1967. Les Chevaliers du ciel débarquent à la télé !
Un article de Gérard Gouéry
publié dans Arrêt sur Séries n°14 (septembre 2003)
Merci à A L'Image des Séries pour certaines images.
Le 16 septembre 1967 débute sur les petits écrans de l’ORTF la diffusion de la série Les Chevaliers du Ciel. Au total, 13 épisodes de 26 minutes chacun. La série est inspirée de la célèbre bande dessinée de Jean Michel Charlier et Albert Uderzo qui paraît depuis le n°1 du journal Pilote et qui raconte les aventures de deux aviateurs de l’escadrille de chasse des Cigognes. Ces deux aviateurs, le séduisant lieutenant Michel Tanguy et son fidèle ami boute-en-train, le lieutenant Ernest Laverdure, ont pour interprètes Jacques Santi et Christian Marin. La réalisation est assurée par François Villiers et la chanson du générique de fin est de Johnny Hallyday.
Le succès fut tel que Joseph Gillain dit Jijé, le dessinateur qui avait remplacé Albert Uderzo pris par le travail sur Astérix, adapta les personnages au physique de Jacques Santi et Christian Marin. Le journal Pilote a été créé par quatre hommes, les scénaristes Jean Michel Charlier et René Gosciny, le dessinateur Albert Uderzo et Jean Hébrard, ancien directeur commercial de la World Press. C’est d’ailleurs ce dernier qui était à l’origine des deux sociétés EdiFrance et EdiPresse réunissant les quatre amis. Le premier rédacteur en chef sera François Clauteaux. Pour démarrer le journal, Charlier créa de nombreuses aventures : Barbe Rouge, Blueberry et Tanguy et Laverdure. Gosciny, lui, créa avec Uderzo un autre personnage mondialement connu, Astérix.
LES CHEVALIERS PRENNENT LEUR ENVOL
Dans les années 60, la Télévision Française recherche des héros pour les jeunes. Il y a eu Thierry la Fronde et il faut maintenant des personnages hors du commun avec de l’héroïsme, de l’aventure et des bons sentiments. Il est donc décidé d’adapter la bande dessinée Les aventures de Tanguy et Laverdure. Pierre Long, le producteur, mettra plusieurs années pour réunir une équipe et monter son projet. C’est l’auteur même de la bande dessinée, Jean Michel Charlier, qui est chargé de faire l’adaptation de sa propre bande et d’écrire les scénarios. Il faut aussi trouver les deux acteurs qui vont personnifier les deux personnages principaux. Christian Marin se remémore les années d’attente avant d’avoir le rôle qui va marquer sa carrière et sa vie :
« Bien avant cette réalisation, beaucoup de camarades me disaient que mon physique correspondait à un héros de bande dessinée qui s’appelle Laverdure. Je n’y avais pas porté attention, je n’étais pas très BD. Et puis un jour, j’ai appris que les aventures de Michel Tanguy allaient être portées à l’écran. Je suis allé aux auditions. Je me suis trouvé dans un groupe de 10 ou 12 personnes qu’ils accouplaient, des Tanguy, des Laverdure. Puis j’ai attendu. Un jour, lors d’une manifestation commerciale, j’ai rencontré une jeune femme qui était scripte dans ces essais. Je lui ai dit que je n’avais pas de nouvelles et elle m’a dit : ‘Eh bien non, ils ont fait un choix. Le metteur en scène trouve que tu n’es pas le personnage.’ J’étais un peu déçu. Je crois me souvenir qu’ils avaient choisi Coquelin, le petit-fils du grand comédien. Effectivement son physique correspondait et il était blond, ce que je n’étais pas. Et puis j’ai appris que la production avait laissé tomber. Le temps est passé. Bien deux ans après, ma femme m’annonce que François Villiers monte les aventures de Michel Tanguy et qu’il veut me voir. Je pensais à une nouvelle déception mais je me suis rendu à la Production Son et Lumière et je suis rentré dans le bureau de Villiers, très sympathique, qui me dit : ‘Ah ! voilà mon personnage. Naturellement, il faudrait que vous soyez blond. Maintenant, il y a un gros problème : il faut que je trouve un Tanguy à votre taille, je ne savais pas que vous étiez aussi grand.’ Je mesure 1m90. Je me suis mis à sa disposition pour tout essai avec un partenaire. J’en ai fait plusieurs. Un jour, Villiers m’appelle et me demande de faire un essai avec un acteur qu’il ne connaissait pas. C’était un dimanche, chez lui. L’acteur, c’était Jacques Santi. Tout a bien marché, mais Villiers pensait à un autre acteur, Claude Giraud. Finalement, il s’est décidé pour Jacques Santi. » (1)
Ainsi, la réalisation a été donnée à un seul homme : François Villiers. Ce dernier fera les 13 épisodes de la première série. Le succès étant, il réalisera en fait tous les épisodes des 3 saisons. Christian Marin, lui, va se faire une tête blonde. Pendant les tournages, il va aller chez le coiffeur toutes les deux à trois semaines. Le générique de fin bénéficie d’une chanson interprétée par Johnny Hallyday qui en a co-écrit la musique avec Bernard Kesslair. Les 13 épisodes de chacune des saisons forment plusieurs aventures se déroulant chacune sur 3 ou 4 fois 26 minutes.
Cette première saison se déroule en France. Toutes les scènes de la première série ont été tournées sur la base aérienne de Dijon, même la scène censée se passer à Istres. Le tournage a eu lieu en octobre, novembre et décembre 1966. Pour cette série, Pierre Long a réussi à obtenir le concours de l’Armée de l’Air qui mettra à la disposition de François Villiers des moyens en matériel et en hommes. C’est ainsi que la 10ème escadre de chasse et ses fameux Mirage 3 vont participer au tournage. Les comédiens et les pilotes s’entendirent fort bien.
Larrafieu, Merlet, Laverdure, Tanguy, Mounier et Mercier : l'équipe de la première saison
Il n’y a pas de stars parmi les comédiens engagés. Mais tous sont des comédiens sûrs. Roger Pigaut fut un jeune premier et devint par la suite un réalisateur de cinéma et surtout de télévision très remarqué. Michèle Girardon a fait une belle carrière et a été la partenaire de John Wayne dans Hatari de Howard Hawks. Jacques Richard est un comédien qui a beaucoup travaillé à la télévision. Jean-Claude Michel est surtout une « voix ». Dans sa carrière il a doublé Tony Curtis, Charlton Heston, Sean Connery, Clint Eastwood, Peter Graves (dans Mission Impossible) ou John Forsythe (dans Dynasty). Un autre comédien a eu une grande carrière au cinéma. Il s’appelle Valéry Inkijinoff et sera le méchant de service. Et puis une débutante avec un petit rôle : ce sont les débuts de Marlène Jobert. Victor Lanoux, lui, va avoir un rôle plus conséquent.
Le premier épisode annoncé dans Télé 7 Jours (image empruntée ici)
Michèle Girardon en compagnie de Jacques Santi et Christian Marin
SOUS DE NOUVEAUX CIEUX
Dès le premier épisode, le succès est au rendez-vous. La première chaîne était encore en noir et blanc. Il n’y avait que deux chaînes de télévision. La 2ème chaîne est née le 18 avril 1964 et sera en couleur le 1er octobre 1967. Les prévisions les plus optimistes furent dépassées et une deuxième série commandée à Jean Michel Charlier. Ce dernier se montre d’accord si les moyens qu’on lui donne sont à la hauteur. Il veut entraîner Tanguy et Laverdure vers de nouveaux horizons. Il faut surprendre le téléspectateur. Charlier est autorisé à donner libre cours à son imagination. Il va ainsi emmener ses héros dans le désert du Sahara, aux Canaries et en Polynésie Française.
