Un dossier de Thierry Le Peut
paru dans Arrêt sur Séries n°39 (printemps 2012, toujours disponible)
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Evénement de l'année 2011 sur HBO, diffusée presque simultanément sur Orange en France, Le Trône de Fer est l'adaptation inespérée mais attendue du cycle de dark fantasy médiévale de George R. R. Martin, écrivain et jadis scénariste de La Belle et la Bête (la série). Dix épisodes de fureur, d'intrigues, de trahisons... et une reconstitution exceptionnelle pour la télévision. Arrêt sur Séries lui consacre un ample dossier dans son numéro 39 à paraître fin mars 2012. En voici une preview :
Disponible depuis le 7 mars 2012 en DVD et Blu-Ray, Le Trône de Fer fut l’un des événements de l’année 2011 aux Etats-Unis et en France, puisqu’Orange en commença la diffusion dès le 5 juin 2011, alors que la série était toujours en première diffusion aux Etats-Unis (HBO a programmé la série à partir du 17 avril 2011, Sky Atlantic en Grande-Bretagne dès le lendemain).
La série fait plus que s’inspirer des romans de George R. R. Martin, édités aux Etats-Unis depuis 1996 et en France depuis 1998. Elle en est l’adaptation extrêmement respectueuse : les lecteurs des livres en retrouvent avec plaisir les dialogues et les scènes, servies par des acteurs performants et des production values à la hauteur des attentes. Réputée « infilmable » par Martin lui-même, la saga réussit le tour de force de convaincre dès les premières images, dans une séquence liminaire reprise du livre.
« On a essayé pendant cinquante ans d’adapter Le Seigneur des anneaux en un film, avant que Peter Jackson rencontre le succès en en faisant trois », déclara Martin. « Mes livres sont plus gros et plus sophistiqués, les adapter nécessiterait dix-huit films. Sinon, il faudrait choisir un ou deux personnages. »
Pari relevé pourtant par deux anciens étudiants en littérature, qui se sont connus en Irlande dans les années 1990 avant de collaborer sur un scénario qu’ils n’ont jamais tenté de vendre, The Headmaster. « C’était vraiment, vraiment mauvais », se souvient David Benioff. « On ne l’a jamais montré à qui que ce soit. On n’a même jamais essayé de le vendre parce qu’on était suffisamment intelligents pour savoir que c’était mauvais, mais c’était une expérience sympa et on est restés amis. Au fil des années, que j’écrive un scénario ou un roman, Dan était le premier à le lire. » David Benioff et Daniel Weiss vivent avec Le Trône de Fer leur première grande expérience télé. Le second a travaillé sur l’adaptation du jeu Halo et envisage une adaptation du roman La stratégie Ender d’Orson Scott Card, mais son CV ne contient encore aucun titre de gloire, sinon un roman publié en 2003, Lucky Wander Boy. Le premier est plus aguerri : auteur de plusieurs romans (La 25e heure, Le compteur à zéro, La Ville des voleurs), il a adapté le premier au cinéma pour Spike Lee puis signé le scénario final de Troie de Wolfgang Petersen, avant de travailler deux fois avec le réalisateur Marc Forster. D’abord en signant le scénario original de Stay, qui réunit Ewan McGregor, Ryan Gosling et Naomi Watts (entre autres), ensuite en adaptant le roman de Khaled Hosseini, Les cerfs-volants de Kaboul. Sont venus ensuite X Men Origins : Wolverine, dont il est co-scénariste, puis Brothers, de Jim Sheridan, adaptation d’un scénario original danois.
Le Trône de Fer, ni l’un ni l’autre ne connaissait spécialement. Bien que férus de jeux de rôles, ils n’étaient pas de grands lecteurs de fantasy et leurs études de lettres au Trinity College de Dublin les avaient intéressés à Joyce et Beckett, autant dire à un autre style de littérature. Quand l’agent de George R. R. Martin envoie les livres à David Benioff, c’est dans l’idée d’une adaptation ciné, et la réaction de Benioff est immédiate : d’abord, il est happé par l’histoire, riche, complexe, qui diverge de l’affrontement entre le bien et le mal habituel dans le genre ; ensuite, il comprend que, précisément, l’histoire est trop riche et trop complexe pour pouvoir être adaptée en un film. Ayant branché son ami Weiss sur la prose de mister Martin, il en arrive avec lui à la même conclusion que l’écrivain : « Comme l’a dit George, Le Seigneur des anneaux a à peu près la même longueur que Le Trône de Fer [comprenez : les trois tomes du livre de Tolkien et le premier volume du cycle de Martin], et Le Seigneur des anneaux fonctionne très bien comme un long-métrage de dix heures. » Benioff d’ajouter que les livres ne pouvaient pas fonctionner, eux, sous une forme cinématographique : « ils sont trop longs, il y a trop de personnages, ils sont trop complexes. Si on fait un film pour un grand studio, il faudra obtenir le PG-13 [l’interdiction pour les moins de 13 ans seulement] et viser une durée de deux heures et demie, ce qui signifierait couper quatre-vingt-quinze pour cent de l’histoire. »
Les deux hommes pensent alors à la télévision. Contrairement au cinéma, ce medium possède la capacité d’explorer une large galerie de personnages sur une longue durée. Plus besoin de couper dans le matériau de Martin : non seulement chaque personnage peut être conservé mais l’esprit même des livres peut espérer survivre dans le produit final. « Ce sont des livres écrits pour des adultes », insiste David Benioff. « Ce n’est pas de la fantasy pour gamins de douze ans. Non qu’il n’y ait pas de gamins de douze ans qui les aiment, mais pour l’essentiel, le lectorat est plus sophistiqué, et nous voulions garder cela. Nous voulions garder la sexualité des livres. Nous voulions en garder la grossièreté. » Prenant l’exemple de Tyrion, qui fréquente les prostituées et appelle un chat un chat et une chatte une chatte, et faisant référence aux scènes de bataille des livres, Benioff ajoute : « Nous voulions les scènes de bordel. Nous voulions la violence sanglante. » Très vite, les deux hommes tombent d’accord sur le choix de HBO, la chaîne payante qui, avec des séries comme Les Soprano, Rome et Deadwood, a prouvé sa capacité à produire des œuvres contemporaines ou « d’époque » sans reculer devant la crudité du langage et la violence des situations, tout en donnant aux personnages la liberté de s’épanouir. « HBO était vraiment le seul endroit où nous pouvions avoir le temps de raconter l’histoire et la liberté de la raconter de la façon que nous avions en tête. »
La suite est dans Arrêt sur Séries 39 (dossier 24 pages)
Trailer VF :
Trailer sans paroles (HBO) :
L'essentiel de la saison 1 dans une video officielle de HBO (en VO) :
à ne pas regarder évidemment si vous n'avez pas encore vu la série !