par Thierry Le Peut

publié dans Arrêt sur Séries n°33 (printemps 2009)

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ou lire l'entretien avec Jean-Claude Deret

ou l'entretien-carrière de Clément Michu

 

« Thierry de Janville n’est plus, mais il reste Thierry la Fronde ! »

Par ces mots, un personnage et un acteur entraient dans la légende un dimanche de novembre 1963. Plébiscité par le public français jusqu’à sa disparition trois ans plus tard, Thierry la Fronde  imposa une déclinaison à la française des Robin des Bois  et autres Ivanhoë  anglo-saxons qui remportaient alors un joli succès des deux côtés de la Manche. En résistant à l’envahisseur anglais au début de la Guerre de Cent Ans, Thierry symbolisait peut-être, pour certains, la résistance de la télévision française à tous ces héros pimpants et bondissants des voisins d’outre-Manche. Quarante-cinq ans plus tard, il est de bon ton de dénigrer cet « ovni » mal fagoté et tourné à la va-vite qui a eu l’honneur d’un beau coffret DVD mais n’est guère rediffusé par les chaînes. Et il est vrai que la série fleure bon le carton-pâte et la mise en boîte sans fioriture, annonçant de futurs Hélène et les garçons  qui essuieront les mêmes reproches et connaîtront le même succès foudroyant auprès du jeune (et parfois moins jeune) public. L’heure est venue de retourner y regarder de près.

 

 

 

Thierry bondissant (Merci à A l'image des Séries !)

 

A l’origine de Thierry la Fronde se trouve Jean-Claude Deret. Ce Parisien né le 11 juillet 1921 va exercer son métier de comédien au Canada durant neuf années. « Je suis revenu en France en 1959 », se rappelle-t-il dans les pages de Télé 7 Jours 1. « J’ai revu à la télévision tous les feuilletons que j’avais déjà vus là-bas : Ivanhoe, Lancelot du Lac, Guillaume Tell. J’ai trouvé bizarre que la France ne puisse pas produire un feuilleton tiré de sa propre histoire. Mes souvenirs d’enfance me sont revenus en mémoire, et j’ai décidé de créer un personnage imaginaire. Guillaume Tell avait une arbalète, Lancelot une lance, et Ivanhoé une épée. Mon héros, lui, aurait une fronde. Le prénom, Thierry, me vint comme ça parce qu’il sonnait bien avec la fronde. » Son enfance, comme le rappellent Jean-Jacques Schléret et Jacques Baudou, Deret l’a passée dans un village situé entre Bourges et Blois, Mennetou-sur-Cher : « Dans un tel lieu pétri d’histoire, plutôt que de jouer aux Indiens, les enfants de Mennetou jouaient tout naturellement à la guerre de Cent Ans. »2 Pourquoi ? Parce que Jeanne d’Arc y passa une nuit, sur la route d’Orléans, qu’elle allait délivrer de l’envahisseur anglais.

Deret situe donc son histoire durant la longue guerre qui opposa les armées française et anglaise pour la possession des territoires de France. L’action commence en 1360, alors que la Sologne est occupée par les hommes du Prince Noir, alias Edouard, Prince d’Angleterre, fils d’Edouard, Roi d’Angleterre (le même comédien, Jacques Couturier, aura l’occasion de jouer le père et le fils dans la série). Le Roi Jean, le Bon, est alors prisonnier des Anglais et son peuple se soucie de réunir l’argent qui paiera sa rançon : des prémisses très semblables à celles de Robin des Bois, qui s’impose évidemment comme l’un des modèles de Thierry la Fronde. Le héros est un jeune seigneur de Sologne, Thierry de Janville, qui ambitionne d’aller libérer le roi Jean mais est trahi par son propre intendant, le félon Messire Florent, qui le livre aux Anglais en échange des terres et du château de Janville. Le seigneur devient alors hors-la-loi et entend bouter l’Anglais hors de sa Sologne, puis hors de France, avec l’aide d’une bande de joyeux drilles qu’il a tôt fait de réunir autour de lui. A cette intrigue s’ajoute la composante romantique puisque Thierry est amoureux de la belle Isabelle, une fille de village, nièce de l’un de ses compagnons, Martin. Entre Isabelle et Thierry, c’est une sorte d’amour impossible : il est noble, elle n’est rien, sinon l’innocence, la fraîcheur et la générosité faites femme. C’est d’ailleurs à sa propre femme, Céline Léger, que Deret confie le rôle d’Isabelle, tandis que lui-même endosse l’habit du traître Florent, un méchant que la France entière adorera bientôt haïr (bien avant J. R.).

