Une série humaniste

 

 

Le journaliste qui prédisait que Starman allait démontrer la non viabilité de la science-fiction à la télévision n’avait pour juger que la cassette de pré-production montrée à la presse par les dirigeants d’ABC. Quelques mois plus tard, la série allait surtout démontrer que le journaliste avait mal perçu l’originalité du programme, dont la finalité n’est absolument pas la science-fiction. Tous les épisodes traitent avant tout de relations humaines, de confiance, de communication et de la difficulté d’être ensemble. Pour l’acteur C.B. Barnes, l’image qui pourrait le mieux définir la série serait celle d’un pont jeté entre les personnes, Starman et son fils en premier lieu mais aussi les nombreux personnages épisodiques que croisent les protagonistes au fil de leurs pérégrinations. Etranger à notre planète et à notre espèce, le Starman n’en a pas les tares et les « barrières », comme l’orgueil, les préjugés, les peurs qui nous gardent séparés les uns des autres. D’une candeur totale, il découvre le monde avec curiosité et envie, sans appréhension. De ce point de vue, il est très proche du Jarod du Caméléon, à qui d’une certaine manière il ouvre la voie avec dix ans d’avance, à cette différence près (mais elle est fondamentale) que Jarod est humain et qu’il connaît la colère, la haine et la méfiance, tous sentiments au milieu desquels il a grandi.

Son ouverture d’esprit facilite ses rapports avec les autres (« La plupart des gens que je rencontre sont très gentils », dit-il à un personnage) et surtout attire la confiance de ceux-ci. La jeune aveugle de « Appearances » en est peut-être le meilleur exemple, elle qui se confie très vite à lui et l’accueille avec un sourire, alors que ses parents restent méfiants et distants. Dans cet épisode comme dans plusieurs autres, la « mission » de l’Etranger sera celle d’un Jonathan (Les Routes du Paradis) ou d’un Sam Beckett (Code Quantum) : réconcilier les êtres qu’un secret, un malentendu, une appréhension séparent. La réconciliation est si inhérente au concept de la série qu’elle est déclinée dans presque tous les épisodes. C’est d’abord celle d’un père et d’un fils dans l’épisode pilote et les deux suivants, avant que la série puisse s’appuyer sur le lien de plus en plus profond qui unira les deux protagonistes, chacun devenant le seul ami de l’autre. Père et fils toujours dans l’épisode « Fathers & Sons », où le Starman doit convaincre un adolescent en mal d’amour que l’homme qui l’a élevé est son seul père, non un inconnu qui ne l’a pas vu grandir. Père et fille aussi, avec « Appearances » ou « The Wedding ». Enfin, la mère s’inscrit elle aussi dans cette thématique familiale à travers « The Gift », où le Starman réconcilie Paul Forrester et sa mère, et « Dusty » où la problématique familiale se double d’une guérison et d’une quête de dignité.

Comme un jeu de reflets et de miroirs, ces motifs se retrouvent dans les autres épisodes. A l’obsession de Dusty pour le jeu répond, par exemple, celle du shérif Charlie Ewing de « Des lumières bleues dans la ville », qui est incapable d’apprécier le bonheur qui l’attend à sa porte parce qu’il vit dans des rêves impossibles de gloire et d’héroïsme. Son obstination à garder le Starman enfermé alors que personne ne croit à ses histoires de lumières bleues dans le ciel ne traduit que son refus de vivre dans une réalité trop terne, insignifiante. Son physique de gros nounours tendre l’empêchant d’être un héros comme ceux du cinéma ou des livres, il espère le devenir en prouvant à tous qu’il a raison, un désir certes légitime mais qui, poussé à son paroxysme, le conduit à la paranoïa et le coupe finalement des autres, en premier lieu de sa fiancée. « Je voudrais que tu t’aimes toi-même », lui dit-elle, désespérée, mais il faudra recourir à la force pour, enfin, le libérer de son obsession. Jake Lawton dans « Les meilleurs amis », Angela dans « Le rêve secret d’Angela », le père de Julie dans « Appearances » ne sont que des variations sur le même thème, des personnages enfermés dans un passé difficile ou simplement trop fragiles pour affronter la réalité. Chacun se protège à sa manière, toujours en se coupant des autres, voire carrément du monde comme le père de Julie, et en se construisant un univers de substitution.

