article de Thierry Le Peut

paru dans Arrêt sur Séries n°3, janv.-fév. 2001

 

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Après avoir retracé la genèse du géant vert télévisé qui fit de Lou Ferrigno une star et confirma le scénariste-producteur Kenneth Johnson comme une valeur sûre, nous allons nous intéresser à d’autres aspects de la carrière richissime du monstre d’émeraude, à commencer par ses déclinaisons animées. Car c’est sous cette forme que naquit Hulk, un jour de mai 1962, par les talents conjugués d’un auteur, Stan Lee, et d’un dessinateur devenu culte dans le petit monde des fans, Jack Kirby. Le début d’une aventure (re)bondissante qui nous mènera, via les trois incarnations animées du monstre sur le petit écran, jusqu’aux plus récents téléfilms. Musique, maestro !

 

Stan Lee

 

La grande aventure des super-héros aux Etats-Unis présente bien des similitudes avec celle des séries télévisées. On y retrouve bien sûr les héros récurrents, engagés à chaque numéro dans un nouveau récit (mais la littérature les avait déjà inventés depuis longtemps), l’affrontement répété des bons et des méchants, le triomphe du bien sur le mal, mais aussi un long processus d’évolution qui conduit de héros souvent monolithiques à des personnages plus complexes, gagnés par le doute, l’erreur et une sorte de questionnement existentiel. Comme les héros de séries, ceux des bandes dessinées, qui les ont précédés, n’ont cessé d’évoluer au fur et à mesure que leur public augmentait et changeait lui aussi. Comme eux, ils se sont construits par une interaction constante avec ce public, et leurs créateurs se sont toujours efforcés de concilier le goût d’un lectorat exigeant, une double vocation grand public et commerciale, et les exigences propres à leur art.

 

Tout ce petit laius pour introduire un flashback sur le contexte dans lequel apparut, en mai 1962, le personnage de Hulk tel que le conçut Stan Lee, alors grand gourou scénariste de la firme Marvel Comics Group. Mais avant même d’en arriver là, il ne sera pas inutile de retracer les grandes lignes de l’histoire passionnante des super-héros, une histoire qui se confond avec celle du comic book.

 

Au contraire du comic strip, bande (au sens propre) dessinée publiée dans un quotidien, le comic book est un magazine qui paraît en général à un rythme mensuel. On fait remonter sa création à 1934, lorsque Max Gaines, un homme d’affaires américain, eut l’idée de publier un supplément du dimanche de huit pages que le lecteur pouvait plier en deux, puis encore en deux, afin d’obtenir un album de trente-deux pages d’un format de 18 x 26 cm environ. C’est sous ce format qu’apparut le premier super-héros de l’histoire, en juin 1938, dans le magazine Action Comics n°1 : créé par Jerry Siegel et dessiné par Joe Shuster, édité par la firme Detective Comics (que l’on connaît mieux aujourd’hui sous ses initiales, DC), il avait pour nom... Superman. En fait, la création du personnage remonte à 1933 mais, à l’époque, il n’avait pas dépassé le stade du fond de tiroir. Entretemps, la BD populaire s’était enrichie de deux figures aujourd’hui encore fameuses, à mi-chemin entre le justicier, le super-héros et l’incarnation fantastique : Mandrake le magicien en 1934 et le Fantôme en 1936 (que l’on a revu voici quelques années dans un long-métrage avec Billy Zane dans le rôle-titre).

 

Premier spécimen du surhomme, extraterrestre de surcroît, Superman partage aussi avec des justiciers comme Zorro (créé en 1919) une particularité qui restera attachée au genre, la double identité du héros. Journaliste lunettu et maladroit dans le civil, Clark Kent n’a qu’à ôter ses binocles et ses vêtements de ville pour devenir le héros à la force surhumaine, quasiment sans limite, qui terrasse les méchants. Le succès phénoménal du personnage entraîne l’apparition d’ersatz plus ou moins réussis, chez DC (Batman en mai 1939) ou chez des firmes concurrentes (Captain Marvel en février 1940, par la firme Fawcett). L’éditeur qui nous intéresse plus spécialement pour notre géant vert s’appelle à l’époque Timely. Il lance en 1939 un nouveau magazine, Marvel Comics, qui publie les aventures de deux super-héros appelés à une grande postérité : Submariner, le prince d’Atlantis, et The Human Torch, que l’on retrouvera bien plus tard sous une autre forme dans Les Quatre Fantastiques. Le premier de ces personnages est particulièrement intéressant parce qu’il n’a rien du valeureux héros sympathique que les lecteurs étaient habitués à côtoyer. Submariner déteste l’humanité en général, pire : il souhaite son anéantissement. Quant à la Torche Humaine, il s’agit tout bêtement d’un robot qui a le pouvoir de s’enflammer et de jeter des boules de feu. Déjà apparaît l’originalité de Timely, qui se verra confirmée lorsque, devenu la Marvel Comics Group, il sera à l’origine d’un nouvel âge d’or du super-héros.

