Article de Thierry LE PEUT
paru dans Arrêt sur Séries 4 (mars 2001, épuisé)
Flashback sur le grand amour d'Oz et Willow
A force de fantasmer sur Buffy, on finit presque par oublier sa copine. Normal, d'ailleurs, elle est si effacée ! Et puis, Willow, c'est avant tout l'amie, celle sur qui on peut toujours compter, avec qui on aime parler, mais bon, côté coeur, c'est pas le top ! Comme le dit Alex au début de "La momie inca" : "J'adore Willow, c'est ma meilleure amie, mais quand je fantasme sur des lèvres, elle n'est pas le genre de fille auquel je pense. Elle, elle est du genre à être... ma meilleure amie ! "
Et puis un jour, il y eut Oz, et Willow trouva son magicien...
Dans le coeur de Willow, il y a une grande place. Pour Alex. L'ami d'enfance, avec qui elle partage des tas de souvenirs, qui ne l'a pas quittée depuis qu'ils sont tout petits, et qui, comme on s'y serait attendu, ne la voit pas comme une femme en devenir ! Willow, c'est à peine une fille : ça y ressemble, mais une meilleure amie c'est une meilleure amie, pas une fille. Entre Alex et Willow, c'est un peu comme entre Ally et Billy, qui se reniflaient le derrière dans les jardins d'enfant ! On se doute donc qu'ils finiront par sortir ensemble, et qu'ils se quitteront, et blablabla... Mais en attendant Alex est à l'âge où un garçon dévore les filles des yeux et rêve de contacts sensuels et bouleversants. Et Willow doit écouter ses confidences et ses plaisanteries en faisant comme si elle n'existait pas, ce qui bien sûr lui paraît tout à fait normal... à lui.
Et puis arrive Buffy. Ah ! Buffy ! Elle est si belle, si fragile (hum...), si tendre... Alex craque dès le premier épisode, tout penaud lorsqu'il la bouscule à la sortie d'une classe, et qu'il se demande ce que diable elle peut faire avec un gros pieu dans son sac fourre-tout ! Willow, elle, devient l'amie de Buffy , tout en observant l'effet de ses charmes sur Alex : logique ! Il y a d'autres femmes, bien sûr : comme tous les garçons de sa classe, Alex en pince aussi pour Mlle French, la nouvelle prof de biologie (dans "Sortilèges"). Mais c'est une mante religieuse. Pas de chance !
Quelques mois plus tard, c'est l'étudiante étrangère Ampata, dont le charme exotique et mystérieux envoûte le tendre Alex, dans "La momie inca". Déjà, c'est plus sérieux. Comme Willow le confie à Buffy : "Au moins avec toi je savais qu'il n'avait aucune chance ! " Il ne reste plus à la triste esseulée qu'à jouer avec une grenouille en peluche en se lamentant sur son pauvre sort : "Ou je passe mon temps à attendre qu'Alex soit sorti avec toutes les filles du monde avant qu'il me remarque, ou autre choix, je décide de vivre sans lui..." Dur, d'être la meilleure amie ! Et puis, quand on a bon coeur, non seulement on accepte d'être la bonne poire, mais on tend soi-même le bâton pour se faire battre : c'est donc Willow elle-même qui pousse Alex dans les bras de la jolie Ampata au charme épicé, avant de s'effacer discrètement. Réaction du beau ténébreux qui n'y voit toujours que du feu :
"Tu es ma meilleure amie !
- Oui, je sais..."
La malchance de Willow la rend finalement sympathique. Willow, ce n'est pas seulement l'amoureuse transie, dont la solitude ne peut qu'émouvoir. C'est aussi la fille trop gentille que les gens bien dans leur peau regardent de travers en pensant très fort qu'elle est une cruche. On ressent un pincement au coeur en la voyant emmitouflée dans son costume d'esquimau au bal du lycée, tandis que la grande et belle Cordelia passe royalement devant elle vêtue d'un paréo et d'un collier de fleurs, lui faisant l'aumône d'une parole méprisante, et pendant qu'Alex n'a d'yeux que pour sa belle étrangère. Deux semaines plus tard, dans "Halloween", rebelote : alors que Buffy lui a trouvé une tenue affriolante, Willow au dernier moment cache sa taille sexy sous un drap de fantôme, qui lui permet une fois de plus de se réfugier dans l'anonymat. Toujours sur la touche, toujours prête pourtant à faire plaisir à ceux qui ont moins de délicatesse envers elle, Willow est un personnage très attachant, doublet de Buffy dont elle partage la solitude et à laquelle elle apporte un contrepoint idéal, moins tragique mais tout aussi touchant.