Pour concrétiser la série, Deret s’associe au réalisateur Robert Guez. Celui-ci – décédé en 1993 – reste associé à la série Le Temps des Copains, qui en plus de cent épisodes diffusés de 1961 à 1967 fut l’un des programmes préférés des Français. On y croise d’ailleurs, dans le rôle de M. Espanet, le comédien Jacques Couturier qui prêtera ses traits au Prince Noir de Thierry la Fronde, ainsi que Clément Michu auquel Guez proposera le rôle de Martin, le compagnon benêt de Thierry. Mais Guez avait aussi réalisé les treize épisodes de La déesse d’or en 1960, où un Jean-Claude Deret tout juste revenu du Canada jouait le rôle de Bernard. Les deux programmes étaient produits par la toute jeune société Télé France Films, dans le giron de laquelle les compères allaient tourner Thierry la Fronde, et qui permettrait à Guez de réaliser d’autres séries de l’époque, Fontcouverte en 1964 (écrite comme Le Temps des Copains par Jean Canolle), Seule à Paris en 1964-1965, Allô Police en 1966 (co-réalisée par Pierre Goutas, que Deret avait connu sur le tournage d’Agence Nostradamus en 1950 et qui avait succédé à Guez en tournant les deux dernières saisons de Thierry la Fronde), Salle n°8 en 1967, Affaire Vilain contre Ministère public en 1968, Une femme à aimer en 1969 et Mon seul amour en 1971.3 L’ensemble de la production française, de l’époque et plus tard, est marquée par cette société qui produit également Janique Aimée en 1963, Rocambole en 1964, Rouletabille et Vive la vie en 1966 et d’autres titres passés dans « l’Histoire » de la télévision française comme Les Gens de Mogador (avec Jean-Claude Drouot), Anne jour après jour, Médecins de nuit, Merci Sylvestre, Châteauvallon, Rue Carnot (où l’on retrouve Deret dans le rôle de Marcel)…

Outre Guez et Deret, Thierry la Fronde repose aussi sur les épaules de Jacques Harden (1925-1992), acteur de cinéma passé à la télévision en 1963 avec L’Inspecteur Leclerc enquête et qui proposa à Deret de co-écrire la série. Il y apparaît lui aussi, au cours de la première saison, dans le rôle du connétable Chandos, chef des armées du Prince Noir en Sologne 4. Les deux hommes – Deret et Harden – s’offrent ainsi le plaisir de jouer les félons dans un programme où ils sont également crédités comme scénaristes. Crédités seulement, car Harden n’écrira qu’une seule ligne de dialogue, se défilant dès le contrat signé ! [Lire l’entretien avec Jean-Claude Deret.] Mais, évidemment, Thierry la Fronde a besoin d’un comédien pour prendre forme à son tour. Et ce comédien, contre toute attente, viendra de Belgique.

Jean-Claude Drouot est d’abord un homme de théâtre. S’il continue de se prêter au jeu de la télévision, par exemple dans Monsieur Molina en 2006 (avec Enrico Macias dans le rôle-titre) ou La Séparation en 2005, où il est Jean Jaurès et côtoie Arditi, Rich ou Lonsdale, c’est à la scène qu’il consacre l’essentiel de son temps. Sur les planches, il joua Cyrano de Bergerac, Les Trois Mousquetaires ou Kean après avoir créé avec d’autres acteurs-producteurs la Coopérative Théâtrale à la fin des années 1970. En 1984, il dirige le Centre dramatique national de Reims et, de 1985 à 1989, la direction du Théâtre National de Belgique. Dix ans plus tard, la France l’accueille au sein de la Comédie Française.

