Magnum
ou L’Amérique revue par Don Bellisario
Un article de Thierry le Peut
publié dans Arrêt sur Séries n°38
A suivre : Les amis de Magnum

Histoire d’une série mythique
En 1980, Hawaii Police d’Etat, programme phare de CBS depuis 1968, est en perte de vitesse. Pour produire la série à Hawaii, CBS a investi dans les studios de Diamond Head ; le network souhaite donc tourner une autre série à Hawaii, d’autant que le cadre même de la série explique en partie le succès, durant douze années, de Hawaii Police d’Etat. Tandis que Jack Lord, alias Steve McGarrett, prend sa retraite, CBS veut bâtir la nouvelle série autour d’un comédien prometteur, Tom Selleck. Celui-ci a tourné six pilotes dont aucun n’a donné lieu à une série, mais le comédien possède un sex-appeal qui inspire confiance au network. Sa prestation dans deux épisodes de Deux cents dollars plus les frais, au côté de James Garner, a été remarquée : il y incarnait un détective privé tout de blanc vêtu, sorte de chevalier impavide – l’image, au demeurant, sera reprise dans un épisode de Magnum, « Fiction ou réalité », lors de la cinquième saison. Glen Larson, qui vient de produire deux séries de space opera, Battlestar Galactica et Buck Rogers au XXVe siècle, mais a surtout produit des hits comme Switch, McCloud et Quincy, est chargé d’écrire le script d’un téléfilm pilote. Il choisit d’appeler son héros Magnum et en fait un émule de James Bond : un détective privé charmeur et intrépide qui vit dans la luxueuse résidence d’un écrivain toujours absent et possède une multitude de gadgets. Le personnage de Larson est un héros monolithique et cela ne plaît pas à Selleck. Le comédien ne veut pas incarner ce genre de personnage et suggère à CBS de faire appel à un autre scénariste producteur, Donald P. Bellisario. Venu tardivement à la télévision – il a déjà dépassé la quarantaine -, Bellisario a travaillé sur Les Têtes brûlées avec Stephen J. Cannell, qui, sur la foi d’un script, en a fait son story editor. Bellisario, très influencé par le cinéma des années quarante et par la Seconde Guerre mondiale, un parfait inconnu, est ainsi devenu instantanément scénariste et producteur de la seconde saison des Têtes brûlées. Il a aussi écrit deux scripts pour la série Gypsy Warriors, en fait jamais tournée : écrit par Stephen J. Cannell, le pilote n’a pas été retenu. Impressionné pourtant par le travail de Bellisario, Cannell a commandé deux scripts à ce dernier et cela a suffi à Selleck pour remarquer le « jeune » scénariste. Entre-temps, Bellisario a travaillé aussi avec Glen Larson, écrivant et produisant en partie Battlestar Galactica, dont il a également réalisé le dernier épisode.

Bellisario rencontre donc les exécutifs de CBS et leur demande ce qu’ils ont aimé dans le script de Larson pour Magnum. Réponse : « Tom Selleck en détective privé à Hawaii. » Mais encore ? « Tom Selleck en détective privé à Hawaii. » Selleck, lui, veut incarner un personnage humain, capable de commettre des erreurs, et qui ne devra pas tomber chaque semaine la fille de l’épisode. Bellisario comprend donc qu’il peut retravailler entièrement le traitement de Larson. Il décide d’adapter en fait une idée de série qu’il n’a pas encore vendue, H. H. Flynn. L’histoire d’un détective privé dont le bureau est juché au-dessus d’une fleuristerie dans Rodeo Drive et qui travaille comme agent de sécurité d’un richissime résident de Beverly Hills. Flynn est un ancien soldat du Vietnam et a deux amis : Rick, qui tient un bar à San Pedro, et T.C., qui fait la navette en hélicoptère entre la côte et les plateformes pétrolières offshore. Le cadre hawaiien amène quelques changements et Bellisario décide de conserver au moins deux éléments du script de Larson : l’écrivain à succès chez qui vit le héros et le doberman dont Larson a flanqué ce dernier. Bellisario double cependant ce dernier élément, estimant que deux chiens seront plus attachants qu’un seul.
Il sent aussi qu’il manque à son équipe de protagonistes une note discordante, susceptible d’apporter la matière à des conflits avec le héros. C’est dans un vieux film, Guns at Batasi, de John Guillermin, qu’il trouve son personnage : Richard Attenborough y est un caporal de l’armée britannique, renié par sa hiérarchie après un choix malheureux. Qu’a bien pu devenir ce personnage après avoir quitté l’armée ? La réponse se nomme Higgins : le « majordome » de l’écrivain à succès Robin Masters, un personnage en totale inadéquation avec son environnement. Vêtu comme dans les colonies, s’exprimant en un anglais impeccable et dirigeant au doigt et à l’œil ses deux dobermans Zeus et Apollon, Higgins est l’intendant du domaine de Robin Masters, baptisé Robin’s Nest (le Nid de Robin), l’exacte antithèse du dilettante Magnum. Finalement, Bellisario aurait souhaité changer aussi le titre de la série, et conserver H.H. Flynn, mais CBS aimait Magnum parce que ça sonnait bien… comme l’arme du même nom, évidemment.