Alex n'a d'ailleurs pas beaucoup de chance non plus : Ampata n'est certes pas une mante religieuse mais, comme Mlle French, elle ne peut survivre qu'en aspirant la vie des autres. Alex lui échappera de justesse et, de poussière qu'elle était, elle retournera à la poussière. D'accord, mais bon, et Willow dans tout ça ? Trop intelligents pour laisser le personnage se perdre dans l'insignifiance, les scénaristes se sont enfin décidés à lui faire rencontrer l'amour. Pas dans "Moloch", où la pauvre se retrouve aux prises avec un démon pour avoir goûté aux joies du cyberflirt. Non, c'est encore dans "La momie inca" que la vie de Willow commence à basculer. Une seule personne la remarque dans son manteau d'esquimau. Mieux : alors que seul son petit visage poupon émerge de l'épaisse fourrure, un garçon est carrément ébloui par son charme discret et ne trouve qu'une phrase à dire : "C'est qui, cette fille ? "
Deux épisodes plus loin, dans "Halloween", même petit manège : voyant Willow passer devant sa camionnette vêtue de la tenue aguicheuse dont l'a pourvue Buffy, le même garçon ne trouve qu'une chose à dire, ébloui de nouveau par un charme dont elle-même n'a aucune conscience : "C'est qui, cette fille ? " Il ne se doute pas que quelques heures plus tôt, c'est elle qu'il a bousculée dans les couloirs du lycée... cachée sous les oripeaux d'un fantôme !
Il faudra attendre encore un peu avant que les futurs tourtereaux se retrouvent : ce sera dans "Kendra" (1/2) quand, à l'occasion de la semaine de l'emploi organisée au lycée, tous deux se rencontreront dans la même pièce. Mais la caméra les laisse sur un timide "bonjour" : on ne saura pas ce qu'ils auront finalement trouvé à se dire. Dommage... En tout cas, Willow ne semble pas avoir été bouleversée par la rencontre. Quand Buffy, une semaine plus tard, remarque qu'il la dévore des yeux, elle répond simplement, ingénue : "Oh ! ça ! c'est Oz ! ", exactement comme Alex aurait dit : "Oh ! ça ! c'est ma meilleure amie ! " Lui, en revanche, se déplace pour lui parler. On savait déjà, depuis "La momie inca", qu'il appartenait au groupe de rock qui se produit de temps en temps au Bronze, et (surtout) que c'était une espèce de romantique, plus intéressé par l'intelligence d'une fille que par son physique, totalement à l'opposé de son copain musicien qui, lui, ignorait même qu'on pouvait parler avec une fille et sortait avec... Cordelia, bien sûr ! Rien d'étonnant à ce qu'il ait remarqué Willow, elle-même à l'opposé de Cordelia. On découvre maintenant qu'il se teint aussi les cheveux (tantôt roux, tantôt bruns) et qu'il n'est pas vraiment préoccupé par son avenir : tout ce qui l'intéresse, c'est la musique. Et Willow... Il lui sauve d'ailleurs la vie lorsque l'un des assassins de l'ordre de Taraka fait feu dans les couloirs du lycée en essayant de descendre Buffy : une blessure, heureusement sans gravité, atteste son courage... mais ce n'est pas encore assez pour chavirer le coeur de la douce et tendre Willow, décidément très distraite...
Enfin, "Innocence" remet les choses en place. Willow, finalement, est moins indifférente qu'il n'y paraissait. "Il est craquant", reconnaît-elle lorsque Buffy lui parle du beau musicien, "et j'aime beaucoup ses mains ! " (Précisons, pour ceux qui débarqueraient, qu'Oz se colore les ongles en violet...) Il n'en faut pas plus à Buffy, l'amie, pour la pousser sur la voie de l'amour, argument définitif à l'appui : "Tu vas pas passer toute ta vie à espérer vainement qu'Alex s'aperçoive que t'existes ! " Et voilà Willow tout embarrassée devant Oz qui gratte sa guitare sur un banc du campus. Il l'invite, elle refuse, elle l'invite. Le lendemain soir, Oz se retrouve parachuté dans la bande de Buffy, à laquelle il se joint pour fêter l'anniversaire de la Tueuse. Et quel anniversaire ! Quand Buffy fait son entrée en fracassant un mur et tue un vampire sous les yeux de la petite bande réunie autour du gâteau, Oz est tout de suite affranchi. On n'est finalement pas surpris qu'il réagisse plutôt avec sang-froid : au fond... "ça explique bien des choses..."
