1976
la deuxième course de Logan
Un article de Thierry Le Peut
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Avant même la publication du livre (en septembre 1967), un producteur indépendant, Stan Canter, s'y intéresse. Mais il n’est pas prêt à verser aux deux auteurs la somme initialement prévue et l’affaire ne se fait pas. Nolan et Johnson sont informés par leur agent que l’adaptation intéresse le producteur Walter Wanger, qui a produit en 1963 le film (aussi épique sur les plateaux que par son histoire) Cléopâtre avec Elizabeth Taylor et Richard Burton… mais Wanger meurt en novembre 1968 ! C’est alors George Pal qui s’intéresse au roman. Producteur de films de SF au budget conséquent (La Guerre des Mondes et La Machine à explorer le temps d’après H. G. Wells, Le Choc des mondes, Le continent perdu…), Pal souhaite acheter lui-même les droits du livre mais la Metro Goldwyn Mayer lui propose de s’en charger et de monter le projet avec lui. Elle confie le travail d’écriture à Richard Maibaum, auteur attitré des scripts de la série des James Bond au cinéma. Ce dernier semble (c’est ce qu’écrit William F. Nolan) s’orienter vers une réécriture complète de l’histoire tendant à faire de Logan un émule du célèbre agent secret au service de Sa Majesté ! Mais, au mois de mai 1969, MGM change d’équipe dirigeante et George Pal est écarté du projet, qui semble dès lors enterré. Jusqu’à l’entrée en scène d’Irwin Allen, producteur ambitieux et reconnu tant pour ses séries télévisées (Au Cœur du Temps, Au Pays des Géants, Perdus dans l’espace, Voyage au fond des mers) que pour ses grosses productions cinéma (L’Aventure du Poséidon, La Tour infernale). Cette fois, Allen se déclare décidé à adapter l’histoire telle qu’elle a été écrite, pour un budget conséquent de quinze millions de dollars. Mais, de nouveau, le projet est abandonné.
Deux ans s’écoulent encore, et voilà que le nouveau président de la MGM, Frank Rosenfelt, annonce que Logan’s Run sera le fer de lance de la nouvelle politique de production de la compagnie. Avec un budget ramené à de raisonnables proportions (trois millions), un producteur, Saul David, ayant déjà tâté de la science-fiction (il a produit Le Voyage fantastique de Richard Fleischer en 1966), et un script signé Stanley Greenberg, également auteur de celui de Soleil Vert, le projet semble viable. Saul David établit quelques modifications destinées à diminuer les coûts de production : le monde de mégalopoles décrit dans le roman est ainsi réduit à une cité sous dôme entourée d’un futur post-apocalyptique, dont émerge un Washington dévasté. Tout semble bien parti, mais Greenberg tombe malade et est remplacé par David Zelag Goodman, scénariste de Monte Walsh et de Adieu ma jolie, qui n’est pas familier de la SF. Le résultat de son travail sera vivement critiqué par William F. Nolan. De fait, l’histoire est ramenée à quelques données simplificatrices et handicapée par une conclusion grand-guignolesque, voulue par le studio pour permettre quelques effets pyrotechniques. Personnages et postulat ne sont guère approfondis.
Le tournage se déroule sur tois mois, de juin à septembre 1975, et nécessite neuf plateaux de la MGM. Quelques séquences sont filmées au Texas, à Dallas, Houston et Fort Worth, notamment celles qui se déroulent dans le Grand Hall de la Cité des Dômes (en fait le Grand Hall de l’Apparel Mart, au Dallas Market Center, conçu pour accueillir des conférences et des symposiums) et les scènes des bassins en bord de mer, par lesquels Logan et Jessica rentrent dans la Cité, et qui sont en fait les Water Gardens de Fort Worth, construits en 1974 (ces scènes furent tournées en juillet 1975). Les scènes se déroulant en pleine nature, lorsque Logan et Jessica s’enfuient de la Cité, sont, elles, tournées dans le Malibu Creek State Park. Huit mois sont ensuite nécessaires pour la post-production. Un plateau entier accueille la gigantesque maquette de la Cité des Dômes, l’une des plus grandes jamais construite. Bien que cette maquette ne contienne pas assez de détails pour être filmée de près, ses bâtiments mesurent parfois plus d’un mètre de haut afin de rendre possible la circulation de petits véhicules dans les tubes de transport. Les effets visuels sont confiés à L. B. Abbott (La Tour infernale, la série de La Planète des singes, Cléopâtre, les séries d’Irwin Allen), les matte paintings réalisés par Matthew Yuricich (assistant sur La Planète interdite en 1956, il avait aussi travaillé sur La Tour infernale, L’Aventure du Poséidon, Destination Zebra station polaire, Soleil vert, Mondwest…). Comme eux, Jerry Goldsmith, qui compose la musique du film, a lui aussi travaillé avec Irwin Allen : il signe une partition toujours considérée comme l’une de ses plus originales, à base de sons électroniques pour les séquences se déroulant dans la Cité des Dômes, et d’orchestre pour les séquences extérieures.
