, même si son nom ne l’est pas forcément : le générique de Cannon, c’est lui, comme celui de CHiPs. Il a aussi œuvré sur Les Mystères de l’Ouest, Gunsmoke, L’Homme de Vienne, Les Rues de San Francisco et une série inconnue chez nous, Trapper John M.D., dont il a signé aussi le thème musical. Son travail sur cette série lui a valu une nomination aux Emmy Awards en 1984.
Les trames narratives de la saison 3 ( 1978 )
Chacune des trois premières saisons est structurée en trois lignes principales : la première suit les aventures de Zeb, la deuxième celles de Luke, la troisième celles du « clan » Macahan, à savoir Kate / Molly et les trois enfants Josh, Laura et Jessie. Appelons ces trois groupes la Trinité de la saga. Chaque segment intègre les trois lignes développées en parallèle. Nous avons figuré dans ce tableau les trames principales de la saison 1978 en distinguant les protagonistes par un code couleur. Certaines intrigues impliquent uniquement l’un des éléments de la Trinité, d’autres en réunissent deux, voire trois. Ainsi l’intrigue dite des « abeilles » - la vie de Jessie est en suspens après qu’elle a été piquée par des abeilles – délimite deux blocs dans la saison. Si l’on tient compte de la durée des épisodes (47 minutes pour les parties 3 à 13 mais 135 pour les parties 1, 2 et 3), ces deux blocs sont d’ampleur équivalente : sept heures trente chacun (ou dix heures si l’on tient compte des encarts publicitaires). La Trinité se trouve ainsi réunie au début, au milieu et à la fin de la saison. Ce découpage caractéristique sera repris par Dallas dès 1980 : chaque saison sera constituée de deux blocs à peu près équivalents produits successivement ; plus près de nous, 24 reproduit également ce schéma.
Les personnages épisodiques de la saison 3 ( 1978 )
La présence des guest stars au générique met en lumière le découpage en deux blocs de la saison : les épisodes 5 à 8, qui font appel à un moindre nombre de guest stars – donc de personnages épisodiques -, représentent la transition d’un bloc à l’autre, le moment au cours duquel Zeb et Luke se voient réunis avec le reste du clan Macahan. Avant et après, les lignes narratives séparent de nouveau les trois éléments de la Trinité.
Le signale la présence dans l’épisode du personnage mentionné dans la colonne de gauche. Le signe – signale que le comédien est crédité au générique d’ouverture mais en réalité absent de l’épisode.