Avec le réalisateur Roger Young, engagé pour tourner le téléfilm pilote, Bellisario choisit les acteurs qui incarneront Rick, T.C. et Higgins. D’emblée, le rôle de Rick a été écrit pour Larry Manetti, que Bellisario a connu sur Les Têtes brûlées et qu’il a fait ensuite engager sur Battlestar Galactica. Le scénariste lui demande d’imiter Humphrey Bogart et en fait le gérant du Rick’s Café Américain, le même établissement que dirigeait Bogart dans Casablanca et dont le pilote reproduit l’enseigne lumineuse à l’identique. L’idée de Bellisario est simple : il sait que Manetti ne saura que produire une mauvaise imitation de Bogart, et c’est précisément ce qu’il veut ! CBS, en revanche, n’est pas convaincu et insiste pour que l’idée soit abandonnée et que Rick devienne le gérant d’un club plus classique, baptisé King Kamehameha Club, du nom du roi mythique d’Hawaii, exigeant aussi que la caricature de Bogart soit abandonnée. Plus tard, Bellisario reconnaîtra que transporter le club sur la plage de Waikiki était une bonne idée mais continuera de regretter l’abandon du côté Bogart. T.C., lui, devait être incarné par Gerald McRaney – qui n’était pas encore le populaire frère Simon de Simon & Simon, rôle qu’il tiendra dans un cross-over entre cette série et Magnum, lors de la troisième saison de cette dernière. C’est Tom Selleck qui suggéra de confier le rôle à un comédien noir. Roger E. Mosley est alors engagé. Au cours de la première saison, l’acteur se plaindra d’être mal traité et accusera la production de racisme, au point que Bellisario décidera de se passer de lui. Ayant fait son mea culpa, Mosley sera réengagé, sur la base d’un contrat à l’épisode. Enfin, le rôle de Higgins échoit à John Hillerman, un comédien apparu dans de nombreuses séries et qui fut notamment le détective amateur Simon Brimmer dans Ellery Queen. Là encore, CBS n’est pas convaincu, mais Bellisario insiste.

Bellisario a aussi l’idée de la Ferrari – que le héros gagne le droit de conduire dans la séquence inaugurale du pilote – et fait une large place dans le scénario au passé guerrier de ses protagonistes. « Quand j’ai créé Magnum, il n’y avait que cinq ans que la guerre du Vietnam était terminée. Et notre pays continuait de punir les combattants pour cette guerre. Ce n’était pas juste. On ne punit pas les combattants pour ce que le gouvernement les a envoyés faire. A cette époque, on ne trouvait à la télévision que des vétérans du Vietnam qui se piquaient ou qui sortaient un .45 pour tirer sur la foule, ou sur eux-mêmes, qui faisaient des cartons du haut d’un toit ou étaient des drogués. On ne voyait aucune image positive du vétéran du Vietnam à la télévision. Quand j’ai créé Magnum, CBS m’a dit : ‘Pourquoi est-ce que vous tenez tant à ces trucs sur leur participation à la guerre du Vietnam ? Tout le monde déteste cette guerre. Tout le monde déteste les vétérans.’ Et j’ai dit à CBS : ‘Ne vous inquiétez pas, je peux toujours le couper si vous n’aimez pas ça.’ » Il n’eut pas à le faire, car le pilote fonctionnait très bien ainsi. La suite donnera raison à Bellisario : « Un phénomène commença à se produire, très gratifiant. Brusquement je recevais des lettres et des appels de vétérans du Vietnam, venant des quatre coins du pays, disant : ‘Enfin on nous montre comme des gens normaux ! » 1 Tom Selleck sera d’ailleurs honoré par le Vietnam Veterans Leadership Program pour cette peinture différente des soldats.

Donald P. Bellisario en compagnie de Larry Manetti
C’est également Bellisario qui demande à Selleck de regarder la caméra dès la séquence de la Ferrari, qui ouvre le téléfilm : l’idée ne plaît pas à CBS, qui clame que Bellisario ne peut pas briser le quatrième mur, cette frontière entre la fiction et son public. La loi selon laquelle un comédien ne peut pas regarder directement la caméra est encore perçue comme immuable et Magnum sera l’une des premières séries, avant Clair de Lune, à avoir cette audace. Au moment du tournage, Selleck aurait dit à Bellisario : « On ne peut pas garder cette prise ? », à quoi le scénariste aurait répondu qu’on ne pouvait pas, en effet… avant de la garder quand même !

