3. UNE DEUXIEME SAISON CONTRASTEE
par Brigitte Maroillat
publié dans Arrêt sur Séries n° 19 (décembre 2004)
préambule - épisode 1 - épisode 2 - épisode 3
Moins de galopades, plus de roucoulades. Ainsi pourrait-on résumer cette deuxième saison, son caractère empreint d’un fort romantisme reléguant au second plan les scènes d’action qui ont fait la légende de Zorro aux plus belles heures de la première saison. L’introduction d’une pléiade de personnages féminins tendait à répondre à la même critique que l’on faisait jadis aux films de Fairbanks, à savoir un trop plein de duels et d’affrontements physiques susceptibles de ne séduire que les téléspectateurs mâles. Un reproche auquel les Studios Disney n’ont, cependant, pas répliqué avec le même brio que le légendaire acteur du muet : là où ce dernier a eu la brillante idée d’introduire dans l’histoire un seul et unique personnage féminin au caractère audacieux et fort, le Zorro de Disney a multiplié les gentes demoiselles sans donner à aucune d’entre elles une personnalité suffisamment marquée pour la rendre intéressante.
Composée de pas moins de huit cycles et quelques histoires individuelles, cette deuxième saison est d’inégale qualité, comme si, après le triomphe de la brillante première saison, la série avait du mal à se renouveler. Il ne faut cependant pas se méprendre sur la sévérité de cette remarque : de cette deuxième saison se dégagent de très bonnes choses telles que l’évolution des relations entre Diego et son père, lequel, dans une séquence mémorable de l’épisode « Une amnistie pour Zorro », dévoile à son fils qu’il a découvert son identité secrète. En outre, Diego est désormais bien plus présent dans l’action que son double Zorro, comme s’il voulait s’affranchir de son identité secrète pour être lui-même. Cette mutation personnelle a nécessairement des répercussions sur notre justicier masqué, chevauchant désormais un destrier blanc, qui n’intervient plus qu’à la fin de l’épisode pour conduire l’histoire à son dénouement, un dénouement souvent fleur bleue dans la mesure où notre héros est désormais de plus en plus sensible au charme féminin des conquêtes de son alter ego Diego et notamment à celui d’Anna Maria Verdugo.
Une saison résolument fleur bleue
Cette deuxième saison est agréable à regarder mais elle peut désarçonner les fans de la première heure tant le ton est indéniablement plus léger, recourant souvent au vaudeville où les chassés-croisés amoureux, agrémentés de sérénades à la guitare, sont légion. Les cycles les plus représentatifs de cette évolution sont incontestablement ceux consacrés, d’une part, à Ricardo Del Amo et, d’autre part, à Estevan De la Cruz. Dans le premier, Diego tombe amoureux d’Anna Maria Verdugo, une amie d’enfance, mais il a fort à faire avec son principal rival qui est également un ami de longue date : Ricardo Del Amo, un farceur invétéré dont les blagues de potache provoquent souvent des catastrophes en chaîne. Dans le second, l’oncle de Diego, Estevan de la Cruz, une sympathique crapule, mi-escroc mi-pique-assiette, débarque chez les De la Vega et va, par ses frasques tant amoureuses que délictueuses, bouleverser le quotidien de cette bonne petite ville de Los Angeles. Dans ces deux cycles, Zorro se voit assigner un rôle nouveau très éloigné de sa mission habituelle de défenseur des opprimés : ici il joue à la fois les chaperons chargés d’empêcher les deux joyeux drilles que sont Ricardo et Estevan de se commettre dans des plans abracadabrantesques aux conséquences désastreuses, et les entremetteurs intervenant dans les histoires de cœur de ces deux-là pour le bien de tous mais surtout celui de Diego.
Les courses poursuites à cheval, les duels d’anthologie à l’épée et les ennemis charismatiques aux plans machiavéliques semblent ne plus être que de lointains souvenirs balayés par le souffle, moins épique celui-là, de l’amour. Les gentes demoiselles se succèdent au bras de Diego (Anna Maria Verdugo, Anita Cabrillo, Margarita Castillano, Moneta Esperon, Leonora la fille du gouverneur), mais aucune d’entre elles n’a suffisamment de présence pour être un personnage vraiment marquant.
La mise au second plan des scènes d’action a pour effet de bouleverser la physionomie des épisodes, lesquels se déroulent essentiellement le jour et non, comme jadis, la nuit, terrain de prédilection des exploits de Zorro. Mais comme le Renard apparaît moins, le visuel ombre / lumière, qui caractérisait la série, se fait plus rare. Diego se retrouve, de ce fait, beaucoup plus présent que son double sur le devant de la scène en enquêtant en pleine journée aux côtés de Don Alejandro, comme si désormais il voulait assumer ses responsabilités sans devoir toujours se dissimuler derrière le masque de Zorro. Cette attitude est la résultante d’une maturation du personnage qui se sent plus fort en tant que Diego, et notamment parce qu’il a désormais le soutien de son père. Cette évolution est sans doute l’aspect le plus intéressant de cette seconde saison, les personnages, et pas seulement ceux de Diego et d’Alejandro, ayant profité de cette mise au second plan de l’action pour se voir considérablement étoffés.