 

Faisons donc un bond dans le temps pour nous rendre illico au début des années soixante, à l’aube de ce deuxième âge d’or (le premier ayant été inauguré par Superman). La Seconde guerre mondiale est passée par là. Elle a fait des ravages. Certes, à partir de 1941, date de l’entrée en guerre des Etats-Unis après l’attaque surprise des Japonais sur Pearl Harbor, une exaltation patriotique a poussé sur le devant de la scène des héros comme Captain America et Wonder Woman, tous deux revêtus des couleurs de leur pays (avec un effet plus ou moins attrayant). Mais la fin du conflit, quelques années plus tard, a entraîné du même coup la disparition rapide de ces combattants de la liberté. Les conséquences ne seront pourtant pas si désastreuses. Très vite Superman, qui a survécu au conflit (il a simplement évité d’y prendre part, de peur sans doute de balayer les forces de l’Axe en deux coups de ses poings kryptoniens), gagne en subtilité ce que DC a perdu en nombre de titres. Mieux dessiné, confronté à des ennemis plus motivants que les gangsters d’avant-guerre, il se pose aussi davantage de questions. Et puis DC profite du nouvel essor d’après-guerre pour ressusciter certains personnages qu’elle avait abandonnés, comme The Flash et The Green Lantern.

 

Jack Kirby

 

LA NAISSANCE DE HULK

 

La révolution, pourtant, va venir d’ailleurs. C’est chez Marvel qu’apparaît, en février 1961, un nouveau titre : Les Quatre Fantastiques. Les quatre compagnons, un homme élastique, une femme invisible, un colosse de pierre et une nouvelle Torche humaine, font un carton. C’est Jack Kirby, transfuge de chez DC, qui imprime à la bande une patte encore grossière par moments mais qui sera appelée à un grand destin. Le scénariste de la Marvel, Stan Lee, fort du succès de cette création, décide de récidiver. Constatant que, des quatre héros de la bande dessinée, c’est sans doute la Chose, ce monstre de pierre abritant un coeur d’or, qui rallie le plus de suffrages, il se souvient de ses classiques, de Quasimodo à Mister Hyde en passant par Frankenstein, et donne naissance à un nouveau monstre. « J’ai toujours eu un faible pour le monstre de Frankenstein », racontera le scénariste en retraçant cet âge d’or (en France, on trouve ces confidences dans Strange Spécial Origines n°133 bis, aux Editions Lug en 1981). « Personne ne pourra me faire croire qu’il est le méchant, le vilain ou la menace. Ceux qui l’accusent, ce sont ceux qui le craignent et dont le premier réflexe est de taper aveuglément sur ce qu’ils ne peuvent comprendre. » Ces réflexions alimentent les premiers chapitres de la genèse de Hulk, qui fait son entrée dans le monde du comic book le 1er mai 1962 « pour prendre place au firmament des héros », comme le clame la première page. La couverture, suavement sensationnaliste, pose la question destinée à rameuter les foules : « Est-il un homme ou un monstre ? Est-il les deux ? » Quelle que soit la réponse, une chose est sûre : c’est « l’homme le plus étrange de tous les temps !! » (avec les deux points d’exclamation dans le texte).

 

« Au coeur du désert, une silhouette menaçante : la bombe G, l’arme la plus dangereuse jamais enfantée par un esprit humain... » On pourrait se croire au début de Code Quantum (le désert, un complexe top secret - pour ceux qui ne seraient pas familiers des errances du Dr Sam Beckett) mais nous sommes en fait dans l’ombre encore fraîche de la bombe qui, à peine deux décennies plus tôt, a mis fin à la guerre. Le Dr Bruce Banner, physicien, supervise l’essai de la bombe H, une arme à la puissance terrifiante utilisant les rayons Gamma. Nous sommes sur une base militaire et assistons dès la quatrième vignette à l’arrivée du Général Ross, héros de guerre et grande gueule devant l’Eternel, accompagné de sa ravissante fille Betty. Mais au moment où l’on s’apprête à faire exploser la bombe, le Dr Banner avise un gamin en plein milieu de l’aire d’expérimentation. Se précipitant pour l’éloigner, il est pris dans la déflagration et absorbe une dose massive de radiations. Placé en quarantaine avec son jeune protégé, un étudiant du nom de Rick Jones, il est victime, la nuit venue, d’une expérience bien plus étrange que l’explosion d’une bombe. En quelques instants, son corps subit une transformation effrayante et inattendue : devant l’ébaubi Rick Jones, ce n’est plus le Dr Bruce Banner qui se dresse mais un colosse vert qui ne comprend pas ce qu’il fait là et s’enfuit aussitôt en pulvérisant le mur de sa prison.