Bellisario a une idée très précise de l’identité visuelle qu’il veut donner à la série. Il ne veut pas d’un Hawaii moderne mais d’un Hawaii de 19
40. « J’ai donné des ordres pour qu’on ne montre jamais les plages avec des immeubles à l’arrière-plan, qu’on ne montre jamais les fils téléphoniques le long des routes, et il fallait éviter les autoroutes. Je voulais des routes à deux voies bordées d’arbres tropicaux et des plages de sable blanc. Je voulais créer un environnement qui dégageait une impression de luxuriance, de mystère. »2 Plusieurs épisodes de la première saison recréent cette vision désuète de l’archipel, soit par le biais de flashbacks se déroulant en 1941 (dans « On n’oublie jamais »), soit par le biais du délire schizophrène d’un personnage qui croit vivre dans un film noir d’avant-guerre (dans « L’Orchidée noire »). De même, la peinture que fait le scénariste des vétérans du Vietnam est similaire au traitement dont bénéficièrent les vétérans de la Seconde Guerre mondiale : Bellisario veut les montrer comme des hommes fiers d’avoir combattu pour leur pays. Cette identité visuelle et thématique, qui rattache la série au cinéma que regardait Bellisario enfant, restera longtemps une caractéristique majeure du show, même après le départ de Bellisario, parti produire Jake Cutter puis Supercopter. Le choix même de l’Eve Anderson Estate pour figurer la résidence de Robin Masters, et la décision de ne jamais montrer les habitations jouxtant la propriété, ni les immeubles alentours, témoigne de cette volonté de transporter le public dans un univers en décalage avec la modernité. Quant au King Kamehameha Club, il est le résultat, à l’écran, d’un tournage réparti en plusieurs lieux, et c’est de façon tout à fait volontaire que les scènes s’y déroulant évoquent davantage les plages de Tant qu’il y aura des hommes que celle, bordée de tours et d’hôtels luxueux, de la Waikiki moderne.

Quelques ajustements sont encore nécessaires avant la diffusion de la série. Universal, par exemple, craint des complications juridiques à cause de la ressemblance du titre, Magnum, avec celui du film Magnum Force où Clint Eastwood incarne l’inspecteur Harry pour la deuxième fois. Le studio souhaite donc ajouter les lettres P.I., pour Private Investigator (ou « Private Eye »), ce qui ne manque pas d’amuser Bellisario : à Hawaii, en effet, les lettres PI désignent les Philippines ! Dans la série, Thomas Magnum corrigera souvent ses interlocuteurs en insistant sur sa qualité d’« investigateur » plutôt que de « détective », ce qui est peut-être une façon de plaisanter sur cet ajout « prudentiel ».
Un autre événement vient interférer avec la production de la série. Steven Spielberg, qui cherche un acteur pour incarner Indiana Jones, demande à voir le pilote et veut engager Tom Selleck. Il demande à CBS de retarder la série pour permettre au comédien de tourner le film. CBS refuse, estimant la série essentielle à sa grille de rentrée. Selleck ne sera donc pas Indiana Jones… mais une grève des acteurs interrompt brusquement le travail à Hollywood, bloquant le tournage de la série. Prévu en août, celui-ci est finalement retardé jusqu’en octobre. Tom Selleck aurait pu, alors, tourner avec Spielberg mais Harrison Ford a été engagé entretemps ! Le comédien se consolera en tournant en 1983 Les aventuriers du bout du monde, mais sans rencontrer le succès d’Indiana Jones. Lors de la dernière saison de Magnum, en 1987, il s’offrira alors le plaisir de parodier Jones dans un épisode, « A la recherche de l’Art perdu », qui revient aux sources du film de Lucas et Spielberg en citant le serial mythique dont les deux hommes s’étaient inspirés, Nyoka.

La série est enfin programmée en décembre 1980. Le succès n’est pourtant pas au rendez-vous. Les premiers épisodes enregistrent une baisse d’audience rapide qui crée une pression sur Bellisario et sur l’ensemble de l’équipe. John Hillerman, déclarera le scénariste, l’appelle même pour le supplier d’opérer des changements rapides et radicaux. Certains voudraient, semble-t-il, revenir à la morale puritaine de McGarrett dans Hawaii Police d’Etat. Mais Bellisario, comme Selleck, refusent. Ils persistent à suivre la voie qu’ils ont tracée, espérant que le public finira par les suivre également. Ce n’est qu’à la fin de la première saison que l’audience remonte, pour exploser littéralement l’année suivante. Magnum devient un hit, alors même que d’aucuns l’avaient déjà enterrée, et Selleck une star. La production, cependant, n’est pas aisée. Pré-produite et post-produite à Hollywood mais tournée entièrement à Hawaii (sauf certaines scènes du pilote, notamment celles se déroulant dans le Rick’s Café Américain), elle nécessite une coordination problématique. Bellisario finit par engager Chas. Floyd Johnson lors de la troisième saison pour gérer cette coordination et fait installer une ligne entre le continent et l’archipel par ordinateur. Johnson restera producteur de la série jusqu’à son terme, succédant notamment à Bellisario même si le nom de ce dernier reste attaché à la dernière image de chaque épisode jusqu’au terme de la série. Tom Selleck lui-même coiffe la casquette de producteur, crédité ou non au générique (selon les épisodes).

