COSMOS 1999
2nde partie
Un article de Brigitte Maroillat
publié dans Arrêt sur Séries n° 15 (décembre 2003)
2. UNE SERIE DE SON TEMPS OUVERTE SUR D’AUTRES EPOQUES
Aucune série n’a aussi bien incarné l’esprit des seventies que Cosmos 1999 : thèmes teintés d’une forte spiritualité, esthétisme et musique psychédéliques, affirmation de la femme dans la société, impact de la diplomatie internationale sur les conflits locaux, autant d’éléments démontrant que les créateurs de la série ont été influencés par le climat et les évènements qui ont jalonné cette époque. Un discours que l’on pourrait penser dépassé aujourd’hui. En réalité, il n’en est rien, car au delà de son apparence très seventies, la série traite de sujets qui se rattachent parfaitement à nos préoccupations actuelles telles que la science sans conscience à travers les manipulations génétiques et la pollution galopante, la légitimité de l’euthanasie et le mystère des origines de l’humanité relancée, en ce moment même, par la découverte récente de Tumaï, l’ancêtre commun du grand singe et de l’homme, qui est peut-être le chaînon manquant cher à Darwin. Cosmos 1999 est, certes, dans sa première saison, une série de son temps mais nullement étrangère au notre.
Les années 70, marquées par les mouvements contestataires et les remises en cause de l’autorité dans toutes ses formes, se traduisent par une exubérance culturelle et spirituelle qui est bel et bien présente dans cette première saison, au contraire de la deuxième qui est moins le miroir des seventies que celui d’un genre se situant entre le dessin animé et la bande dessinée, “ un mélange de Flash Gordon, Wonder Woman et Mr Magoo ”, comme le dit ironiquement Martin Landau.
Esthétiquement d’abord, tout dans cette première saison évoque la décennie de cols pelle à tarte : des décors aux couleurs pétantes du “ Gardien du Piri ” au mobilier bullesque de la blanche et lumineuse Alpha à l’image de la mappemonde trônant dans le spacieux bureau de John Koenig et des fauteuils des appartements privés de chacun des protagonistes, l’ensemble de ces éléments n’étant pas sans rappeler le style décapant d’Andy Warhol. On n’oubliera pas non plus les costumes crème caramel à patt’d’eph’ qui sont à eux seuls une marque très significative des seventies.
Mais aucun autre élément ne peut être plus représentatif d’une époque que la musique. Le générique et les illustrations musicales de cette première saison de Cosmos 1999 en sont une parfaite illustration. Outre le superbe thème principal composé par Barry Gray alternant musique disco et musique symphonique, les partitions écrites pour chaque épisode sont bien dans la veine des Grease et Saturday night’s fever de l’époque. Ainsi les thèmes accompagnant les scènes de sortie des protagonistes dans l’espace sont typiques de ce que l’on pouvait entendre dans les discothèques ou sur les ondes dans les années 70, à savoir des morceaux de guitare électrique saturée rythmés par une batterie tonitruante tels que ceux, par exemple, de l’épisode “ L’anneau de la lune ”. Les illustrations musicales de la série ont également subi l’influence de la spiritualité exacerbée des années “ peace and love ” : dans la scène d’ouverture de “ En désarroi ”, les Alphans assistent à un concert donné par un de leur congénères guitariste qui joue un morceau s’apparentant aux musiques de relaxation yogistes, “ très zen ”, dans le style d’“ Instant Karma ”, chanson composée et interprétée par John Lennon en 1973. De la musique planante des bords du Gange et du sommet de l’Himalaya de “ En désarroi ” on passe aux mélopées sacrées interprétées par les chœurs en pleine béatitude du “ Testament d’Arcadie ” qui recréent parfaitement l’atmosphère mystique de cet épisode exceptionnel en tous les sens du terme.
