COSMOS 1999

Forces et faiblesses d’un mythe télévisuel

1e partie

 

Un article de Brigitte Maroillat

publié dans Arrêt sur Séries n° 15 (décembre 2003)

 

 

Aussi loin que je puisse remonter dans mes souvenirs d’enfance, Cosmos 1999 est la première série que j’ai vue à la télévision. Certes, je n’étais pas encore capable, à quatre ans, de saisir toutes les subtilités de l’histoire et encore moins de comprendre la signification profonde des réflexions astro-physico-philosophiques de ce cher Professeur Bergman (qui deviendra par la suite mon personnage préféré de l’épopée cosmique), mais j’étais déjà fascinée, voire hypnotisée, par les décors d’une blancheur lumineuse de la base Alpha et l’atmosphère fiévreuse qui régnait au sein de son impressionnant Poste Principal où s’affairait un staff de techniciens besogneux dans leurs drôles de costumes à pattes d’eph’, sans oublier les époustouflants effets spéciaux et ce générique au montage vif et percutant accompagné d’une musique sublime mi-disco, mi-symphonique. Autant d’éléments inoubliables qui ont contribué à faire de Cosmos 1999 mon premier coup de foudre télévisuel.

 

C’est donc avec d’autant plus de plaisir que je profite de l’opportunité que m’offrent les colonnes d’Arrêt sur Séries pour rendre hommage à cette série culte à travers une étude incontestablement placée sous le signe de la nostalgie, donc écrite avec un œil indulgent et un rien attendri mais non dénué de sens critique, mettant en lumière tant les forces que les faiblesses d’une série qui, quoi qu’il en soit, est et restera à jamais un mythe télévisuel.

 

***

 

Le 13 septembre 1999, la lune quitte l’orbite terrestre suite à une explosion nucléaire, emmenant dans son périple à travers l’immensité de l’espace, les 311 occupants de la base Alpha qui n’étaient pas préparés, ni physiquement, ni émotionnellement, à ce surprenant voyage.

 

Tel est le postulat de départ de Cosmos 1999, certes invraisemblable sur le plan scientifique, mais qui a marqué toute une génération de téléspectateurs qui, au contraire de certains critiques, ont su parfaitement la distinguer de l’autre monument de la science-fiction télévisuelle : Star Trek. Il existe, en effet, entre les deux, une différence, tout d’abord, de concept : là où l’équipage de l’Enterprise maîtrisait totalement l’espace et pouvait s’y déplacer librement, les Alphans, quant à eux, sont propulsés involontairement dans le cosmos et subissent plus qu’ils ne vivent leur épopée cosmique. Une différence de ton, ensuite : à l’optimisme ambiant et à la projection dans un futur lointain de Star Trek s’oppose la noirceur et la réputation traditionnellement inquiétante de la fin de millénaire de Cosmos 1999. Une différence de modèles, enfin : si l’œuvre de Gene Roddenberry s’inspire de l’univers cartésien et purement scientifique des romans d’Isaac Asimov, celle de Gerry Anderson relève de la créativité artistique débridée du Stanley Kubrick de 2001, l’odyssée de l’espace, film dans lequel l’homme a une place de choix en tant que moteur même de l’histoire. C’est cette grande aventure humaine, reprise dans Cosmos 1999 et combinée à une profondeur philosophique et artistique indéniable, qui a fait de sa première saison une réussite du genre.

 

Quant à la très controversée deuxième saison, elle apparaît certes des plus décevantes quand on la compare à la précédente, mais ce n’est cependant pas une raison suffisante pour la passer totalement sous silence, comme ce fut trop souvent le cas dans les colonnes des magazines dits spécialisés qui l’ont toujours omise volontairement de leurs développements sur la série. Au-delà des critiques sur sa qualité, cette deuxième saison fait, qu’on le veuille ou non, partie intégrante de Cosmos 1999 qu’il convient d’aborder tant dans ses aspects les plus excessifs, voire ridicules (scénarii cartoonesques et monstres poilus en tous genres), que dans ses aspects les plus attractifs à travers quelques épisodes qui méritent d’être vus pour leur esprit et leur ton très proche de la première saison.