Le paradoxe du héros de Starman, selon les termes de l’acteur Robert Hays, c’est que finalement c’est lui « le plus humain de toute la série. » Humain dans le sens où aucun complexe, aucune crainte, aucun passé douloureux ne l’empêchent de se réaliser en tant qu’être humain. « C’est comme si... tout ce que vous voyez était totalement nouveau », lui dit Samantha dans « Une nouvelle inattendue ». Ce dont il convient en ajoutant que tout le monde doit apprendre à regarder. « Certaines personnes », constate-t-il après quelque temps sur la Terre, « regardent mais ne voient pas ce qu’ils sont en train de regarder. » Cela sent sa philosophie de bistrot, bien sûr, mais le personnage dégage aussi cette simplicité que l’on aimerait parfois avoir et que l’on prête en général aux enfants (du moins aux enfants tels que les voit un Spielberg, innocents, ouverts, curieux de tout). L’avoir fait revenir dans le corps d’un photographe ne fait bien sûr qu’ajouter à cette importance du regard qui était aussi centrale dans le film. Regarder, c’est apprendre, pour le Starman qui commence par imiter ce qu’il voit avant d’acquérir une réelle autonomie.

C’est encore avec « Appearances » que cette thématique est la plus évidente. La cécité de la petite Julie, qui à seize ans rêve de quitter le nid familial pour découvrir le monde, n’est qu’une métaphore. « Quand je suis venu ici pour la première fois », lui dira le Starman après lui avoir révélé sa véritable nature, « j’étais aveugle, comme vous. Rien ne m’était familier, tout était étrange et effrayant. Et puis j’ai rencontré quelqu’un de très spécial appelé Jenny et j’ai appris à aimer. Et aujourd’hui j’ai Scott. » Voir, c’est donc avant tout comprendre, apprendre à aimer, cesser d’être effrayé par le monde qui nous entoure pour pouvoir réellement découvrir les autres et s’ouvrir soi-même. Une morale toujours passe-partout mais que la série parvient à rendre convaincante en évitant des effets trop appuyés.

Lorsqu’il ne s’agit pas de réconcilier des personnes entre elles, l’action des héros consiste encore à les réconcilier avec elles-mêmes, ce qui souvent a pour effet de les rapprocher des autres. C’est le cas de Dusty ou du shérif Ewing, mais aussi de Gus dans le dernier épisode. Cette fois, c’est le fait de n’avoir jamais appris à lire qui condamne le personnage, plongeur dans un restaurant (une activité qui le confine aux cuisines, si près pourtant de la salle de restauration où passent les autres), à la solitude et au mal-être. Dans « Une nouvelle inattendue », c’est la vilaine tante riche qui, au contact des deux globe-trotters, révisera son comportement et apprendra la tolérance, tandis que la jeune femme riche et gâtée de « Barriers » apprend elle aussi l’indulgence et la compassion.

Plusieurs fois dans la série, on relève aussi des allusions à la guerre du Viêtnam, blessure par excellence de l’Amérique en ces années quatre-vingt (Magnum et Supercopter, entre autres, s’en font l’écho à la même époque). Jake Lawton, dans « Les meilleurs amis », ne parvient pas à se détacher de l’expérience de la guerre, ce qui l’empêche de connaître le bonheur avec sa femme malgré une vie professionnelle réussie. De même Wayne Geffner, dans « Starscape », est encore hanté par des images de la guerre et en particulier le problème des enfants amérasiens abandonnés là-bas par les soldats américains. Piquant sa réplique à l’héroïne du Cinquième Elément avec dix ans d’avance, le Starman confie à la lecture des mémoires de Lawton : « Je comprends tout cela, à l’exception d’une chose... La guerre. »

« Le Starman croit en l’humanité, plus que nous-mêmes », déclarait Michael Douglas, producteur exécutif, dans la cassette de démonstration de la série. Cette foi humaniste peut prendre à l’occasion des accents politiques lorsque l’extraterrestre prend fait et cause pour l’exploration spatiale, comme dans l’épisode « The Probe ». Après avoir associé lors d’un test psychologique l’idée de découverte (Discovery) et le drapeau américain (on ne peut pas être plus clair), le Starman se lance dans un discours à la gloire de l’humaine condition qui se veut aussi une exhortation non dissimulée à la reprise de la conquête de l’espace : « Les êtres humains font preuve d’une créativité sans limite. Ils sont constamment en quête de nouvelles manières de faire les choses, de nouvelles idées. C’est ce qui vous rend si particuliers et uniques. Si vous perdez cela, vous ne survivrez pas. » Bref, dit-il en conclusion à l’astronome ébaubie qui l’écoute : « N’arrêtez jamais de découvrir et d’apprendre. »

L’antithèse de ce discours, c’est bien sûr l’agent spécial Fox, dont les motivations n’ont rien d’aussi noble. Dans « Grifters », il exprime clairement son intention de ne pas laisser Scott grandir et devenir une menace pour l’humanité. « C’est un enfant ! », s’exclame le Starman, surpris. « Les enfants sont l’espoir de votre espèce, pas une menace !   - Les enfants de la Terre ! », réplique Fox, les yeux exorbités. « Les enfants humains, pas votre graine extraterrestre ! Combien d’autres en avez-vous semé autour de vous ? Jusqu’à quel point nous avez-vous contaminés ? »  Starman, ou le triomphe de l’humanisme contre les préjugés. Déjà vu, sans doute, mais tellement agréable !

 

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