Une évolution marquée des personnages
Le fait majeur de cette deuxième saison, s’agissant des personnages, est incontestablement la découverte par Alejandro de la double identité de son fils, une découverte d’autant plus saisissante qu’à aucun moment le téléspectateur ne peut se douter que Don Alejandro a deviné depuis un moment le secret de Diego.
Ce coup de théâtre nous est, en outre, asséné en l’espace d’une seule scène d’anthologie dans l’excellent épisode « Une amnistie pour Zorro » (même si paradoxalement ce dernier prend place dans l’un des cycles les plus folkloriques de cette deuxième saison, celui consacré à Ricardo Del Amo). Dans cet épisode, le gouverneur promet d’amnistier tous les actes de Zorro si celui-ci se rend à midi sur la grand-place de Los Angeles et dévoile sa vraie identité. Ecartelé entre son amour pour Anna Maria, à qui il veut offrir une vie normale, et son devoir de justicier du peuple, Diego décide, après une longue et douloureuse réflexion, de révéler son identité. C’est alors qu’un homme tout de noir vêtu comme Zorro, et dont le visage est soigneusement caché sous une cagoule, attaque Diego dans une écurie où il a déjà piégé le fidèle Bernardo qu’il a soigneusement ficelé. Après un affrontement physique épique avec le vaillant inconnu, Diego parvient à lui arracher son masque et découvre…son père ! Celui-ci lui avoue que depuis quelque temps il avait deviné ses activités secrètes et le but de ce « traquenard » était de l’empêcher de dévoiler son identité sur la place publique. Cette scène très forte émotionnellement marque le rapprochement des deux hommes et restitue par là même à Don Alejandro la légitime fierté qu’un père éprouve pour son fils. Il est des plus réjouissant de les voir désormais complices et unis dans le combat que Zorro mène contre ses ennemis, situation qui fait de Don Alejandro, en lieu et place de Bernardo, le confident privilégié de Diego à qui il prodigue ses sages conseils.
D’autres personnages ont également profité de la nouvelle donne imposée par cette deuxième saison : c’est le cas du sergent Garcia qui, en l’absence de véritable méchant, devient la co-star de la série, un bon nombre d’épisodes étant construits autour de lui à l’image du cycle consacré à la lutte de Zorro contre l’envoyé du gouverneur Andres Felipe Basilio. Moteur de l’action, le Sergent, en multipliant les gaffes avec une naïveté quasi enfantine (« Le sergent est un grand enfant », dit Diego à l’infâme Basilio qui l’a privé de ses cadeaux d’anniversaire), s’affirme (avec Bernardo) comme le personnage le plus attachant de la série.
Bernardo, justement, n’est pas en reste et apparaît de moins en moins comme le confident de Diego, rôle dans lequel il a été supplanté par Don Alejandro, mais de plus en plus comme l’ange gardien de son jeune maître dont il sauve la vie à plusieurs reprises, notamment durant sa lutte contre les Rebatos. Il retient également Diego quand ce dernier est pris d’une irrésistible envie d’en découdre au grand jour avec Basilio et son âme damnée le Capitaine Mendoza dans « Démasquez le tyran ». C’est toujours, en outre, un vrai régal de voir Bernardo, avec ses mimiques inimitables, s’agiter dans tous les sens pour expliquer une situation à un Don Diego déconcerté devant une telle gestuelle, difficilement décodable : « Doucement, doucement, comme d’habitude tu « parles » trop vite », lui dit-il dans « Un trésor pour le roi », oubliant que son fidèle serviteur est privé de la parole, ce que le téléspectateur oublie également, Bernardo étant tellement expressif avec ce visage rempli d’espièglerie qu’il n’a nul besoin de mots pour se faire comprendre. Soulignons, une fois de plus, le talent de Gene Sheldon, dont le jeu est inoubliable.