 

Sans plus tarder, embarquons-nous dans l’univers contrasté de Cosmos 1999, fait de hauts et de bas, mais qui, in fine, ne peut laisser aucun téléspectateur indifférent.

 

 

I.
UNE PREMIERE SAISON FLAMBOYANTE

 

 

Dès les premières images du pilote, le téléspectateur est d’emblée saisi par la splendeur des décors, la perfection des effets spéciaux et le souffle épique de la musique de Barry Gray. Tous ces atouts visuels et sonores, loin d’occulter les personnages, les mettent au contraire en valeur, la série reposant sur un équilibre parfait entre esthétisme et interprétation.

 

Pur produit des années 70, Cosmos 1999 s’inspire, en outre, du contexte culturel, social et géopolitique de cette décennie marquée par les mouvements contestataires et le retour à une spiritualité débridée à laquelle la série doit incontestablement sa profondeur philosophique et ses références multiples à Dieu dont l’ombre plane sur le destin des Alphans tout au long de cette flamboyante première saison.

 

 

1. UNE SERIE EQUILIBREE

 

Un habillage visuel somptueux

 

Cosmos 1999 était conçue à l’origine comme devant être la seconde saison d’UFO, première série du couple Anderson avec des acteurs réels. Dieu merci, il n’en a finalement rien été et Cosmos n’a heureusement pas hérité de l’aspect carton pâte des décors d’UFO, ni de ses personnages portant des perruques frisées et colorées et agissant comme des robots.

 

Cosmos 1999 a un tout autre modèle, bien plus prestigieux celui-là : il s’agit de 2001, l’odyssée de l’espace auquel la série emprunte le design de ses décors et de ses costumes, la mise en scène grandiose de séquences se déroulant dans l’espace et l’utilisation de la musique classique comme support des scènes à fort effet visuel et dramatique, procédé repris avec succès dans “ Le testament d’Arcadie ” et surtout dans “ Le domaine du dragon ” où la musique symphonique vient au soutien de la narration, faite par le Dr Russell, des circonstances aussi tragiques que terrifiantes de la mission d’exploration d’Ultra commandée par Tony Cellini.

 

 

Jouant à fond la carte de 2001, Cosmos 1999 bénéficie des effets spéciaux époustouflants orchestrés par Brian Johnson qui était, justement, l’un des collaborateurs de Douglas Grumble sur le film de Kubrick. Armé d’un budget conséquent pour les années 70, Johnson réalisait pas moins de cinquante effets spéciaux par épisode. Il créait ainsi les Aigles auxquels la NASA elle-même, s’intéressa de très près, tant leur réalisme était frappant. Ces effets spéciaux étaient d’autant plus remarquables qu’ils étaient réalisés de manière artisanale, Johnson ne disposant pas, à cette époque, de l’appui des images de synthèse. Ses créations pour Cosmos, qui sont encore aujourd’hui une référence du genre, lui permirent d’être engagé par George Lucas pour Star Wars, le réalisateur ayant été vivement impressionné par l’habillage visuel somptueux de Cosmos 1999 dont il était, à l’époque, un grand fan. Au contraire de ce que certains ont affirmé, les effets spéciaux de la série n’avaient pas pour objet de compenser la faiblesse des scénarii (du moins s’agissant de la première saison), mais de renforcer la tension dramatique et émotionnelle de certaines scènes, ce qu’a parfaitement réussi Brian Johnson notamment dans l’épisode pilote et dans “ Le domaine du dragon ” qui sont les deux plus belles illustrations du remarquable talent du technicien.

 

Si l’on s’est maintes fois extasié devant l’exceptionnel travail de Johnson et ce, comme nous venons de le voir, à juste titre, on n’a en revanche bien peu rendu hommage à celui tout aussi exceptionnel de Franck Watts, directeur de la photographie de la série, dont les éclairages, dignes d’un John Alton, confèrent à chaque épisode une dimension cinématographique indéniable, ce qui se vérifie dès les premières séquences du pilote où l’éclat et la luminosité des images sautent littéralement aux yeux du téléspectateur. Le talent de Watts est d’avoir su mettre en lumière aussi bien le contraste des décors, en jouant sur les oppositions de couleurs, que la diversité physionomique des personnages, contribuant ainsi à ce fameux équilibre, atout majeur de la série, entre les effets visuels et les protagonistes lesquels ne manquent pas, eux non plus, d’intérêt contrairement à ce que certains critiques ont pu en dire.

