1. LE TRIOMPHE DE LA SERIE DES STUDIOS DISNEY

 

par Brigitte Maroillat

publié dans Arrêt sur Séries n° 19 (décembre 2004)

 

préambule - épisode 1 - épisode 2 - épisode 3

 

« Un cavalier qui surgit hors de la nuit, court vers l’aventure au galop. Son nom, il le signe à la point de l’épée, d’un Z qui veut dire Zorro. Zorro, Zorro, renard rusé qui fait sa loi, Zorro, Zorro, vainqueur tu l’es à chaque fois. » Qui n’a pas fredonné les paroles de la chanson du générique de la série pendant les récréations ou les mercredis de détente où l’on recréait, le temps d’un après-midi entre copains et copines, les aventures du cavalier masqué ?

 

Ces souvenirs liés à l’enfance que laisse la série dans la mémoire des téléspectateurs, toutes générations confondues, s’expliquent d’abord par la dimension cinématographique de cette œuvre, tant dans sa forme que dans son traitement, faisant d’elle, à l’écran, une série très « visuelle » au point que l’on pourrait aisément couper le son sans que la compréhension globale de l’histoire en soit affectée. Les mimiques et la gestuelle comique de Bernardo, les courses poursuites filmées en accéléré, les duels et les bons tours que ce diable de Zorro joue à ses adversaires, sans oublier les pitreries, bien involontaires, de ce gros balourd de Garcia, le tout accompagné de thèmes musicaux inoubliables et enrobé d’un superbe écrin noir et blanc, sont à eux seuls un régal constituant un mélange étonnant, mais nullement incongru, entre le cinéma bondissant de Douglas Fairbanks et le burlesque débridé de Buster Keaton. On l’aura compris, à la lumière des exemples cités, ce sont également les personnages qui ont contribué à la popularité du show : hauts en couleur, ils sont d’autant plus mémorables que la série joue à merveille sur leurs particularismes et leurs différences pour créer des contrastes saisissants.

 

Tous ces éléments qui ont fait de la série une œuvre mythique n’auraient jamais pu voir le jour sans un concours de circonstances étonnant. En 1950, Johnston McCulley cède les droits d’exploitation de Zorro à Mitchell Gertz, un célèbre agent hollywoodien qui rêve, depuis de nombreuses années, de faire de Zorro un héros de série pour laquelle il se met, une fois les droits achetés, en quête de financement. Au même moment, Walt Disney, après avoir revu le film de Mamoulian, se met en tête de faire du vengeur masqué le personnage de la prochaine production télévisuelle de sa firme dont les bénéfices seraient destinés à financer Frontierland, son nouveau parc à thèmes consacré aux aventuriers et dont Zorro pourrait devenir une des figures centrales (ce qu’il deviendra effectivement, les acteurs y seront d’ailleurs, à plusieurs reprises, invités pour des exhibitions publiques).

 

Disney charge alors l’une de ses sociétés de production, la WED Enterprises, d’acheter une licence d’exploitation à Mitchell Gertz et de planifier la production de la future série qui serait diffusée par ABC, chaîne nationale pour laquelle la firme Disney produit des programmes. Walt Disney est assez réservé sur le nouveau média qu’est la télévision mais il sait, en homme d’affaires avisé, qu’il ne peut pas ignorer le marché considérable que représentent les téléspectateurs. Les termes du  contrat de partenariat qui lie le network et le roi du film d’animation sont simples : Disney s’engage à offrir chaque année un panel de nouveaux projets à ABC, en échange celle-ci participe, en diffusant ces programmes, au financement de Frontierland. En 1953, Disney glisse Zorro parmi les productions proposées à la chaîne pour la saison 54-55 mais cette dernière lui préfère un autre programme : Disneyland Anthology Series, un patchwork promotionnel pour le parc floridien et les nouveaux films d’animation des studios. Quand, en 1956, Disney a besoin de fonds pour poursuivre le développement de Frontierland, il propose de nouveau Zorro au network qui, cette fois, est convaincu du potentiel du héros masqué. Un mythe télévisuel va alors naître…

 

 

La production d’un mythe télévisuel

 

 

