Un article de Thierry Le Peut
paru dans Arrêt sur Séries n°39 (printemps 2012, toujours disponible)
C’est officiel et le tournage a déjà eu lieu : les Ewing sont de retour à Dallas cet été, et c’est sur TNT, la chaîne qui a repris la série Southland . Aux commandes, on trouve Cynthia Cidre, qui a conçu Cane. Non seulement les Ewing ont repris possession de Southfork mais les anciens sont toujours là pour surveiller la nouvelle génération : Bobby, Sue Ellen et J. R. ont signé pour durer ! Dallas 2012, ou Desperate Oilmen … and women.
Le retour de Dallas fait partie de ces projets qui circulent de manière insistante mais auxquels on cesse de croire. Close en 1991, après treize ans d’antenne, la saga texane – filmée en grande partie en Californie mais se déplaçant chaque année dans un véritable ranch proche de Dallas pour y filmer des extérieurs – avait reparu en 1996 et 1998 sous forme de deux téléfilms de réunion. Puis la page semblait être tournée. En 2005, pourtant, on murmure qu’une adaptation sur grand écran est sérieusement envisagée, avec John Travolta dans le rôle de J.R. Ewing. Puis l’idée évolue vers une comédie inspirée de la série, avant de disparaître des écrans radar. Les années passent, et l’on murmure à nouveau : Warner, détentrice des droits de la série, envisagerait de la remettre à l’antenne. Mais sous quelle forme ? En 2009, la nouvelle est officielle : la firme a approché Cynthia Cidre pour écrire le script d’un pilote. Scénariste depuis le milieu des années 1980, Cynthia Cidre a écrit ou co-écrit plusieurs films et téléfilms, dont Mambo Kings avec Armand Assante et Antonio Banderas (1992) et A Killing in a Small Town (1990), avec Brian Dennehy et Barbara Hershey, un scénario récompensé d’un Edgar Allan Poe Award et nominé aux Emmy Awards. En 2007, elle a créé et produit la série Cane, qui n’a connu que treize épisodes. Cane, comme auparavant Titans, est une tentative de retrouver l’inspiration des soaps à succès des années 1980, à base de luxe, de trahisons et de glamour.
Vingt ans après
Mais la scénariste se montre très étonnée quand son agent lui transmet un message de Craig Erwich, l’un des exécutifs de la société Warner Horizon, créée en 2006 par Time Warner. Un message simple : « Est-ce que ça t’intéresse de faire Dallas ? » A la vérité, Cynthia Cidre a vu des épisodes de Dallas mais elle ne connaît pas particulièrement la série. Son premier mouvement est de décliner l’offre. Mais l’idée s’est insinuée dans son esprit et la travaille. Aussi accepte-t-elle de rencontrer les exécutifs pour en discuter. Elle découvre alors que Warner Horizon n’a pas une idée précise du type de revival qu’elle veut. Au fond, elle a les mains libres pour proposer ses propres idées. « Ils m’ont donné plusieurs saisons à regarder et je leur ai dit : ‘Laissez-moi y réfléchir.’ Je me suis mise à regarder ces saisons et comme dans le même temps j’avais un autre engagement, je faisais un autre pilote 1, j’ai eu beaucoup de temps pour y penser. Ensuite je les ai rappelés et je leur ai dit que je voulais absolument faire Dallas, que c’était ce que j’avais attendu pendant toute ma vie et qu’ils avaient frappé à la bonne porte. » 2
En visionnant les épisodes, la scénariste s’est familiarisée avec les personnages en reconstituant des arbres généalogiques, explorant les multiples ramifications d’une saga qui avait constitué un phénomène de société pendant au moins la moitié de son existence à l’antenne. Dallas en effet avait commencé comme une mini-série de cinq épisodes, à peine remarquée, avant de devenir une série qui, très vite, développa la trame feuilletonnante au point d’abandonner le cloisonnement des épisodes. L’attentat contre J.R. fit le succès de la série qui caracola en tête des audiences pendant plusieurs saisons, lançant une vague de nighttime soaps (les « soaps du soir », par opposition aux daytime soaps tournés à la chaîne et diffusés dans la journée) qui vit se succéder Côte Ouest, Dynasty, Falcon Crest et Dynasty II : Les Colby avant de s’éteindre, victime de ses propres excès. Au plus fort de sa légende, Dallas était écrite presque entièrement par une petite poignée de scénaristes : Leonard Katzman, Arthur Bernard Lewis et David Paulsen (le créateur de la série, David Jacobs, étant parti produire Côte Ouest, son projet initial, finalement lancée comme une série dérivée de Dallas dès 1979).