 

 

Des personnages bien plus passionnants qu’ils n’en ont l’air

 

Cosmos 1999 peut être aisément définie comme une grande aventure humaine, un voyage initiatique dans l’immensité de l’espace qui met en scène une galerie de personnages auxquels le téléspectateur ne peut que s’attacher, non pour leur personnalité ou leur passé dont on ne sait d’ailleurs rien ou si peu, mais pour leur exceptionnelle capacité d’adaptation aux situations les plus inattendues et les relations qu’ils entretiennent riches de nuances et de non-dits. C’est d’ailleurs ce qui fait toute la beauté des rapports existants entre le Commandant John Koenig et le Dr Helena Russell dont les sentiments amoureux ne s’expriment qu’à travers des gestes et des regards. Ce type de relation est autrement plus passionnante que les effusions d’affection débordantes dont feront preuve, l’un pour l’autre, les deux héros dans la deuxième saison où ils se retrouveront transformés en amoureux transis, ce qui aura pour conséquence désastreuse de rendre leurs face à face insipides et ridiculement fleur bleue.

 

De nombreuses idées préconçues circulent sur Cosmos 1999 : outre l’éternelle comparaison avec Star Trek qui n’a comme nous l’avons vu aucun sens, il a par ailleurs été fait maintes fois grief aux personnages de la première saison d’être des individus dénués d’épaisseur qui n’expriment aucun sentiment et aucune émotion. Ceux qui soutiennent cette opinion ne doivent pas avoir vu beaucoup d’épisodes de Cosmos 1999, à l’image de ceux qui qualifiaient jadis Steve McGarrett de fasciste sans manifestement connaître ni le sens de ce mot, ni la psychologie du héros d’Hawaï police d’état. “ Là est bien le grand problème de certaine critique qui précisément assassine d’un jugement lapidaire ce qu’elle n’a jamais pris la peine d’étudier en profondeur ”. Cette réflexion fort pertinente de Thierry Le Peut à propos des critiques sur Dallas (HS n°1 d’ASS) s’applique également à merveille à tous ceux qui assassinent la création de Gerry Anderson sans avoir daigné la regarder sérieusement.

 

Certes, à l’instar des personnages de Mission : impossible ou de New York District, le téléspectateur ne sait que peu de choses sur les protagonistes de Cosmos 1999 dont la personnalité et le passé sont largement sous exploités par les scénarii. Il apparaît, cependant, tout à fait excessif de vouloir tirer argument de cet aspect mystérieux et quelque peu flou des personnages pour en conclure qu’ils sont dépourvus d’épaisseur et de sentiments. En réalité, celui qui regarde attentivement la série s’aperçoit très vite que cette critique est infondée, les protagonistes de Cosmos étant des êtres passionnants capables de réactions riches en émotions.

 

 

Ainsi John Koenig est loin d’être le sphinx à l’attitude impassible et purement cérébrale que rien ne peut atteindre. Il est vrai qu’en sa qualité de Commandant en chef de la base lunaire Alpha, il peut parfois apparaître abrupte et d’une inflexibilité implacable, comme dans l’épisode Puissance de vie où il refuse catégoriquement à Paul Morrow l’autorisation de rétablir l’électricité dans la base et ce, en dépit des besoins en énergie du Centre médical, mettant ainsi en danger les patients d’Helena, au grand dam de celle-ci d’ailleurs, parce qu’il entend empêcher Anton Zoref, qui s’est transformé en torche humaine, d’absorber tout le potentiel énergétique du générateur d’Alpha. Mais l’apparente rigidité du Commandant n’est qu’une façade derrière laquelle se cache un homme capable d’exprimer toute la gamme des émotions.

 

John est incontestablement un sanguin doublé d’un anxieux, comme le montre la façon dont il arpente la pièce de long en large d’un pas nerveux quand il est en quête d’une solution. Il peut également prendre des coups de colère mémorables comme dans “ Le dernier crépuscule ” lorsque David Kano lui annonce que plusieurs Aigles sont indisponibles pour cause de réparation alors qu’il en a impérativement besoin pour partir à la recherche de ses compagnons qui se sont écrasés sur la planète Ariel. Ses confrontations parfois explosives avec Helena sont également mémorables et en disent long sur le caractère obstiné du bonhomme quand il s’oppose à elle sur l’état mental d’Alan Carter dans “ Collision inévitable ” ou sur celui de Tony Cellini dans “ Le domaine du dragon ”.

