2. UNE PREMIERE SAISON DE LEGENDE

 

par Brigitte Maroillat

publié dans Arrêt sur Séries n° 19 (décembre 2004)

 

préambule - épisode 1 - épisode 2 - épisode 3

 

Nul n’a oublié les trente-neuf épisodes de cette première saison qui, par leur rythme rapide, leurs personnages hauts en couleur, leur facture et leur atmosphère cinématographiques, sont les plus représentatifs de la qualité de la série. Le pilote en est d’ailleurs un bel exemple, cet épisode introductif concentrant en lui tous les ingrédients du cinéma que Disney aimait : de la flamboyante scène d’ouverture sur le galion espagnol ramenant Diego en Californie à la course-poursuite finale qui deviendra un rituel, chaque séquence se veut, en effet, un hommage aux films épiques d’aventures des années 40 tels que Capitaine Blood avec Errol Flynn (dont les canons ont préalablement été fixés par les œuvres bondissantes de Fairbanks) et au burlesque débridé inventé par Keaton et auquel Chaplin a donné ses lettres de noblesse.

 

Sur le bateau le ramenant d’Espagne où il a accompli ses études, Don Diego de la Vega, après une séance matinale d’escrime sur le pont avec le capitaine du navire, relit dans sa cabine, en compagnie de Bernardo son serviteur muet, la lettre que lui a adressée son père : ce dernier lui demande expressément de revenir en Californie où le capitaine de garnison, nommé il y a un an à Los angeles par le Vice-Roi, tyrannise la population et emprisonne tous ceux qui osent se dresser contre sa brutale autorité. L’ingénieux Bernardo suggère alors à son jeune maître, en mimant d’une façon irrésistible l’attitude d’un homme de lettres toujours le nez dans les livres, de se faire passer pour un inoffensif jeune noble plus intéressé par la poésie et la musique que par les luttes de pouvoir. Une couverture parfaite pour celui qui décide désormais, la nuit venue, de revêtir le costume noir de Zorro, le Renard en Espagnol, pour défendre les opprimés et saper l’autorité du vil commandant qu’il s’emploiera à ridiculiser. Renonçant dès lors à ses trophées d’escrime qu’il jette sans remords par dessus bord, Don Diego accepte par là même d’apparaître comme un lâche aux yeux de tous et notamment aux yeux de son père, lequel, en l’appelant à la rescousse, attend de lui qu’il soit au contraire un héros et non un couard. Héros, il le sera mais sous l’anonymat du masque du justicier efficacement secondé par le fidèle Bernardo, qui désormais jouera les sourds aux faux airs d’imbécile, personnage haut en couleur rappelant Stan Laurel, autre référence au cinéma classique.

 

 

 

Une saison purement cinématographique

 

 

C’est à juste titre que Martin Winckler qualifiait Zorro de « personnage par essence cinématographique » (« Zorro : généalogie d’un héros » in Générations Séries n°31) dans la mesure où, avant que Doug Fairbanks ne le découvre et n’en fasse un héros sur grand écran, le justicier n’était connu que des lecteurs des pulp magazines. Zorro a donc acquis sa popularité au cinéma, dimension qui se retrouve incontestablement dans la série et qui confère à celle-ci une indéniable classe lui assurant une longévité qui n’est, à ce jour, toujours pas démentie.

 

Les histoires de cette première saison, narrées sur deux cycles, sont dignes du grand écran : menées à un rythme trépidant, les intriques montrant Zorro, d’une part combattre la tyrannie du redoutable mais fascinant Monastario et d’autre part déjouer le complot fomenté par l’Aigle, un ennemi d’autant plus redoutable qu’il est invisible, sont restées dans toutes les mémoires comme les plus efficaces et les plus réussies de toute la série. Outre leur traitement que nous abordons ci-après, ces aventures sont servies par des dialogues particulièrement réussis car très concis et ciselés à l’image de l’écriture cinématographique hollywoodien-ne de l’âge d’or. Les répliques entre les personnages fusent et font mouche, notamment dans les confrontations entre Diego et Monastario, relations teintées de défiance et d’ironie, qui donnent lieu à des duels verbaux des plus réjouissants, comme dans cette scène de « Zorro se rend à la mission » se déroulant dans le monastère de San Luis Rey où Diego joue de l’orgue d’un air détaché pour retenir le Commandant qui, lui, n’en peut plus de cette musique et des préoccupations purement artistiques, et à ses yeux sans intérêt, de notre héros.