C’est à Paris, au cours dispensé par Charles Dullin, que le comédien apprend son métier après avoir suivi une première formation au Jeune Théâtre de l’ULB, en Belgique. Son rôle dans Oreste le fait remarquer en 1962. Il a alors vingt-trois ans  (il est né le 17 décembre 1938 à Lessines, en Belgique) et se met en tête de décrocher le rôle d’un jeune aventurier fougueux dans une série en préparation, Thierry la Fronde. Selon Thierry Wolf et Stéphane Lenoir, auteurs de Génération Télé 5, c’est dans l’émission télé Au-delà de l’écran qu’il entend le scénariste Jean-Claude Deret et le réalisateur Robert Guez parler de la série, dont ils cherchent encore le comédien vedette. Pour Drouot, jeune Belge plutôt chétif, l’affaire n’est pas gagnée car Deret (qui vient le voir à la fin d’une représentation d’Oreste) cherche un comédien costaud, plutôt blond aux yeux bleus : « Je cherche un archange lumineux et vous êtes plutôt un ange déchu », aurait-il dit à Drouot. Ce dernier obtient pourtant un bout d’essai et se souvient en 1994 : « Il y avait sept comédiens, tous blonds aux yeux bleus ! et je me suis investi avec fougue dans la scène que l’on m’a demandé de jouer ; tellement que cela a bouleversé les données ! » Car voilà que Deret et Guez décident de l’engager, lui, prenant le risque de changer leur vision du personnage sur la seule performance d’un inconnu.

Telle est du moins la légende construite autour de la sélection du comédien : on le verra bientôt, Jean-Claude Deret lui-même offre aujourd’hui une autre version, moins dialectique, puisqu’il raconte avoir choisi Drouot, venu passer un casting, contre l’avis de Robert Guez qui souhaitait, lui, un acteur blond !6

 

Thierry conquérant (Merci à A l'image des Séries !)

 

Comédiens si peu connus et si familiers

 

Les comédiens qui entourent Jean-Claude Drouot sont essentiellement des comédiens peu connus. Clément Michu, on l’a dit, fut recruté par Robert Guez qui l’avait dirigé dans Le Temps des Copains. Robert Rollis (Jehan – 1921-2007) avait déjà derrière lui une belle liste de rôles mais tous secondaires : élève dans Les Disparus de Saint Agil en 1938, il avait été ensuite groom, steward, portier, représentant, policier, soldat, mécanicien, électricien et autres figurations du même acabit, dont une en ami casse-pieds dans Les Saintes Chéries ; le succès de Thierry n’allait pas changer sa carrière, poursuivie ainsi jusqu’au début des années 2000, où on le voit dans un épisode d’Avocats & Associés (« La preuve par le vide ») puis dans quelques épisodes de Faites comme chez vous. Jean Gras (1927-1998), le troisième compagnon à apparaître dès le premier épisode (Bertrand), avait quelques rôles à son actif au cinéma et on avait pu le voir en garde du corps dans un épisode de Bob Morane en 1965 ; un an après Thierry, il serait Mouchard dans le Vidocq avec Bernard Noël mais son nom allait rester largement inconnu. Robert Bazil (Boucicault) avait été commissaire dans Les Misérables de Le Chanois et s’était prêté à trois épisodes de La Caméra explore le temps et un de L’inspecteur Leclerc enquête ; lui aussi allait apparaître dans Vidocq en 1967, puis dans Jacquou le Croquant et quelques Cinq dernières minutes et autres Joseph Balsamo, Le Temps des As et La Chambre des dames, sans jamais occuper le premier plan sur l’écran. Fernand Bellan (Judas – 1912-1992), dont la carrière commença avec La Citadelle du silence de Marcel L’Herbier et La Tour de Nesle de Gaston Roudès d’après Alexandre Dumas en 1937, semble l’avoir interrompue dès la fin des années 1960. Quant à Bernard Rousselet (Pierre le poète), il avait vingt-huit ans lorsqu’il débuta dans la série et la suite de sa carrière sur l’écran se limiterait à quelques programmes télé et de timides apparitions au cinéma ; des Cinq dernières minutes à Madame le Juge, d’Allô Police à La Lumière des Justes, il resterait acteur de second plan, se retrouvant sur le même tournage que Jean-Claude Drouot à l’occasion des Gens de Mogador en 1972. Le comédien quitterait la série à la fin de la troisième saison. 6

Jean-Claude Drouot et Jean Gras s'amusent avec Clément Michu dans les décors de la série.

