Un article de Brigitte Maroillat
publié dans Arrêt sur Séries n° 15 (décembre 2003)
partie 1 - partie 2
2. AU-DELA DES CRITIQUES
Au risque de faire hurler les fans de la première heure, dont je fais pourtant partie, cette deuxième saison possède certains atouts qui, malheureusement, ont été trop souvent passés sous silence au profit des critiques assassines. Paradoxalement, l’un de ces atouts est également le premier de ses défauts. En effet, son aspect cartoon kitch un tantinet ridicule, que l’on a longuement fustigé, confère au show une atmosphère décalée et démodée finalement assez réjouissante. Pour ma part, je dois avouer m’être bien amusée, en revoyant cette deuxième saison en DVD, pour les besoins de la présente étude. Lorsqu’en 1987 j’ai découvert sur La Cinq la suite des aventures des Alphans, j’ai été horrifiée par les modifications imposées à Cosmos 1999. A 14 ans, je n’admettais pas que l’on ait osé défigurer MA série. Avec le temps, mon sens critique s’est heureusement aiguisé et aujourd’hui je vois cette deuxième saison avec un tout autre œil. Ces 24 épisodes doivent être pris pour ce qu’ils sont : un patchwork coloré, certes d’inégale qualité, mais plutôt plaisant à regarder, justement en raison de leurs situations loufoques et leurs personnages déroutants.
Au-delà de son aspect purement divertissant, cette deuxième saison n’est pas, sur le fond, aussi artificielle et creuse que l’on pourrait penser au premier abord. A sa manière, certes quelque peu maladroite, elle revisite les thèmes classiques de Cosmos 1999, des dérives de la science à l’existence de Dieu, à travers quelques épisodes non dénués d’intérêt de par leurs multiples références mythologiques, historiques et artistiques et leurs clins d’œil à la première saison.
Certains épisodes se distinguent en traitant, dans leur style qui leur est propre, des thèmes classiques de la première saison. Ainsi retrouvons-nous les dérives et les limites de la science. Le personnage qui incarne le mieux les doutes et les interrogations sur ses responsabilités de femme de science est évidemment le Dr Russell, qui n’hésite pas à se remettre en cause. C’est le cas dans “ La planète Archanon ” où Helena se sent responsable de la mort de Pasc qu’elle a soumis à une transfusion sanguine pour sauver son fils Etrec, alors que celle-ci ne pouvait que lui être fatale, ce qu’elle ignorait. Elle se reproche de ne pas avoir mieux cerner la situation et s’interroge les limites de ses connaissances et de ses compétences, ce qu’elle fait également dans “ Les catacombes de la lune ” où après plusieurs essais infructueux, elle n’est toujours pas parvenu à mettre au point le cœur artificiel qui sauverait Michelle Osgood. Mais ses doutes seront cependant de courte durée, sa pugnacité et sa persévérance reprenant le dessus, lui permettent d’atteindre finalement son but. On retrouve également dans cet épisode, la Helena de la grande époque Cosmos 1999, celle qui n’hésitait pas à contrevenir aux ordres du Commandant, si elle l’estimait nécessaire. N’ayant pas obtenu l’autorisation de John de puiser davantage de tiranium dans les réserves de la base pour continuer ses tentatives de mise au point d’un cœur artificiel, la pugnace scientifique va, comme au bon vieux temps, se passer de l’approbation de son supérieur pour prélever la quantité de tiranium dont elle a besoin pour mener à terme ses expérimentations.