 

Le traitement est incontestablement emprunté au cinéma d’aventures classique dont la série utilise tous les ressorts visuels : montage vif, courses poursuites à cheval filmées en demi accéléré, duels épiques et bagarres spectaculaires paramétrées sur un même schéma répétitif mais ô combien efficace.

 

En outre, les clins d’œil aux films comiques muets sont légion à travers les scènes où le justicier masqué ridiculise les troupes de Monastario, des séquences tout droit sorties d’une œuvre de Buster Keaton ou de Charlie Chaplin à l’image de l’épisode « Zorro sauve un ami » où les scènes d’action sont des perles de burlesque, notamment celle où Zorro lance d’un toit, en éclatant de rire, des briques sur les soldats de Monastario et où les mêmes soldats grimpent sur des échelles que notre justicier masqué ne manque évidemment pas de faire basculer, provoquant ainsi la chute de ses poursuivants dans les abreuvoirs réservés aux chevaux.

 

De même, dans « L’idylle de Zorro », les scènes se déroulant en vase clos dans la maison des Torres rappellent étrangement les vaudevilles comiques du début du siècle où les personnages sortent par une porte et réapparaissent par une autre dans un décor limité, conférant ainsi à la série un aspect théâtral assez réjouissant (on retrouvera la même théâtralité dans « De gros ennuis pour Zorro » où le vrai et le faux Zorro entrent et sortent de scène en alternance). Toujours dans « L’idylle de Zorro », qui est décidément un modèle du genre, l’influence de Buster Keaton et de Charlie Chaplin est particulièrement palpable dans la séquence où Diego accapare l’attention de Monastario pendant que Bernardo, au premier étage, désirant assommer le vil Commandant, cherche avec fébrilité le pot de fleurs adéquat qu’il lui jettera sur la tête. De même sont irrésistibles, et bien dans la veine burlesque, les incursions de Garcia et de Diego dans la cave à vins de Don Nacho et la fin de l’épisode où Monastario, ayant soudainement l’idée que Diego pourrait être Zorro, se rend avec Garcia et Bernardo dans la même cave où il trouve notre héros ligoté et éclate de rire, provoquant l’hilarité de ses compagnons.

 

Au-delà du comique de situation, le burlesque est également présent à travers les personnages : tel par exemple ce duo de peones rigolards, Pancho et Pepe, dans « La mission secrète du Sergent Garcia », lesquels, en dépit de l’acharnement répétée de Monastario, continuent à afficher un humour et un optimisme à toute épreuve à la Charlot. Les mimiques et la gestuelle pantomimique de Bernardo renvoient également au jeu appuyé des acteurs comiques du cinéma muet qui devaient compenser l’absence sonore par une exagération dans le geste. A cet égard, l’impact visuel de la série est tel que l’on pourrait aisément se passer, comme dans les films du début du siècle, de la bande son.

 

 

Le Zorro de Disney reprend, en outre, les techniques d’éclairage initiées par Fairbanks et qui ont également influencé les films de cape et d’épée des années quarante. Les exploits du Renard se déroulant rarement en plein jour, c’est donc la nuit qui est le principal théâtre des évènements de la série et c’est précisément dans ces séquences nocturnes qu’est magnifié tout le savoir-faire artistique de la série. Jouant à merveille des clairs-obscurs, elle tire parti de tous les contrastes saisissants qu’offre le noir et blanc : les duels projetés en ombres chinoises sur les murs blancs des haciendas, les éclairs de lumière zébrant le ciel obscur d’une nuit d’orage, le sourire d’une blancheur éclatante du héros contrastant avec son costume noir dont les reflets satinés permettent de le suivre quand il se glisse dans de sombres décors, sont autant d’éléments qui marquent les esprits par leur force visuelle dont le noir et blanc est le vecteur essentiel, sublimant la nuit dans tout ce qu’elle a de plus inquiétant mais également de beau et de fascinant. Comme l’écrit très justement Martin Winckler : « Les couleurs de Zorro, ce sont les infinies nuances de noir et blanc du crépuscule et des songes éveillés » (Les grandes séries américaines des origines à 1970, Editions Huitième Art). Dès lors on ne peut que déplorer la colorisation de la série qui a fait disparaître toute une atmosphère, à la fois saisissante et inquiétante, que seul le noir et blanc pouvait créer à l’écran.

