La ballade du Lone Ranger
un article de Thierry Le Peut
publié pour la première fois dans Arrêt sur Séries n° 10 (septembre 2002)
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Les exploits d’un chevalier solitaire. Le chevalier et sa monture. Un héros des temps modernes, dernier recours des innocents, des sans-espoir, victimes d’un monde cruel et impitoyable.
Il faut tordre le cou à une idée que peuvent encore se faire les fans trop désireux de défendre leur série fétiche : K 2000 n’est pas, mais alors pas du tout, une idée originale. En premier lieu parce qu’au début des années 80 les voitures sont presque des personnages à part entière de plusieurs séries : on connaît l’importance de la Ford Torino de Starsky et de la Peugeot 403 de Columbo (qui ne parlent pas et ne réalisent aucun exploit particulier, c’est vrai), mais il ne faut pas oublier non plus les « super-voitures » de Batman ou du Frelon Vert, ou celle créée par Gerry Anderson dès 1962 dans Supercar. Ensuite, NBC essaya déjà de lancer en 1965 sa propre voiture parlante avec My Mother, The Car, une série interrompue très rapidement où la mère du héros se réincarnait dans une Porter de 1928. Et lorsque Larson développe l’idée de K 2000 en 1982, on parle déjà beaucoup de Général Lee, la voiture des cousins Duke de Shérif, fais-moi peur, qui a imposé à la télévision le schéma cascades et poursuites à gogo, dans la foulée de longs-métrages comme Cannonball Run ou Cours après moi, shérif avec Burt Reynolds. Larson a donc surfé sur cette vague en adaptant le concept à la demande des années 80, et en reprenant au passage une idée utilisée dans un épisode d’une autre de ses productions, B. J. and the Bear, où il était question d’une super-voiture dotée d’un ordinateur dernier cri.
Pour Larson, Michael Knight et son super-bolide sont l’actualisation d’une formule phare des années trente à cinquante : le cow-boy et son cheval. Michael n’est rien d’autre qu’un nouveau Lone Ranger, justicier de l’Ouest flanqué de son fidèle Silver comme Roy Rogers l’était de son tout aussi fidèle Trigger (puis Lucky Luke de Jolly Jumper, Zorro de Tornado, etc.). La référence n’est pas isolée puisqu’on la retrouve à la même époque dans l’épisode « Les Mustangs » d’Agence Tous Risques, les héros de Stephen J. Cannell étant eux-mêmes des réincarnations des justiciers d’antan.
Réincarnation d’un modèle héroïque, Michael Knight est un homme qui n’existe pas, comme l’annonçait un slogan promotionnel de la série. Ancien combattant du Vietnam (comme Magnum, l’Agence Tous Risques, les détectives de Riptide, Stringfellow Hawke de Supercopter parmi d’autres), Michael Long cesse d’exister dès les premières minutes du pilote pour être remplacé par un héros sans passé. Créé de toutes pièces pour lutter contre l’injustice, « dernier recours des innocents, des sans espoir » comme le rappelle la voix off du générique chaque semaine, Michael Knight est libre de toute attache (en dehors de son ancienne fiancée qui reviendra dans quelques épisodes), libre de vivre l’instant présent sans crainte du passé. Sans souci d’avenir non plus : héritier de la fortune de Wilton Knight, son « géniteur », il n’a guère de problèmes d’argent et dispose d’un tas de gadgets pour s’amuser. Chaque aventure lui permet de badiner avec une jeune fille en détresse qu’il oubliera la semaine suivante.