Les acteurs initialement pressentis pour le film ne sont finalement pas présents : James Cagney s’était vu proposer le rôle finalement dévolu à Peter Ustinov, William Devane devait incarner Francis, Jon Voight et Lindsay Wagner étaient les premiers choix pour Logan et Jessica. Ce sont finalement Michael York, Jenny Agutter et Richard Jordan qui interprètent respectivement Logan, Jessica et Francis. Michael Anderson, le réalisateur, avait été approché par George Pal à l’époque où ce dernier envisageait de produire le film.
MGM croit en ce film et dépense trois millions de dollars pour une campagne publicitaire massive. Le budget total de Logan’s Run passe de trois à neuf millions de dollars. Sorti en salles le mercredi 23 juin 1976 (le 22 décembre en France), il en rapportera finalement vingt-cinq millions. Ses effets visuels seront récompensés d’un Oscar, ses décors, sa direction artistique, ses costumes, sa photographie, son maquillage honorés par l’Academy of Science-Fiction, Fantasy & Horror Films, qui l’élira également meilleur film de SF de l’année. Le network CBS débourse à lui seul cinq millions pour acheter les droits d’exploitation télévisuelle.
Le succès du film assure celui de l’édition de poche du roman : publiée par Bantam Books et augmentée de photos couleurs extraites du film, elle se vendra à 850.000 exemplaires au cours de seize rééditions successives. La société de comic books Marvel publie, elle, une série de cinq numéros reprenant l’histoire du film, avant d’entreprendre une suite, hélas interrompue avec le numéro 8. William F. Nolan, lui, croit à une suite au cinéma et jette sur le papier un script d’une quarantaine de pages intitulé Logan’s World, qu’il envoie à MGM. Malheureusement (pour le cinéma), le studio choisit de prolonger le film par une série télévisée et passe un accord en ce sens avec le network CBS. Logan’s World deviendra donc un deuxième roman, tiré à environ 200.000 exemplaires par Bantam Books, à partir de décembre 1977.
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Le XXIIIe siècle. En 2274, les survivants de la guerre, de la surpopulation et de la pollution vivent dans une grande cité sous dôme, protégés du monde extérieur dont nul ne se souvient. Là, dans un monde écologiquement équilibré, l’humanité ne vit plus que pour le plaisir, libérée par les servo-mécanismes qui subviennent à tous les besoins. Il n’y a qu’une seule contrainte : la vie prend fin à trente ans, à moins de renaître à l’occasion du flamboyant rituel du carrousel.
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Les changements apportés par le film au roman ne sont pas anodins. Le choix de placer l’action 158 ans après celle du livre n’appelle pas de commentaire particulier ; le XXIIe siècle était déjà lointain, le XXIIIe l’est simplement… davantage. En revanche, le fait de réduire l’humanité future à une seule cité recouverte de dômes entraîne non seulement un changement de perspective mais affecte aussi la cohérence de certains éléments que le scénario emprunte au livre mais qui n’ont plus, en réalité, la pertinence que leur avaient donnée les auteurs du roman.