Tony, Etrec et Alan dans "La planète Archanon"
Les dilemmes moraux du médecin face à une situation d’urgence sont fort bien recréés et ce, grâce à l’interprétation impeccable de Barbara Bain, pour une fois, à son avantage dans un épisode pas mal troussé qui met également en avant un autre sujet cher à Cosmos 1999 : l’antagonisme foi / science à travers le personnage de Patrick Osgood, l’époux de Michèle, qui ne croit, non pas au pouvoir de la science, mais à la force de la foi pour sauver celle qu’il aime : “ Il n’y a que la foi qui puisse faire reculer la mort ” dit-il à Helena dont il réprouve l’acharnement à mettre au point un cœur artificiel alors qu’il refuse qu’elle poursuive ses recherches qui n’entretiennent, selon lui, que de faux espoirs. Cette situation n’est pas sans rappeler le dilemme actuel des médecins concernant les transfusions sanguines à des patients Témoins de Jehovah : doivent-ils y procéder, auquel cas ils seront poursuivis en vertu de la récente législation Kouchner qui interdit tout acte médical contre le gré des intéressés, ou doivent-ils se conformer à la volonté de ceux-ci au risque qu’ils meurent ? Une nouvelle fois, on ne peut que constater que le propos de Cosmos 1999, même dans sa deuxième saison, n’est pas étranger aux réalités de notre temps.
James Laurenson et Tony Anholt, "Les catacombes de la Lune"
La foi est donc un thème majeur dans cette saison, comme c’était déjà le cas dans la précédente, même s’il n’est évidemment pas traité avec la même subtilité et la même intelligence. Ainsi, Dieu est le sujet central de l’épisode “ Une autre terre ” dans lequel l’apparition de Magus, un magicien cosmique qui se prend pour le Très Haut, amène les Alphans à s’interroger sur les raisons qui poussent les êtres à se sentir obligés de se créer un Dieu. Cet épisode, aussi ridicule qu’il puisse être dans sa forme et son traitement, suscite néanmoins une réflexion sur le libre arbitre et la dictature d’un homme qui se prend pour Dieu au point de vouloir créer une race supérieure, par le biais d’odieuses expérimentations génétiques, ce qui n’est pas sans rappeler les dérives eugéniques du régime nazi.
La foi est également celle qui s’exprime à travers les croyances les plus fantasques et comme dans la première saison, le pouvoir des sectes, grandes préoccupation des seventies, n’est pas oublié à travers “ Un message d’espoir ” où les Alphans sont hypnotisés par des monstres de l’espace qui leur font vivre un rêve leur rappelant leur vie sur terre pour qu’ils oublient leur triste et morne existence sur la lune, ce qui évoque évidemment l’épisode “ Le gardien du Piri ” dans la première saison. De même, dans “ Le spectre ”, Greg Sanderson exerce sur les quatre membres de son équipe, une forte ascendance à l’image de celle que peut exercer un gourou sur ses adeptes, au point de les persuader qu’il est doté d’un don de prédiction qui peut leur sauver la vie en toutes circonstances.
"Un message d'espoir"
L’affirmation de la femme dans la société de l’époque n’est pas non plus en reste avec “ La planète du Diable ” qui met en scène des femmes conquérantes et belliqueuses en la personne des gardiennes de la colonie pénitentiaire d’Endra qui opprime une population carcérale exclusivement masculine ! Il s’agit évidemment d’une vision un peu simpliste et un rien agressive des femmes mais tout à fait significative de leur attitude revendicative dans la société des seventies. De même, “ Le syndrome de l’immunité ” fait la part belle à la gent féminine, les intrépides Maya et Helena volant littéralement au secours de “ leurs hommes ” aux commandes d’un planeur ! Cet épisode souligne le caractère progressiste, pour l’époque, de la série dont on n’avait déjà eu un aperçu dans la première saison à laquelle, décidément, les références ne manquent pas dans cette deuxième saison qui n’est finalement pas aussi vide de sens qu’on aurait pu le penser.
"Le syndrome de l'immunité"
Ceux qui prétendent que cette deuxième saison est totalement dénuée d’intérêt, ne se sont sans doute jamais donné la peine de la regarder d’un peu plus près. Certes, les bouleversements incongrus de distribution et les monstres poilus de Freiberger ont eu raison de bon nombre de fans de la première heure. Mais ceux qui ont eu le courage de passer ces obstacles ont pu constater que certains épisodes ne manquent pas d’intérêt de par leurs références tant littéraires que mythologiques et historiques.