Une parenthèse sur la vie amoureuse du héros : seule contre tous, Patricia McPherson (alias Bonnie Barstow) aura très vite déploré le manque d’épaisseur des personnages de la série, luttant pour qu’une idylle soit développée entre le héros et son assistante, réduite le plus souvent à prononcer des termes techniques en manipulant les neurones électroniques de K.I.T.T. « No way », répondaient l’un après l’autre les (nombreux) producteurs de la première saison, Cinader, Foster et Armus en tête. Le justicier solitaire avait son cheval pour seule compagnie et c’était très bien ainsi. Que David Hasselhoff ait incarné pendant plusieurs années le séducteur Snapper Foster dans Les Feux de l’amour juste avant de prendre le volant du super-bolide ne faisait aucune différence, même si lesdits producteurs reconnaissaient que cette carte de visite leur avait sans doute apporté une audience féminine venue des soaps et qui, pour les beaux yeux de Michael, délaissaient peut-être le concurrent Dallas sur CBS. « On en a parlé », reconnaissait Armus en écoutant les réclamations de McPherson, « mais ça ne marcherait pas. C’est une série qui passe à vingt heures, un format d’action-adventure. » Bref, pas de romance dans K 2000, malgré les acteurs qui, tout producteur le sait, passent une partie de leur temps sur le tournage à réclamer des changements dans les scripts ! A force d’insister, d’ailleurs, McPherson se vit indiquer la porte de sortie et fut remplacée en deuxième saison par Rebecca Holden, jeune rousse pulpeuse. Seule la mobilisation des fans autour de son personnage assura son retour à la rentrée suivante !
David Hasselhoff, Edward Mulhare... et KITT !
Sans contrainte de mémoire, Michael Knight pouvait ainsi rester l’adolescent avide de justice et de jeux qui sommeille en chaque héros. Une particularité qu’il partage avec d’autres héros de son époque : on a cité les baroudeurs d’Agence Tous Risques (« Il n’aime que le jeu », dit Barracuda de Hannibal dans le pilote), on pourrait leur adjoindre d’autres héros de l’écurie Cannell, du pilote forte tête de Le Juge et le pilote (qui conduit lui aussi un bolide flamboyant, même s’il n’a rien de futuriste) aux détectives de Riptide qui vivent sur un bateau, possèdent un robot et poursuivent les méchants à l’aide d’un hélicoptère maquillé en créature de cartoon. Magnum est un autre de ces « grands enfants » qui illumina la télévision de ces années-là, avouant lui-même qu’il avait quitté la Marine à trente-trois ans pour vivre l’adolescence dont il n’avait jamais profité. Un dernier, pour le plaisir : le privé milliardaire de Matt Houston, réponse « fun » aux pétroliers richissimes de Dallas et Dynasty, dont le passe-temps favori est de traquer le crime pour tromper l’ennui. A sept ans, d’ailleurs, Hasselhoff jouait déjà Peter Pan dans une pièce scolaire, c’est dire s’il était prédestiné à devenir le chantre de l’insouciance !
Les histoires racontées dans la série sont à l’aune de son héros. Simplistes, elles réintroduisent avec force un manichéisme qui a toujours été très puissant dans la fiction télé mais qui s’affirme ici avec un schématisme renouvelé ! Puisque le héros échappe au quotidien, nul besoin de montrer la réalité telle qu’elle est, mais plutôt telle que la mythologie la reconstruit. Les jeunes femmes en détresse, les propriétaires terriens avides de pouvoir et dénués de conscience, les poursuites échevelées (jadis à cheval, maintenant en voiture et autres engins modernes), les gunfights (au laser, bien sûr) sont des emprunts directs au western, de même que les petites villes menacées par un shérif corrompu ou une bande de malfaisants sans foi ni loi. Ce sont là des procédés repris avec délectation par Agence Tous Risques ou d’autres séries de Glen Larson lui-même, à commencer par L’Homme qui tombe à pic qui réalise de beaux scores depuis 1981 en faisant une large place aux cascades en tous genres au détriment des scénarios.
David Hasselhoff et Patricia McPherson
C’est là, bien entendu, un choix tout à fait délibéré. Sans aller jusqu’à l’obsession de Paul R. Picard, qui s’opposait à toute variation dans la formule de Shérif fais-moi peur, la ligne de K 2000 fut définie dès la première saison, notamment par R. A. Cinader, un producteur formé à l’école de Jack Webb, le monolithique (et dénué d’humour) Joe Friday de la série Dragnet, avec qui il produisit le show policier Adam 12. Aventure, action, un zeste de séduction restèrent les ingrédients classiques de la série durant toute sa durée, même si Hasselhoff réussit à imposer un ton différent dans quelques épisodes où apparaissait son épouse Catherine Hickland, amour perdu de Michael Knight.