Dans le roman, les villes se sont développées au point de recouvrir l’en-semble de la planète pour ne plus former qu’un gigantesque réseau entièrement relié à l’ordinateur central (situé dans le Dakota du Sud parce que les auteurs sont américains, mais rien n’empêche de l’en-visager ailleurs). Cet environnement « mo-ndialisé » se meurt parce que ses habitants ne sont plus capables de l’entre-tenir. Son agonie est traitée comme un cancer qui dévore des zones précises mais qui se développe inexorablement.
L’existence de zones de « non-droit » à l’intérieur même des cités est le signe d’une gangrène qui se généralise. Or, en choisissant d’enfer-mer ce qui reste de l’humanité à l’inté-rieur d’une seule cité, le monde ayant été détruit par la guerre et la pollution, le film rend cette lecture inadéquate. La Cité des Dômes n’est plus un corps malade menacé de gangrène ; rien ne vient laisser entendre que son super-ordinateur est usé, en passe de devenir obsolète. Au contraire, la société confinée qui vit sous les dômes semble parfaitement réglée et maîtrisée : non seulement les Sandmen assurent la police, mais l’ordinateur lui-même est capable de localiser, voire de « terminer » (selon la terminologie en vigueur parmi les policiers) les fugitifs. Les corps de ceux-ci sont aussitôt « nettoyés », c’est-à-dire dissous.
Dans ces conditions, on voit mal pourquoi est tolérée la présence d’un quartier comme Cathédrale, livré à lui-même, habité par des enfants qui échappent – on ne sait pourquoi – à la vie si bien réglée de la cité. Même en considérant qu’une forme de rébellion est autorisée et que la vie dans Cathédrale est le sort réservé aux enfants qui refusent de grandir dans les crèches, l’élément ne trouve pas aisément sa place dans le discours du film.
De même, la réduction du monde du roman à une cité et son environnement immédiat aurait dû entraîner la disparition de l’épisode de l’Enfer, cette prison de glace située dans le Pôle Nord. Conservé, ce motif aboutit à un non-sens qui voit une caverne entièrement gelée occuper l’intérieur d’une montagne hors de laquelle les personnages se retrouvent en climat tempéré. Alors que la prison était dans le roman la conséquence de la persistance de la criminalité dans la société apparemment très policée du futur, l’idée de prison est abandonnée par le film et remplacée par celle… d’un immense congélateur dans lequel un robot-artiste (le personnage du livre est conservé, quoique moins excentrique) emmagasine les « fugitifs » de la cité des dômes. Idée séduisante, pourquoi pas ? mais, de nouveau, sans lien avec le reste. Ce congélateur, de toute évidence, est inconnu des habitants de la cité, et l’on peine à lui trouver une justification.
Le monde extérieur que découvrent Logan et Jessica après avoir fui la cité des dômes et quitté la caverne de glace n’est guère plus vraisemblable. Ce n’est pas tant ce monde post-apocalyptique, d’ailleurs, que l’unique habitant qu’on y rencontre. Comment ce vieil homme, qui se souvient de ses parents, peut-il avoir survécu seul dans un tel environnement ? Est-il le dernier survivant d’une humanité disparue ? Pourquoi le dernier ? Si une famille a survécu, pourquoi pas d’autres ? Depuis combien de temps, de siècles peut-être, l’humanité de la cité est-elle isolée du monde extérieur ? Aucune de ces questions ne trouve de réponse dans le film, qui se contente de placer ce vieil homme solitaire sur le chemin des protagonistes afin de leur démontrer que la vie après trente ans est possible.
Tout cet épisode est absent du roman. Le Vieux Washington y est bien le cadre d’un chapitre, mais l’action en est totalement différente. Ainsi le film conserve-t-il des éléments du livre qu’il vide de leur substance, tout en modifiant son dénouement d’une manière finalement maladroite. Faire du monde extérieur le Sanctuaire tant désiré n’est pas sot en soi, comme n’est pas sotte l’idée de renvoyer Logan et Jessica dans la cité des dômes pour libérer l’humanité en dénonçant le mensonge de l’ordinateur. Malheureusement, le traitement de l’idée est simpliste. L’épisode de la rencontre avec le vieil homme est rendu plaisant par la prestation de Peter Ustinov, qui rend son personnage cocasse et amusant. Mais le retour à la cité n’est guère convaincant : Logan n’a aucun effort à faire pour détruire l’ordinateur, car celui-ci s’auto-détruit en apprenant qu’il n’existe aucun Sanctuaire ! La « chute » de l’ordinateur entraîne, par une réaction en chaîne, celle de la cité, jetant ses habitants dans les bras du vieil homme et apportant au film une conclusion d’autant moins vraisemblable qu’elle est facile et simpliste.
