publié en juin 2004 (ASS 17)
par Thierry Le Peut
Il était une fois trois filles superbes qui avaient décidé de s’engager dans la police. Mais on les avait cantonnées dans des travaux bien peu passionnants. Alors moi, Charlie, je les ai sorties de ce cauchemar pour les engager et je ne le regrette pas, car ce sont vraiment de... Drôles de Dames !
On ne résiste pas au plaisir de citer ce préliminaire à chaque épisode de Charlie’s Angels, dont l’adaptation cinéma a popularisé le titre original, qu’avait totalement gommé la série originelle. Bien plus connues chez nous que les Anges de Charlie, les Drôles de Dames entrent dans la catégorie des séries dites « cultes », par leur côté kitsch si réjouissant. Personne ne songerait à placer cette production Spelling-Goldberg parmi les « grandes » séries policières, d’abord parce qu’il s’agit surtout d’aventure – fût-elle policière -, ensuite parce que l’indigence de ses scénarii est quasiment proverbiale. Pourtant Drôles de Dames a sa place au Panthéon des séries indémodables, quand bien même son look et son esprit sont aujourd’hui profondément désuets.
Le débat qui agite les uns et les autres autour de la série n’est pas nouveau : on discute encore de la nature « libératrice » ou « sexiste » du show, qui en donnant le premier rôle aux femmes ne les utilise pas moins comme des « objets de divertissement » en les plaçant dans des situations fantasmatiques ô combien. Voir Farrah Fawcett au volant d’un camion ou évoluer en maillot moulant sur la glace a longtemps nourri les rêves délicieux de l’audience masculine et il va de soi que les (a)mateurs de la série appartiennent aux deux sexes. Que la série ait été développée par le tandem Ivan Goff & Ben Roberts, adaptateur de Mannix sur une idée de Richard Levinson et William Link, est d’emblée plutôt cocasse : Mannix est l’un des archétypes du héros macho dont Charlie’s Angels prendrait a priori le contrepied. Bref, ces dames sont aptes à damer le pion aux mâles dominants du PAF d’avant la révolution, et il est bien vrai que leur naissance doit beaucoup au succès d’Angie Dickinson dans Police Woman (Sergent Anderson), mais la Girl Attitude des Drôles de Dames reste l’expression d’un fantasme éminemment masculin, bien innocent lorsqu’il se limite aux frontières du divertissement. Les Anges ont beau réaliser les mêmes prouesses que les mâles, elles n’en travaillent pas moins pour un homme, oisif et friand de jolies filles, et sous la supervision d’un autre !
En dehors de cette question d’identité, Charlie’s Angels est un show semblable à d’autres productions issues de la même écurie. Les intrigues y sont en général prétextes à mettre les héroïnes dans des milieux et des situations variés, où se succèdent des malfrats et autres escrocs interchangeables. Glamour, exotisme (la dernière saison est tournée en partie à Hawaii), action sont les maîtres mots de la production, indifférente aux changements de casting qui l’émailleront. Spelling emploie d’ailleurs des scénaristes accoutumés à ses productions, comme Rick Husky, Jack Fogarty ou David Levinson que l’on retrouve, qui à la production, qui à l’écriture, sur des programmes comme Section 4 (SWAT) et Hooker.
Côté vf, les voix très reconnaissables des différentes Dames ont fait aussi la popularité des personnages : Perrette Pradier doublera de nouveau Kate Jackson dans Les deux font la paire, Béatrice Delfe retrouvera souvent Farrah Fawcett, Céline Monsarrat restera également la voix attitrée de Cheryl Ladd et Philippe Dumat reste indissociable de David Doyle, quand bien même la voix originale de ce dernier est plus éraillée. Que dire, enfin, de Jean Berger, qui éclipse complètement dans le rôle de Charlie la voix originale de John Forsythe, jamais mentionné au générique et donc parfaitement insoupçonnable dans la version française !
La première saison, dorénavant disponible en DVD dans un coffret à prix réduit, n’a pas seulement le charme des origines : conçue au départ comme le véhicule de Kate Jackson tout juste sortie d’une autre production Spelling, The Rookies, la série allait révéler Jaclyn Smith et porter aux nues Farrah Fawcett-Majors, aperçue aux côtés de son Lee de mari dans quelques épisodes de L’Homme qui valait trois milliards. Inutile de revenir sur le brasier allumé par la blonde Jill Munroe dans le coeur du public : la belle en profita d’ailleurs pour rompre son contrat et aller exploiter sous d’autres cieux son immense popularité (on la verra bientôt au côté de Kirk Douglas dans Saturn 3, après l’avoir entrevue dans L’Age de cristal auprès de Michael York), permettant à Cheryl Ladd d’entrer en scène dans le rôle de la jeune soeur de Jill, Kris, introduite en deuxième saison. Cette première livraison contient aussi quelques-uns des épisodes les plus « cultes », comme « Une prison pour ces dames » - où les trois Anges fuient enchaînées des poursuivants armés – et « Rollerball ». Déjà, Edward J. Lakso signe six épisodes, préludes à une activité prolifique qui fera de lui la cheville ouvrière de la série.
Les puristes apprécieront aussi de voir les épisodes dans leur intégrité, c’est-à-dire avec le générique de fin que France 3 amputait systématiquement lors des précédentes rediffusions télé, et les crédits d’ouverture originaux, honteusement dénaturés par un bidouillage désormais classique lors de la même diffusion française. (Ceux qui lisent ces lignes savent tout le mal que nous pensons de France 3 dès lors qu’elle touche aux séries, aussi chères à son coeur que le polystyrène que vous mettez dans vos colis pour envelopper leur contenu.) Enfin, le premier disque contient le pilote, rare à la télévision, où Tommy Lee Jones et David Ogden Stiers prêtent main forte à Bosley et aux Anges. Pour les bonus en revanche, l’amateur averti devra se contenter d’un documentaire en anglais d’un intérêt tout relatif, où des fans avant tout (et une coiffeuse de Farrah Fawcett...) donnent leur point de vue sur le show.