 

La série aime donc jouer sur le contraste entre l’ombre et la lumière qui, au-delà de la technicité des éclairages, s’exprime également avec une particulière acuité dans les relations de Zorro avec Monastario, celui-ci étant le double inversé du justicier masqué. Le commandant est de la même taille et de la même corpulence que le Renard et, tout comme lui, il est beau et suave mais ses desseins sont aussi vils que ceux de Zorro sont nobles. En outre, alors que traditionnellement le méchant est en noir tandis que le gentil est paré de blanc, ici la situation est renversée : le machiavélique commandant, qui arbore un uniforme à dominante blanche et monte un cheval blanc, aime se mettre en avant et être ainsi dans la lumière pour asseoir son pouvoir, alors que Zorro, tout de noir vêtu, chevauchant sa fidèle monture à la robe noire, Tornado, évolue la nuit pour rester dans l’ombre et s’assurer l’anonymat nécessaire à ses missions.

 

Ce jeu de miroir inversé entre ces deux protagonistes montre toute la richesse et l’épaisseur des personnages de la série qui, par leur forte personnalité et les relations à la fois subtiles et drôles qui se crééent entre eux au fil des épisodes, sont devenus pour plusieurs millions de téléspectateurs des héros inoubliables.

 

Des personnages inoubliables

 

 

« Il n’y a pas de bon film sans personnages marquants susceptibles de plaire à toutes les générations de spectateurs ». Telle est la philosophie que Disney exposait dans son livre A life for a dream et qu’il a toute sa vie appliquée à ses productions, qu’elles soient d’animation ou purement cinématographiques. Zorro n’a évidemment pas échappé à cette conception, l’oncle Walt estimant que sa série ne pourrait marquer les esprits que si, d’une part, comme nous l’avons vu, elle présentait les qualités d’une œuvre cinématographique et, d’autre part, elle était dotée de personnages auxquels il serait aisé de s’attacher.

 

Un pari parfaitement réussi si l’on en juge par le souvenir impérissable qu’ont laissé dans les mémoires les héros de Zorro, particulièrement dans les 39 premières aventures composant cette première saison. Don Diego de la Vega alias Zorro, le renard rusé ; Bernardo son serviteur muet jouant à la perfection un sourd aux airs d’imbécile ; le Sergent Garcia gros lourdaud sympathique aimant le bon vin et la bonne table ; Don Alejandro De la Vega digne représentant de la vieille aristocratie espagnole, dont la noblesse n’a d’égale que la bravoure ; et enfin le Commandant Monastario, mélange exquis de machiavélisme, de séduction et de perfidie, sont autant de figures marquantes qu’on ne se lasse jamais de revoir.

 

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« Si tu n’as pas la force du lion, emploie la ruse du renard » ; telle est désormais la devise de Don Diego de la Vega lorsque, revenant d’Espagne, il décide de revêtir le masque de Zorro la nuit venue tout en jouant, le jour, les intellectuels lettrés et inoffensifs. Le jeune homme, escrimeur émérite dont le courage et l’habileté ont été récompensés par de nombreux trophées, aura cependant bien du mal, au début, à jouer les passifs un tantinet couards et il faudra d’ailleurs, dans le pilote, que Bernardo le retienne pour l’empêcher d’intervenir alors que Monastario maltraite des peones.

 

Cette couverture d’apparente lâcheté, qu’il sait toutefois indispensable pour mener ses expéditions nocturnes sans éveiller les soupçons, contrarie Diego dans la mesure où cette situation l’oblige à mentir à son père qui, fortement désappointé par sa passivité, l’exhorte sans cesse à l’action, reproche que notre héros n’a pas d’autre choix que d’esquiver par des pirouettes verbales même si, tout au fond de lui, il déteste cette attitude d’évitement, ce qu’il confie d’ailleurs à Bernardo dans le pilote : « Je viens de faire quelque chose dont je ne suis pas très fier : j’ai fait croire à mon père que je n’étais qu’un froussard ». C’est cette incompréhension apparente entre père et fils qui fait précisément, dans cette première saison, toute la beauté et la complexité de leurs relations. Outre son identité secrète, le fils cache bien d’autres choses à son père, comme l’existence de Tornado, un étalon sauvage capturé par un vacher des De la Vega et que celui-ci a dressé en secret pour Diego. Il en est de même du fameux passage secret emprunté par notre héros pour sortir de la maison familiale en toute discrétion et dont les entrées, dissimulées derrière des panneaux, se trouvent dans la bibliothèque et dans la propre chambre de Diego : « Une réminiscence de mon enfance dont mon père ignore tout », dit-il à Bernardo dans le second épisode, précisément intitulé « Le passage secret ».

