un dossier de Thierry Le Peut paru dans Arrêt sur Séries 41 (printemps 2013)
Programme phare de la rentrée 2010 sur CBS, programmée en France sur M6 dès avril 2011,
Hawaii 5-0 est le remake de Hawaii Five-O , la série qui fit de Jack Lord une star dans le rôle de Steve McGarrett, chef de la Police d’Etat de Hawaii – en VO Five-O, unité spéciale placée sous l’autorité directe du Gouverneur. Incarnation de la Justice durant douze saisons, de 1968 à 1980, McGarrett a laissé l’image d’un parangon de vertu, aussi droit dans son costume cravate qu’ Athéna dans son peplos. Trente ans après sa mise à la retraite, il revient rajeuni sous les traits d’Alex O’Loughlin, le vampire détective de Moonlight. A ses côtés, un Danny Williams également relifté et deux faire-valoir relookés, Chin Ho et Kono.
Championne de l’audience – elle a attiré en moyenne 10 à 12 millions de spectateurs en première saison, montant jusqu’à 19 millions le 23 janvier 2011, après l’événement sportif du championnat AFC -, Hawaii 5-0 est devenue instantanément un hit, fer de lance de CBS. Sa deuxième saison, entamée le 19 septembre 2011, a vu arriver des guest stars telles que Greg Grunberg et Terry O’Quinn, popularisés par leurs rôles dans Heroes et Lost. A la fois très différente de son modèle et respectueuse de ce qui fit le succès de cette dernière, la série vous emporte, vous irrite et finalement vous séduit par son cocktail d’action , de plans carte postale et un second degré salvateur.
Embarquement immédiat pour le Pacifique dans ce dossier qui vous propose une plongée dans la genèse et l’ autopsie d’un succès fulgurant.
En 2008, on entend parler d’un remake de Hawaii Five-O commandé par CBS. A la même époque, on parle aussi d’une nouvelle version des Rues de San Francisco. Le nom d’Ed Bernero, qui se fit connaître en travaillant sur Brooklyn South avant de créer New York 911 et de connaître la consécration avec Esprits criminels, est alors cité : CBS lui a commandé un script. Bernero aime à dire, alors, qu’il adore la série, avec laquelle il a grandi ; le thème musical cultissime composé par Morton Stevens serait même sa sonnerie de portable. Mais le projet n’aboutit pas. En janvier 2010, interviewé par Diane Haithman pour le site Deadline Hollywood, Bernero parle de « voie de garage ». Un script a bien été écrit, dans lequel Bernero imaginait un fils de Steve McGarrett (le héros de Hawaii Police d’Etat entre 1968 et 1980, interprété par Jack Lord), Chris, tentant de rivaliser avec son père. « Ils m’ont appelé et m’ont demandé si je voulais le faire », raconte le scénariste producteur. « Je pense que ce que j’ai fait était très respectueux du matériau d’origine mais ça n’a jamais été à moi. » 1 Comprenez : CBS a commandé le script puis l’a conservé sans lui donner suite, tournant en revanche un autre pilote de Bernero intitulé Washington Field, sur une unité du FBI à Washington. L’auteur a ensuite appris que le network avait engagé d’autres personnes pour plancher sur une nouvelle déclinaison de Hawaii Five-O.