La grande force de cette deuxième saison n’est pas tant dans les histoires que dans les personnages qui les composent. A cet égard, outre les protagonistes réguliers, elle offre, bien plus que la première saison qui, elle, brillait plutôt par ses intrigues, une galerie de personnages épisodiques marquants mais pas toujours du meilleur goût. On peut ainsi citer Ricardo Del Amo, le farceur invétéré aux blagues de potache aussi idiotes que désastreuses ; Joe Crane, l’aventurier intrépide ; Anita Cabrillo à la recherche de son père et qui va jeter le trouble dans la vie familiale des De la Vega ; le gouverneur caractériel et capricieux de Californie dans le cycle consacré aux Rebatos, qui redevient doux comme un agneau et s’endort comme un enfant quand il entend la douce mélodie d’une boîte à musique ; Estevan De La Cruz, l’oncle maternel de Diego, sympathique canaille et séducteur impénitent qui préfère nettement se laisser aller à de menues escroqueries et à courir les dots de jeunes femmes riches que de gagner sa vie en travaillant honnêtement, ce qui certes serait pour lui épuisant et un tantinet dégradant, comme il le fait comprendre à mots couverts à Alejandro qui désire lui donner des terres pour qu’il devienne un fermier respectable.
En revanche, les méchants de cette deuxième saison manquent un peu de vigueur et n’ont à cet égard ni le charisme ni l’habileté à l’épée de Monastario. On retiendra cependant l’excellent cycle (le meilleur selon moi) consacré à la lutte de Zorro contre les Rebatos, un groupe de révolutionnaires particulièrement redouta-bles qui tentent par tous les moyens d’assassiner le gouverneur, seuls ennemis véritablement dignes d’intérêt, les autres n’étant que de pitoyables bouffons à l’image d’Andres Felipe Basilio, adepte du pilori qui passe son temps à persécuter le pauvre Sergent Garcia. Basilio est cependant l’un des seuls méchants de la série à découvrir que Diego est Zorro, après avoir arraché le masque du jeune homme qu’il a assommé, de surcroît, dans le passage secret dont il a trouvé l’une des entrées. Seulement le destin (« la main de Dieu » selon Don Alejandro) ne lui donnera pas l’occasion de divulguer cette découverte qu’il emportera, in fine, avec lui dans la tombe. Rappelons que le même stratagème fut utilisé dans le deuxième cycle de la première saison avec le personnage de Juan Ortega, complice de l’Aigle.
A l’issue de la diffusion de cette deuxième saison, un différend d’ordre juridique sur les droits d’exploitation de Zorro éclate entre les Studios Disney et ABC, chacun s’en déclarant propriétaire. Dans l’attente d’une issue amiable à leur litige, Walt Disney décide de retirer de l’antenne la série tout en préparant en secret un projet de téléfilms destiné à ressusciter le personnage dans un format plus adéquat pour développer des intrigues plus complexes, Disney ayant été moyennement satisfait de la qualité des histoires de la deuxième saison. Aucun compromis n’est finalement trouvé mais le network accepte cependant de diffuser les quatre téléfilms tournés avant de résilier, d’un commun accord, le contrat qui le lie aux studios Disney. Parmi ces quatre téléfilms diffusés du 30 octobre 1960 au 2 avril 1961 sur ABC (et seulement en 1998 en France sur Disney Channel), on retiendra surtout le dernier, « Une vieille connaissance », mettant Diego aux prises avec un ennemi du passé, connu en Espagne quand il y faisait ses études. Cette histoire, qui permet d’en savoir un peu plus sur la jeunesse de notre héros à Madrid, rend un bel hommage au film de Fairbanks Le fils de Zorro qui se déroulait également en Espagne, tout comme le film de Mamoulian qui s’ouvrait, rappelons-nous, sur les exploits du jeune De la Vega dans l’académie militaire où il est étudiant à Madrid. La boucle est donc bouclée et de bien belle manière.
L’après Zorro des studios Disney
Walt Disney a toujours regretté que Zorro ait été annulé pour un simple différend juridique avec ABC. C’est la raison pour laquelle il ne renoncera jamais à ressusciter le personnage, espérant que Guy Williams consente à sortir, un jour, de sa retraite argentine pour revenir devant les caméras.
Dans l’attente, les studios relancent le personnage de Zorro en créant un nouveau héros de bande dessinée pour le Journal de Mickey : Little Zorro, un petit garçon brimé par ses camarades de classe qui s’affirme en revêtant le costume du célèbre Renard pour redresser, avec humour et espièglerie, ce qu’il estime être des injustices.
En 1982, Disney met en chantier une version comique de la série culte, Zorro and Son. A cette occasion, les studios font savoir à grand renfort de publicité leur désir de voir Guy Williams reprendre le masque du Renard. Sortant de sa réserve, l’acteur se déclare, contre toute attente, favorable à un tel projet mais après avoir lu les scripts (qu’il juge épouvantables) il se ravise. Zorro and Son voit cependant le jour, mais, sans la participation du comédien qui a fait la légende du personnage à la télévision, la série ne connaît pas la même popularité que son aînée. C’est la fin de l’histoire du justicier masqué pour les Studios Disney mais le Renard n’est pas mort pour autant : il continue, par ailleurs, ses aventures sous d’autres cieux que ceux du monde merveilleux de l’oncle Walt.