Entretien réalisé en février et mars 2009

par Thierry Le Peut

1e partie  -  2e partie

passer à Thierry la Fronde

Jean-Claude Deret dans le rôle de Napoléon Charbonneau dans la série western Winnetou, ici avec Leopoldo Frances (photo Peter Bischoff).

 

seconde partie

J C DERET TOUCHE-A-TOUT

 

Outre quelques aventures de Thierry la Fronde, vous avez imaginé le personnage récurrent de Gilles et écrit d’autres ouvrages destinés à la jeunesse, mais également fait quelques traductions et adapté des légendes celtiques. Le créateur de Thierry la Fronde serait-il d’abord un homme de plume ?

J’ai toujours eu l’impression de n’exercer qu’une activité : l’imagination. Pour moi, il n’y a pas de J. C. Deret écrivain, dramaturge, scénariste ou auteur compositeur ; c’est la même activité visant des objectifs différents. Mais je reconnais que le plaisir d’écrire est aussi fort chez moi que le plaisir de jouer. Jouer et écrire, deux formes sublimes du mensonge. Je me sens des affinités avec Romain Gary.

 

Le théâtre est aussi une part importante de votre activité. Samuel dans l’île, votre pièce montée par le Théâtre du Funambule en décembre 2005, a été nommée aux Molières 2006. Vous dirigez, je crois, le Théâtre du Cercle de Saint Gervais-la-Forêt. Avez-vous très tôt écrit pour le théâtre ou y êtes-vous venu au fil de votre carrière ?

Je crois avoir écrit ma première comédie vers 1945 ; par l’entremise d’un ami, j’ai pu la faire lire à Sacha Guitry qui m’a dit qu’il n’avait pas lu une comédie mais un sombre drame. A mon avis, c’était le signe d’une bonne comédie ; néanmoins, Guitry m’a conseillé de l’oublier dans un tiroir et de la reprendre dix ans plus tard. Je l’ai fait et je n’ai jamais repris l’écriture de cette pièce. Puis le hasard m’a fait rencontrer le Théâtre du Cercle et, trop heureux de trouver des comédiens prêts à me jouer, j’ai écrit pour eux, apprenant ainsi mon métier d’auteur.

 

Les titres de vos pièces (Aristofemmes, Tout Conte Fée, Si Versailles m’était démonté...) évoquent une certaine légèreté. Est-ce un registre que vous affectionnez particulièrement ou aimez-vous toucher à tout ?

Exact, je suis un touche-à-tout ; il est rare que dans ces pièces il n’y ait pas un passage en alexandrins. Aristofemmes contient des scènes fortement dramatiques, côtoyant ou encadrant des épisodes comiques ou burlesques. Qu’on me reproche si on veut un manque d’unité dans ces pièces, mais je n’aimerais pas un appartement ne comportant que des salles de bains.

 

Bistro, de Marco de Gastyne, en 1950, fut-il votre premier scénario ?

Au départ, Bistro est une des scènes de mon premier spectacle de théâtre en 1949, A Paris, d’après les chansons de Francis Lemarque et avec lui. Les deux co-auteurs de ce spectacle, Lacroix et Macé, étaient des rédacteurs du Canard Enchaîné et le décorateur, le dessinateur Jacques Lap.

 

Vous avez participé à la série Agence Nostradamus de Claude Barma, également en 1950. Y étiez-vous seulement acteur ? De quoi s’agissait-il, au juste ?

Oui, acteur, mais je ne me souviens pas de quoi il s’agissait.

 

Au Québec, vous avez co-écrit (et même interprété, parfois) un feuilleton radiophonique, La Famille Plouffe, et une série télé, Grandville, P.Q. Pouvez-vous nous en parler ?

Difficilement. Pour Plouffe, j’étais seulement acteur. Grandville n’évoque qu’un vague souvenir.

