A la rencontre de Kate la détective

 

Un article de Thierry Le Peut

paru dans Arrêt sur Séries n°18 (septembre 2004)

 

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Le nom de notre détective rend inévitable, évidemment, l’évocation de son mari : pourtant la série gagne à être vue non comme une extension de Columbo mais comme un programme autonome. On en découvre alors les qualités, que l’héritage maudit aura en général fait passer sous silence, tant on aura reproché à l’honnête et opiniâtre détective amateur d’être l’épouse indigne de son célèbre mari !

 

Le pilote pose avec efficacité le personnage de Madame Columbo : mère au foyer aspirant à « une petite part de rêve » entre les tâches ménagères et ses leçons de français (de diction dans la v.f.), elle est enfin engagée dans un petit journal hebdomadaire, le Weekly Advertiser dirigé par Josh Alden, pour couvrir l’actualité de son quartier et plus spécialement la chronique scolaire. C’est tout à fait par hasard qu’elle se trouve mêlée à une histoire de meurtre, par le biais d’une ficelle de scénario un peu grosse mais somme toute bien pratique. L’ordinaire de Madame Columbo nous est montré par petites touches : lorsqu’elle dépose sa petite fille à l’école, Madame Columbo est déjà debout depuis belle lurette et s’est occupée de la lessive et d’un petit bout de ménage. Il ne lui reste qu’à retrouver son professeur particulier pour articuler avec componction quelques mots français avant d’aller travailler !

 

Monsieur Columbo, bien sûr, est absent et le sera avec régularité mais sa voiture et son chien attestent que l’on est bien dans une extension de son univers. Madame l’a au téléphone durant quelques instants, le Detective Norris prétend que la réputation du lieutenant est venue jusqu’à lui et il serait même parmi les spectateurs du spectacle donné en fin d’épisode par les deux femmes de sa vie. Il faut croire sa fille sur parole car la caméra ne nous montrera qu’une foule de visages lointains où l’on serait bien en peine de distinguer Columbo de Napoléon. Toujours est-il qu’en son absence Madame Columbo est bien forcée de se débrouiller seule et elle le fait avec un courage et une ténacité qui rendent hommage à son célèbre mari.

 

 

Nous touchons là à l’un des aspects les plus réussis de ce pilote comme de la série subséquente : Madame Columbo, loin de n’être qu’une incarnation inconsistante, acquiert grâce à Kate Mulgrew une présence indéniable. La série, c’est vrai, ne durera que treize épisodes, au grand dam d’Universal qui croyait tenir là une riche idée capable de combler le vide laissé par la défection de Peter Falk. Mais en tant que série d’investigation, elle aurait pu prétendre à une vie plus longue si l’ombre de son mari ne lui avait rendu un bien mauvais service : la formule de la journaliste trop curieuse n’est au fond pas très différente de celle que reprendront Levinson et Link dans Arabesque, qui sera l’une des séries « increvables » de CBS. Kate Mulgrew est tout à fait convaincante dans son rôle et façonne un personnage qui aurait très bien pu s’affranchir de l’effet Columbo, plus encombrant que bénéfique. En 1979, l’aspiration de Kate Columbo à exister à travers un métier, hors du carcan familial, répond à un désir d’émancipation réel et préfigure des personnages de femmes indépendantes comme les héroïnes de Cagney & Lacey. Définie d’abord comme femme au foyer, Kate Columbo est moins éloignée de la réalité que ne l’était Angie Dickinson dans Sergent Anderson, qui ouvrit la voie à la féminisation des séries - et ne parlons pas du trio de Drôles de dames où le réalisme n’a jamais été de mise. Elle possède donc un capital sympathie assez rare pour une femme dans les séries policières de la même époque.