Dieu est, en effet, omniprésent dans cette première saison, conséquence logique d’une décennie marquée par un retour à une spiritualité exacerbée. L’ombre de Dieu plane d’ailleurs à ce point sur la série que certains critiques, sans doute influencés par des fans au cerveau embrumé par les vapeurs d’encens, ont avancé que l’épopée cosmique des Alphans serait un voyage initiatique voulu et guidé par Dieu. Sans aller jusque là, on peut cependant dire que Cosmos 1999 est à l’image de la société de l’époque où se côtoyaient la foi en Dieu et les croyances les plus fantasques comme dans “ Le gardien du Piri ” qui aborde de manière sous-jacente l’influence des sectes, légion dans les seventies, et la force de persuasion de leur gourou symbolisée dans cet épisode par le Gardien, un ordinateur qui tient en son pouvoir les Alphans, plongés dans un état de transe, par le biais d’artifices et de mirages en tous genres.
L’évolution sociale est également présente dans Cosmos 1999, eu égard notamment à la place importante que la femme y tient. Les années 70, cruciales pour les femmes, ont été marquées par leurs revendications tant sur le plan professionnel que familial et sexuel et par les avancées significatives obtenues par elles dans ces domaines. Ainsi, en 1972, les associations féministes Américaines obtiennent de la Cour Suprême fédérale qu’elle annule, pour inconstitutionnalité, les lois des Etats qui font de l’avortement un crime. La même année, le Congrès vote un amendement à la Constitution Américaine affirmant l’égalité des sexes. Mais c’est 1975 qui est véritablement l’année phare : décrétée par l’ONU année internationale de la femme, elle consacre, en France, après une gestation douloureuse, la loi sur l’interruption volontaire de grossesse sous l’impulsion de Simone Veil. Parallèlement sur le plan pénal, le délit d’adultère, dont seule la femme pouvait être l’auteur, est supprimé.
Pur produit des années 70, Cosmos 1999 ne pouvait qu’être influencée par l’évolution de la femme dans la société. Ainsi, la série fait la part belle à la gente féminine d’abord à travers le personnage du Dr Russell, femme de pouvoir, s’il en est, puisque le règlement de la base prévoit qu’elle a toute autorité, en tant que médecin en chef, pour imposer au Commandant d’Alpha un examen et le relever de ses fonctions si elle le juge mentalement ou physiquement inapte à assumer ses responsabilités. Elle ne se prive d’ailleurs pas d’utiliser cette prérogative dans “ Collision inévitable ” où elle désigne Paul Morrow pour prendre le commandement de la base après avoir mis John aux arrêts parce qu’elle croit, à tort, qu’il est devenu fou au regard de son acharnement à empêcher, à tout prix, l’opération “ choc en retour ” qui semble être le seul moyen de leur sauver la vie. Femme de pouvoir, Helena est également une femme forte et indépendante qui ne s’effondre pas devant les difficultés comme le montre l’épisode “ Un autre royaume de la mort ” où perdue dans une tempête de neige sur Ultima Thule, elle ne craque pas et continue, en s’encourageant, à marcher pour retrouver ses compagnons.
Tanya Alexander
Mais Helena n’est pas la seule femme marquante de Cosmos 1999, la série nous offrant une galerie de personnages féminins des plus intéressants, du moins en la personne des représentantes femelles des mondes extra-terrestres, car sur Alpha, le Dr Russell ne semble pas avoir de rivales de sa trempe, ses compagnes de voyage étant assez effacées à l’image de Sandra Benes et de Tanya Alexander. Parmi les femmes extra-terrestres marquantes, on peut citer Marra, l’étrange Reine d’Asthéria qui, dans “ Collision inévitable ”, délivre à John un message prémonitoire sur le caractère inévitable de la rencontre de la lune avec sa planète, rencontre dont dépend l’avenir de l’humanité ; Vana de la planète Zenno qui, dans “ Le maillon ”, prend progressivement conscience de l’immoralité des expériences auxquelles son père entend se livrer sur John ; Kara l’énigmatique Darienne qui, dans “ La mission des Dariens ”, accueille les Alphans sur son gigantesque vaisseau où elle et ses congénères ébauchent des projets eugéniques des plus inquiétants. On n’oubliera pas non plus de citer Dione, impitoyable guerrière du “ Dernier adversaire ”, épisode qui offre par ailleurs un tableau intéressant de la bataille des sexes à travers la guerre que se livrent mutuellement la planète Beta dirigée les femmes et la planète Delta contrôlée par les hommes. Dione et ses congénères femelles vindicatives symbolisent incontestablement la lutte des femmes des années 70 pour s’affirmer face au pouvoir des hommes. L’épisode “ Le soleil noir ” prend d’ailleurs partie pour la cause des femmes en attribuant une voix féminine à Dieu, ce qui en dit long sur le caractère progressiste de Cosmos 1999 qui traduit ainsi parfaitement les mutations d’une société en plein bouleversement social.