 

C’est davantage du côté des acteurs secondaires de la série que le public d’hier et d’aujourd’hui trouve l’occasion de rencontres inattendues. Un certain nombre des comédiens apparaissant à la faveur d’un épisode, voire tout au long de la série, ont en effet consacré une part de leur carrière à réaliser des doublages de programmes étrangers : si leurs noms et leurs visages restent souvent peu connus, ce sont leurs voix qui sonnent familièrement à l’oreille. La filmographie d’Yves Barsacq, par exemple (le Prieur dans les quatre saisons), nous apprend qu’il a joué Berthier dans plusieurs épisodes du Gorille au cinéma, un procureur dans Angélique marquise des anges, un certain Wilson dans plusieurs épisodes d’Arsène Lupin, etc., mais ce fils de l’acteur Léon Barsacq né en 1931 fut aussi la voix du Gros dans Il était une fois… l’homme et celle de Dupont dans Les Aventures de Tintin. Egalement à son actif, la voix française du mari médecin de l’héroïne de La Vengeance aux deux visages et celle de Korkonak dans Le Château des singes, en plus de fréquentes incursions dans le doublage de séries, téléfilms et dessins animés. De même, le comédien qui incarne le duc de Clarence, fils du roi Edouard, dans les deux dernières saisons de la série, n’est autre que Michel Gatineau que les Français connaissent (sans le savoir, pour beaucoup d’entre eux) comme la voix de Charles Ingalls, de l’inspecteur Derrick (dans certains épisodes) ou encore du Professeur Procyon dans Goldorak. Que dire encore des deux comédiens qui incarnent, l’un Girard dans la première saison, l’autre Germain dans la troisième, Francis Lax et Raoul Delfosse, alias les voix de Magnum, Hutch, Harrison Ford version Star Wars, et de Jonathan Garvey dans La Petite Maison dans la prairie ? Ou de Sady Rebbot, dont le visage et le nom sont connus pour Papa Poule ou Le véto mais dont la voix a été celle de Terry dans Magnum ou de Tubbs dans Deux flics à Miami, entre autres ? Et l’on s’amuse ainsi, au fil de la série, à entendre la voix de Gary Ewing dans Côte Ouest (Michel Paulin, in 4.11), du Juge Fulton dans Amicalement Vôtre (Louis Arbessier, in 4.05), de Roger Moore au cinéma et à la télévision (Claude Bertrand, in 3.07), de Rigel dans Goldorak et Matthew dans Dynasty (Jacques Ferrière, in 2.12, 3.08, 3.13 et 4.09) ou du Capitaine Dobey de Starsky & Hutch (Pierre Garin, in 3.03). Au rayon des curiosités, l’épisode « La chanson d’Isabelle » (3.10) réunit même dans son décor de carton-pâte l’inénarrable Philippe Castelli et l’écrivain Jean Comes Noguès 7 en trouvère et troubadour ! Certes, il n’y a là rien d’étonnant : c’est, toutes proportions gardées, du même ordre que de découvrir dans les séries américaines des années 1950 des comédiens inconnus à l’époque et devenus ensuite des stars (Redford, Marvin, Bronson…). Même Jacques Harden, co-scénariste et acteur de la série, s’est prêté au doublage (en donnant sa voix, par exemple, au serviteur égyptien qui apporte Cléopâtre roulée dans un tapis aux pieds du Jules César de Joseph Mankiewicz). Mais c’est aujourd’hui l’un de ces charmes désuets que conserve la série.

 

Thierry et ses compagnons, déclinés ici en carte postale Yvon. A côté de Jean-Claude Drouot sont assis Céline Léger et Clément Michu. Au-dessus, de gauche à droite, Jean Gras, Robert Bazil, Robert Rollis, Fernand Bellan et Bernard Rousselet.

 

La petite famille de Claude Carliez

 

Si les acteurs composent la face la plus visible de la série, le téléspectateur a vite compris, en passant d’un épisode à l’autre, qu’une autre catégorie de « figures » compose, elle, une sorte d’infra-structure de Thierry la Fronde : celle des visages qui réapparaissent dans la plupart des épisodes pour incarner des soldats anglais interchangeables, des brigands et des bretteurs, toute une galerie qui montre l’importance dans la série des cascadeurs et maîtres d’armes. Car chaque épisode comporte au moins une bagarre, qu’elle soit menée à mains nues, au couteau, à l’épée ou faisant feu de tout bois. Si Les Mystères de l’Ouest emploie autour de Robert Conrad sa propre galerie de joueurs de poings (au premier rang desquels Red West et Dick Cangey), Thierry la Fronde a aussi sa petite famille, et c’est celle de Claude Carliez. Celui-ci est, avec Raoul Billerey, le responsable de tous les combats de la série. L’un comme l’autre y apparaissent donc sans forcément être crédités, remplaçant les comédiens principaux dans les cascades les plus éprouvantes : si Jean-Claude Drouot assure lui-même une grande partie des performances physiques de son personnage, il n’en va pas de même de ses compagnons, et il est aisé de voir que ses adversaires à l’épée ne sont pas toujours les comédiens qui les incarnent « de face ». De même, les complices les plus employés du tandem Carliez-Billerey sont facilement repérables à la fréquence de leurs apparitions à l’écran : Lionel Vitrant, Antoine Baud, Yvan Chiffre, Rico Lopez, Guy Delorme.