 

Loin d’être une figure figée sous le masque de l’autorité infaillible, Koenig est un homme vif à la forte réactivité mais qui peut également faire preuve d’une grande sensibilité comme le montre l’épisode “ Collision inévitable ” où il se culpabilise d’avoir envoyé Alan dans une mission suicide consistant à poser des explosifs nucléaires sur un astéroïde qui menace d’entrer en collision avec la lune. Il est bouleversé, les yeux humides, quand il croit Carter mort suite à cette explosion. De même dans “ Au bout de l’éternité ”, John fait preuve d’une grande compassion quand il annonce avec tact et mesure à Mike Baxter, l’un des meilleurs pilotes de la base, qu’il ne volera plus parce que ses nerfs optiques sont abîmés depuis qu’il a été en contact avec un mystérieux astéroïde. Dans cette scène, John est d’une humanité bouleversante bien loin de l’étiquette d’homme intraitable et insensible que les détracteurs de Cosmos lui ont été attribuée. Comme Victor Bergman, John est capable de gestes d’amitié ou d’affection envers ses compagnons. Il n’est pas rare, en effet, de le voir leur adresser un sourire ou leur donner des tapes amicales sur l’épaule ou bien encore les tenir par le cou en guise d’encouragement et de solidarité face à une attaque imminente dans “ Ruses de guerre ”. L’ultime scène de l’épisode “ Le dernier adversaire ” montre un Koenig plutôt romantique qui pose tendrement une main sur le visage d’Helena trahissant ainsi ses sentiments pour elle, geste qui ne peut manifestement pas être attribué à un homme froid et sans émotion. En outre, et au risque d’en surprendre plus d’un, il convient de souligner que John est loin d’être dépourvu d’humour comme le prouvent ses répliques qui font mouche face au perfide politique Simmons quand ce dernier lui fait part de son souhait d’être choisi pour partir avec Zantor rejoindre la terre dans “ Direction terre ” (“ Personnellement, je truquerai bien volontiers l’ordinateur pour qu’il vous nomme vous ”) ou face à la servante du Gardien du Piri dans l’épisode du même nom, lorsqu’elle l’assure que sur sa planète ses compagnons en état de transe sont en paix (“ la paix des cimetières, oui ! ”) ou bien encore face à Helena, elle-même, qui s’inquiète de le voir partir une seconde fois sur la planète Asthéria dans “ Collision inévitable ” (“ Ne craignez rien Helena, j’attacherai ma ceinture ”). Il faut également voir Koenig en compagnie de Victor Bergman, à la fin de l’excellent “ Le soleil noir ”, discourir sur la vie, la mort et Dieu, avec ironie et en buvant du Brandy, pour constater qu’il n’est pas un être austère comme certains l’ont, à tort, décrit.

 

Le Dr Helena Russell est responsable de la santé et de la survie des Alphans, tâche ô combien difficile dans la mesure où l’on connaît encore mal les effets sur l’organisme humain d’un séjour prolongé dans l’espace. Ce personnage a lui aussi été sujet aux idées préconçues des critiques et autres détracteurs de la série qui l’ont décrite comme une femme froide, hautaine et bien évidemment, comme tous les protagonistes de Cosmos, dénuée de toute émotion (le refrain classique en somme). Si Helena est certes une de ces héroïnes blondes et distantes que Hitchcock lui-même affectionnait particulièrement, elle n’en est pas moins une femme de sentiments et de conviction qui, loin d’être aux ordres de Koenig, comme certains l’ont écrit, n’hésite pas à s’opposer à lui lorsque sa conscience lui dicte de le faire (“ Le retour de Voyager) et même à lui désobéir si cela lui semble nécessaire comme dans l’épisode “ Cerveau spatial ” où contrevenant aux ordres de John, elle quitte le Poste Principal pour rejoindre le Centre Médical afin d’être auprès de ses patients alors qu’une substance mousseuse est en train d’envahir la base.