Tom Selleck avec James Whitmore, Jr dans "Billy Joe"
Programmée le jeudi soir, dans la plage horaire occupée auparavant par Hawaii Police d’Etat, Magnum cite plusieurs fois le Five-O, l’unité spéciale dirigée par Steve McGarrett, et emploie certains comédiens de la série mère : Kam Fong, qui fut Chin Ho Kelly, Herman Wedemeyer, qui fut Duke Lukela, ou encore Kwan Hi Lim, acteur de complément qui se voit offrir le rôkle du Lt. Tanaka – un policier à la Charlie Chan que Bellisario avoue n’avoir jamais aimé mais qui deviendra l’un des personnages récurrents de la série. En 1984, cependant, une concurrence nouvelle met à mal la série : celle du Cosby Show. Après avoir opposé plusieurs sitcoms à Magnum, NBC tient là un succès qui ne se dément pas, et Bill Cosby lui-même s’investit dans la promotion de son show en dénigrant la série concurrente dans les médias. Tom Selleck monte lui-même au créneau, à l’heure où certains prédisent l’annulation de Magnum. La petite histoire veut que les deux comédiens soient devenus amis et que, dès lors, plusieurs allusions à « l’ennemi » aient été glissées dans l’une et l’autre séries ! L’audience n’est sans doute pas l’unique souci de Magnum, toutefois : la série vieillit, comme son comédien fétiche (il fête ses quarante ans lors de la cinquième saison, et son personnage deux ans plus tard), et les personnages ont été développés de telle manière qu’ils se retrouvent dans une forme d’impasse, notamment Higgins. Harvey Shepherd, directeur des programmes de CBS, décide alors de déplacer la série au mercredi soir, face à Dynasty. C’est le bol d’air dont elle avait besoin : les audiences remontent.

Tom Selleck, cependant, a signé un contrat de sept ans avec Universal et souhaite arrêter au terme de ces sept années. Un épisode de conclusion est donc écrit, qui fera grand bruit chez les fans : Magnum y est abattu dès les premières minutes et déambule ensuite sous l’apparence d’un fantôme, avant de s’éloigner dans les nuages. On ne pouvait imaginer adieu plus définitif. Mais voilà que CBS annonce sa volonté de prolonger la série ; Selleck se laisse finalement convaincre et signe pour douze épisodes. Selon Bellisario, il aurait surtout voulu assurer la sécurité financière de ses partenaires. D’autres y voient le désir d’offrir à la série un dernier tour de piste. Dès 1987, le comédien avait acheté pour 6500 $ une pleine page dans le Honolulu Star Bulletin et le Honolulu Advertiser pour remercier les habitants de Hawaii des « sept plus belles années de sa vie » passées à tourner la série dans l’Aloha State. La dernière saison surprend parfois par sa noirceur (on y voit mourir le Lt Tanaka et Michelle, le grand amour du héros) et le téléfilm de conclusion laisse la critique et une partie du public sur leur faim. Mais il faut y voir surtout le désir de tourner définitivement la page Magnum, en offrant aux protagonistes une évolution significative : Magnum y réintègre la Marine, Rick se marie et T.C. se réconcilie avec son ex-femme.

Richesses d’une série surprenante

Au cours de ses huit années d’existence, Magnum aura su évoluer et se diversifier. Inscrite par sa naissance dans la filiation de Hawaii Police d’Etat, elle s’en détache par son ton, romanesque et bon enfant, qui évoque davantage Deux cents dollars plus les frais, autre série phare des années 1970, également interrompue en 1980. Bellisario rend d’ailleurs hommage à celle-ci à plusieurs reprises : dans un dialogue au début de « L’étoffe d’un champion », où des policiers évoquent l’épisode diffusé la veille, et surtout dans « Le trophée de l’année », qui donne un rôle à Stephen J. Cannell, producteur et scénariste de Deux cents dollars plus les frais. Comme le personnage incarné par James Garner, le privé Jim Rockford, Magnum a vocation à démythifier l’activité de détective privé. Il n’a de cesse de mettre l’accent sur l’aspect le plus ennuyeux de son métier, les longues heures de planque, les filatures et les recherches fastidieuses. Le salaire parfois mentionné dans Magnum est d’ailleurs le même que celui qui donne son titre français à la série antérieure. Bellisario souhaitait, au départ, éviter les rôles de flic dans Magnum, pour s’éloigner du cliché du privé travaillant avec (ou contre) la police ; la série se signalera néanmoins par la présence de plusieurs flics, dont le Lt Tanaka et le Lt Page, incarné par un transfuge de Deux cents dollars plus les frais, Joe Santos. Comme Deux cents dollars plus les frais, d’ailleurs, Magnum réunit autour du héros toute une galerie de personnages récurrents qui font eux aussi l’objet d’épisodes spécifiques, comme Carol Baldwin, l’assistante du procureur, dont le rôle aura tant apporté à l’actrice Kathleen Lloyd qu’elle ne cachait pas sa tristesse de voir la série s’arrêter en plein succès. Même des figures très secondaires, comme le docteur Ibold (incarné par Glenn Cannon, qui était le procureur Manicote dans Hawaii Police d’Etat, le personnage emprunte le nom de l’un des monteurs de la série), deviennent au fil des saisons des « membres de la famille », au point de figurer en première place lors de l’adieu au héros dans le finale de la saison 7.


Bellisario et Selleck voulaient en outre s’éloigner des attentes induites par le physique même du comédien : beau gosse, sacré même homme le plus sexy de son temps (paraît-il par Mae West, actrice « scandaleuse » des années 1930), il était censé sous la plume de Glen Larson faire tomber les filles aussi souvent que les méchants. Au contraire, le personnage défini et développé par Bellisario est un homme sensible, plein d’humour et d’auto-dérision (le procédé de la voix off sert aussi bien la comédie que le drame), qui révèle peu à peu des failles : familiales, avec la mort de son père survenue durant la guerre de Corée, sentimentales, avec l’amour romanesque qui le lie à Michelle depuis le Vietnam. Mais Thomas Magnum est aussi capable de tuer, et c’est une caractéristique majeure du personnage : l’exécution du sinistre Colonel Ivan à la fin de « Avez-vous vu le soleil se lever ? » est là pour en témoigner. Cet aspect du personnage n’a pas forcément été le plus remarqué, au point que Tom Selleck se sentait obligé d’y insister : « Les gens ont dans l’idée que Magnum est un gentil maladroit. Ils ont tort. Ne faites pas de mal à ses amis, ou il vous tue, réellement ! » 3 Le commentaire est révélateur du malentendu qui a frappé la série tout au long de son existence : parce qu’on y voit de chaleureux couchers de soleil et qu’on y plaisante sous les palmiers ou au bar du King Kamehameha Club, on a voulu réduire le show à une série d’action gentillette. Or, la série alterne la comédie et le drame, dans les intrigues comme dans la personnalité de ses protagonistes. On y révèle des noirceurs tapies dans les belles maisons et les bas quartiers du Little Saigon, on y côtoie des secrets parfois liés aux pages sombres de l’histoire des Etats-Unis, comme les camps de détention ouverts à Sand Island après l’attaque de Pearl Harbor pour y parquer les ressortissants japonais. On y voit aussi mourir des personnages pourtant sympathiques ou innocents, comme le bonhomme Mac dans « Avez-vous vu le soleil se lever ? », la sœur de Rick dans « Petite sœur », Michelle l’amante éternelle ou… Magnum lui-même à la fin de la saison 7. Cette noirceur, apparemment antithétique de la face ensoleillée de l’archipel, devient même plus prégnante au fil des saisons, avec des épisodes très sombres comme « L’esprit de revanche » et « Comptes et comptines ».
Certes, la série est séduisante. Et c’est sans conteste l’un de ses charmes, accentué par la volonté de transporter la série dans un Hawaii soustrait au temps. Certes, elle comporte son lot de poursuites en voiture, de séquences aériennes et marines, d’échanges de coups de feu et de coups de poing. Mais elle s’appuie aussi sur des personnages que les scénaristes ont à cœur de faire évoluer et qui possèdent une indéniable épaisseur, même s’ils ne s’affranchissent pas totalement des clichés. On y reviendra plus loin (dans « Magnum et ses amis : l’esprit d’équipe »).

Le mélange des genres est l’un des atouts maîtres de la série. Une semaine série policière classique, où les révélations suivent le rythme de leur mise au jour par le détective, la semaine suivante série de guerre, ancrée dans l’Asie du sud-est, puis tour à tour comédie centrée sur un match de baseball (« Quitte ou double ») ou un remake de My Fair Lady (« Professeur Jonathan Higgins ») et thriller surfant sur le fantastique, avec extralucides (« L’extralucide ») et fantômes (« Le fantôme de la plage »), elle s’abandonne aussi à la fantaisie la plus totale en proposant un voyage dans le temps (« Les miroirs de l’âme »), le remake d’un classique du film noir (« Meurtre dans la nuit ») ou un épisode de survival où le héros se débat contre l’épuisement au milieu du Pacifique (« Record battu »). Fréquemment, on y voit passer des stars du cinéma ou de la chanson (Ernest Borgnine, Sylvia Sidney, Frank Sinatra), Tom Selleck y interprète même Play Misty for me, la chanson de Un frisson dans la nuit de Clint Eastwood (dans « L’Homme de Marseille »), et on y parodie James Bond (« Fiction ou réalité ») comme Indiana Jones (« A la recherche de l’Art perdu », pour les raisons évoquées plus haut). Il arrive même qu’on y monte à cheval (« Adélaïde » ou « Les paniolos ») ou que l’intrigue tourne autour d’un triathlon (« Le marathon »). Enfin, plus souvent qu’à son tour, Magnum est « simplement » une série familiale, où il est question d’aider à rêver un malade en fin de vie (« Mad Buck ») ou une tante atteinte du syndrome d’Alzheimer (« Coup de théâtre »). Les héros du show étant régulièrement concernés par l’éducation des enfants, en général par le biais du sport, basket (« Teresa ») ou baseball (« L’étoffe d’un champion »). « Nous mettons un point d’honneur à ce que vous ne sachiez jamais ce que vous allez voir quand vous vous branchez sur la série », résume Bellisario. « Vous pouvez voir une farce une semaine et un drame la suivante. Vous pouvez aussi voir vous retrouver entre les deux. Nous ne sommes tenus par aucune formule. C’est le genre de choses qui font selon moi que les gens regardent la série. Vous ne savez jamais à quoi vous attendre. » 4

Tom Selleck et Larry Manetti en compagnie de Paul Burke (l'Amiral Hawkes), Lance LeGault (le Colonel Green) et Jean Bruce Scott (Maggie Poole)
Cette richesse, bien sûr, conduit parfois à des épisodes plus faibles (« Quitte ou double », justement) ou très borderline (« L’esprit de revanche », excellent, et « Tous pour un », médiocre), mais elle témoigne de la volonté des producteurs d’explorer de nombreuses possibilités au lieu de se cantonner à une formule. « Magnum », dira Donald Bellisario, « est une série très difficile à écrire patrce qu’elle se ‘déroule’ entre les scènes d’un detective show normal. Un detective show normal parle d’un détective qui trouve des indicexs et interroge des suspects. Magnum, lui, eh bien, il peut trouver des indices mais il est intercepté sur le chemin de sa Ferrari par Higgins qui lui fait une scène ! Dans la scène suivante, Magnum a déjà interrogé l’employée de bureau et vous livre ce qu’il a découvert en voix off. Magnum se niche dans les interstices d’un detective show normal. » 5 Cet art de la digression, sur lequel reposent nombre de comédies classiques, est la « marque de fabrique » de Magnum. On voit ici ce que doit à la série un programme comme Clair de Lune. On a parlé plus haut du quatrième mur, que fait volontiers disparaître Magnum, mais les détectives de Clair de Lune passeront aussi leur temps à se chamailler et à parler de tout autre chose que de l’enquête qu’ils sont censés mener. Magnum ne va certes pas jusque là : l’intrigue y reste reine, même si elle se révèle plus souvent qu’à son tour un simple prétexte au développement des personnages – mais les audaces de la série ont indubitablement influencé celles qui sont venues ensuite. Comme Clair de Lune, incidemment, Magnum aime à grimer ses personnages, habillant Higgins en Henry VIII dans « Sain d’esprit », Rick en Marie-Antoinette et Magnum en chevalier en armure. Une autre manière de les faire voyager dans le temps.
Mais c’est aussi vers la sitcom que cette culture de la digression pousse la série. Le bureau de Higgins et le pavillon d’invité qu’occupe Magnum sont les deux pôles d’attraction du show. Aménagés avec soin, ils représentent la personnalité du héros et finissent par devenir des lieux que le public aime à retrouver. Les producteurs les « peupleront » d’ailleurs d’objets symboliques qui tissent eux-même une ligne continue au long de la série, acquérant leur propre histoire : le pont de la rivière Kwai, que Higgins construit au début de la saison 3 et qui sera détruit dans la saison 7 (mais réintroduit aussitôt après), le poulet en plastique de Magnum et son masque de gorille sont les plus emblématiques de ces objets mais d’autres, comme le peignoir vert fréquemment porté par Magnum, contribuent à former le substrat éminemment familial et intime de la série.

La quintessence de Donald P. Bellisario
Œuvre éclectique, Magnum est aussi une œuvre d’auteur, en ce sens qu’elle contient les éléments que Donald Bellisario a développés dans la plupart de ses séries. Il est d’ailleurs fascinant de voir comment les shows majeurs du producteur semblent s’enchaîner avec cohérence : à la fin de la saison 7 de Magnum, le héros s’éloigne dans les nuages, à la fin de la saison 8 il rempile dans l’armée. La première conclusion annonce déjà Code Quantum, jusque dans le tandem formé par Magnum et Mac, fantômes tous les deux, qui préfigure le couple Sam Beckett – Al Calavicci. Quant à la seconde, elle annonce aussi bien la même Code Quantum (Al sera lui aussi revêtu de l’uniforme blanc au début de la série) que JAG, que Bellisario ne créera que quelques années plus tard. La nature pro-militaire de Bellisario apparaît dans la plupart de ses programmes, depuis Les Têtes brûlées (créée par Philip DeGuere et Stephen J. Cannell, la série était faite d’emblée pour accueillir Bellisario !) jusqu’à JAG et NCIS. On retrouve d’ailleurs les mêmes influences dans Battlestar Galactica, série produite pour Glen Larson mais qui n’est rien d’autre, par bien des aspects, que la transposition de la Seconde Guerre mondiale dans l’espace. Bellisario, cependant, s’il ne cache pas son admiration pour l’armée – il a servi quatre ans dans le Marine Corps de réserve et a grandi durant la guerre, entre 1940 et 1945 -, s’efforce d’en donner une image nuancée. On y reviendra aussi (dans « Magnum et la guerre du Vietnam »).