Guy Delorme, certainement le plus connu, possède les traits de tant de méchants du cinéma et de la télévision, redoutables à l’épée, qu’il sert de modèle à l’un des personnages de la bande dessinée De Capes et de Crocs du tandem Ayroles-Masbou, le capitaine Mendoza, « le diable en personne » selon un autre personnage. Œil sombre, barbe fine en pointe, silhouette élancée, Delorme a affronté Jean Marais et Gérard Barray dans les films d’André Hunebelle (Le Bossu, Le Capitan, Le Miracle des loups, Les Mystères de Paris, Fantomas contre Scotland Yard), de Bernard Borderie (Les Trois Mousquetaires, Le Chevalier de Pardaillan, Rocambole) et de Pierre Gaspard-Huit (Le Capitaine Fracasse), tout en prêtant son visage et son talent à des productions télé comme Gaspard des Montagnes, Corsaires et flibustiers, Quentin Durward, Les Evasions célèbres, Joseph Balsamo, Schulmeister espion de l’Empereur et Ces Beaux Messieurs de Bois-Doré. Né en 1929, décédé en 2005, il a tenu son dernier rôle, celui de D’Artagnan, dans Le Fou du roi écrit et réalisé en 1984 par son complice Yvan Chiffre. Les autres membres de l’équipe de Carliez ont participé, comme Delorme ou Billerey, qui aux Fantomas, qui aux Coplan, qui encore aux OSS 117 ou aux films de Gérard Oury, dans lesquels ils endossent les rôles peu gratifiants d’hommes de main, de gangsters, de tueurs.

Si Raoul Billerey est moins connu que Claude Carliez, peut-être parce qu’il s’est autant prêté à la comédie qu’au réglage des cascades et des combats, Carliez reste celui qui, avec Rémy Julienne, a donné ses lettres de noblesse au métier de cascadeur. Fils d’un escrimeur, il fréquenta les salles d’armes dès l’âge de douze ou treize ans puis entra à dix-huit ans à l’Ecole Magistrale d’Escrime de Joinville-le-Pont, dont il sortit à vingt-et-un ans. Les studios de tournage proches de Joinville lui offrirent aussitôt l’occasion d’exercer ses talents dans le domaine du spectacle. Ses « vrais » débuts sont situés sur le tournage de Lucrèce Borgia  de Christian-Jaque, en 1953, et il règle ensuite des scènes de bataille et de combats dans Cadet-Rousselle, Le Fils de Caroline Chérie, Austerlitz d’Abel Gance… C’est pour travailler sur les films de cape et d’épée d’André Hunebelle et Bernard Borderie, où s’illustre particulièrement Jean Marais, qu’il crée sa propre équipe de cascadeurs et de maîtres d’armes, devenant sur Le Capitan le véritable maître d’œuvre des combats et des cascades, à la demande d’André Hunebelle. Partageant son travail entre cinéma et télévision, il a en quarante-cinq ans de carrière apporté son savoir-faire à une bonne moitié des feuilletons historiques français et entraîné des acteurs de toutes nationalités. Belmondo et Delon ont fait appel à lui pour la plupart de leurs films. Premier Président du Syndicat Français des Cascadeurs Professionnels, il préside désormais l’Académie d’Armes de France (créée en 1567 par Charles IX, elle réunit aujourd’hui une centaine de maîtres d’armes) et a été fait Chevalier des Arts et Lettres. Son fils, Michel Carliez, a repris le flambeau.