 

« Je me représentais un monstre assez massif et bestial pour inspirer de la terreur à tous ceux qu’il rencontre », rapportait encore Stan Lee, « mais tout de même doué d’un certain charme tragique qui le ferait aimer de nos lecteurs ». Comme Submariner, qu’il affrontera d’ailleurs lors d’un épisode mémorable, Hulk est d’emblée un anti-héros. Il ne déteste pas les hommes mais n’a d’autre choix que de s’opposer à eux lorsqu’ils le traquent et font feu sur lui. Inspirant la peur, voire l’effroi, il sera constamment assimilé à une menace et combattu par les autres super-héros Marvel avant d’intégrer deux de leurs groupes : les Vengeurs, d’abord, pendant quelque temps, et surtout les Défendeurs. En attendant, avant de pouvoir l’offrir à ses lecteurs et recueillir leurs impressions, Stan Lee devait lui trouver un nom. « Je me creusai la tête pour imaginer toutes les appellations qui pourraient convenir à une créature gargantuesque, à un être doué d’une force terrible mais à l’esprit lourd et embrumé. Je feuilletai en vain le dictionnaire. Oui ! Il me fallait un nom parfait pour une brute épaisse (« hulking »), monstrueuse, meurtrière en puissance et... Là je m’arrêtai. Le mot « hulking » m’avait accroché. Il concrétisait parfaitement l’image que je me faisais du personnage. Je tenais son nom : ce serait HULK. »

 

Concernant le choix de la couleur de peau de la créature, l’auteur rapporte encore une anecdote amusante. Car on évite en général de le rappeler mais Hulk au départ était... gris ! Seulement voilà, Lee se heurta à un problème qu’il n’avait pas prévu lorsqu’il chargea son imprimeur de coucher la créature sur le papier : « Notre Hulk était gris clair par endroits, presque noir un peu plus loin. Sur certains dessins, il virait au rouge et, pour une raison restée inexplicable, il était vert émeraude à la fin de l’épisode. » Du coup, Lee dut revoir sa copie et opta finalement pour le vert, « peut-être parce qu’il n’y avait pas d’autres monstres à peau émeraude à cette époque-là. » Les deux couleurs perdureront toutefois dans la bande dessinée puisque Banner aura deux alter ego différents : l’un, le gris, est plus proche d’un être humain mais en réunit les plus bas instincts, tandis que l’autre, le vert, est la créature bestiale que l’on connaît.

 

L’accueil que le public réserva à la créature torturée ne fut pas à la hauteur de ce qu’en espérait la Marvel. En fait, la série fut supprimée au bout de six numéros seulement. Loin de disparaître, pourtant, Hulk se mit à hanter les autres titres de la firme, affrontant quelques-uns des personnages les plus populaires de l’écurie Stan Lee. Il rencontra finalement en qualité de guest plus de popularité que dans sa propre bande dessinée, tant et si bien qu’il redevint le héros de son propre magazine à la fin des années soixante, conservant jusqu’à nos jours une énorme popularité. Entre-temps, la télévision s’était déjà emparée du phénomène.

 

 

LES DESSINS ANIMES

 

Le premier dessin animé reprenant les exploits du géant vert date de 1966. Intégrée au Marvel Superheroes Show, qui accueillait également Captain America, Iron Man, Thor et Submariner, la série souffrait d’une animation rudimentaire (certains disent même inexistante), chacune des histoires étant empruntée directement aux comics. On y retrouve, du coup, le trait de Jack Kirby. L’avantage de la pratique est, bien sûr, qu’au moins la série ne trahit pas l’original, à qui elle emprunte ses méchants, du Leader (que l’on retrouvera dans les autres versions) au Caméléon, en passant par les hommes-taupes.

 

La deuxième incarnation animée du monstre émeraude est bien plus chère au coeur de ses fans. Diffusée en 1982 sur la chaîne NBC, elle bénéficie d’une animation soignée sans trahir la bande dessinée. Stan Lee y joue lui-même le rôle de narrateur (un peu comme William Conrad dans les séries de Quinn Martin), tandis que l’acteur Michael Bell (qui fut l’ex-fiancé de Sabrina dans Drôles de Dames) prête sa voix à Bruce Banner et à l’un de ses ennemis, le Dr Octopus (dans les comics, l’un des adversaires fétiches de Spiderman). L’un des scénaristes de la série, Dennis Marks, s’amusera lui aussi à doubler un personnage, le Dr Proto, et Quasimodo prendra même la voix de Stanley Ralph Ross, qui quelques années plus tôt adapta le personnage de Wonder Woman au format télé. Evolution historique oblige, l’épisode racontant les origines de Hulk remplaçait les méchants d’origine (une créature hideuse appelée la Gargouille et un espion russe prénommé Igor) par un extraterrestre baptisé Number One, mais on croise dans la série quelques-uns des vilains les plus réjouissants de la bande dessinée, comme le Leader, un mégalomane au cerveau chargé de rayons Gamma, le Puppetmaster ou les membres de l’organisation criminelle Hydra.

1982

 

Enfin, en 1996, Stan Lee et Avi Arad, le nouveau patron de la Marvel, poursuivant leur offensive médiatique en adaptant un maximum de leurs personnages pour la télévision (on leur doit notamment un Spiderman modernisé digne des récentes réussites que furent Batman et Superman), ont produit une nouvelle version des aventures du monstre vert. Cette fois, c’est Lou Ferrigno himself qui prêtait sa voix à Hulk, tandis que Luke Perry (oui, oui, celui de Beverly Hills) était Rick Jones et Mark Hamill (Luke Skywalker dans La Guerre des Etoiles) la Gargouille. Au rayon voix célèbres, on relève au gré des épisodes Richard Grieco (Booker) en Ghost Rider, Robert Hays (Starman) en Iron Man ou encore John Rhys-Davies (le Professeur Arturo de Sliders) en Thor. D’une grande qualité, la série remporta un Monitor Award en 1998, dans la catégorie post-production d’une émission destinée aux enfants, pour l’épisode « The Lost Village ». Si mes souvenirs sont bons, la série est passée jadis dans les samedis matin d’Antenne 2 (mais un téléspectateur plus avisé que moi pourra peut-être le confirmer). Cette nouvelle mouture se voulait plus proche que jamais de l’univers Marvel puisqu’on y croise autant de super-vilains fameux que de super-héros venus en guests prêter main forte au monstre sympathique.

 

 

LES TELEFILMS

 

La mode des revivals, ou si vous préférez des résurrections de vieux succès (de préférence cultes), ne date pas des remakes ciné de ces dernières décennies. Elle a soufflé d’abord sur la petite lucarne. Dans la deuxième moitié des années quatre-vingts, on voit ainsi reparaître Robert Dacier, alias L’Homme de Fer, dans un téléfilm, mais aussi Theo Kojak, qui mènera une nouvelle série d’enquêtes en format 90’, Mike Stone qui retrouve les rues en montagnes russes de San Francisco dans une production Aaron Spelling (et sans Michael Douglas, qui a accédé depuis l’arrêt de la série en 1977 au statut de star), le tandem bionique formé par Steve Austin et Jaimie Sommers, engagés dans de nouveaux exploits juste avant la mise à la retraite, et jusqu’aux membres de l’Impossible Mission Force, ou tout au moins leur chef charismatique, Jim Phelps, entouré d’une nouvelle équipe et de gadgets plus pointus que jamais. Plusieurs de ces revivals sont produits par Universal, qui teste ainsi le public pour voir si les vieilles idées ne pourraient pas, le cas échéant, donner lieu à de nouvelles séries. Peu de celles-ci verront en fait le jour et il faut reconnaître que certaines des histoires imaginées par les scénaristes sont loin d’être à la hauteur des originaux. Universal, cependant, sent le moment favorable pour ressusciter un autre de ses succès des années soixante-dix : et nous voilà revenus à notre Hulk chéri.