Seconde thématique fondamentale dans l’œuvre du scénariste producteur : le rapport au père et à l’Histoire, qui ne sont que les deux faces d’une même médaille. On a évoqué déjà l’importance des années 1940, à la fois pour leur ambiance et pour les événements liés à la Seconde Guerre mondiale. Le lien qui rattache Bellisario à cette époque est d’abord le lien qui le rattache à sa propre enfance. « J’étais un gamin pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle a commencé quand j’avais cinq ans et s’est terminée quand j’en avais dix. Ce furent sans doute les cinq années les plus marquantes de ma vie. A moins d’avoir vécu cela, spécialement à mon âge, vous ne pouvez pas vous imaginer. J’ai regardé tout le monde partir à la guerre. Le bar de mon père est devenu le centre d’information de la ville. J’ai toujours plus de cinq cents cartes postales qui furent envoyées d’un peu partout dans le monde durant la guerre. J’ai aussi conservé toutes les photos de ceux qui ont été enrôlés. Nous avons perdu quatre ou cinq hommes, ce qui est beaucoup pour une petite ville de 1200 habitants. Je me souviens des enterrements et du retour des corps. Je me rappelle le rationnement, la lecture des journaux, les nouveloles de la guerre qu’on écoutait à la radio. » 6 Le cinéma de cette époque a aussi une grande importance dans la formation de son imaginaire, et on le retrouve constamment au travers de ses œuvres : c’est Le Faucon maltais, parodié dans « Meurtre dans la nuit » ou Key Largo dans « Une naissance orageuse », c’est aussi toute l’ambiance du film noir que ravivent « L’Orchidée noire », « Les miroirs de l’âme » ou « Le trophée de l’année », et qui influence les figures de privés qui traversent la série, celle de Luther Gillis par exemple, mais aussi le bureau du privé dans une courte scène de « Trouve-moi un arc-en-ciel ». La référence à Bogart est emblématique du rapport de Bellisario à ce cinéma, et on la retrouve notamment dans Code Quantum, dont l’un des épisodes a pour titre le « Play It Again Sam » que l’on entend dans le pilote de Magnum. Le rôle du cinéma est également prégnant dans les souvenirs du producteur : « Je me souviens d’un dimanche où nous nous préparions à aller au cinéma. C’était le seul jour de repos de mon père, et je me souviens de mon père montant chez nous et disant : ‘Les Japs ont bombardé Pearl Harbor.’ L’horreur se lisait sur son visage et ça m’a filé une frousse du diable, parce que je pensais que cela voulait dire que quelqu’un allait nous bombarder, nous. Et mon père a dit : ‘Qu’allons-nous faire ?’ A quoi ma mère a répondu : ‘Nous allons au cinéma, comme d’habitude.’ Alors j’ai pensé : ‘Bon, ça ne peut pas être si grave si nous allons au cinéma.’ »7

L’image du père de Bellisario sera au cœur du dernier épisode de Code Quantum, « Le grand voyage » (« Mirror image ») : on y voit différents personnages se retrouver dans l’unique bar d’une ville minière et certaines photos utilisées pour le tournage de l’épisode sont celles qui se trouvaient vraiment dans le bar du père de Don Bellisario, à Cokeburg, Pennsylvanie – le nom de la ville est d’ailleurs conservé dans le scénario. Histoire, cinéma et image du père sont ainsi indissociables dans l’imaginaire du scénariste, et toutes ses séries accordent une place importante à la filiation. Nombre des clients de Magnum sont à la recherche d’un père ou cherchent à réhabiliter le souvenir de celui-ci : c’est le cas par exemple de Bridget Archer dans « Les ultimes honneurs », qui ne peut répandre les cendres de son père au-dessus du memorial de l’USS Arizona parce que le défunt est accusé de désertion. On notera que, dans cet épisode, le nom du père, Miles Archer, est aussi celui d’un détective assassiné dans Le Faucon maltais. « Le temple khmer », écrit par Bellisario comme un épisode-test pour une éventuelle série dérivée, est construit autour d’un père absent car toujours aux commandes de son avion, mais idéalisé par son petit garçon. L’image de l’acteur William Lucking près de son avion évoque d’ailleurs la photographie sur laquelle est incrusté le générique de fin de « Le grand voyage », et qui représenterait Bellisario lui-même et son père.

L’un des épisodes de Magnum dont Bellisario était le plus fier est « Record battu », qui ouvre la quatrième saison. « Je pensais, humblement, que c’était l’une des heures de télévision les mieux écrites de cette année-là. »8 On n’y voit aucune enquête policière, si ce n’est les trois acolytes de Magnum cherchant à retrouver celui-ci. L’épisode est centré en effet autour d’un Magnum parti faire du surf-ski un 4 juillet et qui, presque heurté par un bateau, se retrouve sans planche au milieu de l’Océan. Ses efforts désespérés pour surnager en attendant les secours alternent avec des flashbacks d’un petit garçon à qui son père apprend à tenir à la surface de l’eau le plus longtemps possible. Il s’agit de Tommy Magnum et de son père, lors d’une permission de ce dernier durant la guerre de Corée. L’épisode s’achève sur l’image du petit garçon lors des funérailles militaires de son père, disparu en vol. Image fondatrice de l’imaginaire bellisarien, mais aussi incident fondateur pour le héros qui, dans « De qui la fille ? », remarque que son besoin de trouver des réponses, à la base de son activité de détective, remonte probablement à son enfance et aux questions qu’il posait sans cesse à sa mère : « Où est papa ? Pourquoi papa ne revient-il pas ? » Tout donc semble lié dans Magnum : la profession du héros, l’image du père, le rapport au passé et le besoin d’en réparer les erreurs. Ce qui sera la profession de foi de Sam Beckett dans Code Quantum.
L’amitié qui unit les protagonistes de Magnum est une autre constante des séries de Bellisario. En particulier, un rapport de filiation se dessine au sein du tandem central : ici Magnum et Higgins, là Sam et Al, ailleurs Stringfellow Hawke et Dominic Santini. Les rapports qu’entretiennent ces personnages sont si étroits qu’ils jouent l’un pour l’autre le rôle de père, fils ou frère de substitution, en fonction de leur différence d’âge. De la même manière, la continuité en plus, que ces personnages se substituent eux-mêmes souvent, auprès des personnages épisodiques, à un père absent : c’est ce que font Magnum et Higgins auprès de la petite Teresa dans « Teresa », ou T.C. auprès du fils d’un ami disparu dans « La méprise ». L’amitié est souvent, aussi, liée au passé guerrier des personnages : plusieurs épisodes de Magnum évoquent une dette contractée durant la guerre (« Dette de vie, dette d’honneur », « La dette », « Le temple khmer ») et insistent sur la fraternité des combattants, pendant et après les combats.

