Un article de Thierry Le Peut
publié sur le blog d’Arrêt sur Séries le 9 août 2022
Titres et images sont (c) copyright MGM / Warner Bros.
Avant d’être une série produite par HBO entre 2016 et 2022, Westworld est une idée de Michael Crichton qui, d’un film modeste en 1973, prolongé par une séquelle en 1976, tenta le passage au petit écran sous la forme d’une série intitulée Beyond Westworld. Laquelle ne vécut que cinq épisodes dont deux ne furent même pas diffusés par CBS. Retour sur cette étoile filante de la télévision US, en commençant par l’univers esquissé au cinéma.
voir le guide des épisodes de Beyond Westworld
LES FILMS
Yul Brynner et Michael Crichton
En 1973, Westworld (en France Mondwest) est un film écrit et réalisé par Michael Crichton. Jeune écrivain né en 1942, Crichton écrit depuis le milieu des années 1960, d’abord sous des pseudonymes (John Lange, Jeffery Hudson, Michael Douglas), ensuite sous son vrai nom. Son premier roman sous le nom de Michael Crichton, The Andromeda Strain, publié en 1969, a été adapté au cinéma par Robert Wise en 1971 (Le Mystère Andromède). Ce n’est qu’en 1972, à partir de The Terminal Man, qu’il adopte définitivement le nom de Crichton en couverture de ses écrits. L’idée de Westworld est écrite directement pour le cinéma car Crichton la trouve trop visuelle pour faire l’objet d’un roman. MGM, approchée par le producteur Paul N. Lazarus III qui venait de produire un autre scénario de Crichton, Extreme Close-Up, réalisé par Jeannot Szwarc, accepte de produire le script en laissant Michael Crichton le réaliser mais avec un budget d’un million de dollars, plutôt restreint pour un film de science-fiction. Le film coûtera finalement 250.000 $ de plus mais sera l’un des succès de la MGM au box-office cette année-là. C’est la deuxième réalisation de Crichton, après le téléfilm Pursuit en 1972, avec Ben Gazzara, E.G. Marshall et Martin Sheen. Il attendra 1978 pour renouveler l’expérience en dirigeant Morts suspectes, avec Michael Douglas et Genevieve Bujold, et La grande attaque du train d’or avec Sean Connery et Donald Sutherland. Yul Brynner, alors en proie à des soucis financiers, accepte de parodier son rôle de Les Sept Mercenaires pour 75.000 $ (qui équivaudraient en 2022 à près de 500.000 $). Son personnage parle peu et inspirera quelques années plus tard le personnage de Michael Myers, le tueur sans émotion de Halloween (1978), et celui du robot tueur de Terminator (1984).
Westworld imagine un futur (l’action se déroule en 1983) dans lequel la société Delos a conçu un parc d’attractions dans le désert à base de robots tellement semblables aux humains qu’il est impossible à première vue de faire la différence. Le personnage incarné par James Brolin explique à celui de Richard Benjamin que seules les mains permettent de déceler le robot sous l’apparence humaine car elles n’ont pas encore été pleinement perfectionnées. Répartis dans trois structures séparées, l’Ouest américain de 1880, la Rome antique et le monde médiéval, ils offrent aux visiteurs (qui doivent débourser la modique somme de 1000 $ par jour, tout de même) un séjour de rêve dans l’un de ces univers, dans la peau du personnage de leur choix, avec la garantie que les robots réaliseront tous leurs fantasmes. Les machines sont programmées pour ne jamais blesser un humain, de même que les armes à feu sont munies d’un système les empêchant de blesser les visiteurs. Chaque jour, les robots répondent à toutes les demandes des visiteurs et servent de défouloir à leurs désirs les plus sensuels ou les plus brutaux. Nombre d’entre eux sont ainsi « tués » dans des duels au revolver avec force projection de sang synthétique. C’est le cas du Gunslinger (le « Flingueur ») incarné par Yul Brynner, un as de la gâchette qui est la réplique du héros des Sept Mercenaires, dont il porte le costume noir. Programmé pour provoquer les visiteurs, il est immanquablement envoyé au tapis par le plus maladroit des tireurs. Chaque nuit, les nettoyeurs et techniciens de l’ombre récupèrent les « cadavres » et les réparent dans les laboratoires dissimulés sous la surface du désert, dans un complexe souterrain invisible aux visiteurs, pour les remettre en service dès le lendemain. C’est ainsi que les personnages de James Brolin et Richard Benjamin se retrouvent affrontés au Gunslinger chaque jour, invariablement certains de le terrasser. On rencontre dans le rôle du superviseur en chef de ces robots, à la tête d’une équipe de scientifiques et de techniciens, Alan Oppenheimer qui tient un rôle similaire dans L’Homme qui valait trois milliards, dont il est le premier Dr Rudy Wells (plus tard remplacé par Martin E. Brooks) entre 1973 et 1975.