Loin de Thierry mais toujours proche de Thierry : Raoul Billerey avec Jean-Claude Drouot (photo Didier Donnat pour la Dépêche du Midi, 2010)

 

Jean-Claude Drouot, de Thierry à Jaurès

 

S’il s’était montré fort désireux d’obtenir le rôle de Thierry, Jean-Claude Drouot ne tarda pas à se montrer bien peu satisfait de l’aventure. Certes, il tenait à réaliser lui-même ses combats et cascades, estimant qu’un comédien n’était jamais plus comédien qu’en effectuant justement ce genre de prouesses physiques, et y prenait un réel plaisir. « Pendant le tournage, des comédiens me disaient souvent : ‘Tu n’as pas à prendre de tels risques. Un acteur n’est pas un cascadeur.’ Je trouve que ce raisonnement est faux. L’acteur doit tout faire. C’est même dans ces exploits qu’il se montre le plus parfaitement comédien. Si j’accepte d’être Thierry, je dois l’être sur toute la ligne, pas uniquement dans ses jeux de physionomie. » 8 Clément Michu rapporte à ce sujet une anecdote : lors du tournage d’une scène dans l’eau, aux abords d’un château, les habitants du cru ayant parlé de la présence de rats dans l’eau, seul Jean-Claude Drouot accepta de s’y glisser, attaché par une corde à ses compagnons. Le changement de réalisateur, pour la troisième saison, serait également dû à une cascade, toujours selon Clément Michu : Jean Gras (Bertrand) ayant refusé de monter à cheval par un jour pluvieux, Robert Guez lui montra que c’était sans risque, montant lui-même l’animal sans selle ; il chuta et se blessa à la colonne vertébrale, ce qui entraîna son remplacement par Pierre Goutas, lequel resta aux commandes durant les deux dernières saisons.

Mais la direction d’acteurs et l’évolution de son personnage, deux données inexistantes selon lui, firent naître l’amertume dans son cœur, et bientôt dans ses propos, relayés par la presse. « Le réalisateur n’a sûrement jamais dû se poser la question de savoir ce qu’il voulait faire du personnage. Je suis déçu par ce feuilleton », dira-t-il plus tard, « rempli d’amertume. Il n’y avait aucune direction d’acteur, aucun moyen de réaliser une œuvre collective et les conditions de travail étaient impossibles. Tout a été tourné avec une extrême rapidité, il suffisait que le texte ne soit pas trop bafouillé, que les places soient acceptables pour la lumière et la première prise était bonne Que voulez-vous, on ne s’improvise pas par hasard metteur en scène. » 8 Reproduites dans Télé 7 Jours au moment de la diffusion des premiers épisodes, ces critiques visaient directement Robert Guez.

Drouot n’en poursuivit pas moins l’aventure jusqu’au terme de son contrat : il avait signé pour cinquante-deux épisodes, soit quatre saisons de treize, les deux premières étant diffusées sans interruption de novembre 1963 à avril 1964 tandis que les deux dernières furent séparées par un hiatus de neuf mois, entre mars et décembre 1965. L’acteur se retira alors, bien que la série, toujours populaire, eût pu continuer encore, peut-être deux saisons selon Clément Michu. « Thierry est devenu un étranger pour moi », déclarait Drouot. « J’en ai eu la certitude, il y a quelques jours. A la sortie d’un théâtre, un jeune téléspectateur m’a présenté un numéro de Télé 7 Jours avec ma photo dans le rôle de Thierry pour un autographe. J’ai eu la très nette impression, à cet instant, que cette photo ne me concernait pas, mais un autre être que j’avais perdu de vue, presque oublié. Il s’est très certainement produit en moi, depuis neuf mois [temps écoulé entre le tournage des derniers épisodes et leur diffusion à la télévision], un phénomène de déphasage : le courant ne passe plus bien entre Thierry et moi, et c’est très bien ainsi. Je ne regrette pas, certes non, d’avoir été Thierry la Fronde. Le tournage de ce feuilleton a été une belle aventure pour moi. » Quelques mois plus tôt, attaquant justement le tournage de la quatrième saison, il déclarait à Télé 7 Jours : « Cette quatrième série est la dernière… Pour moi, au début, c’était une aventure. Je n’avais jamais fait de cinéma, ni de télévision. J’étais totalement inconnu du grand public. Ce rôle m’a libéré devant la caméra. Pendant deux ans, j’ai été Thierry la Fronde. Pendant deux ans, j’ai reçu des propositions cinématographiques pour tourner des films de cape et d’épée sur la lancée et dans la lignée de Thierry. J’ai refusé. Je veux me dissocier de ce personnage qui m’a beaucoup apporté. Mais, maintenant, ma carrière est à un tournant. » 9

 

Le Bonheur, d'Agnès Varda, en 1964

 