Ainsi, la trame de l’épisode “ La planète Archanon ” n’est pas sans rappeler les malédictions qui frappaient les malheureux qui osaient défier les dieux dans la mythologie grecque. “ Les crimes des pères rejailliront sur les fils ” sied à merveille au destin tragique de Pasc, le père, et d’Etrec, le fils, le second ayant été condamné à l’exil en raison des meurtres perpétrés par le premier dont il risque d’ailleurs d’hériter la folie meurtrière. Cet épisode mérite également d’être vu pour la richesse des liens que ces deux personnages tissent au fil de l’histoire avec les Alphans et notamment avec Alan Carter, qui s’est pris d’amitié pour le jeune Etrec, et le Dr Russell qui est fascinée par leur très ancienne civilisation.
"La planète Archanon" : Pasc le père (à gauche) et Etrec le fils (à droite)
Dans “ Les Dorcons ”, il n’est plus fait référence à la mythologie Grecque mais à l’histoire de Rome et à celle de ses Empereurs. Le complot politique fomenté, au sein même du vaisseau mère des Dorcons, par Malic contre son vieil oncle, l’Empereur Archon pour monter à sa place sur le trône renvoie évidemment à l’assassinat organisé par Caligula contre son oncle, l’Empereur Claudius. Tout dans “ Les Dorcons ” rappelle cet épisode de l’histoire Romaine, tant la tenue vestimentaire des personnages que leur attitude : Archon n’est certes pas bègue comme Claudius mais tout comme lui il estime que la stabilité politique et la paix durable entre les peuples qu’il a instaurées seraient mises gravement en péril si son neveu accédait un jour au pouvoir. Malic a, en effet, la même personnalité dérangée et cultive le même don pour la manipulation que son illustre modèle Caligula. La référence à Rome est d’ailleurs on ne peut plus clair quand Malic, devant la dépouille de son oncle, dit “ De la part de ceux qui vont survivre je te salue ”, ce qui fait bien évidemment échos au fameux “ Ceux qui vont mourir te salue ”. des gladiateurs à l’adresse de l’Empereur en ouverture des combats dans l’arène. Un épisode intéressant à voir pour les intrigues de palais et l’antagonisme des Dorcons dont John va tirer habilement partie afin de diviser pour régner et arracher Maya de leur griffes.
"Les Dorcons"
Après les références historiques, les références littéraires. Ainsi, “ L’élément Lambda ” apparaît comme une version cosmique de “ La grande menace ” qui, avant de devenir le film que nous connaissons, a été un gros succès de librairie en Grande-Bretagne, en 1973. Ce roman sur fond de phénomènes paranormaux et d’énigme policière a incontestablement inspiré le scénario de cet épisode dans lequel John et Tony jouent les détectives enquêtant sur une série de décès inexpliqués dont ils soupçonnent Sally Martin d’être l’auteur, en raison de ses dons extra sensoriels qui pourraient lui permettre de provoquer des catastrophes à distance entraînant la mort des personnes qu’elle déteste. Cet épisode est également à voir pour le jeu de Martin Landau qui rend à merveille les tourments de son personnage aux prises avec les fantômes de son passé.
Deborah Fallender et Jess Conrad, "L'élément Lambda"
L’épisode “ Les chrysalides AB ” contient, quant à lui, des clins d’œil à une autre série culte de la télévision : “ Le prisonnier ”, les interlocuteurs extra-terrestres des Alphans, en l’occurrence des boules blanches qui se déplacent en bondissant, ne sont évidemment pas sans rappeler les Rôdeurs, ces gardiens étranges du Village qui prenait en chasse tous ceux qui tentaient de s’en échapper. Cet épisode, auquel nous consacrons également une analyse détaillée, est considéré par bon nombre de fans comme le plus réussi de par son esprit très proche de la première saison. Mais cet épisode n’est pas le seul à contenir des réminiscences de la première saison : comme nous l’avons vu précédemment, même “ Déformation : spatiale ”, qui a pourtant été écrit par Freiberger, y fait référence avec l’héritage laissé par les naufragés de l’espace à John et Tony pour leur permettre de retrouver l’entrée du corridor spatial dans lequel la lune s’est engouffrée. On retrouve le même thème dans “ Le syndrome de l’immunité ” où le dernier membre de l’équipage d’un vaisseau en perdition sur une planète hostile a, avant de mourir, enregistré une sorte de testament dans lequel il laisse à tous ceux qui se trouveraient également piégés sur cette planète, des instructions, ainsi qu’une combinaison spéciale, pour entrer en communication avec une force lumineuse aux rayonnements mortels afin de lui faire prendre conscience du mal qu’elle peut aux autres formes de vie dont elle semble ignorer l’existence. Ce legs d’une civilisation à une autre ainsi que la communication entre les peuples sont autant de sujets empruntés à la première saison, notamment à “ Collision inévitable ” et au “ Testament d’Arcadie ”.
