Article de Thierry Le Peut
paru pour la première fois dans Arrêt sur Séries n° 29
à voir aussi : le guide des épisodes
Le 17 septembre 1963, le public américain branché sur les programmes d’ABC découvre une nouvelle série intitulée Le Fugitif. Créée par Roy Huggins et produite par Quinn Martin, responsable depuis quatre ans des Incorruptibles sur le même network, elle met en vedette David Janssen qui fut quelques années plus tôt le détective Richard Diamond durant trois saisons. Janssen est Richard Kimble, un homme contraint de fuir sans cesse la police après avoir été injustement condamné à mort pour le meurtre de sa femme. Ayant réussi à s’enfuir à la faveur d’un accident de train, Kimble est condamné à se cacher et à changer de lieu et de profession tant qu’il n’aura pas retrouvé le Manchot, un homme qu’il est seul à avoir vu sur les lieux du crime et qu’il traque sans relâche pour établir son innocence. Mais Kimble est également traqué par un policier que sa capture obsède, le Lt Philip Gerard, qui a dirigé l’enquête sur la mort de sa femme et qui l’escortait jusqu’au couloir de la mort lorsque survint l’accident de train. Durant quatre années, de 1963 à 1967, l’Amérique se passionne pour l’odyssée du Dr Kimble à travers les Etats-Unis, faisant un triomphe à l’épisode final qui, en août 1967, conclut la série.
Pourtant, la série faillit bien ne jamais voir le jour car son créateur Roy Huggins s’était heurté, à chaque fois qu’il en avait parlé, à l’hostilité ou à la condescendance de ses interlocuteurs. Songez donc ! Une série dont le héros se soustrayait à la loi et que la justice avait condamné à mort pour meurtre ! Il fallut un concours de circonstances et le soutien d’un homme influent pour que le show soit finalement mis à l’antenne. Voici cette histoire.
Un jour de 1962, Roy Huggins est assis dans l’un des bureaux d’ABC. A la demande de Dan Melnick, Vice-Président en charge de la programmation, il a accepté un entretien avec Leonard Goldenson, le Président du network. Goldenson, 56 ans, est un homme impressionnant : après avoir gravi les échelon s de l’empire Paramount, il a pris le contrôle d’ABC en 1953 et en a fait l’un des trois grands réseaux américains, concurrent direct de NBC et CBS. A ses côtés se tient Thomas Moore, directeur de la programmation. La position de Huggins est particulière : responsable des succès produits par la Warner Bros. pour ABC dans les années cinquante, les Cheyenne, 77 Sunset Strip et autres Maverick qui ont permis au network de conquérir une part enviable du marché, il s’est éloigné de la télévision pour poursuivre un doctorat au sein de l’UCLA, l’Université de Californie. Son départ s’est fait dans des circonstances peu glorieuses : engagé comme Vice-Président en charge de la télévision, il fut confiné dans un placard après que son unique production, Bus Stop, eut provoqué une vive polémique en raison d’un épisode mettant en scène un tueur en série. Dans The Fugitive Recaptured, d’Ed Robertson, Huggins explique toutefois que dès son entrée en fonction il avait commis une bourde qui, d’emblée, avait convaincu le Président de la Fox, Peter Levathes, qu’il n’était pas l’homme de la situation : cette bourde, c’avait été de parler d’une idée de série appelée… Le Fugitif.
« Après avoir signé le contrat avec la Fox, je pris un avion pour rentrer chez moi. A côté de moi était assis mon patron Peter Levathes, Président de Fox Television. Nous en vînmes à parler de ce que nous allions faire et je lui dis : ‘J’ai notre première série : cela s’appelle Le Fugitif’, et je lui expliquai en détail ce qu’était Le Fugitif. » 1 Cette idée, Huggins venait de la coucher sur le papier et n’en avait encore parlé à personne. Elle résultait de son expérience à la télévision, où il avait beaucoup travaillé sur le western. Le héros de Cheyenne, qu’il n’avait pas créée mais qu’il avait mise sur les rails après des débuts difficiles, était l’archétype du « héros westernien », à savoir un homme sans attaches qui, allant de ville en ville, vivait à chaque fois une aventure impliquant des personnages locaux puis repartait, toujours libre, aussi incapable de s’installer quelque part que de s’engager durablement. Le modèle de l’homme irresponsable hissé par la culture américaine au rang du mythe national. L’idée de Huggins était d’adapter ce type de personnage au cadre contemporain. Et comme il était difficile de concevoir au début des années soixante un justicier errant qui voyagerait sans motivation particulière, il avait eu le trait de génie de créer un personnage de fugitif. Un homme contraint de fuir et placé par les circonstances dans l’impossibilité de s’arrêter, de fonder une famille, d’exercer un travail régulier. La référence aux Misérables de Victor Hugo s’était présentée à l’esprit de Huggins : comme Valjean était traqué par Javert, son héros serait traqué par un policier obsédé par sa capture. Ainsi était né le tandem fondateur du Fugitif : un médecin accusé du meurtre de sa femme et obligé de fuir sans cesse devant le policier qui le traque. Evidemment, le héros était innocent du crime dont on l’accusait ; un thème récurrent au cinéma, si bien illustré par les films d’Alfred Hitchcock, et qui ancrait l’imaginaire du show dans le film noir. « Si vous regardez vers les années quarante et la fin des années trente, vous trouverez des tas de films dont le protagoniste a été accusé à tort et doit prouver son innocence. C’était tellement commun que je trouvais approprié d’appeler cela ‘le thème américain’. » 2 Le western, Victor Hugo, le film noir : en mêlant toutes ces influences, Huggins pensait tenir une série tout simplement géniale.