 

Tout l’intérêt du personnage du Dr Russell réside dans le fait qu’il est à la fois fort et fragile. Fort, parce qu’Helena est une femme indépendante, à la personnalité bien affirmée, qui ne s’en laisse conter par personne y compris le Commandant Koenig et ce, en dépit des sentiments amoureux qu’elle éprouve pour lui. C’est ce qui fait d’ailleurs toute la différence entre la Helena de la première saison et celle de la deuxième. Si la première est une femme de tête qui ne cède pas devant Koenig quand elle estime que celui-ci a tort, la seconde est une amoureuse transie qui acquiesce à tout ce que dit ou fait son cher John, devenu entre temps son amant, qui n’a pourtant pas toujours des attitudes dignes du Commandant Koenig de la première saison, comme nous le verrons ultérieurement. Fragile, Helena l’est également lorsqu’elle avoue ses faiblesses comme sa peur de mourir seule (“ Ruses de guerre), ou sa phobie de l’obscurité quand elle était enfant (“ Le soleil noir ”) ou lorsqu’elle se retrouve écartelée entre son amour passé mais toujours vivace pour son mari Lee Russell (“ Question de vie ou de mort ”) et sa passion naissante pour le Commandant Koenig : on mesure alors toute la sensibilité d’Helena à travers les sentiments contradictoires qu’elle éprouve. De même, la sensibilité et l’émotion du personnage ressurgissent quand, en larmes, elle débranche les appareils maintenant John en vie alors qu’il est plongé dans un profond coma dans “ Le maillon ” ou quand elle pleure sur le corps inanimé du même John avant que les aliens ne le fassent revenir à la vie dans “ Ruses de guerre ”. Au regard de ces quelques exemples, que l’on pourrait multiplier, il ne peut continuer à être soutenu que Helena, comme les autres d’ailleurs, est un être froid et dénuée de tout sentiment humain.

 

S’il y a un personnage que l’on ne peut pas suspecter d’être déshumanisé c’est bien Victor Bergman. Cet astrophysicien, à l’insatiable curiosité intellectuelle pour tous les mystères de l’univers et au flegme inimitable lui donnant cet air détaché qui fait merveille à l’écran, est un humaniste dans l’âme. En effet, tout ce qui se rapporte à l’homme et aux mystères de ses origines le passionne, comme l’illustre le magnifique épisode “ Le testament d’Arcadie ” dans lequel Victor fait une belle démonstration de toute sa science sur les civilisations et langues anciennes. C’est d’ailleurs cette fascination pour toutes les formes de vie qui l’a conduit à superviser la construction de la base Alpha qu’il concevait comme une chance pour l’homme de s’ouvrir à de nouveaux mondes et d’autres civilisations.

 

Le Professeur Bergman est pour ses compagnons un puits de science en même temps qu’une figure paternelle pleine de sagesse dont les conseils avisés sont souvent indispensables à la compréhension d’un phénomène inconnu, même si parfois Victor soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses comme dans “ Ruses de guerre ” où il avoue, avec l’ironie qui lui est propre, que la situation le dépasse : “ On pensait en savoir long, mais en fin de compte on réalise qu’on ne savait presque rien ” dit-il avec flegme. Ce vieux sage, au cœur fragile, cultive un humour très particulier qui introduit dans cette première saison un ton ironique tout à fait réjouissant comme l’illustre “ Le soleil noir ” qui est considéré par les amateurs de la série comme l’un des meilleurs épisodes de Cosmos, si ce n’est le meilleur. Dans cet épisode, le Professeur Bergman laisse libre cours à sa verve philosophique et à cette facétie qui fait de lui un personnage éminemment sympathique. Ainsi, c’est un Victor, fumant le cigare, qui discourt avec John Koenig, autour d’une bouteille de brandy de cinquante ans d’âge, sur le sens de la vie, de la mort et de l’existence de Dieu. Cette scène magnifique, mélange d’ironie et de gravité, représente à elle seule tout l’esprit de Cosmos et Victor s’y affirme comme la figure emblématique de la série. La dernière image de l’épisode, qui montre le Professeur Bergman se tournant vers la caméra et exhibant son cigare sous le nez du téléspectateur d’un air facétieux, en dit long sur le caractère pétillant et enjoué du brillant astrophysicien qui nous fait irrémédiablement penser à Albert Einstein, génie de la physique nucléaire, qui aimait, lui aussi, se laisser aller à quelques facéties immortalisées d’ailleurs par des clichés restés célèbres. Même dans les moments les plus critiques, Victor ne se départit pas de son humour comme le montre l’épisode “ Le gardien du Piri ” dans lequel pris d’un léger malaise cardiaque, il s’effondre. Il est rattrapé par John à qui il dit avec son flegme inimitable pour le rassurer : “ Ce n’est rien, j’ai voulu simplement m’offrir une petite fantaisie, c’est tout ! ”.

 

Toujours en perpétuelle cogitation, facétieux, ironique et humain, Bergman est très rapidement devenu, de par ces qualités, le personnage préféré des fans de Cosmos 1999. Victor doit beaucoup au talent de son remarquable interprète, Barry Morse, qui a insufflé à son rôle divers aspects de sa riche personnalité notamment son insatiable curiosité pour les sujets les plus divers, de l’évolution de l’architecture Française à travers les siècles à la réforme de l’orthographe et de la grammaire Anglaise, autant de questions dont il adore agrémenter ses interventions publiques au cours des conventions consacrées à la série partout dans le monde. A l’instar de l’acteur qui lui donne vie, Victor Bergman est un de ces personnages hors du commun que l’on peut difficilement oublier après l’avoir vu. Il est dès lors loin d’être un “ vieux bonhomme sans intérêt ” comme se plaisait à dire Fred Freiberger quand il s’interrogeait sur le sort qu’il allait réserver à Bergman au moment où il a pris les commandes de la série à partir de la deuxième saison.

 

 

Les personnages secondaires ne sont pas non plus des ombres s’agitant en fond de décors et n’ayant aucune existence réelle, comme certains l’ont souligné. Au contraire, ils ont de riches et fortes personnalités à l’image d’Alan Carter qui arbore, dès le pilote, un caractère bien trempé n’hésitant pas, lui non plus, à s’opposer à Koenig lorsque ce dernier tente de refréner ses envies d’en découdre un peu trop hâtivement avec les formes de vie inconnues dont la lune croise la route. Car Alan est un impulsif, un hyperactif toujours en quête de sensations fortes. Son caractère frondeur ne l’empêche cependant pas de faire preuve d’une grande fidélité à John Koenig, à la limite de la dévotion d’ailleurs, comme le montre parfaitement l’épisode “ Le maillon ” que devraient voir tous ceux qui insinuent que les personnages secondaires sont inexistants et sans émotion, tant Alan Carter, Sandra Benes, Paul Morrow et David Kano offrent aux téléspectateurs des scènes émotionnellement très fortes lorsqu’ils s’allient pour empêcher Helena de débrancher les appareils qui relient John à la vie. Alors que Sandra, émue, supplie le Dr Russell de ne pas laisser Koenig mourir (“ Attendez…Pour nous, attendez ”), ses compagnons tentent, à l’initiative d’Alan, de protéger leur Commandant par la force : “ Koenig respire toujours et pendant ce temps j’aime mieux penser qu’il est toujours le Commandant ! ”.

 

 

Dans ces moments précis, toute la solidarité, la cohésion et l’émotion des personnages secondaires s’expriment pleinement comme d’ailleurs dans ces fameux scènes de briefing autour de la table ovale du bureau de Koenig durant lesquelles ils participent activement aux discussions en apportant des suggestions aux décisions envisagées par le trio John, Helena et Victor. Les personnages de second plan ne manquent donc pas d’épaisseur et d’émotion, même si les relations qu’ils entretiennent entre eux auraient pu être davantage développées, comme l’histoire d’amour naissante entre Sandra et Paul ou les sentiments d’affection que semble éprouver Tanya Alexander pour Alan (“ Le dernier crépuscule ”).