 

Amateur de feuilletons, vous adaptez aussi le personnage de Winnetou, créé par Karl May, sous forme d’une série en 1980. Connaissiez-vous le personnage avant ce travail, et la popularité de ce personnage outre-Rhin ? Qu’est-ce qui vous a amené à ces adaptations ? Est-ce votre seule incursion dans le genre western ?

Je ne connaissais pas Karl May quand Michel Canello m’a proposé cette adaptation. Je venais de purger dix ans de Purgatoire après des prises de position anti-RTF en 68. On m’envoya quatre volumes de Karl May et quatre pages d’un synopsis en me demandant de le développer sur une vingtaine de pages. J’en tirai 60 pages qui ne conservaient rien du synopsis mais qui plurent. Par la suite je développai l’histoire et écrivis les dialogues. Ce travail de commande où l’on ne me gratifia que de 49% des droits d’auteur, mais qui tomba à point nommé, m’était confié parce que ma première épouse était amérindienne et qu’on connaissait mon goût pour la civilisation des Plaines. Ma première fille vit à Ottawa et travaille au Ministère gérant les problèmes des autochtones, les Premières Nations. Je dois dire que malgré sa notoriété Karl May semble particulièrement ignorant des civilisations amérindiennes, plaçant des canoes d’écorce dans les déserts du Nouveau-Mexique, mettant des vestes en peau de daim à franges et des coiffures de plumes aux Apaches qui ne portaient ni les unes ni las autres.

Un spectacle théâtral, tiré du feuilleton et avec Pierre Brice fut par ailleurs monté au Stadthalle de Vienne.

 

Comment s’est passée votre participation à Winnetou, où vous jouiez le rôle de Charbonneau ? Où fut tournée la série ? Le tournage se fit-il en anglais – comme c’est parfois le cas dans les co-productions européennes - ou dans plusieurs langues ?

Marcel Camus, le réalisateur, m’avoua qu’il détestait le genre western et me laissa libre de mon écriture. Nous avons fait l’adaptation ensemble et je me suis réservé les dialogues et le rôle de Charbonneau. Le tournage se fit entièrement à Durango, capitale de l’Etat de Durango, au Mexique où furent tournés deux bonnes centaines de westerns et où John Wayne avait un ranch de plusieurs centaines d’hectares. Il tournait chez lui. Je crois qu’une seule scène fut tournée en anglais par Pierre Brice. Mais tous les comédiens parlaient leur langue : français, allemand, anglais et espagnol.

 

Feuilleton radio, séries télé, mais aussi animation, semble-t-il : que pouvez-vous nous dire de Zeltron, un dessin animé de 85 épisodes dont vous seriez le co-auteur en 1979 ?

Œuvre de commande encore, Zeltron m’a imposé un parcours « électrique » qui m’a appris beaucoup. Je suis devenu un spécialiste de la production… électrique.

 

Maguy, la série d’Antenne 2, est un titre plus connu. De quelle manière avez-vous participé à cette aventure de la première sitcom populaire française (si l’on se réfère à la publicité de l’époque, je crois) ?

La série a été portée par une coproductrice canadienne pour laquelle j’avais travaillé (adaptation et dialogues de Une aurore boréale tournée au Québec.) J’ai, je crois, traduit et adapté les deux ou trois premiers épisodes de Maguy. Par la suite, on m’a gentiment évincé.

 

En 2001, votre fille, Zabou Breitman, signe Se Souvenir des Belles Choses, un film très remarqué. Vous en êtes co-auteur et y apparaissez aux côtés de votre fille et de sa mère Céline Léger. Cela a dû être une expérience émouvante. Que pouvez-vous nous en dire ?

Une expérience passionnante. Zabou et moi avons visionné des dizaines d’observations médicales en vidéo concernant la maladie d’Alzheimer. On en retrouve certaines dans son dernier spectacle Des Gens. Sur le plateau, il n’y avait que la complicité normale entre acteurs et réalisateur.