Westworld raconte, de façon méthodique et assez lente, comment les robots échappent brusquement au contrôle de leurs concepteurs et se retournent contre les visiteurs en perdant l’inhibition qui leur interdisait de s’attaquer aux humains. Un touriste qui s’est rêvé en preux chevalier du Moyen-Age est embroché par un adversaire au terme d’un duel inégal, les robots de Rome se rebellent contre leurs maîtres et, bien sûr, le Gunslinger Yul Brynner abat James Brolin contre toute attente et traque ensuite Richard Benjamin avec la ferme intention de le tuer.
Westworld connaît une suite en 1976, FutureWorld (en France Les Rescapés du futur), dans laquelle Crichton n’est pas impliqué mais qui est produite également par Paul Lazarus. Yul Brynner y reprend son rôle de Gunslinger mais pour quelques minutes seulement, dans une séquence de rêve (nombre de spectateurs crient à l’arnaque en découvrant que l’acteur, dont le nom est encadré sur l’affiche, apparaît finalement si peu). Ecrite par Mayo Simon et George Schenck et réalisée par Richard T. Heffron, cette suite imagine que le parc d’attractions a été reconstruit et réhabilité par la société Delos qui a passé deux ans à reconstruire aussi son image auprès du public après le fiasco du premier parc. Une nouvelle attraction a été ajoutée, qui emmène les visiteurs dans l’espace (le FutureWorld proprement dit). Il ne s’agit plus ici de raconter un nouveau dysfonctionnement des robots mais un sombre complot ourdi par leurs nouveaux concepteurs pour cloner des visiteurs de marque et les remplacer par ces doubles non pas robotiques mais organiques, tout entiers dévoués à Delos. Un couple de journalistes met son nez dans les coulisses et démasque la machination avec le concours d’un ouvrier interprété par Stuart Margolin, devenu en 1974 l’un des personnages récurrents de Deux cents dollars plus les frais dans le rôle d’Angel. FutureWorld imagine un parc d’attractions peuplé et géré par des robots (on a remplacé les techniciens humains par une nouvelle génération d’androïdes afin de supprimer le risque d’erreur humaine) et anticipe un monde dirigé en sous-main par une multinationale toute-puissante, la science et les affaires ayant partie liée pour gouverner la planète. L’année suivante, en 1977, MGM invitera Mayo Simon à écrire le script du téléfilm Man from Atlantis (L’Homme qui venait de l’Atlantide) dont la musique sera signée par Fred Karlin, compositeur des deux films Westworld et FutureWorld, très proche de celle qui accompagne dans FutureWorld les pérégrinations de Peter Fonda et Blythe Danner dans leurs rôles de journalistes. Les crédits du générique seront composés sur le même modèle que ceux de FutureWorld, tous ces éléments créant une continuité entre le film et la série de téléfilms puis la série régulière L’Homme de l’Atlantide.
En donnant une place importante à une technologie vaguement futuriste (le sous-marin et les ordinateurs omniprésents tant du côté des gentils que des méchants, en particulier le machiavélique Dr Schubert incarné par Victor Buono), L’Homme de l’Atlantide s’inscrit dans la même veine que FutureWorld. Il y est question aussi, comme dans Des Agents très spéciaux ou Les Mystères de l’Ouest, de mégalomanes dangereux qui rêvent d’asservir l’humanité et de gouverner le monde, recourant à toutes sortes de machinations afin d’y parvenir, au rang desquelles on retrouve les robots à l’image de l’homme, programmés pour prendre la place d’êtres humains, un motif dont usent aussi volontiers L’Homme qui valait trois milliards et Super Jaimie, contemporaines de Westworld et FutureWorld.