Walt Disney, comme nous l’avons dit, se méfie terriblement de la télévision qu’il analyse comme un diminutif bon marché du cinéma. Dès lors, il a une idée bien précise sur la façon dont il compte modeler sa série qu’il veut plus cinématographique que télévisuelle. C’est la raison pour laquelle il engage d’abord Norman Foster, pour réaliser le show, et Fred Cavens, pour superviser les duels à l’épée. Le premier n’est pas un nouveau venu chez Disney dans la mesure où, après une carrière de comédien dans les année 30 dans de gentillettes comédies dramatiques sentimentales telles que Men Call It Love d’Edgar Selwyn, il a été l’un des assistants de Richard Fleischer sur le tournage d’un des chefs-d’œuvre produits par le studio pour le cinéma : 20000 lieues sous les mers, expérience qui fait de lui le candidat idéal pour devenir le réalisateur attitré de Zorro, comme il le sera pour deux autres productions destinées à la télé : Davy Crockett et Tonka. Quant au second, champion d’escrime d’origine belge, maître d’armes jouissant d’une prestigieuse réputation, il a quitté son pays natal pour les Etats-Unis, dans les années 20, pour rejoindre son maître Henry Uyttenhove au Los Angeles Athletic Club où il rencontre Douglas Fairbanks qui fait de lui son professeur personnel et l’introduit dans le milieu du cinéma. Il devient alors le coordinateur vedette des scènes d’action de tous les grands films de cape et d’épée hollywoodiens : du Fils de Zorro à Scaramouche en passant par Le Signe de Zorro. Il est, dès lors, tout indiqué pour coacher les futurs interprètes de la série et donner à leurs confrontations physiques l’esthétique des meilleures productions hollywoodiennes.

 

Côté interprétation, Walt Disney tient à engager des acteurs peu connus dans la mesure où, ceux-ci étant appelés à devenir les visages symboles de l’image Disney à la télévision, il ne faut pas que l’on puisse les identifier à d’autres rôles qu’ils auraient pu tenir dans le passé. C’est évidemment le choix de celui qui aura l’honneur de porter le masque du justicier qui donne lieu à de vives discussions : outre les acteurs qui s’étaient spontanément portés candidats au rôle tels que Dennis Weaver ou David Janssen, le réalisateur Norman Foster et le maître d’armes Fred Cavens ont eux aussi leur petite idée sur l’interprète idéal de Zorro.

 

 

Ainsi le premier recommande à Walt Disney un de ses amis, jeune acteur talentueux et bon escrimeur, Guy Williams, tandis que le second présente un ancien champion d’escrime amateur qui, devenu professionnel, double à l’écran toutes les grandes stars hollywoodiennes : Britt Lomond. Cavens, qui a réglé les duels du film Scaramouche, a été vivement impressionné par la performance de Lomond qui a doublé, avec une rare virtuosité, le méchant Mel Ferrer dans l’impressionnant duel final l’opposant à Stewart Granger dans un théâtre. Pour le maître d’armes, il ne fait dès lors aucun doute que Lomond a à la fois le physique et le talent d’escrimeur requis par le rôle de Zorro. Disney partage d’ailleurs cet avis, préférant nettement Britt Lomond à Guy Williams en raison de sa solide expérience des grosses productions hollywoodiennes. Mais c’est sans compter sur la pugnacité de Foster qui lui fait précisément remarquer que, grâce à son expérience, Lomond ferait un bien meilleur méchant. Deux screen tests organisés par le réalisateur avec changements de costumes - les deux prétendants au rôle portant chacun à son tour le masque du justicier - finissent par vaincre les dernières réserves de Disney : c’est donc Guy Williams qui aura l’honneur de revêtir le costume de Zorro et de chevaucher le superbe étalon noir Tornado, « joué » à l’écran par Diamond Decorator, un ancien champion hippique hongre de sept ans, tandis que Lomond incarnera le machiavélique mais néanmoins flamboyant Capitaine Monastario.