 

 

La richesse du personnage de Diego réside dans sa double personnalité (poète le jour et justicier la nuit) et c’est un vrai régal de le voir jongler entre ces deux rôles avec la complicité de Bernardo. En incarnant Zorro, Diego instaure un jeu de cache-cache permanent avec ses adversaires : en choisissant d’assumer ses responsabilités d’adulte sur le mode des jeux de l’enfance, il dédramatise l’écrasante mission qui est la sienne, qu’il peut ainsi assumer plus facilement en ne se prenant pas au sérieux. Dès lors il ne châtie pas ses ennemis, il ne les tue pas, il ne les blesse pas mais se contente de les ridiculiser pour les décrédibiliser aux yeux de leurs victimes et montrer à ces dernières que ceux qui les persécutent sont loin d’être invincibles et ne sont, en réalité, que des sots aveuglés par leur soif de pouvoir.

 

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Bernardo est l’indispensable complice de Diego et, par son ingéniosité et ses mimiques, le personnage le plus attachant de la série. Il vient souvent en aide à son jeune maître, soit en revêtant lui-même le masque du justicier pour écarter les soupçons qui pèsent sur Diego, soit en se faisant passer pour lui, par exemple en jouant de la guitare une bonne partie de la nuit, dans « Le fantôme du monastère », de façon à ce que Don Alejandro, chez qui vit Diego, ne remarque pas l’absence de celui-ci, même si l’effet obtenu n’est pas exactement celui escompté puisque le vieil homme, hautement agacé par ses gammes de guitare exécutées de surcroît maladroitement, tape avec insistance à la porte de son fils pour qu’il cesse de maltraiter ce pauvre instrument. Il faut alors voir l’hilarante expression de panique de Bernardo face à l’urgence de la situation (Diego n’étant toujours pas revenu de ses escapades nocturnes) : au lieu de s’arrêter de jouer, il gratte de plus belle les cordes de la guitare en tapant énergiquement du pied pour couvrir le rappel à l’ordre courroucé de Don Alejandro, lequel, de l’autre côté de la porte, croit que son fils est devenu fou ! Réjouissant !!

 

 

La gestuelle de ce personnage privé de la parole est impayable et doit incontestablement sa réussite au talent de mime de Gene Sheldon : il faut alors le voir dans « Zorro se rend à la mission » imiter, avec un air des plus comiques, Diego dans le rôle du jeune homme de lettres toujours le nez dans les livres ou jouant de la guitare. Mais c’est véritablement dans « De gros ennuis pour Zorro » que Bernardo est irrésistible en se livrant à un véritable festival de mimiques géniales. Il faut le voir assis dans l’herbe reniflant des fleurs d’un air imbécile pour accaparer l’attention du Sergent Garcia. De même, il est époustouflant dans la scène où, désirant faire comprendre à Diego que Monastario veut abattre Zorro, il mime toutes les façons possibles et imaginables de tuer quelqu’un (corde autour du cou, empoisonnement,…) sous les yeux ébahis de son maître qui essaie tant bien que mal de saisir ce que veut dire son serviteur pour finalement résumer les gestes agités de ce dernier en une phrase : « Bon, bon. Quelle que soit la méthode employée, il veut la peau de Zorro. » Un régal !

 

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« Si sa soif de purification égalait sa soif de vin, le Sergent Garcia serait canonisé depuis longtemps » : c’est de cette façon que le Padre Felipe définit à merveille le sergent Demetrio Lopez Garcia dans l’épisode « Zorro sauve un ami ». Gros mangeur et buveur, mal rasé et d’une propreté douteuse, Garcia cumule les maladresses, ce qui lui vaut d’être souvent qualifié de « babouin » par le Commandant Monastario. Mais ce sont précisément ses maladresses qui ont fait de lui l’un des personnages les plus appréciés de la série. La popularité de ce protagoniste est telle qu’elle a même inspiré à un groupe français de reggae latino son nom de scène : « Sergent Garcia », dont le chanteur Bruno Garcia expliquait encore récemment qu’il s’agit du surnom que lui donnaient ses camarades de classe en raison du personnage haut en couleur des aventures de Zorro.