Ce tournant, c’est le tournage pour Agnès Varda, en 1964, de Le Bonheur, où il figure avec sa femme Claire et leurs enfants Olivier et Sandrine. Ce film, audacieux pour l’époque, valut à l’auteure-réalisatrice le Prix Louis Delluc en 1964 et l’Ours d’Argent à Berlin en 1965 : Drouot y jouait un homme, heureux en famille, qui tombe amoureux d’une autre femme ; loin de s’éloigner de sa femme, il se rend compte que ce nouvel amour s’ajoute au premier et forme une sorte de bonheur complet, qu’il veut faire partager à l’ensemble de sa famille. Son épouse l’accepte, puis se suicide. Drouot tourne ensuite, sous la direction de Paul Vecchiali qui collabora aussi au film de Varda, Les ruses du diable, dans lequel on relève la présence de Jacques Harden, co-auteur de Thierry la Fronde, et de l’acteur Georges Beauvilliers qui avait aussi participé à l’aventure Thierry la Fronde. Puis c’est Jules Verne, adapté par Claude Santelli, que le comédien illustre ensuite en jouant le rôle-titre de Le Secret de Wilhelm Storitz, mis en images par Eric Le Hung dans le cadre du Théâtre de la jeunesse qui revisite de grands titres de la littérature sous forme de dramatiques télé très proches des mises en scène de théâtre, tournées en direct. Dans La Forêt noire, de Marcel Cravenne, Drouot donne la réplique à Alain Cuny avant de collaborer à Princesse Czardas de Dirk Sanders et de jouer Obéron dans une version du Songe d’une nuit d’été écrite et réalisée par Jean-Christophe Averty, avec Claude Jade, Christine Delaroche, Michel Ruhl notamment.

Toutes ces productions sont destinées à la télévision mais le cinéma lui offre aussi quelques rôles dans le passage des années 1960 aux années 1970 : Mr. Freedom, de William Klein, est une curiosité emmenée par Donald Pleasence en simili-super-héros qui veut libérer la France de la menace communiste… quitte à détruire le pays tout entier ! Drouot y joue un certain Dick Sensass et Serge Gainsbourg M. Drugstore… Plus classique est l’adaptation, devant la caméra de Tony Richardson, de La Chambre obscure de Vladimir Nabokov, une production britannique dans laquelle le comédien belge côtoie Nicol Williamson et Anna Karina. Claude Chabrol propose alors à l’acteur un rôle dans son film La Rupture, au côté de Stéphane Audran, Jean-Pierre Cassel et Michel Bouquet, puis ce sont Kirk Douglas et Yul Brynner qu’il rencontre dans une nouvelle adaptation de Verne, Le Phare du bout du monde, produite par Kirk Douglas et Alexander et Ilya Salkind et tournée en Espagne, sous la direction de Kevin Billington. Cette fois, Drouot joue le rôle d’un « méchant », Virgilio. Il reste en Espagne pour participer au film d’un autre Américain, Franklin J. Schaffner (le réalisateur de La Planète des Singes et de Patton), Nicolas et Alexandra, sur la fin du tsar Nicolas II et la Révolution russe.

Son retour à la télévision, et en France, Drouot l’accomplit en 1972 en jouant l’un des premiers rôles du feuilleton Les Gens de Mogador, où il côtoie Marie-José Nat et Marie-France Pisier mais retrouve aussi Bernard Rousselet, l’un des compagnons de Thierry (Pierre le poète). La télévision lui propose aussi le rôle de Fracasse dans une nouvelle adaptation du roman de Théophile Gautier, réalisée par Raoul Sangla et dont les combats sont réglés par « la bande à Carliez », comme au temps de Thierry. Quelques années plus tard, sous la direction de Bernard Borderie, il incarne un personnage que Thierry avait croisé dans un épisode de sa série, Gaston Phébus, pour le feuilleton qui porte son nom et où il a pour partenaires Nicole Garcia, Georges Marchal et France Dougnac.

 

8 février 1964, la couverture de Télé 7 Jours, avec J.-C. Drouot et Céline Léger

 