WESTWORLD TENTE LE PASSAGE A LA TELE
Voulant surfer sur cet air du temps, popularisé au cinéma par la série des James Bond, MGM décide de décliner Westworld en série télévisée. Lou Shaw, officiellement créateur (avec Glen A. Larson) de la série Quincy M.E. en 1976, est chargé d’adapter le concept et d’en tirer une formule adaptée à une série hebdomadaire. Il choisit de situer l’action dans la continuité de Westworld mais en mixant les intrigues des deux films : l’histoire commence au lendemain de la destruction de Westworld (des images du film seront reprises dans l’introduction du générique à partir de l’épisode 2) mais explique celle-ci par les sombres machinations de l’un des concepteurs des robots, Simon Quaid, l’assistant du Pr Joseph Oppenheimer (un clin d’œil à Alan Oppenheimer, le superviseur en chef des robots dans Westworld), qui a infiltré des androïdes un peu partout dans le monde et compte les utiliser pour renverser des gouvernements, s’emparer de richesses diverses et, en un mot, prendre le pouvoir partout où il le pourra. Comme le personnage d’Arthur Hill dans FutureWorld, Quaid justifie ses plans, entre autres raisons, par le manque de fiabilité des humains. Simon Quaid est un avatar des mégalomanes des séries citées ci-dessous, une variation sur le Blofeld de James Bond. Comme le Dr Schubert dans L’Homme de l’Atlantide, il est entouré d’un assistant récurrent (incarné par Stewart Moss dans l’épisode 1 puis Severn Darden dans les épisodes 2 et 3, et remplacé par un autre personnage au rôle similaire dans les épisodes 4 et 5) et de quelques jolies femmes, des robots conçus par lui-même et qui lui sont entièrement dévoués, en particulier la séduisante mais dangereuse Roberta (interprétée par Ann McCurry). Comme Schubert aussi, il change de base d’opération d’un épisode à l’autre, passant d’une sorte de « salle de crise » secrète dans l’épisode 1 à un bus ou un camion aménagés en quartier général aux parois tapissées d’ordinateurs et d’écrans, ou se déplaçant en limousine avec chauffeur tout en suivant le déroulement de ses plans sur des écrans embarqués.
Comme l’action du film se déroulait entièrement dans le parc d’attractions Westworld et que celle de la série se transporte au contraire à l’extérieur, traquant les robots de Quaid partout où ils sont repérés, la série est intitulée Beyond Westworld, « au-delà de Westworld ». Le lien avec le film est fait visuellement par deux affiches originales de Westworld, placées dans le bureau du chef des opérations Joseph Oppenheimer, sur lesquelles se dessine la silhouette de Yul Brynner. Une variante du Gunslinger est également mise en scène dans le premier épisode : interprété par Alex Kubik, le personnage attaque les héros dans le décor de western du parc d’attractions désormais abandonné. Dans le premier épisode, Simon Quaid explicite la continuité avec le film en prononçant la réplique : « Now the final chapter of Westworld » (« Voici le dernier chapitre de Westworld »), et Judith Chapman résume le pitch de la série en déclarant à Jim McMullan, qui joue le héros, chargé de contrer les plans de Quaid : « Let’s face it, John : it’s your wits against Quaid’s machines » (« Soyons lucides, John : c’est ton intelligence contre les machines de Quaid »). L’homme contre la machine, le chevalier blanc (McMullan porte un costume blanc au début de la série) contre le chevalier noir (James Wainwright, alias Quaid, porte un costume noir).