Mais Dallas était un produit enraciné dans son époque : celle du néo-capitalisme en plein essor, de l’arrogance et de l’agressivité des années Reagan. Les pieds fermement enfoncés dans de solides bottes texanes, la série flattait le public masculin en lui offrant une modernisation du western d’antan, recréant des bagarres de saloon et des images de troupeaux conduits dans les grandes prairies, tout en montrant le monde des affaires comme un prolongement de cet univers où l’on survivait en faisant la preuve de sa force. Jock, J.R., Bobby, Ray étaient les mâles dominants, entourés de femmes sexy dont la presse people relatait à plaisir la rivalité en coulisses, réelle ou fantasmée. Si la série eut ses figures de femmes de premier plan, celles-ci eurent toujours du mal à se faire une place à part entière au sein d’un univers conçu et contrôlé par des hommes. C’était aussi l’époque de la crise pétrolière, qui attirait l’attention du grand public sur les richesses phénoménales issues de l’or noir. Du point de vue de son écriture, Dallas donna l’impulsion d’une tendance déjà amorcée à la fin des années 1970 – avec la vogue des mini-séries et un programme comme La Conquête de l’Ouest – et qui allait s’étendre à l’ensemble des séries, à commencer par Hill Street Blues en 1981 : le principe de l’écriture feuilletonnante. La fin de Dallas, au seuil des années 1990, coïncide avec un changement d’époque en termes d’économie télévisuelle : la fin des indépendants et le retour en force des grands studios, la fin aussi d’une décennie flamboyante et le retour aux réalités sociales moins exubérantes. Après Un Flic dans la mafia, l’ambiguïté du noir triomphe dans Twin Peaks, sorte de chant du cygne du soap du soir fondu dans la vision artiste de David Lynch. Le soap continue de prospérer mais à destination plutôt du jeune public (Beverly Hills 90210 et Melrose Place) et dans une version plus glamour. Le retour des Ewing en 1996 et 1998 accuse le passage du temps et prend des airs de petit plaisir complice réservé aux happy few.
Les vieux de la vieille
Plus de dix ans après le dernier téléfilm, et vingt ans après la fin de la série, que reste-t-il de Dallas ? Une chose est certaine : la mémoire du show est entretenue par les comédiens encore vivants, qui semblent toujours heureux, pour la plupart, de se retrouver pour célébrer le succès d’antan. Patrick Duffy (Bobby), Larry Hagman (J.R.), Linda Gray (Sue Ellen), Victoria Principal (Pamela), Ken Kercheval (Cliff), Steve Kanaly (Ray), Charlene Tilton (Lucy), pour ne citer qu’eux, ont ou bien participé aux téléfilms de réunion ou bien nourri les rumeurs à chaque fois que Dallas semblait vouloir renaître. La participation de Victoria Principal à Titans, produite par le vétéran Aaron Spelling qui avait présidé aux destinées de Dynasty, n’est pas passée inaperçue en 2000, à l’époque où les autres comédiens de Dallas apparaissent dans un documentaire anglais, Doing Dallas. Les reunions ont entretenu la légende, tout comme les acteurs, Larry Hagman en tête, et en 1997 le site Ultimate Dallas réunit les fans qui n’ont pas cessé de croire en un possible retour de leurs héros à l’écran. Mine d’ information sur la série, le site ne se contente pas de gloser sur le passé : il va à la rencontre des stars, scénaristes et producteurs aussi bien que comédiens, s’intéressant à la fabrication de la saga, à ses déclinaisons insolites et à tous les signes prouvant que le mythe vit encore. En 2004 encore, CBS diffuse un Dallas Reunion : Return to Southfork qui réunit les principaux acteurs de la saga.
1. Danny Fricke, un téléfilm policier pour A&E Networks, où Connie Nielsen essaie de s’imposer dans un milieu machiste.
2. Interview with Cynthia Cidre, http://www.ultimatedallas.com/cynthiacidre/
A suivre dans Arrêt sur Séries 39