 

 

Garcia est l’archétype du brave type qui est devenu soldat non par vocation, mais parce qu’il faut bien gagner sa vie alors même qu’il n’a ni le courage ni le physique de l’emploi. Couard, Garcia l’est incontestablement, une caractéristique dont Diego sait jouer à merveille pour effrayer le gros Sergent, notamment dans cette scène d’anthologie du « Fantôme de la mission » où notre héros le terrorise à l’envi avec une histoire de moine qui serait devenu fou sous l’effet des tortures infligées par des sauvages, et depuis, hanterait chaque nuit le monastère pour se venger. Mais si Diego s’amuse à taquiner le sergent, il n’en éprouve pas moins de l’amitié à son égard, amitié que l’intéressé lui rend bien : « Vous êtes un véritable ami, Don Diego. Pas étonnant que j’aie beaucoup d’estime pour vous », dit-il à notre héros dans « La chevauchée de la terreur », un sentiment qu’il semble également éprouver pour Zorro qu’il chasse par devoir mais dont, tout au fond de lui, il approuve les actions en faveur des petites gens auxquelles il s’identifie lui-même. Et puis il n’est certainement pas fâché que Zorro mette en échec son supérieur hiérarchique, ce vil commandant qui le persécute à longueur de journée et qu’il avoue détester cordialement au point de composer, l’alcool aidant, une petite chansonnette de son cru sur son compte en clamant haut et fort à ses compagnons d’armes : « Et maintenant chantons sur ceux qu’on n’aime pas ! »

 

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« Il est préférable de mourir comme un homme que de vivre comme un lâche » : telle est la devise de Don Alejandro de la Vega, qu’il ne cesse de rappeler à son fils dont l’apparente oisiveté de musicien et d’homme de lettres le blesse profondément, lui qui est le digne représentant de la vieille aristocratie espagnole pour laquelle l’honneur et le courage sont des valeurs essentielles (« Est-ce que tu ne pourrais pas faire au moins semblant de t’intéresser aux exploits de Zorro ? Il est vrai que de jouer de la guitare toute la journée est terriblement fatigant ! »). Ce sont d’ailleurs ces valeurs qui le poussent à prendre la tête du soulèvement des riches propriétaires terriens de la région dans « Monastario tend un piège », un soulèvement qui se finit tragiquement : la révolte ayant échoué, Don Alejandro en cavale ne doit son salut qu’à la protection de Zorro qui le sauve des griffes de Monastario. Le vieil homme est fasciné par le courage du justicier masqué dont il souhaiterait qu’il soit son fils : « Je souhaiterais retirer ce masque et y voir pour quelques instants le visage de mon fils Diego », dit-il à son sauveur tout en ignorant qu’il n’a jamais été aussi proche de la vérité dissimulée derrière ce fameux masque qui pourrait lui redonner la fierté bien légitime qu’un père rêve d’éprouver pour son fils.

 

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« Qui est ce démon sous ce masque ? » : c’est l’impression saisissante que Zorro laisse au Commandant Enrique Sanchez Monastario lors de leur première rencontre. Il est vrai que, jusqu’alors, le redoutable Commandant avait le champ libre pour commettre ses méfaits en toute impunité. Désormais il devra compter avec le señor Zorro pour lui compliquer la tâche.

 

Le Commandant est un homme imbu de sa personne, conscient de sa séduction qui fait d’ailleurs de lui un méchant atypique dans la mesure où, physiquement, il se confond parfaitement avec le héros masqué, ce qui valut, selon la légende de la série, à Britt Lomond d’avoir plus de courrier que Guy Williams, situation impensable qui provoqua son éviction du show. Pourtant, l’idée d’introduire un méchant ayant autant d’attraits physiques que le héros est en tout point géniale dans la mesure où elle instaure une frontière assez ténue entre les deux personnages, qui oblige les téléspectateurs à se demander sans cesse pourquoi l’un a basculé dans la bassesse alors que l’autre est resté un homme de principes et de valeurs. Cette ambivalence est des plus heureuses en ce qu’elle crée dans leurs rapports teintés de défiance réciproque une ambiguïté intéressante faîte de points communs (ils ont la même stature, ils semblent avoir le même âge, sont des escrimeurs émérites et sont attirés par les mêmes femmes) et de différences marquées (l’un est aussi machiavélique que l’autre est bon).