Le personnage qui aura le plus bénéficié de changements en quatre ans aura été finalement celui que la critique s’ingéniait à désigner comme le véritable héros du show : la voiture ! Encore est-ce sous la contrainte extérieure que les producteurs ont très vite décidé de relooker K.I.T.T. : « La seule raison que nous avions d’opérer des modifications était simplement que la technologie nous avait rattrapés », déclarait Gino Grimaldi en 1985, dans les pages du Knight Rider Annual. « Cela ne fait que deux ans que Knight Rider est apparu sur les écrans mais les progrès dans l’industrie informatique et automobile ont lieu pratiquement chaque semaine. Ce qui est de la science-fiction une semaine est devenu la réalité la semaine suivante. Nous avons soudain pris conscience, entre le tournage des deuxième et troisième saisons, que des voitures arrivaient sur le marché avec des tableaux de bord qui n’étaient pas très différents de celui de K.I.T.T. Il y a déjà des voitures dotées d’un ordinateur parlant contenant deux douzaines de phrases. » Si K.I.T.T. voulait rester à la pointe de la technologie, il fallait donc la relooker et la doter de nouveaux gadgets. D’où l’épisode de rentrée de la troisième saison, « Le roi des robots », qui montre la quasi-destruction de la voiture afin de permettre à Bonnie (de retour dans l’équipe, rappelez-vous) de la reconstruire en l’améliorant. Le même procédé sera repris au début de la quatrième saison, dans le même esprit.
David Hasselhoff et Edward Mulhare
La promotion de K 2000 en tant qu’instrument héroïque fut assurée pendant la durée de la série par un David Hasselhoff qui s’identifia profondément au héros qu’il incarnait chaque semaine. Dès que le programme devint un succès, l’acteur téléphona aux responsables de Pontiac pour réclamer une faveur pour le moins particulière : qu’on lui donne deux modèles de la Trans Am noire afin que lui et son épouse Catherine Hickland les conduisent dans leur vie de tous les jours ! Jusque dans ses déplacements personnels, la star faisait ainsi la promotion de la série. Les interviews de l’époque montrent par ailleurs à quel point le comédien se sentit bientôt investi d’une mission quasi divine en revêtant en permanence le masque de son personnage, particulièrement pour visiter des enfants malades dans les hôpitaux du pays, activité philanthropique qu’il pratiquait déjà avant le succès de K 2000. « Ces trois dernières années, j’ai rendu visite à des enfants malades dans différents hôpitaux », déclarait-il en décembre 1983 dans les pages de TV Magazine, « faisant de mon mieux pour les réconforter et apporter un peu de bonheur dans leur vie. (...) En tant que Michael Knight, je suis un héros pour ces gamins, un Lone Ranger moderne. » L’un de ces enfants se serait même fait enterrer avec un blouson de la série, raconta un jour le comédien, convaincu de l’influence humanitaire de son personnage.
Larson se fit l’écho, à l’époque, des travers de star de l’acteur, qui entra avec facilité dans ses souliers de vedette, réclamant par exemple une plus grande loge sur les tournages. Peu importe que Hasselhoff ait pris la grosse tête ou se soit réellement senti responsable de l’impact de son rôle sur le public : le plus intéressant dans tout cela est l’adéquation parfaite entre l’acteur et le personnage, qui ne fit que faciliter le développement d’un véritable culte autour de la série. Qu’il fût doué pour le marketing ou philanthrope sincère, Hasselhoff devint littéralement Michael Knight pendant plusieurs années et ce qu’on peut raconter sur ses caprices de star ne fait en définitive que le rapprocher de l’insouciance assumée de Michael Knight. Hasselhoff aimait d’ailleurs à rappeler aux journalistes la chance qui était la sienne : une enfance heureuse au sein d’une famille aisée, pas de grands bouleversements dans sa vie, une carrière commencée doucement à travers des films de série B (comme un Starcrash inspiré de La Guerre des étoiles, avec Marjoe Gortner et Christopher Plummer) et de petits rôles (dans Police Story entre autres), puis le premier succès avec Les Feux de l’amour, et dès le lendemain de son départ du feuilleton la rencontre avec Brandon Tartikoff, exécutif de NBC, qui lui proposa une audition pour le rôle de Michael Knight. Autre constante des déclarations du comédien à la presse : l’énergie d’y croire, la capacité de se donner à fond pour un projet, qualité qui sera de nouveau mise en avant lors d’Alerte à Malibu, qu’il remettra sur les rails après l’annulation par NBC pour en faire le hit que l’on sait en syndication. Insolente veine de la jeunesse conquérante !