 

Quand avez-vous commencé votre carrière de comédien ?

Cette carrière a-t-elle débuté quand j’avais sept ans et montais sur les planches à l’occasion du « concert » annuel pour interpréter un écolier gréviste dans un sketch écrit par mon père, maire de Mennetou ? Puis au Collège Augustin Thierry de Blois pour jouer (à 12 ans) dans Le Bourgeois Gentilhomme : rôle de …Toinette ! Vers 1938, au Théâtre Lancry, je joue l’inspecteur Poussin dans L’Inspecteur Grey, monté par Fernand Bellan, mon premier prof. Puis cours Simon, du théâtre chez Agnès Capri qui me force à apprendre les claquettes et un numéro de clochard (en duo) que je vais traîner quatre ans dans toutes les caves de St-Germain des Prés.

 

Vous avez prêté votre concours à un certain nombre de séries et feuilletons, de Pinocchio en 1953 à Rue Carnot en 1984. Certains d’entre eux ont-ils une place particulière dans vos souvenirs ?

J’ai beaucoup aimé Rue Carnot où je faisais couple avec la merveilleuse Corine Marchand. En règle générale, j’aime jouer, j’ai toujours aimé jouer et tous mes rôles me sont chers. Bien sûr le personnage de Samuel, joué plus de cent fois, reste mon préféré.

 

Participer à une co-production franco-américaine comme Highlander, où vous avez joué le même personnage dans deux épisodes, fut-il une expérience différente des tournages québécois ou français ?

Pas du tout. D’autant que le metteur en scène de mon premier Highlander était français !

 

On vous voit aussi dans un épisode de la première saison de Police District, une série policière plutôt novatrice que M6 a hélas choisi d’interrompre après trois saisons. Aviez-vous le sentiment de travailler sur une série « différente » ou était-ce un tournage comme un autre ?

Désolé sans doute de vous décevoir mais tous les tournages se ressemblent et, à moins d’être un des personnages principaux, ils ne vous laissent pas de sentiments particuliers.

 

Vous avez également participé à de nombreux courts-métrages durant toute votre carrière, jusqu’à Un grain de beauté l’année dernière. Est-ce différent des tournages pour la télévision ou le cinéma ?

Cette fois, la réponse est oui. Ces courts, auxquels nous participons à titre gracieux, sont animés par des réalisateurs et des équipes jeunes et enthousiastes. On y rencontre une foi et un élan qui nous gardent jeunes aussi.

L’année dernière j’ai tourné dans un court métrage dont l’action se situait dans une maison de retraite. Dans la distribution, Gisèle Casadesus, grande dame et d’une parfaite séduction avec ses 93 ans, et Pierre Gérald, qui fête cette année ses 103 ans.

 

Vous écrivez aussi des chansons : pour un seul interprète (vous-même) ou pour d’autres également ? Pouvez-vous nous faire ici des confidences exclusives sur cette partie de votre activité ?!

Pianiste raté parce que paresseux – j’ai d’ailleurs écrit une comédie dramatique sur ce sujet – je continue à pianoter et, remontant aux sources de la poésie qui fut d’abord chantée, j’écris des chansonnettes. Certaines ont été interprétées par de charmantes diseuses. Je vous préviendrai de la date de mon prochain concert.

 

Ayant passé dix ans au Québec, où vous avez épousé votre deuxième femme Céline Léger, avez-vous noté une différence dans la manière d’y vivre et d’y travailler, par rapport à la France ?

Oui, et oui. Le Québec, c’est une Amérique qui parle français mais c’est l’Amérique. Le mode de vie, les habitudes, les mentalités ne sont plus celles de la France. Ce parler fleure bon le passé, et trompe les Français qui croient reconnaitre la vieille France en leurs cousins perdus.

Les méthodes de travail au cinéma ou au cabaret s’apparentent à celles des USA et sont gérées par des syndicats identiques.