La réaction de Levathes fut pourtant à l’opposé de ce qu’il en attendait. « Peter Levathes me regarda, et je pouvais lire dans son esprit (et en effet il se trouva que c’était exactement ce qu’il pensait) : ‘Mon Dieu, quelle terrible erreur avons-nous faite ?’ Il ne fit aucun commentaire. Il balaya aussitôt l’idée et dit : ‘Laissez-moi vous parler d’une idée que j’ai appelée Jules Verne.’ Et il se mit à parler de produire une série inspirée des histoires de Jules Verne. » 3 Dès le retour à Los Angeles, Huggins fut placé dans un petit bureau, discrédité par son impatience à parler du Fugitif !
Cela se passait en 1960. Deux ans plus tard, Huggins est dans le bureau de Leonard Goldenson pour parler à nouveau de cette idée, qui dort toujours dans un carton. Entre-temps, tous les amis à qui il en a parlé ont été unanimes : c’est une idée à oublier, le pire concept qu’on puisse imaginer ! A vrai dire, ayant repris ses études à UCLA, Huggins n’était pas très chaud pour rencontrer le grand patron d’ABC. Le network était en difficulté, ses séries-phares ayant été arrêtées. De plus, Huggins avait travaillé avec Dan Melnick et l’appréciait. Aussi avait-il accepté ce rendez-vous mais en prévenant d’emblée Melnick qu’il allait présenter à Goldenson une idée que tout le monde détestait. Au fond, lui-même n’y croyait pas vraiment et s’attendait à reprendre tranquillement ses études après avoir parlé à Goldenson.
Le voilà donc en train de présenter aux personnes réunies là le concept qui avait suffi à le discréditer aux yeux de la Fox. Très vite, Tom Moore se lève, passe dans la salle attenante, en ressort avec une valise et déclare qu’il a un avion à prendre. Silence gêné, ambiance pesante, dans laquelle Huggins poursuit sa présentation. Chacun attend ensuite que Goldenson prenne la parole, sans donner d’avis. Et le grand patron de dire, après avoir laissé s’installer le silence : « Roy, c’est la meilleure idée de série que j’ai jamais entendue. » Incrédulité puis soulagement chez Huggins, qui reprend brusquement confiance dans une idée que tout le monde jusque là avait rejetée. L’explication est peut-être (pense Huggins) dans le passé de Goldenson, qui a longtemps travaillé à Paramount, un studio qui produisit précisément beaucoup de ces films contenant le « thème américain » de l’innocent injustement accusé. Pour Goldenson, c’est pourtant la nouveauté du concept à la télévision qui emporta l’adhésion : une telle série pouvait fonctionner précisément parce que personne ne l’avait encore essayée. Toutes les personnes présentes ne partagent pas cette opinion ce jour de 1962 : l’une d’elles, Julius Barnathan, a le courage d’exprimer son hostilité. « Il expliqua combien c’était anti-Américain, que c’était un soufflet à la face de la justice américaine, semaine après semaine, et qu’il pensait que c’était une idée détestable. » 4 A l’oreille de Huggins, ce discours sonne comme un rappel de son passé, parfaitement connu à Hollywood : membre du parti communiste dans sa jeunesse, il avait été placé par la commission du Sénateur McCarthy sur la liste noire, avant de confirmer devant cette même commission l’identité d’autres membres du parti communiste. Un épisode dont il se souvient avec culpabilité et qui, peut-être, est pour quelque chose dans le sentiment d’anti-américanisme exprimé par Barnathan.
Goldenson est preneur mais Huggins ne souhaite pas produire le show. Il a tourné la page, au moins provisoirement (en fait, il abandonnera bientôt l’université pour revenir à Hollywood, cette fois sous la bannière d’Universal où il restera de 1963 à 1980), et accepte de vendre son idée à ABC sans en diriger la production. Il n’écrira pas même l’épisode pilote, confié plus tard à Stanford Whitmore – supervisé toutefois par Huggins, crédité au générique de la série en qualité de créateur. C’est Quinn Martin, producteur des Incorruptibles depuis 1959, qui est choisi pour assurer la production. Sa première série en indépendant, The New Breed, vient d’être annulée par ABC après une seule saison mais Les Incorruptibles, bien que décriée pour sa violence et sa peinture des gangsters italo-américains, remporte toujours du succès sur le network. Surtout, Martin s’est affirmé comme un producteur solide et il figure parmi les hommes compétents envisagés par Huggins pour mettre en chantier Le Fugitif.