 

Quant aux autres personnages, Disney a une idée précise des qualités requises des futurs interprètes pour tenir leurs rôles à l’écran : de la gaucherie, de l’embonpoint et un talent de chanteur pour le Sergent Garcia ; de l’expressivité, de l’ingéniosité saupoudrée d’un brin d’espièglerie pour Bernardo, le fidèle serviteur muet de Don Diego ; de la distinction, de la noblesse et du charisme pour Don Alejandro De la Vega, le père du héros. Autant de qualités qu’il a trouvées respectivement chez Henry Calvin, acteur comique de Broadway à la voix de baryton basse, Gene Sheldon, acteur de cabaret, mime reconnu et fils d’un prestidigitateur réputé, et George J. Lewis dont Disney tenait particulièrement à la participation au show dans la mesure où celui-ci avait lui même jadis secondé Zorro dans le serial Ghost of Zorro, ce qui permettait, en attribuant à l’acteur le rôle du père de Zorro, d’instaurer une continuité, un passage de relais symbolique entre Lewis et Williams.

 

Le cast étant arrêté, la construction des décors permanents de la série, à savoir la place de Pueblo La Reina et ses bâtiments ainsi que le quartier général de Monastario et de ses troupes, commencent en juin 1955, pour s’achever à la fin d’août, afin que le tournage puisse démarrer en septembre. Ce décor qui coûta, in fine, 280 000 dollars fut le premier décor permanent du studio Disney, qui existe encore aujourd’hui, ses éléments ayant été transférés au Parc d’attraction Frontierland où se produisent régulièrement des comédiens qui font revivre, à travers des exhibitions spectaculaires, les aventures de Zorro devant des visiteurs venant du monde entier.

 

 

Parallèlement sont enregistrées la musique du show ainsi que la chanson du générique qui deviendra le thème le plus célèbre de la télévision. Cette chanson, interprétée par le quartet composé de Thurl Ravenscroft, Bill Lee, Bob Stevens et Max Smith, et qui eut l’honneur de rester six semaines à la première place des charts, a été écrite par Norman Foster himself, pour les paroles, et George Bruns, pour la musique. Par la suite, d’autres versions ont été réalisées, notamment celle de Henry Calvin, l’interprète du Sergent Garcia à la belle voix de baryton basse, et du groupe The Chordettes qui occupa, en 1958, la vingtième place des meilleures ventes de 45 tours. De plus, est composé un certain nombre de chansons, notamment des sérénades pour le personnage de Don Diego : n’ayant aucun don de chanteur, Guy Williams est doublé à l’écran par Bill Lee, l’un des membres du quartet interprétant la chanson du générique. En revanche, il suit des cours de guitare avec Vicente Gomez, un spécialiste du flamenco qui lui apprend à se servir de cet instrument de manière suffisamment crédible pour pouvoir jouer à l’écran sans avoir besoin, cette fois, d’être doublé. Williams, qui n’est pas un élève très doué musicalement, s’en sort cependant avec les honneurs.

 

En outre, chaque personnage se voit attribuer un thème musical composé par William Lava qui se veut représentatif de son caractère et de sa personnalité, tout comme dans les films de Charles Chaplin, l’acteur ayant écrit lui-même la musique de ses œuvres sous forme de multiples partitions, chacune d’entre elles destinée à illustrer un protagoniste de ses histoires. Cet aspect, parmi d’autres, comme nous le verrons, montre parfaitement à quel point Disney tenait a ce que sa série ait une résonance cinématographique en faisant d’elle un hommage aux grands classiques muets dont il était un grand nostalgique.

 

Ainsi donc, chaque entrée d’un personnage de Zorro dans l’action est accompagnée d’un thème caractéristique : un petit air de flûte entraînant et sautillant pour Bernardo, illustrant la débrouillardise et l’espièglerie du serviteur de Don Diego ; un air de trombone joué sur un rythme pesant pour Garcia, soulignant la gaucherie et la lourdeur de celui-ci ; un air triomphant de trompette de cavalerie pour le Capitaine Monastario, mettant en lumière toute la suffisance et l’autosatisfaction du personnage. Le thème de la série, joué au violon, symbolise quant à lui la noblesse de cœur de notre héros Diego / Zorro. Le même thème joué par le même violon, mais sur un rythme plus lent lui conférant un accent de tristesse et de nostalgie, illustre le père de notre héros, Don Alejandro, lui aussi personnage noble et digne mais accablé de voir son fils se comporter en lâche. L’emploi pour les De la Vega du même thème, mais interprété sur un tempo différent, est des plus pertinents pour nous rappeler qu’au-delà de leurs différences, le père et le fils sont faits du même bois et portent en eux les mêmes valeurs même s’ils ont opté pour des stratégies divergentes : l’attaque directe pour Alejandro, toujours prompt à affronter face à face Monastario, et la ruse du Renard pour Diego qui, en la jouant masqué, tourmente et ridiculise le tyran et le décrédibilise aux yeux du peuple.