 

 

En outre, les autres personnages de second plan non réguliers ne manquent pas non plus d’intérêt qu’il s’agisse des visiteurs de l’espace ou des protagonistes épisodiques de la base Alpha. Ainsi, le téléspectateur n’est pas prêt d’oublier le psychopathe Balor de l’épisode “ Au bout de l’éternité ” qui, à l’instar d’Hannibal Lecter du Silence des agneaux, est aussi fascinant qu’il est effrayant. On n’oubliera pas non plus Jack Tanner, l’un des étranges habitants d’Ultima Tule, sympathique frappadingue pas aussi fou qu’il n’en a l’air, qui n’est pas sans rappeler Looping d’Agence tous risques. Autre personnage marquant de la base Alpha, que John déteste cordialement et qui le lui rend bien d’ailleurs, le Commissaire Simmons, le politicien dans toute sa splendeur, retors et perfide qui ne pense qu’à sa carrière (“ A la dérive ”) puis à sa propre survie (“ Direction terre ”) et qui paiera finalement très cher son égoïsme et son irresponsabilité.

 

Outre leur pseudo-absence d’émotion, il a été également reproché aux protagonistes de Cosmos 1999 d’être des fantômes sans passé. De nouveau, cette critique semble bien sévère dans la mesure où certains épisodes nous apportent leur lot de révélations sur l’histoire antérieure des personnages, comme c’est le cas de “ Question de vie ou de mort ” qui nous apprend que le Dr Russell est mariée à Lee Russell, un astronaute qui semblait avoir péri dans l’explosion de son vaisseau alors qu’il était en orbite autour de Jupiter au cours de la mission Astro 17, et qui, contre toute attente, réapparaît aussi mystérieusement qu’il avait disparu. Mais c’est surtout “ Le domaine du dragon ” qui est le plus riche en révélations sur le passé des protagonistes principaux qu’il nous montre, par le biais de retours en arrière narrés par Helena elle-même, dans les fonctions qu’ils occupaient sur terre avant d’être affectés sur Alpha. Ainsi, le Dr Russell était un médecin expert de la Commission Médicale de l’Espace en charge d’enquêter, en 1996, sur l’état mental inquiétant de Tony Cellini. John Koenig, alors Capitaine, était déjà un pilote chevronné, l’un des meilleurs en fait. Quant à Victor Bergman, il scrutait l’univers de son observatoire de recherches spatiales pour identifier de nouvelles planète comme Ultra qu’il a découverte en 1994. Certes, ces quelques incursions dans le passé des héros de Cosmos apparaissent bien timides au regard de ce que réservera la deuxième saison de la série au cours de laquelle les souvenirs d’étudiant, les anciennes amours et le vécu des personnages seront largement évoqués.

 

Par ailleurs, certains épisodes ne négligent pas de mettre en avant les talents et les capacités exceptionnelles des protagonistes, permettant ainsi au téléspectateur d’en apprendre un peu plus sur eux. On découvre alors dans l’épisode “ Le soleil noir ” que Paul Morrow aime se détendre en jouant de la guitare. La scène d’ouverture de “ Le testament d’Arcadie ” met en évidence les remarquables qualités sportives de John Koenig qui pratique avec dextérité les arts martiaux. L’épisode “ Le gardien du Piri ” révèle que David Kano a des capacités extra sensorielles hors du commun, du fait de la fréquence et de l’intensité des ondes émises par son cerveau, ce qui l’a conduit jadis à se prêter à une expérience dangereuse, que John lui demande de réitérer, et qui consiste, par le biais d’un implant cérébral, à se connecter à l’ordinateur de la base pour pénétrer ses circuits et détecter d’éventuels dysfonctionnements.

 

Loin d’être artificiels et sans profondeur, les héros de Cosmos 1999 sont passionnants de par la diversité de leur personnalité et de leur origines, Alpha étant un brassage multiethnique résultant de la collaboration internationale qui s’est mise en place au lendemain de la troisième guerre mondiale qui a eu lieu en 1987. Cette richesse des protagonistes est cependant passée inaperçue aux yeux des critiques qui ne se sont extasiés que sur les effets spéciaux et l’habillage somptueux de Cosmos 1999 alors que, comme tout œuvre, elle est composée d’éléments indissociables qui forment un tout : des effets visuels de tout premier ordre, des personnages passionnants ainsi que des sujets à portée philosophique, culturelle et politique, très ancrés dans les années 70, qui font de cette première saison de Cosmos un miroir parfait de son époque.

 

saison 1, 2nde partie

 

Tag(s) : #Dossiers, #Dossiers 1970s
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