C’est à nouveau François Villiers qui va être le réalisateur des 13 épisodes de la série. Celui-ci comprend vite les difficultés qui vont être les siennes, surtout en Polynésie. Les distances entre les îles sont énormes et le tournage coïncide avec la saison des pluies tropicales. Il y a risque de vivre des interruptions de tournage. Sur place il y a aussi ce à quoi personne n’avait pensé. Ainsi, les figurants chinois refusent de prononcer des répliques qui pourraient faire douter de leur amour pour la France. Les comédiens et les techniciens engagés sont régulièrement victimes de crises d’indolence. Arriver à l’heure n’est pas simple non plus. Le tournage en revanche est très décontracté.
Les moyens techniques, eux aussi, vont poser problème. Suite au retards pris, François Villiers doit négocier le maintien sur place des « Vautours » avec leurs équipages. Il lui faut faire de même pour deux bimoteurs de type « Neptune » que les Etats-Unis ont fournis. Un autre problème va se poser : la longueur de la piste d’atterrissage qui doit accueillir les chasseurs à réaction prévus dans le scénario. Après de nouvelles négociations, le problème va être réglé. Chacun des appareils décollera d’un aérodrome situé à 1000 kms, interviendra devant les caméras pendant une quarantaine de minutes et repartira vers sa base.
Christian Marin par ailleurs se blessa au milieu des coraux. C’était sur l’atoll d’Hao. Alors que Santi, des amis pilotes et mécaniciens de la base aérienne étaient partis faire de la plongée, Christian Marin était resté sur le bord pour faire des photos. Mais, au cours d’une plongée, un des mécaniciens eut un malaise. Santi appela Marin pour qu’il aille chercher du secours. C’est en courant sur les coraux qu’il se blessa. Malheureusement, l’homme est mort et l’acteur s’est retrouvé à l’hôpital où on lui a retiré les morceaux de coraux qu’il avait dans le pied. De nombreux incidents vont ainsi émailler le tournage : des charges sous-marines qui refusent de sauter, des requins qui s’approchent un peu trop, le tournage à Mururoa qui ne doit durer qu’une seule journée, etc.
Pour la scène au cours de laquelle les deux amis essaient le prototype d’un nouvel appareil, c’est le chef pilote d’essais chez Dassault, René Bigand, qui autorise et prête des images. Seul le nom de l’avion devra être changé. René Bigand ne verra jamais le résultat : il mourra peu de temps après, à Istres, au cours d’un vol d’essai.
Dans cette deuxième série, il y a aussi des scènes tournées en Algérie et aux Canaries. Mais pour Christian Marin, il n’y aura pas d’Algérie, même pour les scènes censées se passer dans ce pays. C’est près de Marseille, au camp militaire de Carpiane, qu’il défendra sa casemate. Santi, lui, a bien tourné en Algérie. La séquence de l’ogive a été tournée à Carpiane. Christian Marin constate d’ailleurs que si l’on regarde bien, il y a une légère différence de couleurs en fonction du lieu de tournage.
ET DE TROIS
Devant le nouveau succès, une troisième série de 13 épisodes va être tournée. Comme pour les deux premières, c’est François Villiers qui met en scène des scénarios de Jean Michel Charlier. Les paysages vont changer. Ils vont aller à Salon, à Cap Kennedy (Cap Canaveral) et au Pérou. A Salon, les comédiens vont côtoyer les pilotes de la Patrouille de France. A Cap Kennedy, l'équipe ne pourra approcher les fusées. En Amazonie, Christian Marin va devoir affronter un énorme boa. La séquence se passait en pleine forêt sous une pluie tropicale (en fait, les pompiers du coin vont être bien utiles). Le « préposé au boa », un brave type qui n’était d’ailleurs pas dresseur, ne pouvant jouer les figurants, c’est le comédien qui va faire la scène. Il va se retrouver enlacé par la bête, protégé quand même par des techniciens armés prêts à intervenir si le boa serre un peu trop. Lors d’un passage à la télé, un ami du comédien trouvera le moyen de lui dire qu’il était très bien avec son boa en plastique. Jean Michel Charlier s'est déplacé sur les tournages hors de France. Il est revenu du Pérou avec une sarbacane.