Les choses, justement, deviennent enfin sérieuses. Eveillée à l'amour, Willow est prête à ruer dans les brancards... Du coup, c'est elle qui voudrait que tout aille plus vite ! Au lendemain d'une sortie au cinéma, dans le prologue de "Pleine lune", elle se plaint à Buffy de l'esprit peu entreprenant de son cavalier : "J'ai envie de flirter ! " Ben oui, quoi, nous aussi ! Mais Oz, lui, est un garçon sage, qui aime prendre son temps et craint de... brusquer la douce Willow. Qui, elle, a envie d'être brusquée... Eternel problème de la communication entre garçons et filles. "Pleine lune", précisément, traite de la question : sous couvert d'une histoire de loup-garou, le scénario aborde la part bestiale de chaque homme et prouve qu'Oz a lui aussi ses démons, comme chacun. En l'occurrence, trois nuits par mois, il se change en loup-garou et terrorise les honnêtes gens. On en a vu d'autres à Sunnydale, bien sûr, mais c'est quand même un peu rude pour la première vraie histoire d'amour de Willow ! Cette situation légèrement surnaturelle mais pas pour autant inhabituelle (à Sunnydale, toujours...) nous vaut quand même une jolie confrontation entre les deux amoureux lorsque Willow, qui s'est enfin décidée à mettre les choses au clair avec Oz, débarque chez lui au moment même où il s'apprête à s'enchaîner pour ne plus mettre des innocents en danger. On est alors en plein dans la dimension métaphorique de Buffy, avec un dialogue à double sens où Oz se justifie en disant qu'il est "en train de changer", à quoi Willow, inconsciente du danger, répond qu'il n'est pas le seul ! Jusqu'à ce qu'elle assiste en live au "changement" et pousse un cri d'horreur...
Malgré tout, l'aventure a du bon. D'abord parce que "Pleine lune" est un épisode plutôt agréable, où le look très cheap du loup-garou s'accorde assez bien avec le côté décalé de la situation et avec des dialogues un tantinet loufdingues. Ensuite parce qu'après avoir partagé des moments plutôt intenses Willow et Oz s'engagent dans une relation elle aussi plus intense. Désormais, on peut vraiment dire qu'Oz est intégré à la bande, dont il partage d'ailleurs le repas à la cantine au début d'"Acathla" (1/2) : ça veut dire quelque chose, non ? Même Alex (qui, au demeurant, s'est lancé parallèlement dans une relation surprenante avec Cordelia...) semble s'être fait une raison, lui qui dénigrait Oz au début de sa relation avec Willow. Tout naturellement, Oz trouvera sa place dans le générique d'ouverture à partir de la troisième saison.
Le réveil de Willow dans "Acathla" (2/2), après un coma de plusieurs heures, confirme qu'Oz occupe désormais la place jadis dévolue à Alex. Ce dernier, veillant sa meilleure amie, finit par prononcer les mots magiques qu'elle avait si longtemps espérés : "Je t'aime..." Comme le baiser du prince dans La Belle au Bois dormant, ces mots exercent un charme merveilleux sur Willow, qui revient instantanément à la vie. Mais c'est le nom d'Oz qui monte à ses lèvres dans son demi-sommeil. Oz qui, comme par enchantement, apparaît aussitôt dans la chambre d'hôpital et prend la place d'Alex auprès de sa bien-aimée.
Attachants, Willow et Oz forment l'un des couples phares de Buffy. Alors que Buffy et Angel vivent une histoire marquée par le tragique, amour impossible ponctué de scènes fortes et suivi pas à pas par la mort, que Cordelia et Alex illustrent l'amour-haine classique sur le schéma attraction-répulsion si cher aux séries des années quatre-vingt (David et Maddie dans Clair de lune, Steele et Laura dans Remington Steele), combinant comique et émotion, Willow et Oz, eux, représentent un amour plus calme, sans tragique mais non sans humour, attachant parce que très accessible et très simple. La sophistication est aussi étrangère à l'une qu'à l'autre : elle est timide, réservée voire effacée, hostile à toute fantaisie qui risquerait de la faire remarquer, lui est excentrique (c'est un rocker, après tout...) mais finalement très simple aussi. Sa nature véritable est en fait très différente de son excentricité physique : alors que ses cheveux colorés et ses ongles violets peuvent laisser attendre un caractère idoine, c'est finalement vers la poésie, la tendresse et l'intérioté que va son caractère. Du rocker il a la guitare, mais s'en sert avec délicatesse, grattant doucement les cordes à la recherche d'une note difficile. C'est cette note d'ailleurs qui lui vient à l'esprit quand il approche Willow dans "Kendra" (2/2), comme s'il sentait en elle la même poésie inaccessible que dans son art.