5-0 : La nouvelle vague
Ces « autres personnes », ce sont Roberto Orci et Alex Kurtzman, très sollicités au cinéma (Transformers, Mission Impossible III, Star Trek, Cowboys et envahisseurs) comme à la télévision (Fringe). Les deux compères se sont en fait associés à Peter M. Lenkov, véritable maître d’œuvre du projet et showrunner de la série. Comme Bernero, Lenkov se réfère à sa propre connaissance de la série : « J’étais un fan de la série originelle », déclarait le scénariste au site The Futon Critic en décembre 2010. « En fait, mon père était un fan inconditionnel mais je ne suis pas devenu un fan seulement par osmose, je suis un fan parce que je regardais la série pendait que lui la regardait. Je n’avais aucune idée de ce que c’était mais je savais que c’était important pour lui. Le satisfaire mettait une grosse pression sur moi parce qu’il représente tous les gens qui regardaient la série religieusement… Mais je sentais que j’avais trouvé une approche de la franchise qui n’avait pas encore été exploitée et que si je pouvais lui donner forme la série pourrait trouver sa propre place tout en rendant hommage à la série originelle. » 2
Lenkov, formé sur La Femme Nikita entre 1999 et 2001 puis devenu producteur sur Washington Police et la saison 4 de 24, a ensuite écrit le scénario de XIII en 2008 et œuvré sur Les Experts Manhattan pendant plusieurs années (2005 à 2010). Il avait aussi signé le script du film Demolition Man en 1993 et écrit pour la série The Crow en 1998. Dans le genre action, on lui doit en outre les scénarii de Universal Soldier 2 et 3. Pas forcément de quoi faire frémir les fans de Hawaii Police d’Etat, mais un CV qui témoigne de l’implication du bonhomme dans les histoires à forte teneur en testostérone. Or, la nouvelle version de Hawaii Five-0, cette fois greenlightée par CBS, oriente très clairement le show vers l’action pure, même si elle se réclame toujours du police procedural. Annoncée avant l’été 2010, la série bénéficie d’une campagne de promotion qui atteste la volonté de CBS d’en faire l’un de ses fers de lance de la rentrée 2010. Kurtzman et Orci, qui signent le script du pilote avec Lenkov et apparaissent comme producteurs exécutifs, servent avant tout de caution au travail de Lenkov, qui supervise tous les aspects de la série.
Lenkov affirme son souci de créer des personnages capables de porter la série et de fidéliser le public. La série originale, dit-il, n’accordait pas grand place au développement des personnages principaux : on sait peu de choses de la vie privée de Steve McGarrett, resté dans ‘limaginaire télé comme un monolithe vivant, l’incarnation de la Loi. On a beaucoup glosé, à l’époque, sur le refus obstiné de l’acteur Jack Lord de laisser ses partenaires accéder au statut de « stars » du show. Dans son esprit, il n’y avait de place que pour McGarrett ; le titre de travail de la série fut d’ailleurs un temps The Man, tant son créateur Leonard Freeman l’avait fondée sur la personnalité de son héros. Avant que Jack Lord ne devienne McGarrett, c’est à Gregory Peck que songeait Freeman. C’est dire l’importance de la figure de McGarrett, devenue littéralement mythique.
La vision du pilote de Hawaii Five-0 (la production insiste sur la transformation du O de la série originelle en chiffre 0, car cette fois la série rattache explicitement – à la fin de l’épisode 3 – son titre au nombre 50, Hawaii étant le cinquantième état des Etats-Unis, alors que Freeman ne souhaitait pas l’expliciter) montre que Lenkov, Orci et Kurtzman ont pris le mythe au pied de la lettre. McGarrett en effet est un surhomme, et son acolyte Danny Williams ne manque pas une occasion de le souligner – pour s’en moquer. Si le Steve McGarrett de 1968 était lui aussi un ancien de la Navy, son homonyme 2010 est carrément un ancien commando (Navy Seal), un homme d’action, qui frappe et tire d’abord pour ne réfléchir qu’ensuite. La production a donc engagé Alex O’Loughlin, un comédien de trente-quatre ans que CBS avait déjà tenté d’imposer dans deux séries de courte durée, Moonlight (il était un vampire détective) et Three Rivers (en médecin). O’Loughlin est en excellente forme physique, ce que la série souligne en l’invitant parfois à retirer son tee-shirt. La distance avec son prédécesseur est donc visible d’emblée : alors que Jack Lord apparaissait toujours (au moins durant les premières saisons, puisqu’il adoptera ensuite, à l’occasion, la chemise hawaiienne) en costume strict bleu marine, O’Loughlin préfère le tee-shirt et le treillis. Un choix qui affecte l’ensemble de la distribution puisque son acolyte Danny Williams – bien qu’en chemise-cravate – est également bien bâti, de même que le nouveau Chin Ho, résolument différent du tranquille père de famille de la série-mère.