Le pilote
Martin, qui commença comme monteur, exerça plusieurs métiers dans l’industrie du cinéma et de la télévision avant de produire Les Incorruptibles au sein des studios Desilu. Le succès rencontré dès sa première saison par la série lui permit de créer sa propre maison de production, QM Productions. Le Fugitif allait être son premier succès après l’essai non transformé de The New Breed (1961-1962). Pour Martin, il était essentiel de définir dès le pilote de la série ce qui allait faire de Richard Kimble, le médecin accusé du meurtre de sa femme, un personnage auquel le public puisse s’identifier. Fugitif, il devait avoir une bonne justification pour se soustraire à la justice. Il devait aussi agir de manière à apparaître sympathique aux yeux du public, et il fallait établir très clairement qu’il n’était pas coupable du meurtre de sa femme, bien qu’un tribunal l’eût condamné à mort pour cela. « J’ai longuement et sérieusement réfléchi à la possibilité de me fourvoyer en faisant une série qui présente un homme vivant en dehors de la loi », confia le producteur à Horace Newcomb et Robert S. Alley dans The Producer’s Medium en 1983, soit vingt ans après le début de la série. « Nous avons fait ce qu’il fallait pour qu’il ait toutes les circonstances atténuantes. Il a tout essayé, et maintenant il s’évade. Il essaie de s’innocenter lui-même. […] Il a vraiment essayé de découvrir qui a tué sa femme. Et il y est arrivé. » Ainsi la destinée de Kimble répondait-elle à une règle simple énoncée par Martin : « Si un homme a fait tout ce qu’il est moralement possible de faire, il a le droit de se protéger lui-même. » 5
Ce furent là les instructions données au scénariste Stanford Whitmore, qui avait œuvré en qualité de directeur d’écriture sur The New Breed et écrit plusieurs épisodes de Johnny Staccato (1959-1960), la série mettant en vedette John Cassavetes. L’une des idées de Whitmore pour forcer la sympathie du public fut de donner à Kimble le pseudonyme de Jim Lincoln : il estimait en effet que, aux Etats-Unis, personne ne pourrait haïr un type s’appelant Lincoln ! C’est également dans cette optique qu’il fut décidé que Kimble aiderait une femme harcelée par un mari très antipathique et que, pour accroître encore l’impact sur le public, cette femme aurait un petit garçon avec lequel Kimble sympathiserait. Whitmore inclut en outre une séquence où Kimble confie à la jeune femme qu’il aide son histoire, établissant l’innocence du personnage et l’état de peur et d’incertitude dans lequel il vit constamment. Dans une autre séquence, il est intimidé par deux policiers qui, tout en ignorant sa véritable identité, font pression sur lui pour le pousser à quitter la ville, le prenant pour un briseur de ménage sur la foi du récit fait par le mari indigne et violent qui poursuit sa femme. Tous ces éléments mis ensemble rendent difficile pour le spectateur de considérer Kimble comme un criminel plutôt que comme une victime : son attitude vis-à-vis d’une inconnue dans le besoin, la menace que représente le mari jaloux, antithèse de Kimble lui-même, le malentendu qui fait passer Kimble pour le « méchant » aux yeux des policiers tandis que le véritable méchant passe pour un homme respectable, l’amitié du petit garçon pour un homme qui lui montre plus d’attention que son propre père, la sympathie enfin que Kimble inspire à la femme qu’il aide, tout cela pose avec clarté et efficacité les bases de la série. D’autant que le policier Gerard, dont la capture de Kimble est l’obsession, est montré comme un représentant de l’ordre plus soucieux d’appliquer la loi que de connaître la vérité, tâche échue selon lui au jury durant le procès. 6
Ce que Whitmore démontre ainsi avec force dès le premier épisode, c’est que le plus important n’est pas la condamnation prononcée par un tribunal mais l’homme tel qu’il apparaît par ses actes. De semaine en semaine, Kimble sera amené à aider les gens alors même que sa propre survie dépend de sa capacité à se fondre dans le paysage, à ne pas attirer l’attention, sa capture signifiant l’application de la peine de mort prononcée par le tribunal. Alors que la tentation serait grande de ne pas intervenir dans les histoires des autres, Kimble réagit instinctivement à l’injustice et à la violence, dût-il mettre en danger sa propre vie. Le scénario du pilote insiste sur la confusion des rôles en faisant du mari violent un homme puissant, respecté parce que redouté, et des policiers des hommes honnêtes mais prompts à se laisser abuser par cette apparence de respectabilité. A ce jeu, Kimble apparaît évidemment victime, ayant contre lui toutes les apparences.
David Janssen dans le premier épisode de la série, "Fear in a Desert City"
« Fear in a Desert City » (titre donné à ce premier épisode) réalise à la lettre la vision originale de Huggins, qu’il coucha sur le papier le 19 septembre 1960 : « Au cœur du Fugitif réside la question de la culpabilité et du salut que l’on a appelé le ‘thème américain’. Kimble est poursuivi et aux yeux de la loi il est coupable. Mais aucun Américain doué de discernement ne pensera ainsi. L’idée de la loi naturelle est trop profondément ancrée dans l’âme américaine pour que quiconque remette en cause le droit de Kimble à préserver sa propre vie, après que tous les recours légaux ont été épuisés. Même Hobbes, le grand penseur de l’autoritarisme, a reconnu une circonstance dans laquelle un homme a le droit de résister au Leviathan : lorsqu’une tentative est faite de prendre sa vie sur des bases erronées. » 7
Le casting
Le travail de casting ne fut pas problématique: dès le départ, Martin avait une idée précise des acteurs qu’il voulait pour incarner Kimble et le Lt Gerard. Pour engager David Janssen, le producteur dut négocier sa participation car il était déjà sous contrat ailleurs. Le comédien négocia à son tour son entrée dans le show, sous la forme d’un intéressement aux profits de la série à hauteur de dix pour cent. Grand bien lui en prit puisque le succès du Fugitif allait lui rapporter environ quatre millions et demi de dollars. Janssen marqua l’équipe de la série par sa gentillesse et sa simplicité, s’intéressant aux différents aspects de la production et pas seulement à son rôle, qui exigeait de lui une présence à peu près permanente car il était dans la plupart des scènes. « C’était quelqu’un de consciencieux, de dur à la tâche, et de vraiment adorable dans tous les sens du terme en tant qu’acteur et en tant qu’être humain », dira de lui Barry Morse (alias le Lt Gerard). 8 Son interprétation de Kimble, toujours sur le qui-vive, le regard fuyant, les mains enfoncées dans les poches, accentue la paranoïa sur laquelle repose la série. Avec ce jeu sobre en mouvements, fait de peur mal dissimulée et de prudence obsessionnelle, Janssen fait de Kimble un animal apeuré, terrifié à chaque fois qu’on l’interpelle, en même temps que déterminé à passer entre les mailles du filet afin de retrouver le véritable coupable, ce manchot dont la police nie l’existence et qu’il est seul à avoir vu quitter le lieu du crime dont il est accusé à sa place.