 

 

Le tournage commence donc en septembre 1955 mais les méthodes employées par le réalisateur, consistant à filmer quatre épisodes en même temps, désarçonnent quelque peu les acteurs et notamment Guy Williams, lequel déclarait à l’époque : « De temps à autre, c’est un peu confus, non pour se rappeler le texte d’une scène mais pour se souvenir du contexte qui l’introduit. J’ai parfois des blancs et je dois alors revenir en arrière pour relire les scènes que nous avons déjà tournées. »

 

Entre le tournage de deux scènes, l’acteur et le reste du cast concerné par les duels à l’épée s’entraînent intensivement à croiser le fer avec Fred Cavens qui règle avec dextérité toutes les scènes d’action. Chacun des comédiens répète tous les gestes techniques avec le prestigieux maître d’armes avant de s’affronter, d’abord au cours de longues répétitions (il n’était pas rare que Guy Williams et Britt Lomond écourtent leur pause déjeuner pour ferrailler) puis devant les caméras.

 

De l’aveu des acteurs, et notamment de Britt Lomond dans son livre de mémoires Chasing After Zorro, le plus difficile à réaliser en termes de duel était incontestablement les scènes épiques des épisodes « Zorro se rend à la mission » et « La chevauchée de la terreur » où Zorro et l’infâme commandant s’affrontent, dans le premier au fouet, et dans le second à la lance, séquences d’autant plus épineuses qu’aucun des deux acteurs, qui n’avaient jamais manié ce type d’arme, n’était doublé, ce qui n’était cependant pas le cas pour les scènes particulièrement dangereuses comme les chevauchées effrénées et les chutes à cheval ou les acrobaties de Zorro sautant de toit en toit.

 

 

Williams et Lomond sont d’ailleurs, in fine, tellement bien rodés à ce genre de duels spectaculaires qu’ils sont souvent invités à se produire, avec le reste du cast, devant les visiteurs de Disneyland et plus précisément de Frontierland, le parc consacré aux aventuriers. Cinq shows en live sont ainsi  montés, entre avril et décembre 1958, dont le plus mémorable est incontestablement celui qui se déroula du 30 mai au 1er juin, dans lequel Monastario poursuit Zorro du sommet des toits de Frontierland au ponton surplombant une rivière houleuse, le tout sous le regard ébahi des spectateurs. Ceux qui ont eu la chance d’assister à ce type d’exhibitions dans les parcs Disney savent qu’en général ces scènes d’action en live étaient des plus réussies.

 

A l’instar des serials, les deux saisons de la série sont construites sur le mode du feuilleton, chacun des cycles (deux pour la première année, huit pour la deuxième) qui les composent comportant divers épisodes qui, par les thèmes et les personnages qu’ils introduisent, instaurent une continuité dans la narration. Les cycles eux-mêmes, dans une même saison, sont liés entre eux, même si cela ne saute pas d’emblée aux yeux, dans la mesure où le personnage de Diego / Zorro mûrit et que ses relations avec son père évoluent progressivement tout au long de la série. Celle-ci doit donc se suivre dans un ordre chronologique, saison après saison, cycle après cycle, si l’on veut saisir toutes les facettes du justicier masqué.

 

La première saison est incontestablement la meilleure, le cycle Monastario et le cycle de l’Aigle constituant les sommets de la série par leur construction cinématographique et leurs personnages marquants (un commandant tyrannique mais flamboyant pour le premier cycle et un ennemi invisible signant ses crimes d’une plume d’aigle dans le deuxième cycle). La deuxième année est moins passionnante dans la mesure où la multitude de cycles qui la compose, à l’inégale qualité et aux personnages pas toujours dignes des aventures de Zorro (Ricardo Del Amo et Andres Felipe Basilio sont de pitoyables bouffons), cassent la cohérence de l’ensemble. En outre, l’introduction d’une pléiade de personnage féminins, plus potiches qu’héroïnes, ramollit les histoires et fait passer les scènes d’action au second plan, ce qui modifie sensiblement les valeurs fondatrices de la série.

 

Dans l'épisode 2 : 

Une première saison de légende

 

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