Sensibilité, tendresse, poésie : tout les destinait l'un à l'autre (et pour cause : il n'a été introduit dans la série que pour elle !). Ce n'est pas un hasard non plus (qui le croyait ?) s'il porte le nom d'un pays imaginaire peuplé de créatures bizarres. Ebouriffés, ses cheveux tantôt bruns tantôt orange lui donnent un côté lunaire accentué par son air hébété. Sa phrase magique ? "J'ai dû manquer un épisode...", qu'il prononce quand les événements sont vraiment trop extraordinaires. Ironiquement, c'est vrai qu'il n'apparaît pas dans tous les épisodes de la deuxième saison : comme il s'y passe beaucoup de choses peu ordinaires, on comprend qu'il soit un peu perdu. A la féérie de son nom s'ajoute cependant un côté prince charmant, évident dans la scène du réveil de Willow (retournez quelques lignes plus haut...). Il devait donc naturellement être attiré par Willow, dont le nom évoque aussi l'univers du conte merveilleux, à cause du film de Ron Howard et George Lucas. La rencontre du Pierrot lunaire et de la douce ingénue est un ressort connu (on peut penser par exemple à Edward aux Mains d'argent) mais toujours émouvant, que le couple Oz-Willow adapte joliment au petit monde de Buffy.
La manière dont le personnage d'Oz est introduit dans la série est aussi un bel exemple de l'écriture de Buffy, qui prend en compte la continuité sans s'enfermer dans le cadre contraignant d'un épisode. Au lieu de rassembler en un même segment la rencontre, le premier contact et le premier flirt, les scénaristes ont semé des petits bouts d'Oz dans plusieurs épisodes avant de lui accorder le premier plan. Dans les deux premiers, "La momie inca" et "Halloween", la présence d'Oz est subordonnée à ses trois rencontres avec Willow : à la soirée costumée du Bronze, dans les couloirs du lycée (quand il la bouscule en fantôme sans se douter que c'est "la fille du Bronze") et dans la rue (lorsqu'elle passe devant sa camionnette en tenue moulante), avec l'effet comique répétitif de la question : "C'est qui cette fille ? " (le coup de foudre !). A chaque fois, Willow lui apparaît sous un déguisement différent, ce qui accentue la fascination qu'elle exerce sur lui en enveloppant la jeune femme d'une aura mystérieuse. Il tombe littéralement (au sens magique de carmen, en latin) sous le charme de l'apparition (rappelons que la première rencontre dans le roman sentimental est souvent traitée sur le modèle de "l'apparition", comme dans L'Education sentimentale de Gustave Flaubert où la première vision de Mme Arnoux s'accompagne de la phrase : "Ce fut comme une apparition."). Les scénaristes de Buffy n'ont peut-être pas lu Flaubert mais ils connaissent parfaitement le modèle !
Le motif de l'apparition est d'ailleurs renforcé par le costume de fantôme et le contexte d'Halloween, qui illustrent un autre sens du mot "apparition". La réussite de l'effet vient de ce qu'il ne s'agit pas seulement d'un jeu de mots mais d'une image qui s'accorde parfaitement au personnage de Willow. Par sa réserve excessive, qui la pousse à s'effacer, à essayer littéralement de disparaître pour laisser toute la place aux autres, Willow est bien un être fantomatique, qui manque d'épaisseur et de substance aux yeux du reste du monde : une ombre, un esprit, un fantôme. Seule la poésie d'Oz rend visible à ses yeux ce que les autres ne voient pas : un charme magique, unique et immédiat qui relève plus de l'intuition que de la vision. Comment expliquer, sinon, qu'il tombe sous le charme d'une jeune fille blottie dans un coin d'une salle obscure et bondée, presque complètement engloutie dans une épaisse fourrure d'esquimau ?