Barry Morse alias le Lt Gerard, au début de la série
Quant à Barry Morse, ce comédien d’origine anglaise travaillait déjà par intermittence pour la télévision américaine et Martin l’avait employé dans deux épisodes des Incorruptibles et deux autres de The New Breed. Un respect mutuel existait entre les deux hommes. Morse, pourtant, ne fut pas emballé par le rôle du Lt Gerard, qu’il trouvait dans le script original particulièrement conventionnel et sans épaisseur. Il discuta avec le producteur qui l’encouragea à intégrer certaines de ses idées au personnage, de manière à le faire évoluer vers quelque chose de moins impersonnel. Il s’en explique ainsi dans un entretien avec Didier Liardet publié en exergue de son Anthologie des séries : « Mon personnage était décrit, dans la version originale du pilote, comme un policier classique des films hollywoodiens. Il devait donc porter un imperméable et un chapeau. Mais je n’aimais pas cet effet conventionnel et, sitôt le tournage du pilote achevé, je les ai jetés tous les deux ; vous remarquerez qu’ensuite Gerard ne porte jamais dans la série de chapeau ou d’imperméable quelles que soient les conditions météorologiques ou la température. Il est très important, si vous jouez un personnage de manière régulière, de définir sa façon de penser et ses caractéristiques ; c’était une façon de montrer qu’il ne se laissait pas perturber par des choses triviales comme le temps. J’ai apporté aussi des éléments issus de la réalité car mon unique frère, décédé il y a très longtemps, était officier de police à Londres. […] J’étais très fier de lui et il m’a beaucoup appris sur le métier d’officier de police, notamment que son rôle n’était pas de juger de la culpabilité de quelqu’un mais uniquement de faire respecter la loi. Peu importait que la loi soit juste ou pas, ou que la personne arrêtée soit ou non coupable, c’était à un juge, un jury ou un magistrat de prendre cette décision. C’est la même attitude qu’a Philip Gerard par rapport à la culpabilité de Richard Kimble. » 9
Barry Morse et David Janssen
Le comédien a souvent commenté l’attitude des fans à son égard : il arrivait qu’il soit interpellé dans la rue par des défenseurs du pauvre Dr Kimble, qui l’exhortaient à laisser tranquille cet innocent. Signe qu’il avait réussi à rendre Gerard antipathique, non pas en fait en travaillant cet aspect du personnage mais surtout en imposant sa perception du policier, rarement prolixe mais déterminé à considérer Richard Kimble sous l’angle de son devoir de policier et non en tant que victime. Souvent, lors des 37 apparitions qu’il fait dans la série, le Lt Gerard exprime sa foi en la justice, qu’il se donne pour fonction de servir et non de discuter, non parce qu’il pense qu’elle est infaillible mais parce qu’il croit sincèrement que chacun doit jouer son rôle pour que le système entier fonctionne. Loin pourtant de cantonner le personnage à cette vision unidimensionnelle, Morse rend palpable le doute qui, malgré tout, taraude le policier : et si, en dépit des preuves assemblées lors de l’enquête, en dépit de sa foi en la justice, le Dr Kimble était innocent comme il le prétend ?
C’est cette détermination non dénuée d’ambiguïté, marquée par le jeu sobre de Morse, qui fait de Gerard un personnage réussi, parce qu’il représente à lui seul la nature implacable de la loi, implacable parce que dénuée d’empathie, affranchie de tout sentiment personnel. Au contraire, les innombrables figures de policiers qui émaillent la longue fuite de Richard Kimble sont soit indifférentes soit marquées par un désir personnel qui parasite leur seule fonction d’instruments de la loi : elles ont alors, tels les adjoints Steel et Dalton dans « La dernière oasis » et « L’évasion » (saison 4), quelque chose de personnel à prouver, ou un instinct de chasseur qui ne se confond pas simplement avec leur fonction de policier.
« L’idée qu’avait Quinn [Martin] du manchot avait toujours été celle d’un personnage évanescent, une sorte de fantôme. »
Alan A. Armer
Un troisième personnage allait être récurrent dans la série mais son importance lors du tournage du pilote était encore mineure. Il s’agit bien sûr du manchot qui, selon l’histoire racontée par Kimble lors de son arrestation et de son procès, a réellement tué sa femme. On est tenté de lui mettre une majuscule, tant le personnage a d’abord une valeur quasi mythique : plus qu’un être réel, il représente la vérité qui a échappé à la justice et que Kimble poursuit, seul mais déterminé. Le manchot est la preuve ultime de son innocence, le but ultime de sa quête. Aussi ce moment est-il constamment repoussé et n’intervient-il que dans l’épisode de conclusion de la série, au terme de sa course de quatre ans sur l’antenne. Pour l’heure, Quinn Martin n’envisage même pas de le faire intervenir dans le show. « L’idée qu’avait Quinn du manchot avait toujours été celle d’un personnage évanescent, une sorte de fantôme, quasiment mystique : ‘est-il réel ? ne l’est-il pas ?’ » expliquait le producteur Alan A. Armer, passé des Incorruptibles au Fugitif et impliqué dans la plupart des futurs succès de Martin. 10 On l’aperçoit dans un flashback de « La fille de la petite Egypte », quatorzième épisode de la première saison : il n’a alors d’existence que par le regard de Kimble, qui l’a vu dans la lumière des phares de sa voiture alors qu’il rentrait chez lui, quelques instants avant d’y découvrir sa femme sans vie. Il est un visage et le haut d’un buste, assez pour voir la manche de sa chemise repliée sur son côté droit. Mais Armer décida de le faire intervenir dans un épisode, estimant qu’il ne devait pas rester une image issue du souvenir de Kimble mais devenir bien réel pour le public. Martin, qui ne le concevait pas ainsi, admit le point de vue d’Armer mais l’apparition du manchot devait rester exceptionnelle : elle ne se produit que quatre fois au cours des trois premières saisons du show. Ce n’est qu’après le départ d’Armer que les nouveaux producteurs, John Meredyth Lucas et Wilton Schiller, décidèrent de faire intervenir plus souvent le manchot afin d’accentuer l’aspect mélodramatique du concept. Il apparaîtra ainsi six fois dans la seule saison 4.
David Janssen, Barry Morse et Bill Raisch
C’est dans le film Lonely Are the Brave (Seuls sont les indomptés) que Martin et Armer remarquèrent Bill Raisch en 1962 : il y étranglait presque Kirk Douglas à l’aide de son moignon. Ancien danseur des Ziegfield Follies où il avait connu sa femme Adele Smith, Raisch avait perdu son bras droit en combattant un incendie durant la Seconde Guerre mondiale. Après la guerre, il était devenu la doublure de Burt Lancaster. Martin et Armer l’engagèrent pour son physique, sa prestation se limitant à apparaître et parfois à prononcer quelques mots. Sa présence accrue dans la quatrième saison aura pour premier effet, selon Barry Morse, de le terrifier précisément parce qu’il aura davantage de texte à dire ! 11 C’est précisément cet aspect rudimentaire du personnage, les lignes puissantes de son visage, sa répugnance à parler, qui font du manchot un individu inquiétant, aux allures d’attardé mais à la ruse et à la force redoutables. Acculé, il se transforme en bête sauvage prête à tout pour s’échapper et se défendre.
Bill Raisch, un Manchot terriblement inquiétant
Le succès
Avant que le pilote soit diffusé sur ABC, le 17 septembre 1963 (un mardi soir), Quinn Martin dut répondre aux doutes des exécutifs du network. L’hostilité de Tom Moore au concept ne disparut pas par enchantement. Martin et Whitmore durent présenter plusieurs idées de scénarios pour démontrer la viabilité de la série au-delà du pilote. L’exercice prouva surtout que le concept imaginé par Roy Huggins était potentiellement extensible à l’infini. La particularité de Kimble, en effet, était de changer de lieu, d’identité et de travail à chaque épisode. Alors qu’un Dr Kildare ou un Marcus Welby sont confinés dans un espace limité et condamnés à exercer semaine après semaine la même profession, alors que les pérégrins de l’Ouest de La Grande Caravane ou de Rawhide font le même travail chaque semaine en traversant constamment le même type de décors, Kimble, lui, jouissait paradoxalement d’une liberté confortable dans ces domaines, conformément au modèle de héros westernien que Huggins avait en tête. Chaque épisode permettait de montrer le personnage arrivant dans une nouvelle ville et se faisant engager n’importe où où l’on avait besoin de main d’œuvre conciliante, ou bien installé déjà dans une sorte de « routine » qu’un événement imprévu n’allait pas tarder à déranger. En même temps, la profession initiale de Kimble, celle de médecin (pédiatre précisément), permettait de le placer dans des situations où ses compétences pouvaient être employées : dans l’entourage d’un boxeur, dans une clinique, dans un camp de vacances, par exemple. Pour Quinn Martin, l’un des aspects les plus intéressants du show était précisément de faire passer le héros de la classe moyenne dans la classe ouvrière : c’est surtout en étant chauffeur, conducteur de camion, barman, assistant que Kimble peut survivre. Toutes activités qui sont accessibles au premier venu, pour une durée limitée et avec un maximum de discrétion dans un pays où le changement d’Etat représente un saut plus conséquent qu’un changement de département chez nous.
Tout cela bien sûr ne commença d’apparaître avec clarté qu’au fur et à mesure que les scénarios étaient écrits, et c’est au cours de la première saison qu’Alan Armer le producteur, Quinn Martin producteur exécutif et les différents scénaristes (les principaux étant Stanford Whitmore, Harry Kronman, Sheldon Stark, George Eckstein et Arthur Weiss, producteur associé) prirent la mesure de ce qui fonctionnait réellement. Mais la diffusion des premiers épisodes suffit à balayer les objections préalables : Le Fugitif en effet retint rapidement l’attention d’un public fidèle et attira en moyenne 21 millions de téléspectateurs tout au long de la première saison. Si Goldenson avait envisagé d’annuler la série sous la pression de collaborateurs inquiets alors que Martin préparait puis tournait l’épisode pilote, la réaction favorable du public balaya bientôt les doutes liminaires. Au terme de la saison 1963-1964, TV Guide nomma Le Fugitif meilleure nouvelle série de l’année et David Janssen fut nominé aux Emmy Awards dans la catégorie « Oustanding Continued Performance by an Actor in a Leading Role in a Series » (Remarquable performance régulière d’un acteur dans le rôle principal d’une série – la récompense alla finalement à Dick Van Dyke). Une revanche, à tout le moins, pour Roy Huggins.
Un an plus tard, la série atteignait la cinquième place dans le Top 25 des programmes les plus regardés, réunissant dans sa case horaire (de 22 à 23 h) environ le tiers des foyers présents devant leur télévision le mardi soir. Diffusée en 1963-1964 après le Greatest Show on Earth, elle était précédée en 1964-1965 et de nouveau en 1965-1966 de la première diffusion de Peyton Place (diffusée deux fois par semaine, le mardi et le jeudi à 21 h 30), feuilleton qui réalisait d’excellents scores. Ayant vaincu la concurrence du Garry Moore Show de CBS la première année, elle fut confrontée ensuite à Doctors and Nurses puis à la News Hour de CBS, tandis que NBC dégainait le film du mardi soir. La conclusion du match fut qu’au terme de sa troisième saison Le Fugitif attirait 40 % des foyers présents devant leur télévision et était de nouveau sacrée meilleure série (dramatique), mais cette fois par la profession elle-même qui lui attribua l’Emmy Award, reçu par Alan Armer.
Ce succès facilita certainement les affaires de Quinn Martin, qui lança sur ABC trois autres séries durant l’existence du Fugitif : la première, Twelve O’Clock High, dura trois saisons, la seconde, The FBI (Sur la piste du crime), fut diffusée de 1965 à 1974. La troisième, enfin, ne dura qu’une saison et demie mais est la plus populaire chez nous puisqu’il s’agit de The Invaders (Les envahisseurs) diffusée à partir du début de l’année 1967. Le concept, imaginé par Larry Cohen, d’un homme déterminé à prouver la présence d’extraterrestres hostiles sur Terre en dépit de l’incrédulité générale fit des Envahisseurs une série au postulat très proche de celui du Fugitif : comme Kimble, David Vincent voyage d’un Etat à l’autre et, s’il n’exerce pas différents métiers, il est amené à visiter des milieux divers. Il est en outre traqué, non par la police (encore qu’il ait parfois maille à partir avec les représentants de la loi) mais par les envahisseurs qui veulent d’abord le tuer, puis le discréditer.
Cette similitude des deux séries est significative de l’influence du Fugitif sur la production de l’époque : dès 1964, Destry met en vedette un homme qui cherche à s’innocenter en retrouvant ceux qui l’ont fait accuser ; en 1965, dans Branded (Le proscrit), Chuck Connors incarne un soldat chassé de l’armée après avoir été injustement accusé de désertion et qui cherche à s’innocenter ; surtout, Roy Huggins, revenu à la télévision, crée Run for your life (Match pour la vie), avec Ben Gazzara dans le rôle d’un avocat qui décide de tout plaquer et d’aider les autres lors d’un périple à travers les Etats-Unis, après avoir appris qu’il était atteint d’un cancer incurable. Cette influence ne cessera plus de s’exercer sur la production télévisuelle jusqu’à nos jours, où le thème du fugitif injustement accusé n’a pas cessé d’inspirer les producteurs. A preuve la nouvelle version du Fugitif produite par Warner Bros. en 2000, après le succès du film mettant en scène Harrison Ford dans le rôle du Dr Richard Kimble.
En 1967, la production des Envahisseurs priva Le Fugitif d’Alan Armer, remplacé pour produire la quatrième saison par deux hommes venus de la série Ben Casey, John Meredyth Lucas et Wilton Schiller. Armer estima avoir fait le tour de la série et accepta la proposition de Martin de s’occuper de la nouvelle. Plusieurs changements furent alors décidés, encouragés peut-être par le plus visible d’entre eux : à l’époque, la télévision américaine passe progressivement à la couleur, et Le Fugitif franchit ce pas à la rentrée 1966. On envisagea alors de tourner certaines séquences dans des cadres exotiques, comme le Mexique ou Porto Rico, afin d’accompagner le passage à la couleur. La décision la plus cruciale, toutefois, visait à renforcer le caractère mélodramatique du show en orientant les histoires vers l’action plutôt que vers les personnages. Une décision qui ne correspondait pas à la ligne de la série jusque là, et qui conduisit à des épisodes comme « Cas de conscience » et « La seconde vue », présentant peu d’intérêt parce qu’impliquant Kimble dans des actions sans véritable « liant » émotionnel : contraint de se cacher ou d’errer durant l’essentiel de l’épisode, Kimble n’a pas grand-chose de consistant à faire ni à dire et les personnages secondaires sont peu ou pas du tout développés. De fait, le motif de la traque est extrêmement présent dans la saison et le personnage du manchot beaucoup plus sollicité (six fois, comme on l’a dit, alors qu’il n’était apparu que quatre fois dans l’ensemble des trois saisons précédentes). Le but des producteurs était de renforcer l’impact dramatique du show en plaçant fréquemment Kimble en situation critique, notamment en l’affrontant périodiquement au manchot. Or, la volonté de Martin avait toujours été de limiter les apparitions du personnage afin d’en ménager l’impact émotionnel ; en le faisant apparaître trop souvent, la quatrième saison risquait fort de nuire à cet effet. C’est l’ambiguïté d’un épisode comme « La vie n’est pas un rêve », qui repose sur une bonne idée mais est en partie gâché par sa conclusion : en amenant la confession du manchot puis en la détruisant, le scénario crée une frustration d’autant plus grande que cette confession ne sera plus évoquée par la suite.