Jim McMullan, Judith Chapman et James Wainwright sur le tournage de l'épisode pilote
Jim McMullan, qui était en 1974 l’un des deux policiers en hélicoptère de la (courte) série S.O.S. Hélico produite par Aaron Spelling, avec Dirk Benedict dans le rôle de l’autre flic, est engagé pour être le héros, John Moore, chef de la sécurité de Delos, appelé à la rescousse lorsque Westworld s’effondre. Sa mission est clairement d’être un James Bond de la télé et il a droit à une assistante de charme. Celle-ci est incarnée par Judith Chapman dans l’épisode pilote, écrit par Lou Shaw et réalisé par Ted Post, avec John Meredyth Lucas au poste de producteur. Lucas a travaillé sur Mannix et d’autres séries, notamment Star Trek où il oeuvra à la fois comme scénariste et comme producteur. Post, lui, a une solide réputation et fut le réalisateur du Secret de la Planète des singes en 1970, deuxième opus de la série cinématographique. Le personnage de Judith Chapman, Laura Garvey, est une femme de bureau, dont les formes harmonieuses sont enveloppées dans une jupe stricte. Assistante du Pr Oppenheimer, elle est également capable de prêter main forte à John Moore sur le terrain. Le personnage est néanmoins remplacé lorsque commence la production des épisodes, après le feu vert consécutif à l’épisode pilote. La production engage une actrice débutante, Connie Sellecca, qui vient d’incarner l’une des hôtesses de l’air de la série Embarquement immédiat après avoir donné la réplique au super-héros de Captain America II. Sellecca est moins « raide », moins « collet monté » que Chapman, et son personnage, au contraire de Laura Garvey, connaît déjà John Moore : il fut son mentor et leur relation est placée d’emblée sous une étoile romantique. La série ne durera pas suffisamment pour en dire davantage sur ce qu’ils ont déjà partagé par le passé mais le duo, avec ce soupçon de désir, assume une tension sexuelle que n’avait pas le tandem McMullan-Chapman. L’équipe, complétée par Joseph Oppenheimer, à la fois scientifique spécialiste des robots et superviseur direct des missions, Oscar Goldman et Rudy Wells en un seul personnage, en quelque sorte, reconstitue un trio déjà rodé : on pense par exemple à Sam Casey, Abby Lawrence et Leonard Driscoll dans Le Nouvel Homme invisible (Gemini Man) en 1976, mais aussi tout bêtement à Mark Harris, Elizabeth Merrill et C.W. Crawford ou le Dr Miller Simon dans L’Homme de l’Atlantide. La tête, les jambes et le charme, le tandem impliqué dans l’action prenant en charge une ou plusieurs de ces qualités.
ANATOMIE D'UNE SERIE EPHEMERE
McMullan, qui a été dirigé par Michael Crichton dans Pursuit avant d’être le protagoniste de Extreme Close-Up écrit par le romancier, est emballé par le concept. « J’adorais l’idée. Le pilote était un scénario bien écrit et dans ce genre on a besoin de bons scripts, qui soient bien pensés et vont surprendre le public, qui soient astucieux et ouvrent différentes pistes. Le pilote avait cela. » (1) Structuré en deux parties, le pilote, d’une durée de cinquante minutes comme les épisodes suivants, raconte l’entrée en scène de John Moore et sa rencontre avec ses deux acolytes, d’abord dans les bureaux de la société Delos, ensuite dans le décor western du parc d’attractions, puis la première mission du duo Moore-Garvey à l’intérieur d’un sous-marin nucléaire. Les invariants de la formule y sont inaugurés : sur le plan scénaristique, les héros découvrent ou soupçonnent la présence d’un robot dans un environnement donné (ici le sous-marin, plus tard une équipe de football, un groupe de rock, le monde des courses automobiles ou les forces de police) où les agents Moore et Garvey (Williams à partir de l’épisode 2) sont infiltrés afin de démasquer le robot (forcément difficile à repérer puisque rien ne le différencie des humains), en restant en contact avec Oppenheimer au quartier général de Delos ; sur le plan des gimmicks, ces « trucs » qui donnent à la série une identité visuelle, comme les envahisseurs enveloppés d’un halo rouge lorsqu’ils brûlent, dans Les Envahisseurs de Quinn Martin, le public découvre ce qui sera ensuite repris invariablement dans chaque épisode :
- Les yeux des robots sont normaux quand ils sont actifs mais opaques quand ils sont désactivés ou tués.
- Le point de vue des robots est systématiquement visualisé dès qu’ils sont désignés comme robots, à l’aide d’un effet spécial visuel et sonore différent de l’image pixélisée qui restituait le point de vue de Yul Brynner dans Westworld.
- Ils agissent de façon normale tant qu’ils ne sont pas démasqués mais bougent avec une raideur mécanique (dans le genre des Cybernautes de Chapeau melon et bottes de cuir) lorsque, percés à jour, ils affrontent Moore dans la séquence finale (particularité qui est un parti pris de mise en scène sans cohérence avec la perfection mimétique des androïdes).
- Moore dispose d’un appareil portable capable de détecter la présence d’un robot, qu’il transporte avec lui dans ses missions mais qui, hélas, se montre rarement suffisant pour identifier le robot. Ce gimmick n’est donc guère efficient et rend plutôt ridicule le personnage de Moore quand il s’en sert (on retiendra l’épisode 5 où McMullan se rue brusquement dans le quartier général de la police en tenant son appareil à bout de bras, comme un illuminé, avant de s’arrêter devant une pièce dont tous les occupants sont de facto suspects d’être des robots… sans que l’appareil soit en mesure de démasquer le robot dans cette brochette de suspects).