Une autre explication de la réussite du personnage est son adéquation avec l'univers de la série. S'il ne comprend pas toujours ce qui se passe, Oz cependant réagit sans émotion excessive à l'annonce que son cousin Jordy est un loup-garou, ce qui le prédispose à admettre l'existence des vampires. Il dira simplement, à la fin de "Pleine lune" (dans un dialogue par ailleurs savoureux avec Willow) : "C'est pas tous les jours qu'on apprend qu'on est un loup-garou", ce qu'on peut lui accorder sans trop de difficulté. A part ça, en bon personnage lunaire, il s'adapte plutôt vite et est ouvert à toutes les surprises, pour peu qu'on veuille bien l'affranchir. Très vite, d'ailleurs, il a droit à son épisode, où il confirme définitivement son appartenance au monde de Buffy : parce qu'il est un loup-garou, bien sûr (vous en rencontrez beaucoup, vous, des loups-garous ?), mais aussi parce que cette particularité le situe en plein dans le discours métaphorique de la série. Adolescent subissant des changements impromptus et inopinés (comme le développement brutal de la pilosité...) qui coïncident avec un éveil affectif et sensuel, il fait l'expérience de la part bestiale de chaque homme. Expérience traumatisante au moment de la puberté, comme tous les garçons le savent.
Sans être encore une vedette, comme les autres membres de la bande, Oz acquiert donc très vite une épaisseur et une personnalité uniques qui en font un élément à part entière de la série, au lieu de le cantonner dans le rôle du "petit ami de Willow". Loin de n'être qu'une parenthèse dans la vie de Willow, le temps qu'Alex s'intéresse enfin à elle, la participation d'Oz s'inscrit au contraire dans l'évolution de la jeune fille, qui en quelques épisodes sort de sa réserve et conquiert une autonomie plutôt problématique au départ.
Habituée en effet à s'écarter devant les autres et à attendre bien sagement qu'on daigne faire attention à elle, Willow doit se forcer à bouger pour aller vers Oz, aidée en cela par les exhortations de Buffy. Puis, pour donner un bon coup de pied dans ses incertitudes, nées du manque d'initiative du prince charmant, elle se fait violence et provoque une explication (interrompue par la métamorphose intempestive du teenager en loup-garou...). Alors qu'elle se complaisait jusque-là dans une situation de stand-by (comme figée en position "pause"), dans l'attente d'un Alex qui jamais ne venait, la voilà soudain volontaire voire entreprenante. Le reste suit : elle est appelée très vite à remplacer Jenny Calendar en charge de la classe d'informatique, puis dans son rôle d'experte en sciences occultes et autres formules magiques. C'est même elle qui, dans "Acathla" (2/2), rompt la malédiction pesant sur Angel et lui rend une âme qu'il avait perdue en jouissant dans les bras de Buffy d'un instant de bonheur. En une saison, Willow est donc passée de la fille seule dans son coin au bal du lycée à un rôle de premier plan, agissant sur le monde que jusqu'alors elle subissait. Elle a acquis non seulement un pouvoir magique, mais la faculté d'intervenir sur son environnement et de l'orienter selon sa volonté (enfin, en partie...).
Toujours elle aura été forcée à bouger. Par Buffy, pour approcher Oz. Par un événement magique lors de la nuit d'Halloween, quand elle perd soudain la protection de son costume de fantôme et se retrouve exposée en tenue affriolante. Par une sorte de possession occulte, enfin, quand les formules d'incantation lui viennent spontanément pour lever la malédiction d'Angel. Mais le résultat est là : dans "Halloween", c'est elle qui prend les choses en main alors que Buffy, devenue une ingénue effarouchée, ne maîtrise plus rien et qu'Alex, transformé en mercenaire va-t-en-guerre, joue au grand soldat. Willow, finalement, se découvre une force qu'elle ne soupçonnait pas et en tire un plaisir manifeste. Oz a sa part dans cette évolution, qui illustre de manière captivante le passage de l'adolescence à la post-adolescence. Sortant de l'ombre de Buffy, qui domine la série, Willow s'affirme comme un personnage intéressant, émouvant, qui touche par son mélange de fragilité et de force. Classique, sans doute, mais au fond plutôt convaincant.
Cette peinture de personnages en devenir, encore empêtrés dans la puberté mais pleins d'une force qu'ils doivent apprendre à connaître, à admettre puis à maîtriser, est l'une des qualités de Buffy, et le mérite des scénaristes est, comme dans toute bonne série, de ne pas concentrer ce thème sur le personnage-titre uniquement, mais d'en faire profiter aussi les autres membres de la bande, construisant peu à peu un univers cohérent non seulement par la mythologie des vampires mais aussi par la caractérisation des personnages, sans laquelle Buffy ne serait pas aussi touchante et aussi convaincante.