 

La série a toutefois l’intelligence de ne pas insister lourdement sur les tâches ménagères et familiales de son héroïne, même si le générique leur accorde une place de choix : dans le pilote, Madame Columbo accompagne son enfant à l’école, par la suite le générique la montrera ramassant le linge et remettant en ordre son petit intérieur – en nettoyant notamment un cendrier dans lequel traîne un reste de cigare. On songe bien sûr, avec quatre ans d’avance, au générique de Les Deux font la paire où une autre Kate, Jackson celle-ci, reprendra le même schéma - prouvant au passage que l’idée avait du bon et qu’elle aurait gagné à n’être pas associée à Columbo. Les deux génériques utilisent le même gimmick pour illustrer le dynamisme de la femme au foyer, indispensable pour mener de front tant d’activités : le montage rapide en quelques secondes de plusieurs plans montrant l’héroïne au travail. Une manière de souligner que la vie de foyer n’est pas une sinécure : comparée au rythme trépidant de l’existence de sa femme, la vie toute en lenteur de Columbo ferait plutôt envie ! Dans l’ombre d’un grand homme, comme on dit...

 

 

Comme le fera Amanda King dans Les Deux font la paire, Kate se distingue à l’occasion par sa capacité à utiliser les « trucs » de la vie quotidienne pour interpréter les indices, voire se sortir de mauvais pas. Dans le pilote, c’est un interphone domestique qui la rend témoin d’un meurtre ; à la fin du téléfilm, c’est une réparation qu’elle a faite elle-même sur la sonnerie de sa maison qui lui donne le moyen de se débarrasser du meurtrier. Si son appartenance au monde ordinaire ne l’aide pas dans son enquête, alors celle-ci y prend sa source : dans « Le mystère des photos-chantage », par exemple, elle reconnaît une voisine et découvre que l’univers domestique qu’elle croyait connaître cache en fait des mystères terrifiants.

 

Mais cette piste, intéressante, sera assez vite délaissée au profit d’un schéma plus classique : c’est en sa qualité de journaliste que Kate sera le plus souvent amenée à mener ses propres investigations, travaillant parallèlement à la police avec laquelle elle échange régulièrement ses informations.

 

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Le passage d’une saison à l’autre, du fait de l’échec de la « greffe » Columbo, s’accompagne de plusieurs changements d’importance dans la série. Accessoirement, Kate reprend son nom de jeune fille, Callahan, dans au moins un épisode, usant ensuite de différents noms d’emprunt ; le journal pour lequel elle travaille s’appelle désormais The Valley Advocate, même s’il garde le même patron pittoresque et attachant, Josh Alden. Mais fondamentalement, les emprunts à Columbo disparaissent, qu’il s’agisse du mari policier – Kate explique à plusieurs reprises qu’elle est divorcée, « Ce divorce a été très facile, c’était plus une divergence de carrière que de personnalité » dit-elle dans « Le mystère de la voiture jaune » -, des « gadgets » de la série-mère – le chien, la voiture, l’imperméable, les références au conjoint absent – ou du schéma de l’énigme inversée qu’utilisaient les épisodes de la première saison et qui n’est employé qu’une seule fois dans la seconde. Quant à la vie domestique de Kate, elle passe également au second plan, son travail d’investigation l’occupant désormais à plein temps : on apprend dans « Le mystère de la chambre froide » qu’elle travaille depuis plus de deux ans au journal, alors qu’elle y avait été engagée dans le téléfilm pilote. Enfin, changement essentiel quoique très fonctionnel, Kate se voit adjoindre un partenaire en la personne du Sergent Mike Varrick, un policier avec lequel elle entretient des relations particulières : non seulement cette association – officieuse – cautionne les investigations de l’héroïne, qui a accès aux éléments des enquêtes et échange ses propres informations avec la police, mais elle possède en outre une dimension affective qui achève de faire oublier l’encombrant mari, même si elle ne sera jamais développée.

 

 

Rebaptisée Kate the Detective, la série rejoint ainsi le flot des nouveaux programmes qu’a priori rien ne distingue des autres. Kate n’est pas la première journaliste à mener des enquêtes plus ou moins dangereuses : on a en mémoire l’équipe de Lou Grant ou celle de Les règles du jeu, série moins connue où une distribution hétéroclite se passait le relais d’un épisode à l’autre, ou encore Target : the Corruptors que nous évoquions dans ASS 17. Signe des temps, alors que les deux reporters de Target : the Corruptors et les trois de Les règles du jeu étaient des hommes, Lou Grant faisait une place aux femmes, amenées à tirer leur épingle du jeu, et donc à en modifier les règles.