- A un moment de l’histoire, les circuits internes des robots doivent être visibles. Dans l’épisode pilote, on ouvre la poitrine d’une androïde (interprétée par la belle Mo Lauren) pour en révéler les plaques de circuits, que contemplent à loisir Moore et Garvey, puis le robot une fois démasqué ôte ses pastilles oculaires et révèle les circuits parcourus de lumières clignotantes que dissimulaient ces pastilles.
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C’est la seconde partie de l’épisode pilote qui constitue la règle dans l’écriture des quatre épisodes suivants. Un robot est détecté, les agents infiltrés, le robot démasqué au milieu d’une galerie de suspects, enfin il est neutralisé. Chaque épisode alterne les scènes consacrées aux héros et celles qui montrent Simon Quaid dans son quartier général provisoire ou dans un autre lieu où il fomente ses machinations. Quaid est le plus souvent cantonné avec ses assistants (les robots qui gèrent les ordinateurs de son Q.G. dans le pilote, l’androïde Roberta ou son assistant Foley, puis Patrick, dont on ignore s’ils sont des humains ou des robots, ou un allié occasionnel comme le Général à qui il vend ses services dans l’épisode 3) mais il arrive qu’il partage une scène avec un personnage épisodique (Dean Stoner dans l’épisode 2) et même qu’il se trouve affronté directement à Williams (épisode 2) ou Moore (épisodes 1 et 4 – encore que dans des conditions particulières dans le 4). Ces scènes où gentils et méchant se rencontrent sont évidemment particulièrement dramatiques du point de vue de la formule, à l’instar des rencontres entre Kimble et le Manchot dans Le Fugitif, ou Holmes et Moriarty, ou plus tard McGyver et Murdoc.
L’épisode pilote convainc la MGM qui donne son feu vert pour une série mais la production doit commencer dans la foulée pour une diffusion au printemps sur CBS. La chaîne a annulé Young Maverick diffusée de novembre 1979 à janvier 1980 et souhaite programmer Beyond Westworld dans le créneau libéré, le mercredi soir à 20 h. Lou Shaw a donc peu de temps pour engager des scénaristes et faire produire les épisodes. L’exemple n’est pas rare de séries qui ont occupé un créneau en fin de saison ; certaines ont eu la chance de revenir, comme Dallas, cinq épisodes au printemps 1978 et un retour pour la saison entière à l’automne suivant. D’autres ont simplement disparu, sans deuxième chance. C’est ce qui arrivera presque à Cagney & Lacey en 1982 : six épisodes diffusés en mars-avril et un sort en suspens ensuite, avant que le producteur Barney Rosenzweig n’arrache une seconde chance pour l’automne. Les séries produites en automne ont déjà constitué leurs équipes, retenant producteurs, scénaristes et réalisateurs. Il faut donc se tourner vers les collaborateurs encore libres. L’épisode pilote validé par MGM est diffusé le 5 mars 1980 et les autres dès la semaine suivante. Lou Shaw reste producteur exécutif, comme sur l’épisode pilote, et retravaille un script d’Howard Dimsdale pour l’épisode 2. Dimsdale et Richard Landau, chargés de superviser l’écriture, ne travaillent finalement que sur l’épisode 2, avant de céder la place à Martin Roth, Steve Greenberg et Aubrey Solomon. Dimsdale, l’aîné, a œuvré sur la série La Planète des singes en 1974 et sur Spiderman en 1978-1979, ainsi que sur Quincy M.E. Landau a travaillé sur L’Homme qui valait trois milliards et, dans les années 1950, Les Aventures du Dr Fu Manchu, d’après les romans de Sax Rohmer mettant en scène un génie criminel diabolique. Martin Roth, scénariste et producteur associé sur Mon Martien favori dans les années 1960, a créé la série de science-fiction Ark II en 1976 et contribué à Space Academy en 1977, deux séries SF au format 30 minutes à destination plutôt du jeune public ; il écrit un script et en révise un autre de David Bennett Carren. Quant à Greenberg & Solomon, les cadets, ils ont écrit pour Quincy M.E. et Buck Rogers au 25e siècle ; ils adaptent un script de Gregory S. Dinallo pour l’épisode 5. Quatre réalisateurs différents sont engagés pour mettre en boîte les épisodes 2 à 4 : Rod Holcomb, Paul Stanley, Jack Starrett et Don Weis. Stanley et Weis sont les plus aguerris, présents au cinéma et / ou à la télévision depuis les années 1950, réalisateurs de nombreux épisodes de séries. Starrett, acteur-réalisateur, a dirigé un Planète des singes en 1974 et un Sloane agent spécial en 1979. Quant à Rod Holcomb, il est au début de sa carrière mais a réalisé trois L’Homme qui valait trois milliards et cinq Battlestar Galactica.
UN ECHEC PREVISIBLE
Jim McMullan regrette la façon dont la série dut être tournée dans l’urgence : « Dans un délai court, ils ont dû fournir tous les scripts et ils n’étaient pas très bons. Ils sont devenus pires au fur et à mesure parce qu’ils étaient vraiment pressés par le temps. C’est si triste, et c’est la raison pour laquelle la série échoua. » La décision de CBS de ne pas confirmer la série ne fut donc pas une grande surprise. « Ils auraient adoré que cela dure plus longtemps mais c’était comme demander à quelqu’un de livrer une série hebdomadaire comme Mission : Impossible et ne pas laisser beaucoup de temps pour écrire les histoires complexes dont elle avait besoin. Cela aurait pu être formidable. Nous étions très déçus parce qu’à chaque fois qu’arrivait un nouveau script nous devions nous presser pour le réaliser. Alors, on s’est retrouvé avec tout ce gâchis et on sentait que chaque épisode était un peu plus mauvais que le précédent. » (1)
Le jugement de McMullan n’est pas forcément conforme à ce que l’on voit en regardant la série. Dès l’épisode pilote, les faiblesses sont patentes et les épisodes suivants les confirment plus qu’ils ne les aggravent. C’est plutôt comme si le pilote contenait les potentialités que la série, ensuite, ne parvient pas à transformer en qualités. Il n’y a rien d’étonnant à ce que chaque épisode reproduise la même formule : c’est le cas dans nombre de séries qui, plus tard, ont l’opportunité d’explorer de nouvelles voies. Beyond Westworld n’a pas eu cette chance. Beyond Westworld, toujours selon McMullan, « dégénéra en une série de poursuite [les héros poursuivent inlassablement le méchant] et même les méchants n’étaient pas intéressants. Le personnage de James Wainwright [Simon Quaid] devint une sorte de caricature. Nous avions quelques scènes, en général lui me regardant sur un écran de télévision. En fait, je le voyais plus comme un personnage à la Burgess Meredith quand j’ai lu le script pour la première fois. Ils ont estimé qu’il était important de lui donner mon âge. Je n’étais pas à l’aise avec ça. Sur le moment, c’est comme cela qu’ils le voyaient, ils pensaient que le public voulait juste de l’action. Aujourd’hui [les propos de l’acteur ont été recueillis dans les années 1990], si on faisait la même série, on commencerait par voir davantage d’interactions. Même dans Alerte à Malibu, j’ai joué le rôle récurrent du père d’un des gars [Matt Brody joué par David Charvet, dans un épisode en deux parties en 1993] : on introduit des intrigues personnelles autour des familles. » En 1980, cependant, ce n’était pas le cas dans la plupart des séries d’aventures et Beyond Westworld n’est pas, de ce point de vue, un cas particulier. Une relation d’intimité est néanmoins suggérée entre les deux protagonistes dès l’épisode 2, que la série n’a simplement pas eu le temps d’explorer.