"Les chrysalides AB"
“ Les exilés ” est également un épisode intéressant en ce qu’il utilise tous les ingrédients qui ont fait la légende de la première saison. On y retrouve, en effet, des séquences dans l’espace des plus réussies. Ainsi, les scènes montrant les capsules rouges contenant les exilés de Golos survoler Alpha sont visuellement remarquables. En outre, le couple de visiteurs, Cantar et son épouse Zova, attendrissent les Alphans par leur jeunesse pour mieux les manipuler, ce qui évoque évidemment “ L’enfant d’Alpha ” dans lequel Jarak se sert de l’enveloppe corporelle du jeune Jackie Crawford pour endormir la vigilance des habitants d’Alpha. De plus, Cantar et Zova, qui ont été exilés de leur planète en raison des crimes qu’ils ont commis, ne sont pas sans rappeler Balor de l’épisode “ Au bout de l’éternité ” auquel ils empruntent d’ailleurs le machiavélisme et le profil de dangereux psychopathes. Enfin, “ Les exilés ” montre John et Helena, comme à la belle époque, s’opposer dans des discussions animées sur l’éventuel sauvetage des cinquante capsules qui sont encore en suspension dans l’espace. Si Helena, attendrie par la jeunesse des visiteurs, y est favorable, John, lui, préfère jouer la carte de la prudence, ce à quoi elle répond : “ John, dois-tu prévoir toujours le pire ! ”. Ces confrontations sont d’autant plus réjouissantes qu’elles se font rares dans la seconde saison où les relations entre John et Helena sont devenues plus consensuelles depuis que Freiberger en a fait des amants.
Au fil de ces vingt-quatre épisodes, la qualité de cette deuxième saison aura été d’une flagrance inconstance, le pire dominant le meilleur. Mais les quelques épisodes susmentionnés, riches en références, rehaussent incontestablement le niveau et méritent dès lors d’être vus par les fans de la première heure de Cosmos 1999 (et les autres évidemment).
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Contrairement à beaucoup de séries de science-fiction, Cosmos 1999 n’a pas de fin : on ne saura donc jamais si les Alphans ont trouvé une planète suffisamment accueillante pour y bâtir une nouvelle humanité. A moins qu’une suite ne soit mise un jour en chantier, ce que Martin Landau espère toujours : il confiait, en effet, dans l’émission de Série-Club déjà citée, que pour sa part il imaginerait bien un Cosmos 1999 : next generation dans laquelle il se ferait un plaisir de faire une apparition en forme de clin d’œil. Il n’est pas improbable qu’un tel projet se réalise un jour dans la mesure où la série, comme on l’a vu, a suffisamment d’atouts pour attirer les producteurs en quête d’un sujet solide. Dans l’attente, on retiendra surtout de Cosmos 1999 un concept fort, un habillage visuel somptueux et des personnages hors du commun entraînés, malgré eux, dans une grande aventure initiatique jalonnée de dangers et de mystères suscitant bien des réflexions sur la vie, la mort, le destin et Dieu. Autant d’éléments qui ont fait de Cosmos 1999 une série mythique ayant marqué à jamais la mémoire collective des téléspectateurs.