Il n’y aura pas de quatrième saison. Jacques Santi se lasse de cette popularité envahissante et la série est interrompue. Christian Marin se souvient que lui aussi se lassait. « On se rendait compte qu’on allait vraiment dire ‘les voilà, les revoilà’. On en avait peut-être un petit peu marre de ces aventures qui se répétaient. Pourtant moi j’étais quand même mordu. Jacques l’était moins que moi. Quand on m’a offert ce personnage, j’étais content, j’étais heureux. En fait Jacques était moins fana de l’art dra. Lui préférait la technique. »
Pendant toutes ces années, hors des tournages, les acteurs, l’auteur et le dessinateur de la bande dessinée vont participer à des signatures d’albums. Christian Marin a un bon souvenir de Jijé : « Il était charmant. Il était Belge, il était drôle, très artiste, très curieux de tout. » La première séance de signatures a eu lieu dans un grand magasin de Nancy. Lorsque les portes se sont ouvertes, ils ont eu une belle frousse : le directeur n'avait pas mesuré la popularité de ses invités, n'avait rien prévu et n'avait pas averti la police. Ils se sont retrouvés plaqués contre le mur et ont eu du mal à s'installer pour les signatures.
Vingt ans plus tard, en 1988 et en 1990, deux nouvelles saisons vont être tournées. Le format est différent. Il s’agit d’épisodes de 52 minutes. La première série comporte 6 épisodes interprétés par Christian Vadim dans le rôle de Tanguy et Thierry Redler dans celui de Laverdure, toujours écrits par Jean Michel Charlier. La deuxième série ne comporte que 4 épisodes et Christian Vadim est remplacé par Marc Maury. Il n’y aura pas de suite.
François Villiers et Christian Marin pensent que ces 10 épisodes n’avaient plus l’effet bande dessinée qu’il y avait dans leurs 39 épisodes. Christian Marin pense que le format 52 minutes ne convenait pas.
A l’enterrement de Jean Michel Charlier, Christian Marin a fait la connaissance de Thierry Redler, le 2ème Laverdure. Il semble que les tournages étaient plus difficiles à cause des contrôles faits par les militaires. Il ne fallait pas faire ci, pas faire ça. Pour les 39 premiers épisodes, Christian Marin ne se souvient que d’un petit rappel à l’ordre. Pendant la séquence avec Muriel Baptiste, il remerciait les mécaniciens qui l’avaient aidé à séduire la jeune femme en les embrassant. Or, un officier ne peut embrasser un mécanicien. Pourtant, la séquence a été gardée.
(1) Gérard Gouéry a recueilli les confidences de Christian Marin chez lui en 2003. Même si elles ne sont pas toujours signalées par des guillemets, ces confidences ont nourri le présent article.
CHARLIER, le père de Tanguy et Laverdure
Jean Michel Charlier est né à Liège le 30 octobre 1924.
Dès l’âge de cinq ans, il découvre la bande dessinée et en particulier Tintin de Hergé. En 1945, il commence à travailler comme dessinateur et scénariste pour Spirou. Tout en étudiant le droit à l’université de Liège, il dessine et crée des personnages comme Buck Danny avec son ami Victor Hubinon. Promu docteur en droit, il préfère la bande dessinée et part à Bruxelles avec quelques amis. Bientôt, il abandonne le dessin et reste scénariste.
Hubinon et Charlier vont passer le brevet de pilote. Charlier sera même pilote pour la Sabena, la compagnie belge. Un an après, il retourne complètement à la bande dessinée. Il va travailler pour la World Press comme scénariste et directeur artistique. Il se marie en 1953 avec un mannequin, Christine Lagarigue. Après avoir rencontré Goscinny et Uderzo, il va créer avec eux Pilote. Il va écrire des scénarios pour la bande dessinée, bien sûr, mais aussi pour la radio et la télévision, au total plus de 450.
Jean Michel Charlier est mort à Paris le 10 juillet 1989.
Thierry Redler et Christian Vadim dans la nouvelle série de 1988