 

Au cours de votre carrière, quelles sont les personnalités que vous avez côtoyées et qui vous ont le plus marqué ? (Vous évoquiez par exemple Fernand Bellan qui fut, avant d’incarner Judas, l’un de vos premiers professeurs d’art dramatique.)

Je citerai d’abord Jean Doat, célèbre metteur en scène d’Art lyrique qui créa le premier conservatoire d’Art dramatique du Québec et qui fut mon copain et complice pendant tout mon séjour à Montréal. Il m’a mis en scène deux fois au théâtre et à la télévision de Montréal. J’ai déjà cité Fernand Bellan. Enfin, je dois mentionner à contrecoeur mon prof de philo à Louis-le-Grand, Marcel Déat, qui prit une mauvaise voie pendant l’Occupation et échappa aux poursuites et à l’épuration en se dissimulant sous une fausse identité et une vraie barbe dans un complaisant collège religieux d’Italie.

 

Ecrire pour le théâtre ou le cinéma offre a priori plus de liberté que la télévision. L’acteur Emile Abossolo M’Bo nous confiait, par exemple, qu’en travaillant sur la série Brigade des Mineurs pour M6 il avait pu constater combien la télé française rechignait encore à confier un rôle principal à un acteur noir. Y a-t-il des idées que vous avez proposées à la télévision et qui ont été refusées pour des raisons de « bienséance télévisuelle » ou d’outrage au politiquement correct ?

Une série, Le Grand Signal, fut refusée. Elle avait reçu un bon accueil du Comité de Lecture des projets. Après m’avoir dit qu’après le succès de Thierry la Fronde je devais laisser une chance aux autres, on a justifié le refus de façon cocasse. Ce grand signal est celui, oral, qui partit de la forêt des Carnutes et, de crieur en crieur, se propagea dans la Gaule entière pour le grand soulèvement contre l’envahisseur romain.

Malheureux ! Vous allez réveiller le particularisme breton !...

 

Aujourd’hui, vous êtes un « blogueur » assidu. Vous mettez en ligne vos commentaires sur « le monde comme il va » au quotidien et vous avez créé un autre site où vous proposez des textes originaux, poursuivant sur le Net votre activité d’écrivain. Un besoin compulsif de partager ? ou un intérêt tout particulier pour ce support ?

Je surfe aussi sur Facebook. J’aime bien le net. Et le but de tout auteur et de tout acteur n’est-il pas de trouver un public ?

 

Vous vous présentez volontiers comme un « provocateur anarchiste » - si j’ai bien lu votre fiche d’identité sur votre blog -, voire comme un « psychopathe inoffensif » (je vous cite encore). Peut-être est-ce dans ce goût de l’anarchie, finalement, qu’il faut voir votre vocation d’« homme-orchestre » du spectacle ? A moins que je ne me fasse des idées sur le « monde du spectacle » et que vous ne soyez pas un cas à part !

J’espère n’être pas un cas à part. Beaucoup de mes amis me ressemblent. Je les ai sans doute choisis en conséquence. Mais le « monde du spectacle », cette entité polymorphe, est loin de me ressembler, tant pis pour elle. Que d’ignorants bardés de certitudes !

 

A 87 ans, en tout cas, vous ne semblez pas pressé de chausser des pantoufles et de regarder passer le temps. Vous sentez-vous doté d’une forme d’« éternelle jeunesse » (c’est le titre d’un entretien radiophonique que l’on peut écouter à partir de Wikipedia) ?

Oui. Je ne vous cache pas que j’entrevois de louer L’Olympia pour faire mon one man show (mon Old Man Show) pour fêter mon centenaire en 2021.

 

Merci, Jean-Claude Deret-Breitman, pour avoir joué le jeu des confidences.

Propos recueillis en février et mars 2009 par Thierry Le Peut.

 

 

Tag(s) : #Dossiers, #Dossiers 1960s
Partager cet article
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :