Article de Thierry Le Peut publié dans Arrêt sur Séries 40 (automne 2012)
Encore une invasion extraterrestre produite par Steven Spielberg ? Oui mais Falling Skies est plus que cela : c’est une série de guerre où les enjeux sont d’abord humains. Petit tour d’horizon tandis que la saison 2 vient de s’achever et que la 3 est annoncée pour l’été 2013.
Le site officiel : http://www.fallingskies.com
Comme toutes les séries produites par Steven Spielberg, Falling Skies a bénéficié d’une bonne promotion, au cours de laquelle on entendait bien sûr que « Steven Spielberg était impliqué dans le moindre détail ». Au-delà de cette langue de bois, le projet lui-même intriguait parce qu’il s’inscrivait tout à fait dans la lignée des efforts télévisuels de Spielberg pour prolonger ses thèmes de prédilection, en l’occurrence les extraterrestres, mais qu’on se demandait ce que cette nouvelle tentative pouvait avoir d’original. De fait, c’est sans doute l’une des critiques qui ont été adressées à la série quand enfin elle a été diffusée sur TNT à partir de juin 2011. Des aliens ont envahi la Terre de façon brutale, décimant la plus grande partie de l’humanité pour ne laisser que des poches de résistance disséminées dans le monde. Ils ont des vaisseaux et des robots puissamment armés et eux-mêmes ressemblent à des araignées vertes que les survivants ont appelées des Rampants. S’ils tuent les adultes, en revanche ils capturent les enfants pour implanter sur leur colonne vertébrale des « harnais » qui en font des esclaves et qu’il est impossible de leur retirer sans les tuer.
Ainsi résumée, Falling Skies n’a effectivement rien d’original. Les aliens insectoïdes, la destruction de l’humanité, les « implants », tout cela a déjà été vu ailleurs. Pourtant, très vite, Falling Skies parvient à convaincre et s’impose comme une excellente série même si, et on l’a évidemment souligné, elle ne possède pas ce « génie » qui donne le sentiment au public (et à la critique), une fois reconnu, qu’ils tiennent une « grande série ». Sa qualité première, c’est l’honnêteté avec laquelle elle dépeint ses personnages et que l’on retrouve dans le traitement de l’action. Non seulement celle-ci est traitée avec intelligence mais les effets spéciaux, de bonne qualité, sont à son service et non l’inverse. Emmenée par un Noah Wyle qui prend plaisir à explorer des voies dont l’avaient éloigné quinze ans d’Urgences, et qui travaille de nouveau avec la chaîne TNT qui lui avait offert le rôle de Flynn Carsen, Falling Skies choisit l’approche frontale, celle du combat pour la survie, et ses enjeux pourraient aussi bien se passer d’aliens. « C’est une série de science-fiction mais ce n’est qu’une toile de fond pour une histoire centrée sur l’humain », déclare Wyle. « De bien des façons, c’est sans doute plus proche d’un film de guerre que de la science-fiction. C’est en tout cas de ce côté que je puisais mes sources. Will Patton (qui interprète le rôle du Lt Dan Weaver, ndlr) et moi nous prêtions des DVD qui étaient plutôt des films de guerre ou des westerns de ou avec John Ford, John Wayne, Ward Bond, parce qu’on y trouvait le même sens de la camaraderie face à l’adversité, face à un ennemi invincible. » 1
C’est pour inscrire l’histoire dans une perspective historique que le personnage principal interprété par Noah Wyle est un professeur d’histoire, Tom Mason – dont le nom est peut-être réminiscent de celui de Bill Masen, le héros de La révolte des Triffides, un roman de John Wyndham où l’humanité doit résister à une espèce de plante venue de l’espace. Ses connaissances servent à créer des parallèles avec les combattants qui, à toutes les époques, des Grecs de l’Antiquité aux GIs de la Seconde Guerre mondiale, se sont battus pour leur liberté. Les lieux occupés ou traversés par les personnages de la série sont d’ailleurs pleins de références aux hommes illustres de l’Histoire américaine, monuments aux morts, citation de Robert E. Lee peinte sur un mur (saison 2), lycée John F. Kennedy où l’on voit une fresque murale représentant les visages de Jefferson ou Lincoln (saison 1). Tom Mason est certainement l’un des rares héros de série qui soit aussi un intellectuel, même si la situation fait de lui un soldat plus qu’un enseignant. La formule qui orne l’entrée du lycée JFK est une citation d’Edward Everett, homme politique américain du Massachusetts qui fut aussi président de l’université de Harvard : « L’éducation est meilleure garante de la liberté qu’une armée professionnelle ».
L’esthétique de la série la rapproche visuellement des films de guerre comme Il faut sauver le soldat Ryan et les mini-séries Band of Brothers et Pacific, tous produits par Spielberg. Le scénariste à qui ce dernier a confié l’écriture du premier épisode, et qui se voit donc honoré du titre de créateur de la série même s’il n’y participe plus ensuite, est d’ailleurs celui d’Il faut sauver le soldat Ryan, Robert Rodat, qui signa aussi le scénario du Patriote de Roland Emmerich. Loin de renier son ancrage dans l’Histoire américaine, Falling Skies revendique son identité nationale en affichant partout des drapeaux américains, en plus des références constantes aux grands hommes de la nation. Cet affichage éclaire aussi le traitement de l’histoire, qui s’inspire des poncifs du récit de guerre et de résistance, sans pourtant tomber dans la bluette patriotique assommante. La raison principale en est que le scénario reste très près des personnages, dont les actions héroïques ne sont pas soulignées avec trompettes et clairons mais plutôt montrées comme le résultat du courage que chacun peut trouver en soi dans une situation désespérée. Tous les personnages de la série sont des êtres ordinaires engagés dans une situation extraordinaire : et l’on se souvient de la citation de Martin Luther King, qui affirmait que « La véritable valeur d’un homme ne se révèle pas par les choix qu’il fait dans les moments de confort et de tranquillité, mais par ceux qu’il fait dans les moments de défi et de controverse. »
L’élément fondamental de la série, qui l’enracine tout autant dans cette humanité que dans l’imaginaire américain qui irrigue les westerns et les films de guerre, c’est la famille. Et c’est ici principalement une histoire d’hommes. Falling Skies est d’ailleurs une série d’hommes, produite par des hommes et dont seule une poignée d’épisodes porte la signature d’une femme. Cela se traduit dans l’inspiration du show et dans les relations entre les personnages. Tom Mason a trois fils avec lesquels il entretient une relation très forte depuis que leur mère a été tuée dans l’attaque de la Terre. Agés de neuf, quinze et environ vingt ans, ils figurent tous parmi les personnages les plus importants de la série et à travers eux s’expriment des notions comme la transmission, la responsabilité et la fierté. Leurs rapports structurent toute la série, en termes d’émotion, d’action, d’enjeux. S’ils s’opposent les uns aux autres, le lien qui les unit est également trop puissant pour être durablement abîmé et cette image d’une famille unie contre l’adversité, capable de résister à tous les coups, est l’une des forces de Falling Skies.
L’autre personnage masculin majeur est le Lt Dan Weaver. Un soldat. Il apparaît d’abord comme un dur à cuire, un homme de commandement essentiellement, mais révèle ses failles au fil de la première saison, au point de s’approcher dangereusement du point de non retour. Même s’il possède ses propres enjeux, Weaver existe surtout dans sa relation avec Tom Mason, en qui il reconnaît un leader, moins entraîné et qui a du mal à assumer ce rôle, mais apte pourtant à diriger les civils parce qu’il est capable de leur parler et de les convaincre, alors que Weaver est plus doué pour ordonner que pour discuter. Ils ont besoin l’un de l’autre ; la mise en danger de Weaver, autant dans la première saison que dans la seconde, amène Mason à reconnaître à quel point la cohésion des survivants repose en grande partie sur la force de caractère de Weaver. Quant à ce dernier, il apprend à reconnaître le courage de Mason et à apprécier son franc parler et sa détermination.
Les personnages féminins ont, c’est évident, plus de mal à s’imposer. Même si Moon Bloodgood, que l’on a vue dans Terminator Renaissance, est censée partager l’affiche avec Noah Wyle et Will Patton (Weaver), son personnage a moins d’espace pour s’exprimer. Pédiatre devenue de fait le médecin de la 2e Division (2nd Mass, le groupe de survivants dirigé par Weaver), elle existe dans la première saison par sa difficulté à faire le deuil de la famille qu’elle a perdue dans la guerre, puis devient l’amie et bientôt la petite amie de Tom Mason. Mais son champ d’action est essentiellement circonscrit à l’intérieur des différents camps établis par la 2e Division, où son rôle est de soigner tantôt les humains tantôt les aliens. A son côté, la jeune Lourdes se distingue par son idéalisme fortement teinté de religion et par les tendres sentiments qu’elle cache très mal à l’égard de Hal, le fils aîné de Tom, lequel a déjà une petite amie, Karen. L’éviction de Karen semble destinée à laisser la place à Lourdes mais la greffe ne prend pas et la seconde saison offre à la jeune femme, par ailleurs assistante du Dr Glass à l’infirmerie, un autre flirt. Karen est également l’une des femmes régulières de la série, plus intéressante par la position qu’elle en vient à occuper, entre les humains et les aliens, mais qui demeure néanmoins en retrait. C’est donc un troisième personnage qui se révèle peu à peu comme la compagne potentielle de Hal ; un personnage de femme forte, indépendante et courageuse, Maggie, qui, autorisée à participer aux opérations militaires, possède de fait une plus grande marge de manœuvre. Chacune possède sa propre personnalité et un caractère capable de s’affirmer, pourtant toutes restent subordonnées aux figures masculines de la série.
La situation de Tom Mason est la plus intéressante. Rendu veuf par la guerre, il éprouve d’abord des difficultés à assumer sa légitimité auprès de ses enfants, plus proches de leur mère. Hal est déjà un homme et peine à reconnaître l’autorité de son père, qui s’efforce de tempérer son impulsivité. Matt, le plus jeune, aspire à se battre et se rebelle contre le rôle d’enfant qu’on lui fait jouer. Quant à Ben, sa position est particulière car, enlevé par les aliens et implanté, il conserve un lien puissant avec eux même après le retrait de son harnais. Son rôle prend de l’ampleur dès la seconde partie de la première saison et plus encore dans la deuxième qui le voit devenir un véritable soldat, en dépit de ses quinze ans. A l’égard de ses trois fils, Tom Mason éprouve un devoir de protection qui entre en contradiction avec son rôle de chef, son cœur de père ayant du mal à accepter que la nécessité de survivre fait de ses enfants des combattants au même titre que les autres membres du groupe.
Falling Skies est aussi l’histoire des survivants, des épreuves qu’ils traversent et des défis qui menacent la cohésion du groupe. La recherche de nourriture, la difficulté à faire le deuil de ceux qui n’ont pas survécu, les efforts nécessaires pour s’accepter et s’entraider sont les thèmes que développe la première saison. La seconde, davantage tournée vers l’action, met le groupe en mouvement vers un but commun qui représente leur espoir. Mais ces thématiques constituent bien le cœur de la série, davantage que les enjeux liés aux aliens. La série commence six mois après la destruction des grandes villes du monde, alors que la guerre a déjà eu lieu. Les humains ont perdu et ceux qui restent ont deux objectifs : survivre, d’abord, et causer à l’ennemi suffisamment de dommages pour l’amener à abandonner la partie, même si sa supériorité technologique est écrasante. « Si ce sont des loups, nous devons être des porcs-épics », explique Tom dans le premier épisode. D’un épisode à l’autre, la morphologie des Rampants est mieux connue ainsi que leur nature : loin d’être libres eux-mêmes, ils se révèlent en fait soumis à une autre espèce, des extraterrestres humanoïdes et longilignes que d’aucuns baptiseront « têtes de poissons » en raison de leur morphologie particulière. Mais les motivations de ces derniers demeurent obscures et mettront du temps à être révélées. Les auteurs de la série en effet limitent leur point de vue aux humains, ce qui rend le récit plus cohérent. Au contraire de V, par exemple, ou de Battlestar Galactica dont l’un des producteurs, Mark Verheiden, est également producteur de Falling Skies, ce qui se passe du côté des aliens nous reste étranger. On n’y a accès que lorsque l’un des protagonistes humains y est associé, par exemple lorsque Tom, au début de la seconde saison, est détenu à l’intérieur d’un de leurs vaisseaux. C’est l’une des intelligences de Falling Skies de limiter les connaissances des spectateurs à ce que les survivants humains connaissent, car on partage d’autant mieux la crainte et la curiosité qu’ils ressentent à l’égard des aliens. Et c’est certainement l’une des réussites de la série que de rendre les enjeux humains suffisamment intéressants pour que l’ignorance au sujet des aliens ne soit pas une gêne.
On laissera la conclusion à Colin Cunningham, qui incarne l’un des personnages les plus intéressants du show et aussi le plus antipathique, John Pope, un homme intelligent, cultivé et égocentrique, pour qui le meilleur moyen de survivre est de penser uniquement à soi. Son propos résume très bien la série. « Falling Skies est un concept intéressant parce qu’il repose sur des êtres humains qui essaient de faire ce qui est bien et de préserver leur humanité dans une situation où c’est vraiment très difficile. Ce pourrait être un western, ça pourrait se passer sous l’eau ou dans l’espace, ça pourrait renvoyer à l’invasion des Nazis et à la résistance des Français. On pourrait placer cette histoire n’importe où parce qu’elle parle des gens. Ils ont choisi d’en faire de la science-fiction parce que visuellement ça met en valeur l’histoire et ça permet des trucs sympas. C’est le genre qu’ils ont choisi, mais c’est juste l’emballage. » 2 Avis aux amateurs.
Notes
1. Interview de Noah Wyle et Drew Roy par Craig Byrne, 15 juin 2012, http:// www.ksitetv.com / falling – skies / interview-noah - wyle - drew - roy - preview - falling - skies-season-2/14872
2. Colin Cunningham interviewé par Christina Radish pour le site Collider.com, 7 juillet 2012, http:// collider.com / colin – cunningham – falling -skies-interview/177705/