 

Kate s’inscrit bien dans cette lignée des figures féminines prégnantes à la télévision. Par la présence de la comédienne Kate Mulgrew autant que par la forte personnalité de l’héroïne, confrontée à des individus et des situations dangereux. L’emploi systématique du Sgt Varrick comme deus ex machina dans les dernières minutes l’empêche certes de s’accomplir pleinement en tant qu’héroïne mais Kate la détective annonce bien les rôles de femmes plus indépendantes qui coloniseront bientôt les écrans américains. On ne peut que mentionner de nouveau Les Deux font la paire qui assurera une forme de transition entre le modèle antérieur – une femme capable de se distinguer dans un monde d’hommes mais toujours secondée par l’un d’eux – et le modèle nouveau, qu’illustraient déjà à leur manière les héroïnes des années soixante, Emma Peel ou Annie agent très spécial.

 

C’est aussi par ses thèmes que la série mérite plus d’attention qu’on ne lui en a prêté. Si elle avait disposé de plus de temps pour définir et affirmer ses qualités propres, Madame Columbo aurait sans doute pu se forger un style tout à fait honorable. Car, là où la première saison limitait son ambition à reproduire la dialectique enquêteur – coupable voulue par l’héritage Columbo, la seconde s’aventure sur des terres délaissées par le célèbre lieutenant mais plus favorables à la substance journalistique et investigatrice de Kate la détective.

 

 

Le premier épisode, « Le mystère des photos-chantage », aborde ainsi la prostitution qui gangrène la vie domestique la plus ordinaire : Kate y découvre que des voisines de quartier, femmes au foyer le jour, en apparence dévouées à leur mari, à leurs enfants et à leur intérieur, glissent dans la prostitution à cause de soucis passagers et tombent sous la coupe d’un maître-chanteur. L’épisode hésite encore entre plusieurs influences : l’investigation pure, attachée au traitement social – on évoque le chômage, l’endettement et les soucis domestiques subséquents -, la fable idéaliste et rassurante – la prostituée et son mari se réconcilient après la scène de l’aveu -, le policier et l’action – telle le Sergent Anderson, Kate enquête « sous couverture » et termine son aventure par une poursuite en voiture mouvementée. Mais l’héroïne y affirme une volonté de s’impliquer dans la société et d’en dénoncer les aspects les moins glorieux, comme doit le faire une série d’investigation.

 

« Le mystère de la voiture jaune » offre la même velléité en intégrant une révélation audacieuse pour l’époque : une relation homosexuelle entre deux femmes. Là encore, le scénario paye un tribut à l’action en cédant quelques minutes à une poursuite en voiture et en dramatisant sa résolution ; mais l’enquête elle-même, où Kate cherche à comprendre la personnalité d’une victime en approchant tour à tour ceux qui l’ont côtoyée, pour finalement mettre au jour un secret ancré dans la vie affective et ordinaire des personnages, cette enquête pouvait faire attendre une évolution intéressante de la série.

 

 

Le reste de la saison, malheureusement, ne sort pas des limites d’une série lambda, même lorsque l’on voit reparaître l’énigme inversée dans « Le mystère de Santa Barbara ». Kate la détective s’attaque bien à la corruption du milieu politique ou du milieu d’affaires, à un tueur en série ou à un escroc, mais elle est prisonnière dans ces enquêtes de schémas déjà classiques où aucun élément inattendu ne vient jouer les trouble-fête.

 

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Série inégale donc, plombée par son identité originelle qui se révéla une très mauvaise idée, Madame Columbo n’est pas la séquelle sans intérêt que certains ont voulu y voir. D’abord parce que son héroïne est convaincante et bien interprétée, tout à fait dans la vague montante des figures féminines de premier plan. Ensuite parce que ses scénarios offrent des qualités que la courte existence du programme n’aura pas permis d’explorer davantage : outre des thèmes prometteurs, Madame Columbo présente ainsi des qualités de vivacité et d’allant qui en font une série agréable à regarder, nullement ennuyeuse même si elle est restée trop convenue pour soulever la liesse populaire.

 

Tag(s) : #Dossiers, #Dossiers 1970s
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