Joan Collins dans "La mission des Dariens"
La série est également un miroir fidèle des évènements politiques de l’époque et notamment de la politique étrangère des Etats-Unis en ce début des années 70. “ Le dernier adversaire ” en est l’exemple le plus significatif : dans cet épisode, les planètes Beta et Delta se livrent, comme nous l’avons vu, une guerre acharnée. John Koenig essaie alors de jouer les médiateurs entre les deux belligérants pour qu’ils acceptent un cessez-le-feu. Cette guerre renvoie évidemment au conflit opposant Israël à ses voisins, en 1971, conflit dans lequel les Etats-Unis tentaient de jouer les arbitres, en la personne de Henry Kissinger, alors Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères de Richard Nixon. Les scénaristes de Cosmos 1999 ont donc su habilement utiliser les évènements internationaux qui se déroulaient au moment même du tournage de la série. L’œuvre de Gerry Anderson est dès lors parfaitement en phase avec les réalités de son temps lui conférant ainsi un intérêt indéniable. Mais la série développe aussi des thèmes qui dépassent très largement le cadre des années 70 et trouvent un échos tout particulier dans l'actualité de ce début de troisième millénaire.
Au delà de ses apparences très seventies, Cosmos 1999 n’en est pas moins une série qui parle aux téléspectateurs d’aujourd’hui. La richesse philosophique de la série est le vecteur de sujets qui nous concernent tous et qui sont toujours d’actualité.
Le premier d’entre eux, mis en avant dès le pilote, est la protection de l’environnement contre une pollution galopante causée par l’homme. La dénonciation de la stupidité humaine consistant à faire de la lune une aire de stockage de déchets nucléaires qui peut exploser à tout moment nous ramène évidemment à la catastrophe de Tchernobyl et, plus près de nous, à l’explosion des usines AZF à Toulouse en octobre 2001. “ Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ”, écrivait Rabelais. Cette citation résume à merveille la critique développée par la série sur les effets pervers de la science et du progrès à travers des personnages comme Ernst Queller, dans “ Le retour de Voyager ”, qui déplore que son invention d’un système de propulsion à neutron a semé la mort au lieu de servir l’homme, finalité première de ses travaux. Cet épisode aborde, avec subtilité et intelligence, le dilemme moral du scientifique qui ne mesure qu’après coup les conséquences éthiques et humaines de ses recherches, ce qui nous fait évidemment penser à Albert Einstein regrettant, de par ses travaux sur la relativité, d’avoir contribué à la mise au point par les Américains de la bombe atomique qui a causé les ravages que l’on sait. Cette prise de conscience tardive des scientifiques nous renvoie également à toute la réflexion organisée actuellement autour du clonage et de ses applications éventuelles à l’homme.
Ernst Queller
Les dérives des manipulations génétiques ne sont d’ailleurs pas absentes de cette première saison de Cosmos 1999 à travers “ La mission des Dariens ”, lesquels Dariens espèrent créer une race pure suite à la catastrophe nucléaire qui a disséminé la quasi-totalité de leur peuple et généré des mutants qu’ils rejettent. Ils comptent utiliser les Alphans pour donner naissance à cette nouvelle race, par croisement génétique avec leur espèce. Cet excellent épisode, qui mêle habilement l’eugénisme aux angoisses post-nucléaires, n’est pas s’en rappeler les thèmes chers aux séries cultes d’aujourd’hui telles que X-Files et Le Caméléon.