L’Age de cristal apparaît en définitive comme un film bancal. Son premier acte réussit à nous intéresser aux personnages de Logan et de Francis, en soulignant l’amitié qui les unit et qui fera de la trahison de Logan un déchirement personnel pour son partenaire. Francis est d’ailleurs un personnage intéressant par son refus obstiné de remettre en cause la vérité inculquée dans la cité, qui entre en contradiction avec son attachement sincère à Logan. Jusqu’à leur scène finale, la réticence de Francis à poursuivre Logan est sensible, et l’on comprend que jamais le Sandman n’a renoncé à ramener son ami à la raison – c’est-à-dire à ce qu’il considère comme tel. En fait, le Francis du film est même plus intéressant que celui du roman, que le dénouement de celui-ci enferme dans un double rôle assez malaisé. Même au moment de mourir, Francis refuse d’abandonner le mensonge dans lequel il a vécu, s’obligeant à voir dans la survie de Logan, dont le cristal est pourtant mort, la preuve de sa résurrection, telle que la promet la cérémonie du Carrousel. De même, la relation de Logan et Jessica, quoique réduite à peu de chose par l’enchaînement des péripéties, possède au moins l’ombre d’une épaisseur. Loin d’être taillé d’une pièce dans la rébellion, Logan conserve longtemps une ambiguïté qui empêche de le trouver sympathique : contraint par l’ordinateur à « infiltrer » le réseau qui permet aux fugitifs de quitter la cité, même privé injustement des quatre années de plaisir qui lui restaient à vivre il demeure attaché à sa mission. Il est ainsi responsable de la mort de plusieurs « rebelles » lors de l’assaut donné par les Sandmen, auxquels il a permis de le localiser. Ce n’est qu’en découvrant le monde extérieur et le vieil homme qui y vit qu’il bascule réellement de « l’autre côté », son double jeu restant largement sous-estimé par l’innocente et crédule Jessica. Tant qu’il est à l’intérieur de la cité, Logan demeure en fait un homme superficiel, attaché à ses plaisirs, enclin certes à se poser des questions mais uniquement le concernant : c’est la naissance d’un enfant né de lui qui l’amène à réfléchir sur sa paternité, alors qu’il ne ressent aucune culpabilité lorsqu’il joue avec un fugitif avant de l’abattre, froidement et sans aucune trace de remords. On sent ainsi une forme d’ingénuité narcissique chez Logan, alors que son partenaire Francis apparaît plus complexe, voire tourmenté : là où Logan s’interroge sans malice, Francis, lui, élude les questions avec une sorte de mauvaise conscience, comme s’il refusait de s’interroger par peur de devoir admettre le mensonge qui définit sa vie, ou par crainte d’encourager les doutes de son ami.
Quarante-cinq ans après sa sortie, le film a vieilli. Impressionnante en 1976, la maquette de la cité des dômes ne l’est plus guère aujourd’hui, et certains effets spéciaux, comme l’effondrement de la caverne de glace, paraissent bien maladroits. Pourtant l’aspect du Vieux Washington dévasté et rendu à la nature n’est pas dénué de poésie, comme le personnage du vieil homme campé avec malice par Peter Ustinov. C’est d’abord son scénario maladroit qui nuit à la crédibilité du film, en dépit de personnages intéressants. Mais il reste une étape essentielle dans le développement de l’univers de L’Age de cristal, car les modifications qu’il apporte au roman de Nolan et Clayton seront assimilées par les déclinaisons ultérieures. Le film fixe le look des Sandmen et impose le futur post-apocalyptique dans lequel évoluent ensuite les personnages, dans les comic books, dans la série télévisée, mais aussi dans les suites données au premier roman par William F. Nolan lui-même.