Télévision, cinéma et théâtre remplissent sa carrière depuis lors : il tourne plusieurs feuilletons, tels que La Rivière Espérance et Les Steenfort, maîtres de l’orge, apparaît dans Ferbac avec Jean-Claude Brialy et Les Rois maudits version 2005, incarne Emile Zola dans L’Affaire Dreyfus en 1995, Alexandre Dumas dans Victor Schoelcher, l’abolition en 1998 et Jean Jaurès dans La Séparation en 2005, tourne avec Nina Companeez, joue Molière… et se dit heureux d’avoir rompu très tôt avec Thierry la Fronde, soucieux de ne pas se laisser enfermer dans le succès et de devenir l’artiste qu’il voulait être. Même si son nom reste, encore et toujours, associé au héros généreux et bondissant qu’il incarna à l’aube de sa carrière. « J’ai tout fait pour faire oublier ce personnage », lit-on dans le Télé-Feuilletons de Jean-Jacques Jelot-Blanc. « Je suis sans doute le comédien français à avoir endossé le plus de personnages différents et de rôles-titre dans des séries pourtant aussi réputées que Gaston Phébus ou Les Gens de Mogador. Au théâtre, j’ai composé plus de vingt-cinq rôles différents, au cinéma, près d’une vingtaine, mais rien n’y a fait. Il y a une osmose, un lien et, peut-être, mes petits-fils ne m’appelleront-ils plus que… Thierry la Fronde ! » 10

Le fait est que, dès sa première diffusion, le dimanche en fin d’après-midi, à partir du 3 novembre 1963, Thierry la Fronde rencontra un succès foudroyant. Du jour au lendemain, Jean-Claude Drouot devenait une star, faisait les couvertures de Télé 7 Jours et bientôt de Télé-Poche, incarnant pour nombre de jeunes damoiselles du XXème siècle le chevalier idéal, courtois, ténébreux, romantique et courageux, tandis que sa bande exprimait une joie de vivre et un « retour à la nature » que l’on retrouve à bien des époques, nonobstant la célébration de la résistance à l’envahisseur à l’époque où les programmes anglo-saxons commençaient à remplir les cases de l’unique chaîne de télévision française. La musique de Jacques Loussier, évidemment reprise en chœur par les enfants aux yeux écarquillés d’admiration devant leur héros bondissant, n’était pas pour rien dans cet engouement et continue de faire le bonheur des éditeurs de compilations. Qu’on l’aime ou qu’on l’abhorre (car les deux camps existent), Thierry reste une forme de symbole, un pionnier en matière de série à la française, une référence incontournable, même si ce n’est pas pour sa qualité ! De l’aveu du comédien Clément Michu, l’ensemble des gens impliqués dans la production pensaient, à l’époque, faire œuvre innovante,  même si les comédiens étaient mal payés et les épisodes mis en boîte avec une rapidité qui ne laissait pas grand place à l’exigence artistique.

Une halte avant l'action pour Thierry de Janville (Merci à A l'image des Séries !)

 

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ou l'entretien-carrière de Clément Michu

 

Notes

1. Cité dans Les feuilletons historiques de la télévision française de Jean-Jacques Schléret et Jacques Baudou, Huitième Art, 1992, p. 25.

2. ibid.

3. La société Telfrance existe encore et est responsable de productions telles que P.J. et Les Cordier juge et flic. Fondée en 1949 par Michel Canello, elle est également derrière des titres aussi connus que Commissaire Moulin, Terre Indigo, Tramontane et aujourd’hui Plus Belle la vie.

4. Jacques Harden est Goujet dans le Gervaise de René Clément en 1956 ainsi que Courfeyrac dans Les Misérables de Jean-Paul Le Chanois (avec Jean Gabin, Bernard Blier et Bourvil) et il continue de jouer au cinéma jusqu’au début des années 1970, où on le croise en inspecteur de police dans La peau de Torpedo de Jean Delannoy, avec Klaus Kinski. Il a parallèlement collaboré à de nombreux programmes pour la télévision, dont Le voyageur des siècles, Aux Frontières du possible, Les Brigades du Tigre, Les Mohicans de Paris, Mazarin, La Lumière des Justes, Commissaire Moulin, Bel-Ami (en 1983) et, peu de temps avant sa mort, l’épisode « Le bal des gringos » de Navarro.

5. Génération Télé de Thierry Wolf et Stéphane Lenoir, Belles Lettres / FGL, 1994, pp. 154-160.

6. Lire l’entretien qui suit avec Jean-Claude Deret.

7. Jean-Come Noguès, enseignant puis principal de collège, écrit des romans pour la jeunesse dont l’action se déroule en général sur fond historique. Certains de ses titres sont devenus des classiques, comme Le Faucon déniché, et l’une de ses périodes de prédilection est… le Moyen-Age.

8. in Les feuilletons historiques de la télévision française, op. cit., p. 25-26.

9. ibid., p. 26.

10. Télé-Feuilletons, J.-J. Jelot-Blanc, Ramsay Cinéma, 1993, pp. 549-550. L’auteur ne cite pas sa source.

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