 

LE RETOUR

 

C’est Nicholas Corea, ancien producteur, scénariste et réalisateur de la série originelle (pour ceux qui n’auraient pas suivi), que l’on retrouve aux commandes du Return of the Incredible Hulk, qu’il écrit et réalise pour la chaîne NBC. L’idée, cependant, est dès le départ éloignée du concept que Johnson avait imposé en 1977, fondé avant tout sur le refus des « super-héros en collant » et sur la volonté d’écrire une histoire réaliste, émotionnellement forte. Universal, en fait, en accord avec la Marvel Comics Group qui édite toujours les comic books du géant vert, souhaite utiliser le personnage de Hulk pour tester d’autres héros de l’écurie Marvel, susceptibles d’être déclinés ensuite en productions indépendantes, éventuellement des séries régulières. Hulk se voit donc adjoindre, pour son come back, un autre des personnages marquants des comics, le dieu scandinave Thor. On imagine déjà combien cette idée peut mener le téléfilm bien loin de la série inspiratrice, mais le malheur voulut que les producteurs choisissent en plus de ne pas respecter le personnage de Thor tel que l’avaient créé les artistes de la Marvel : figure hiératique dans la bande dessinée, Thor devient dans le téléfilm une sorte de guignol fruste et belliqueux, vêtu comme un viking et décliné sur le modèle de « l’étranger », un candide débarqué d’une autre dimension.

 

Hulk et Thor entourent Stan Lee

 

L’idée plaisait à Nick Corea, qui voyait là le moyen de jeter un regard original sur le monde moderne (sans s’aviser que cela avait déjà été fait des milliers de fois depuis Voltaire et Starman). Malheureusement, le budget alloué au téléfilm ne permettait pas de nourrir de grandes ambitions. Pas question de faire voler Thor au bout de son marteau, comme dans les comics. Toutes ces contraintes agissant surtout comme des limitations (que les fans, pour la plupart, jugèrent, à raison, insupportables), ce Retour de l’Incroyable Hulk n’augurait finalement rien de bon, quand bien même il réunissait les trois acteurs principaux de la série, Bixby, Ferrigno et Jack Colvin (alias le journaliste Jack McGee). Il réalisa pourtant l’une des meilleures audiences de la semaine sur NBC, qui décida très vite de reconduire l’expérience.

 

LE PROCES

 

Dès l’année suivante, Bixby et Ferrigno (mais pas Colvin, cette fois) se retrouvèrent donc sur le tournage d’un nouvel opus intitulé Le Procès de l’Incroyable Hulk. C’est Bill Bixby lui-même qui portait la casquette de réalisateur, Corea s’étant mis entretemps à la retraite. Une nouvelle fois, le téléfilm était un prétexte à mettre en scène un autre héros de la mythologie Marvel. Il s’agissait ce coup-là de Daredevil, le justicier aussi rouge que le diable en personne qui se balance au bout d’un filin projeté par... sa canne d’aveugle. Car Daredevil est au civil Matt Murdock, un avocat qu’un accident a rendu aveugle des années plus tôt. Aveugle, oui, mais doué d’un sixième sens infaillible qui lui permet de se déplacer aussi bien voire mieux qu’un voyant : comme Batman, Daredevil est une chauve-souris humaine qui traque le crime dans la ville et assomme les truands qui tombent sous sa main de fer. Un héros moins éloigné du commun des mortels que le dieu Thor, susceptible donc de ramener Hulk sur la terre ferme.

 

Daredevil et Hulk

 

Malheureusement encore, les producteurs insistèrent de nouveau pour modifier le personnage. Adieu le rouge, Daredevil devenait noir, ce qui faisait mieux à l’écran (parce que proche du ninja, figure familière au téléspectateur) mais faisait quand même changer de couleur au diable. De toute façon, comme dans le premier opus, Hulk se retrouvait contraint et forcé de faire équipe avec un partenaire, ce qui constituait toujours une trahison du concept original de Johnson. Face à eux, une autre création de la Marvel, le roi du crime Wilson Fisk, alias le Caïd (grand ennemi de Spiderman mais aussi de Daredevil, dont il orchestrera la déchéance dans la bande dessinée). Les amateurs de séries sont heureux de retrouver sous le masque de Daredevil le chanteur-acteur Rex Smith qui avait fait un passage éclair dans la combinaison du motard justicier de Tonnerre Mécanique, et face à lui John Rhys-Davies, complice d’Indiana Jones au cinéma et futur professeur Arturo de Sliders (et qui, on s’en rappelle, prêtera sa voix au dieu Thor dans la troisième version animée de Hulk en 1996), mais tout cela n’empêche pas le film d’être un peu lent, voire ennuyeux, sans véritable enjeu et finalement décevant. Curieusement, rebelote : le téléfilm est opposé à Witness et à la mini-série de prestige Le Souffle de la guerre sur les autres chaînes mais il réalise malgré tout, derechef, un score honorable. Il est donc décidé qu’un troisième suivra.

 

LA MORT

 

Nous voilà donc en 1990 et Bill Bixby, de nouveau au poste de réalisateur, parle avec enthousiasme du troisième téléfilm inspiré de L’Incroyable Hulk, dont le titre seul est susceptible de glacer d’effroi les fans (et de les attirer en nombre devant leur écran) : La Mort de l’Incroyable Hulk. « C’est du pur Hulk », déclare l’acteur réalisateur. « Nous sommes fidèles à l’original. Ce n’est pas un pilote déguisé pour une autre série, comme l’étaient les deux premiers [téléfilms]. » Pas de super-héros plus ou moins inspiré dont Hulk ne serait que le faire-valoir, mais une histoire originale qui recentre l’intérêt sur la destinée du Dr Banner, plus proche que jamais du remède à son mal. « Je voulais retrouver le style qui fut établi vraiment par Kenny [Johnson] et l’adapter aux années quatre-vingt-dix, et ça a marché. Vraiment, je ne pouvais pas être plus satisfait. » Poursuivant avec le même enthousiasme (en espérant sans doute qu’il serait communicatif), Bixby ajoutait que, bien que réalisé avec un budget de trois millions de dollars, le téléfilm avait toutes les apparences d’une production de douze millions, tant l’équipe technique du film, tourné à Vancouver pour des raisons économiques (comme beaucoup de productions de l’époque, plusieurs années avant The X-Files), s’était donnée à fond.

 

Loin d’éclairer le titre de ce troisième opus, les déclarations répétées du comédien entretiennent au contraire le suspense. « Dans le monde de l’illusion, le Dr Frankenstein fut ressuscité et M. Spock fut ressuscité, alors je suppose que tout peut arriver », ou encore : « Je ne veux pas éventer le finale mais disons simplement que la mort est un mot tout relatif quand il s’applique à la télévision. » On a compris, on n’en saura pas plus. En fait, Hulk meurt bien à la fin du téléfilm, dans des circonstances qui, d’ailleurs, n’ont pas convaincu tout le monde... Mais il était question, à l’époque, de produire un autre téléfilm intitulé The Rebirth of the Incredible Hulk (la Renaissance de l’Incroyable Hulk). Un scénario avait été écrit par Gerald DiPego, auteur déjà des deux derniers téléfilms, et le travail de préproduction avait même commencé, impliquant notamment Jill Sherman Donner, l’une des scénaristes de la série originale, passée entre-temps sur Magnum. Le nom de Brigitte Nielsen, partenaire de Stallone dans la vie et dans les films Rocky IV et Cobra, aurait été prononcé ainsi que la possibilité d’adjoindre à Hulk un nouveau personnage des comics, son équivalent féminin, She-Hulk (Miss Hulk, en France), qu’il avait plusieurs fois rencontrée dans les dessins animés. En 1993, la mort de Bill Bixby mit un point final aux tentatives de renouveler la série qui, sans lui, n’aurait sans doute pas duré aussi longtemps. L’enthousiasme du comédien pour son rôle comme pour sa nouvelle fonction de réalisateur et de producteur exécutif (on murmura même qu’il avait sciemment tenu Kenneth Johnson à l’écart pour conserver le contrôle des nouveaux exploits de Hulk) n’auront cependant rien changé à la médiocrité globale de ce revival dont le personnage, finalement, aurait très bien pu se passer. A l’instar des acteurs (et actrice) de Star Trek, qui à force rendaient leurs personnages un tantinet ridicules en s’obstinant à nier l’outrage des ans, le Banner-Bixby version 90 ne parvenait plus (mais c’est un avis, bien entendu) à rendre réellement passionnant un personnage fatigué. Des scénarii plus inspirés y seraient peut-être arrivés mais une fois de plus le géant vert manqua de chance. Il est d’ailleurs significatif que la version crépusculaire de L’Incroyable Hulk ait été placée sous l’égide de Banner plutôt que sous le signe du monstre. C’est vrai, finalement : on l’avait presque oublié, dans l’histoire !

 

Morte ou pas morte, mieux vaut en fin de compte laisser reposer en paix la créature qui, pour l’éternité, continuera de hanter le Dr David Bruce Banner, et des milliers de fans à travers le monde.

 

 

 

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