Autre sujet qui revient comme un leitmotiv dans la série : les interrogations entourant l’origine et l’évolution de l’humanité. Dans l’épisode “ Le grand cercle ”, suite à l’étrange aventure qu’ils ont vécue sur la planète Reta où ils se sont retrouvés projetés dans la peau d’hommes des cavernes, John, Victor et Helena s’interrogent sur l’évolution de l’homme à travers les temps après avoir eux mêmes ressenti les instincts des hommes primitifs de l’âge de pierre, leur colère, leur jalousie et leur violence exacerbée au point de tuer. Ils en concluent qu’au fond les hommes n’ont pas changés et qu’ils sont toujours en proie à leurs instincts les plus noirs comme le prouvent les guerres qu’ils se livrent, le plus souvent pour des motifs futiles, ou les meurtres et autres désolations qu’ils sont capables de commettre.
Dans “ Le testament d’Arcadie ”, les Alphans se retrouvent de nouveau face à face à l’histoire des origines de l’homme quand ils découvrent la planète Arcadie que Victor identifie comme le berceau de l’humanité, la première terre qu’une poignée d’habitants a fui pour échapper à l’holocauste qui a éradiqué toute forme de vie sur cette planète. Victor est convaincu, après avoir étudié la typologie des écrits trouvés sur ladite planète, que ce sont ces Arcadiens rescapés qui ont fondé notre terre. Anna Davis et Luke Fero, deux Alphans fascinés par l’histoire de ces premiers hommes, décident, contre l’avis de Koenig et d’Helena, de s’installer sur Arcadie pour y faire naître une nouvelle humanité. Cet épisode exceptionnel traitant à la fois du mythe biblique d’Adam et Eve et des réponses scientifiques apportées aux origines de l’humanité, mêle habilement deux éléments qui, par nature, s’opposent : le mystique et le rationnel, la foi et la science. Toutes les interrogations soulevées par “ Le testament d’Arcadie ” trouvent un vibrant écho dans l’actualité de ce début de troisième millénaire, à l’heure où des anthropologues Français viennent de découvrir, en Afrique, le crâne d’un “ être ” ayant vécu il y a sept millions d’années. Surnommé Tumaï, cet “ être ”, semblant s’apparenter à la fois au grand singe et à l’homme, est d’ores et déjà perçu par la communauté scientifique comme LA découverte qui va bouleverser toutes les théories échafaudées jusqu’alors sur les origines de l’humanité. Voilà un sujet qui, sans nul doute, aurait passionné le Professeur Bergman !
Parmi les autres thèmes marquants évoqués dans cette première saison : l’euthanasie, à travers l’épisode “ Le maillon ” dans lequel les Alphans s’affrontent sur le sort du Commandant Koenig. Si Victor et Helena estiment qu’il vaut mieux écourter ses souffrances en débranchant les appareils qui le maintiennent en vie, Alan, Paul, Sandra et Kano pensent, au contraire, que tant que John respire, il doit vivre, ce qui nous ramène évidemment à la discussion actuelle qui opposent ceux qui prônent la reconnaissance d’un droit du malade à mourir dans la dignité et ceux qui estiment immoral et contraire à l’éthique médicale de mettre fin à la vie d’une personne. La mort, justement, ainsi que le sens de la vie et la force du destin sont également des thèmes phares de Cosmos 1999 qui ont le plus contribué, de par toute la réflexion philosophique qui s’en dégage, au mythe de la série. “ Nous devons garder l’espoir et croire que pour nous, comme pour toute l’humanité, la destinée à un sens ”, écrit John Koenig dans son journal de bord dans la conclusion de l’épisode “ Le testament d’Arcadie ”. Cette phrase résume à elle seule toute l’intelligence et la profondeur de cette première saison qui place l’homme face à ses peurs, ses doutes et ses interrogations et fait ainsi de Cosmos 1999 une grande œuvre humaniste.
Au regard de la richesse de cette première saison, on comprend dès lors que la deuxième saison ait été une grande déception pour les fans de la première heure, tant il est vrai que la suite de l’épopée des Alphans peut apparaître comme une caricature cartoonesque dépourvue de toute réflexion. Pourtant, cette deuxième saison quoiqu’on en pense, existe bel et bien et ne peut donc être passée sous silence, ne serait-ce que pour la controverse et les vives discussions auxquelles elle a données lieu. Alors embarquons-nous sans plus tarder dans ces nouvelles aventures cosmiques made in Fred Freiberger.
A suivre dans : la saison 2