Image du père, fraternité du combat : tout cela dessine un univers très masculin. De fait, la plupart des séries de Bellisario s’appuient sur des protagonistes masculins et on a pu leur reprocher de faire peu de place aux femmes. Le générique de Magnum ne comporte que des hommes, comme celui de Code Quantum ou celui de Supercopter. Cette dernière essaya bien d’intégrer une femme, Jean Bruce Scott, transfuge d’ailleurs de Magnum où elle joue le Lt Maggie Poole, mais la greffe ne prit pas, faute peut-être de conviction, et son personnage resta cantonné à un rôle de figuration dans la plupart des épisodes, écrasée par les personnalités des hommes de la série. Il faut attendre JAG, dans les années 1990, pour que Bellisario mette un tandem mixte au générique d’une série qui durera plus d’une saison (Jake Cutter et Tequila & Bonetti n’ayant pas eu le temps d’imposer leur distribution). On aurait tort pourtant de penser que les femmes sont méprisées dans Magnum. Au contraire, elles sont omniprésentes ! Beaucoup des clients de Magnum sont des clientes ; d’aucuns diront qu’il s’agit simplement d’honorer un cahier des charges mais la façon dont ces personnages sont travaillés montre que les femmes ont voix au chapitre. Loin des stéréotypes de jeune femme en détresse usités dans K2000, par exemple, les personnages féminins de Magnum sont souvent hauts en couleur et possèdent une personnalité bien trempée. Certes, elles reprennent elles aussi des stéréotypes, et l’on peut les ranger en trois catégories : la gaffeuse (à rattacher au type Katharine Hepburn face à John Wayne ou Humphrey Bogart), parfois déclinée en mégère mal apprivoisée, la femme fatale (héritage du film noir de l’âge d’or) et le grand amour romantique (Michelle, épousée au Vietnam, perdue, retrouvée et perdue à nouveau). Mais, prises individuellement, force est de reconnaître qu’elles ont du caractère et sont de taille, soit à tirer le détective d’un mauvais pas, soit à lui rabattre son caquet. L’une des plaquettes promotionnelles émises par CBS lors du lancement de la série présentait le héros comme un homme « aimant les voitures rapides et les blondes un peu lentes » et promettait : « Il met la main sur son homme, et quelquefois il tombe la fille. »9 C’est en voulant s’éloigner de cette définition conventionnelle que la série a donné véritablement corps à ses personnages féminins, préfigurant, une fois de plus, une tendance très nette des années 1980, celle de la comédie policière romantique illustrée par Remington Steele, Clair de Lune et Les deux font la paire. Le personnage de Carol Baldwin, à l’origine reproduction de l’assistante du procureur Beth Davenport dans Deux cents dollars plus les frais, devient au fil des saisons l’une des figures récurrentes majeures de la série, à laquelle sont consacrés plusieurs épisodes (« Contraintes », « Mentor », « Mensonge d’amour » essentiellement).

Ses qualités font de Magnum l’une des séries certainement « les plus intéressantes et les plus emblématiques des années 80 », comme l’écrivait Jacques Baudou dans Génération Séries 10. Bien plus, en tout cas, qu’« un de ces feuilletons idiots, avec un grand privé à Hawaii, qui a peur des chiens et qui n’a jamais un sou en poche », comme se moque Magnum lui-même dans « Hotel Dick », reprenant en gros la critique de Bill Cosby à l’égard de la série. Série très bien écrite, à la fois classique par son format et évolutive dans ses caractères, elle est représentative de l’imaginaire de son créateur Don Bellisario et d’un certain état de l’Amérique, attachée à ses valeurs mais consciente d’avoir perdu son innocence.
Notes
1. Entretien avec Donald P. Bellisario dans James L. LONGWORTH, Jr, TV Creators, vol. 2, Syracuse University Press, 2002.
2. Cité par Ric MEYERS, Murder on the Air, Television’s Great Mystery Series, Mysterious Press, 1989.
3. Cité par Anne-Claude Paré et Alain Carrazé dans Les grandes séries américaines de 1970 à nos jours, 8e Art, 1995.
4. Cité par Ric MEYERS, op. cit.
5. Cité par Ric MEYERS, op. cit.
6. Cité par James L. LONGWORTH, Jr, op. cit., p. 130.
7. ibid., p. 130-131.
8. ibid., p. 150.
9. Le texte complet est donné par Ric MEYERS, op. cit. : « He’s a wisecracking, fun-loving, freeloading freelance private eye. He’s a hell-raiser in paradise ! Meet Tom Magnum, ex-navy officer turned Hawaiian private eye. He’s a good-looking, laid-back charmer in a loud shirt who loves fast cars and slow blondes. And frankly, hates to get hurt. He gets his man, sometimes he also gets the girl. You’re gonna love the guy ! »
10. Jacques BAUDOU, « Magnum, le privé au grand cœur » in Génération Séries n°15, 3e trimestre 1995.