 

 

Machiavélique est en effet le qualificatif qui sied le mieux au Commandant, toujours prompt à mettre sur pied des plans perfides avec son âme damnée, le licenciado marron Piña, plans qui échouent lamentablement en raison de la maladresse congénitale de ses soldats (Garcia l’empoté en tête) dont Zorro n’a plus qu’à tirer parti pour mettre en échec les vils desseins de Monastario. Après le machiavélisme, l’hypocrisie est également une seconde nature chez le Commandant, hypocrisie confinant parfois au ridicule, tant il en fait trop pour se mettre en avant, comme dans l’épisode « La chute de Monastario » où son insistance déplacée auprès de la fille du gouverneur et ses paroles d’une affligeante médiocrité (« Je suis votre esclaaaaaave ! ») provoquent la méfiance et l’ironie de la jeune femme qui le considère comme un parfait idiot. Monastario est un personnage assez captivant car tout à la fois séduisant, athlétique, perfide, cynique et faux jeton, autant d’aspects qui ont fait de lui « le méchant bien-aimé » des téléspectateurs. On peut dès lors regretter que ce personnage ait été évincé de la série, d’autant plus qu’aucun des autres ennemis de Zorro n’a pu le remplacer avec panache hormis peut-être l’Aigle, adversaire invisible du deuxième cycle de cette première saison qui doit son intérêt à son caractère évanescent et insaisissable.

 

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C’est précisément avec le second cycle qu’apparaît un nouveau personnage permanent, le Caporal Reyes qui, tout comme Garcia dont il deviendra le fidèle comparse, n’a pas inventé la poudre. Personnage lymphatique par excellence, à l’attitude et à la voix molles soulignant que son cerveau marche au ralenti, le Caporal semble encore plus stupide que Garcia. Ce personnage, en lui-même, n’a guère d’intérêt, la série étant déjà servie par d’autres personnages attachants au fort potentiel comique comme Garcia, bien sûr, mais aussi Bernardo. En réalité, ce protagoniste n’a d’existence que dans le duo qu’il forme avec l’imposant Sergent : inséparables comme les deux membres d’une même paire, Reyes et Garcia jouent les Laurel et Hardy de la série. Leur ressemblance physique avec le célèbre tandem comique ainsi que leur attitude gaffeuse constitue un bel hommage (un de plus) aux classiques burlesques du cinéma américain.

 

La galerie des personnages récurrents de la première saison offre des figures marquantes telles que le Padre Felipe, le gardien du Monastère de San Luis Rey et ami de Don Diego qui offre asile à tous ceux qui sont persécutés par Monastario, comme Don Nacho Torres dans « Zorro se rend à la mission » et « Le fantôme de la mission ». Homme de cœur et de valeurs, le Padre a recueilli des indiens et les a engagés pour l’aider à cultiver les terres et à ramasser les récoltes du Monastère afin de leur assurer un moyen de subsistance dans une société où les « native Americans » ne sont (déjà) que quantité négligeable. On peut également citer Elena Torres, fille de Don Nacho et amie d’enfance de Diego à la forte personnalité, très inspirée de la Lolita Polido de Fairbanks, qui n’a rien des potiches qui lui succèderont dans la seconde saison. Elle éconduit sans ménagement Monastario qui tente de la courtiser, ce qui lui vaudra d’être emprisonnée. Il ne faut pas non plus oublier l’âme damnée de Monastario, le Licenciado Piña, un avocat à la solde du Commandante dont celui-ci se sert, moyennant finances, pour conférer une apparence juridique et donc une certaine légitimité à ses manœuvres et décisions crapuleuses. Piña est un couard qui « tremble comme une vieille femme » devant la moindre difficulté, selon l’expression même de Monastario auquel l’avocat ne s’est allié que pour l’appât du gain.

 

Les personnages épisodiques offrent quelques figures hautes en couleur. On songe notamment au juge Vasca de l’épisode « Un procès impartial », un homme de loi amateur de la bonne table que Garcia est chargé d’intercepter et de retenir le plus longtemps possible afin de l’empêcher de siéger au procès de Don Alejandro que Monastario compte faire juger et donc condamner par son âme damnée Piña. Seulement, Garcia, pourtant le plus gros mangeur de Californie, va trouver son maître en la personne du juge qui avale des monceaux de nourriture au cours d’un dîner pantagruélique alors que le même Garcia, malade de cet excès de victuailles, est contraint de jeter l’éponge !

 

Dans l'épisode 3 : 

Une deuxième saison contrastée

 

Certaines photos de cette page sont empruntées au site de Bill Cotter, source indispensable d'informations sur la série. 

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