Sur le méchant, on peut aussi nuancer le souvenir qu’en a gardé McMullan. James Wainwright, habitué des séries depuis le milieu des années 1960, qui a campé son lot de méchants et tenu aussi le rôle principal d’une courte série policière, Jigsaw, en 1972-1973, ne livre pas une mauvaise performance dans le rôle de Simon Quaid et n’a pas non plus des dialogues particulièrement calamiteux. Il reste dans les limites du mégalomane-savant fou à l’œuvre dans Les Mystères de l’Ouest ou Sloane agent spécial, sans, il est vrai, la fantaisie ou le panache de certains des antagonistes les plus hauts en couleur de James West. La référence à Burgess Meredith est peut-être réminiscente du rôle du Pingouin qu’il tenait dans le Batman télévisé des années 1960 : elle suppose un excès dans la peinture du méchant qui, de fait, n’est pas la voie choisie par Lou Shaw. Simon Quaid est un homme intelligent, un génie de la technologie et du complot, il s’exprime avec calme et semble ne jamais perdre son sang froid. Affronté aux échecs répétés auxquels le condamne la formule invariable de la série, il se montre philosophe, fait des ajustements, révise sa façon de voir les choses mais ne tape pas du poing avec force grimaces comme le ferait un méchant de Max la menace. McMullan citait d’ailleurs cette série, parodie du film d’espionnage, en reconnaissant que Beyond Westworld aurait pu se prêter à un traitement comique. Mais Quaid n’est pas pour autant ridicule : il n’a pas le charme plein d’élégance et d’humour du Dr Schubert de L’Homme de l’Atlantide mais il n’est pas non plus grotesque. Les scènes qu’il partage avec les héros John Moore et Pam Williams ne sont, même, pas dénuées d’intérêt et on aurait aimé voir développée cette interaction qui, en l’état, semble simplement (et pour l’éternité) promise à d’heureux développements. Il est vrai que c’est sans doute aussi ce manque d’ampleur, cet abord « normal », qui empêchent le personnage de laisser une empreinte durable.
Pour William Jordan, qui incarne le Pr Joseph Oppenheimer, avec des lunettes sur le bout du nez pour imposer immédiatement son statut d’intellectuel « de laboratoire », l’échec de la série tient davantage aux règles de la télévision. « L’idée était prisonnière des limites de la télévision. La question tient aux qualités de la production. Je pense que, dans une certaine mesure, nous avons réalisé un travail de qualité dans les deux ou trois premiers épisodes. Mais je pense que les coûts de production étaient trop importants pour le network [CBS]. Il y avait beaucoup d’effets spéciaux en termes de robotique, on devait ouvrir la poitrine des personnages et montrer des circuits [électroniques]. Je ne pense pas que c’était un gros problème, ça coûtait de l’argent, c’est tout. » C’est là en effet l’un des gimmicks de la série, qui fournit même la matière à des moments coquins : le chemisier ouvert de Mo Lauren dans l’épisode pilote révèle non pas une poitrine de femme mais des circuits intégrés, et dans l’épisode 2 un sosie robotique de Connie Sellecca s’écrase au sol en faisant exploser les fils et circuits qui composent ses « organes » internes, puis (c’est la scène coquine) Oppenheimer en l’examinant entreprend soudain de baisser son short, incitant Connie Sellecca (dans le rôle du vrai agent Williams) à détourner le regard de son équipier en déclarant : « Une femme a droit à son intimité. » On sait gré aux scénaristes d’avoir ainsi joué du gimmick pour introduire de l’humour. L’obligation de montrer l’intérieur des robots, cela dit, figure visiblement au cahier des charges, au même titre que la nécessité d’un appareillage informatique conséquent. Les quartiers généraux du méchant et des gentils sont en effet riches en ordinateurs à lumières clignotantes et boutons divers ainsi qu’en écrans sur lesquels sont projetés des schémas techniques ou les vidéos qui permettent à Quaid de suivre de loin l’évolution de ses plans. Vidéos qui, au demeurant, n’échappent pas à l’incohérence en usage dans la plupart des séries : alors qu’elles sont censées être filmées par les yeux des robots, nombre d’entre elles adoptent en fait des points de vue qui ne renvoient à aucun « œil » fictionnel mais simplement à la caméra, qui ne s’est pas préoccupée de cohérence. Question de temps, peut-être, ou d’indifférence, tant la chose est répandue dans les séries.