Quinn Martin intervint très tôt dans la saison. Après avoir co-produit quelques épisodes avec Schiller, Lucas fut remplacé par George Eckstein qui, ayant écrit plusieurs épisodes au cours des saisons précédentes et servi comme producteur associé, connaissait bien la série. Son retour sembla entraîner une amélioration de l’écriture de la série, des épisodes comme « Au grand large » et « Scandale immobilier » parvenant à donner de nouveau aux personnages secondaires une épaisseur émotionnelle propre à capter l’intérêt, replaçant l’humain au cœur des histoires. Parmi ceux qui avaient été impliqués dans les saisons précédentes, toutefois, plusieurs pensaient, comme Stanford Whitmore et George Eckstein, que le simple fait de tourner en couleur avait modifié en profondeur la nature du show. « Pour moi, Le Fugitif reposait avant tout sur l’atmosphère, et les épisodes en noir et blanc mettaient vraiment en valeur cet élément », déclara Whitmore 12.
Richard Kimble retrouve le Manchot, une ultime fois, dans le double épisode final de la série.
Finale
L’audience continuait d’être bonne, en dépit de ces réserves. Mais Janssen était visiblement épuisé par le rythme du tournage (trente épisodes par an, à raison d’une douzaine d’heures par jour, et l’obligation d’être présent dans la plupart des scènes) et il ne souhaitait pas poursuivre l’aventure. C’est au cours de la saison, vers janvier ou février 1967 selon George Eckstein, que Quinn Martin décida de tourner une conclusion à la série. L’idée d’un épisode mettant un terme à la quête de Richard Kimble était déjà formulée dans la présentation initiale de Roy Huggins ; toutefois, c’est bien Martin qui la concrétisa en commandant à Eckstein et à un autre scénariste, Michael Zagor, qui n’avait jamais travaillé sur la série, un épisode de conclusion. Diffusé en deux parties les 22 et 29 août 1967, quatre mois après la diffusion du dernier épisode de la saison 4, « Le jugement » bénéficia d’un temps d’écriture restreint, la trame n’ayant pas été discutée au début de la saison comme c’était le cas pour les autres épisodes. Quinn Martin adressa à tout le personnel de la série et aux journalistes un mémo leur demandant de ne rien laisser filtrer du contenu de cet épisode, et de ne rien révéler si d’aventure le secret leur était dévoilé ! Daily Variety écrivit, pour plaisanter, que ce secret était mieux gardé que les informations classifiées sur l’armement atomique américain. Des rumeurs circulèrent bien sûr, les plus folles faisant du Lt Gerard le meurtrier d’Helen Kimble, d’autres… de Kimble lui-même ! Entre la diffusion de la première et celle de la deuxième partie, les bookmakers de Vegas enregistrèrent des paris sur l’identité du coupable, habilement mise en doute dans la première partie qui dirigeait les soupçons vers un personnage inattendu.
Sans surprise mais émotionnellement forte, la conclusion de la série se terminait sur une scène mettant en présence Kimble et Gerard, désormais libérés de leurs obsessions respectives. Cette scène, dialoguée dans le script, fut modifiée par David Janssen et Barry Morse qui estimaient qu’un tel moment se passait de mots. « Dans la première version de cet épisode final, nos scénaristes s’étaient un peu laissés aller », commenta Morse. « Ils avaient écrit une scène d’une mièvrerie assez écoeurante, dans laquelle David et moi nous disions des paroles pleines de sentiments. A un moment, je me souviens d’avoir suggéré à David que, pour nous moquer de ce dialogue débordant de sentiment, nous devrions nous jeter dans les bras l’un de l’autre et nous embrasser passionnément sur la bouche ! » 13 Ils n’eurent pas à mettre cette menace à exécution car leur perception fut partagée par les scénaristes et les producteurs.
« Le jugement » ne se contenta pas de recueillir de bons résultats : il réalisa une audience historique, réunissant 26 millions de foyers devant la conclusion d’une course de quatre ans et établissant un record qui ne serait battu qu’en 1981 avec la conclusion de l’attentat contre J.R. dans Dallas, puis en 1983 avec la diffusion du téléfilm final de MASH.
Notes
1. Ed ROBERTSON, The Fugitive Recaptured, Pomegranate Press, 1993, p. 18.
2. ibid.
3. ibid.
4. idem, p. 20.