Bref, Beyond Westworld a sans aucun doute ses défauts, certains tenant aux conditions de sa production, d’autres au genre et à l’époque dans lesquels elle s’inscrit. Elle invite aujourd’hui le public à de la clémence, ce à quoi la prédestine d’une certaine manière sa rareté et donc une sorte de statut « culte » qui (si l’on en croit sa présence sur le Net) s’est peu à peu développé autour de son absence (au moins jusqu’en 2014, date de son édition en DVD par Warner Bros). Si on la compare aux Mystères de l’Ouest ou à Sloane agent spécial qui lui est contemporaine, son héros comme son méchant manquent de cette exubérance qui transforme une intrigue conventionnelle en plaisir de spectateur. McMullan n’a pas l’énergie ni le charme un rien irrévérencieux de Robert Conrad, de même que Simon Quaid n’est pas le Dr Loveless ou le Comte Manzeppi. Le Dr Schubert de L’Homme de l’Atlantide doit d’ailleurs son charme en partie à l’interprétation savoureuse qu’en fait Victor Buono, qui était Manzeppi dans Les Mystères de l’Ouest et fut aussi le King Tut (alias Toutankhamon) dans Batman. On pourrait reprocher aussi aux scénaristes d’avoir limité le champ d’action de ses personnages aux Etats-Unis, choisissant des environnements partagés par la plupart des séries (le groupe de rock, la société pétrolière, l’équipe de football, la police sont des univers explorés partout, aussi bien dans une série policière classique que dans Drôles de Dames et L’Incroyable Hulk) et développant des intrigues conventionnelles, alors que les ambitions de Simon Quaid ouvraient l’aventure au monde entier, comme dans une série d’espionnage à la Des Agents très spéciaux ou Mission : Impossible. Question de coûts, certainement : Beyond Westworld n’avait ni le budget ni le temps pour faire construire des décors originaux. L’épisode 5 tire parti, d’ailleurs, de ceux de ChiPs, alors en production pour la MGM, en faisant des décors de la Highway Patrol ceux du quartier général de la police. Un certain nombre de choses dans Beyond Westworld relèvent du comique involontaire : le comportement des robots dans le dénouement, systématiquement rigide, la différence entre le robot joué par un acteur et le même figuré par un mannequin de plastique, mais aussi l’allure de Jim McMullan, parfois, notamment dans l’épisode 5 où il porte un casque de motard trop grand pour lui et posé de travers sur sa tête, ou bien court au sein du Q.G. de la police en tendant à bout de bras son détecteur de robots (dont on a dit plus haut qu’il ne permettait même pas de détecter vraiment les robots). Il faut une certaine conviction aussi aux acteurs pour rendre naturels des dialogues parfois difficiles à prendre au sérieux, et certains choix de mise en scène laissent perplexe, par exemple celui de placer des plans de foule dans la course finale de l’épisode 4 alors que tous les plans impliquant des voitures sont filmés dans des espaces vides sans un pékin à l’horizon (et qu’il aurait été si simple de justifier l’absence de public).
Que reste-t-il donc de Beyond Westworld ? Une série sans lendemain, qui a tenté d’adapter pour le petit écran un concept lui-même, au départ, assez modeste au cinéma. Une série condamnée par une production précipitée (trois producteurs différents pour cinq épisodes) qui ne lui laissait guère de chances, avec un concept ambitieux, de s’imposer. CBS ne diffusa que trois épisodes, les deux derniers étant diffusés en Grande-Bretagne rapidement (dès 1980) mais inédits aux Etats-Unis. Il faut dire que, programmée face à Huit ça suffit qui attirait un large public sur ABC, où elle était suivie le même soir de Drôles de Dames et Vega$, et ce depuis l’automne, la petite nouvelle partait avec un sérieux handicap. Une série, aussi, qui tout en développant un concept apparemment nouveau reconduisait en fait des gimmicks déjà en usage à la télévision depuis plusieurs années, avec notamment les séries bioniques, arrivées elles aussi à bout de souffle. Au lieu de proposer du neuf, Beyond Westworld recyclait en réalité des intrigues ultra-classiques et n’apportait visuellement aucune révolution. Une étoile filante, donc, dont on peut néanmoins goûter les cinq épisodes grâce au DVD afin de se faire une idée soi-même. La musique de George Romanis n’est pas désagréable et McMullan et Connie Sellecca composent un tandem nullement honteux. La jeune actrice enchaîna aussitôt avec Ralph super-héros, la série de Stephen J. Cannell, en 1981, puis Hôtel à partir de 1983. Quant aux acteurs invités, ils sont pour la plupart des habitués des séries, comme Denny Miller ou Monte Markham, Christopher Connelly ou Rene Auberjonois, et font le job aussi bien qu’ailleurs. Beyond Westworld reste finalement une parenthèse curieuse (donc à découvrir) entre les films des années 1970 et la série Westworld de 2016, aux moyens autrement plus conséquents.
(1) Toutes les citations sont extraites de Science Fiction Television Series de Mark Phillips et Frank Garcia, 1996, rééd. 2006, article « Beyond Westworld », pp. 40-43.
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