5. Horace NEWCOMB et Robert S. ALLEY, The Producer’s Medium, Oxford University Press, 1983, p. 71.
6. Sur le travail de Whitmore, lire Ed ROBERTSON, op. cit., pp. 22 à 25.
7. Cité par Ed ROBERTSON, op. cit., p. 29 et in extenso pp. 183 à 188.
8. Cité par Didier LIARDET, Anthologie des séries : Les séries américaines, volume 1, Yris, 2004, p. 6.
9. idem, pp. 4-5.
10. Cité par Ed ROBERTSON, op. cit., p. 61.
11. Voir Ed ROBERTSON, op. cit., p. 158.
12. Cité par Ed ROBERTSON, op. cit., p. 148.
13. idem, p. 179.
Nota Bene
La réalisation de ce dossier n’aurait pas été possible sans les informations et les images présentées dans le livre d’Ed ROBERTSON. Nous avons aussi eu recours au site davidjanssen.net qui est une autre mine d’informations sur David Janssen et sur Le Fugitif.
Une production Quinn Martin
Le nom et la signature de Quinn Martin sont connus de tous les amateurs de séries des années 1960-1970. Ils apparaissent en effet au générique de chacune des séries qu’il a produites, juste sous le titre, tandis qu’une voix annonce celui-ci en ajoutant : « Une production Quinn Martin ». Ce dernier appliquait à tous ses programmes une pratique restée comme sa signature : chacun des quatre actes – et parfois l’épilogue concluant l’épisode – commençait par l’inscription du titre de la série et le numéro de l’acte. Il est ainsi facile de reconnaître une production Quinn Martin. La voix off qui annonçait le titre de la série énumérait également les guests dont le visage apparaissait à l’écran selon un gimmick à chaque fois différent (dans des cercles pour Cannon, révélés par des traits obliques dans Les Rues de San Francisco, etc.).
Le Fugitif respecte ces codes et en ajoute un autre, que Martin reprit des Incorruptibles : la présence d’un narrateur ouvrant et concluant chaque épisode. Si dans Les Incorruptibles il s’agissait d’un véritable journaliste, Walter Winchell, qui chroniquait les événements racontés dans la série, pour Le Fugitif Martin fit appel au comédien William Conrad, dont la voix était célèbre aux Etats-Unis où il avait été le Marshall Matt Dillon dans la version radiophonique de la série western Gunsmoke (Police des plaines). Le principe du narrateur sera repris tel quel dans Les Envahisseurs et Conrad sera quelques années plus tard le héros de Cannon pour Quinn Martin. Il aura d’ailleurs David Janssen pour partenaire dans l’épisode d’ouverture de la troisième saison.
Les répliques du narrateur furent écrites spécialement pour la voix de Conrad. C’est en tout cas ce que confiait le scénariste Stanford Whitmore dans le livre d’Ed Robertson, The Fugitive Recaptured : quand il apprit que Conrad allait dire le texte, il le modifia afin de le rendre plus efficace.
Le défilé des stars
Cela ne tient pas spécialement au Fugitif : si les stars sont si nombreuses dans la série, c’est que l’époque s’y prête. Entre les vedettes déjà confirmées et les jeunes talents appelés à se faire un nom par la suite, les programmes des années cinquante-soixante sont en effet souvent de véritables viviers de stars ! Depuis Brian Keith et Vera Miles dans le premier épisode jusqu’à Charles Bronson ou Jack Lord dans la dernière saison, les visages familiers ne manquent pas au fil des pérégrinations de Richard Kimble. A titre d’exemples : Robert Duvall, Jack Klugman (héros de Quincy M.E.), Leslie Nielsen, Bruce Dern, Telly Savalas, Nancy Malone (à la même époque dans Peyton Place), Warren Oates, Carroll O’Connor, Joseph Campanella (peu vanat de devenir le patron de Mannix pour une saison), Kurt Russell (l’enfant joue le fils du Lt Gerard dans « Nemesis »), John Larch, Richard Anderson, Angie Dickinson, Tom Skerritt, Edward Asner, Steve Forrest, Greg Morris (pas encore Barney dans Mission : Impossible), le trio Star Trek James Doohan - DeForest Kelley - William Shatner (alias, respectivement, Scotty, Doc et le Capitaine Kirk), Kevin McCarthy, Laurence Naismith (le juge Fulton dans Amicalement Vôtre), Mickey Rooney, Beau Bridges, Wayne Rogers, Donald Pleasence, Steven Hill, Roy Thinnes (juste avant Les Envahisseurs). Beaucoup de ces acteurs étaient apparus dans Les Incorruptibles et seront employés dans d’autres productions Quinn Martin, notamment The FBI (Sur la piste du crime).
Visages moins connus, quelques acteurs se signaleront par un ou plusieurs rôles marquants : ainsi Richard Bull et Dabbs Greer apparaissent-ils dans de petits rôles (ils se retrouveront dans La Petite maison dans la prairie où le premier sera Nels Oleson et le second le Révérend Alden), Dabney Coleman (Buffalo Bill entre autres), Clint Howard (le petit garçon de Mon ami Ben), David White (le patron de Jean-Pierre dans Ma Sorcière bien-aimée), Billy Mumy (Perdus dans l’espace, Babylon 5), James Sikking (Hill Street Blues).
Il arrive aussi que l’on croise au générique d’un épisode des comédiens qui se dirigeront ensuite vers un autre aspect du métier, comme les réalisateurs Burt Brinckerhoff et Gus Trikonis, qui feront carrière à la télévision. En parlant de réalisateur, le cinéaste Richard Donner a contribué au Fugitif comme à d’autres séries de l’époque.