Hawaii 5-0 se veut plus musclée et plus sexy que son modèle. Outre les trois protagonistes mâles, la production engage Grace Park pour féminiser le rôle de Kono. Simple faire-valoir dans la série de 1968, Kono porte ici, lors de sa première apparition… un bikini. Ayant déjà incarné dans Battlestar Galactica une version féminine d’un personnage originellement masculin (le Lt Boomer), Grace Park se retrouve ainsi dans une situation qu’elle a déjà éprouvée. Si le Boomer de Battlestar Galactica était résolument sexy, son rôle toutefois évolua vers une plus grande complexité. Dans Hawaii 5-0, la donne est différente : il est clair que le personnage est cantonné dans un rôle de figuration qui mettra toute la saison à se développer – encore Kono reste-t-elle, en grande partie, dans l’ombre de Chin Ho, son cousin dans le script. « Je ne veux pas être toujours la fille en bikini », déclarait l’actrice dès novembre 2010, consciente de son handicap. « J’aimerais que Kono soit aussi développée en tant que personne, qu’on sache ce que cela lui fait d’être placée dans ces situations. Pour l’instant, je ne vois pas trop cela venir. » 3 Le pilote joue sans complexe la carte sexy en déshabillant l’actrice, avant de la montrer en pleine action, bottant le train de méchants très méchants. A l’occasion, elle est également infiltrée dans une soirée mafieuse en qualité de serveuse, ou invitée à jouer de ses charmes dans des situations variées.
Musclée et sexy, donc. On est tenté de dire, à la vision des premiers épisodes, que la série conserve assez peu de choses de son modèle. Ce n’est pourtant pas tout à fait exact, on y reviendra. Mais le propos de Lenkov est clair dès la séquence pré-générique du pilote : Hawaii 5-0 est une série d’action qui entend appliquer à ses histoires le principe qui a fait le succès, d’abord de la série originelle, ensuite de son générique.
Revenons en 1968. L’une des cartes maitresses de la série de Leonard Freeman, c’est son rythme. Les histoires sont conçues pour ne pas laisser au spectateur le temps de souffler. Nous sommes en 1968, cependant : depuis, l’écriture ciné et télé a évolué et la définition de « dynamique » avec elle. A l’époque, toutefois, le générique de la série est conçu comme une véritable profession de foi. Mêlant les images d’une Hawaii traditionnelle et les plans des protagonistes en pleine action, la séquence est constituée d’un grand nombre de plans très courts montés sur un rythme endiablé. Morton Stevens, responsable de la musique à CBS, est chargé de composerun thème musical à l’aune de ce montage nerveux. Le générique de Hawaii Police d’Etat s’impose rapidement comme un must de la télévision, appelé à faire le tour du monde et à connaître des arrangements divers, l’un des plus célèbres étant la version de The Ventures, classée quatrième dans le classement du magazine Billboard.4 De même, le générique de fin défile lors de la première saison sur l’image d’une sirène de police filant à toute allure dans les rues d’Honolulu, puis à partir de la deuxième saison sur l’image de Hawaiiens battant les flots sur leur pirogue. L’idée ? Mettre l’accent sur l’action, le mouvement perpétuel. En choisissant de faire de la nouvelle mouture une série explosive et toujours sur le fil, Lenkov s’inspire donc de ce qui caractérisait déjà la série originelle.
Aussi le thème de Morton Stevens a-t-il joué un rôle majeur dans la campagne promotionnelle de CBS. George Schweitzer, président du marketing pour le network, a très vite compris que la série avait tout intérêt à conserver le thème de Stevens, modernisé mais fondamentalement identique au thème original. « Il est iconique, on l’adore ! Le thème est vraiment un personnage majeur de la série, et un atout majeur de nos plans marketing. Même les gens qui ignorent tout de la série connaissent ce thème. » 5 Après plusieurs tentatives de réinstrumentalisation, dont une version « New Wave » inspirée du travail sur le thème de Mission : Impossible pour son revival cinéma, et une version à la guitare commandée à « une rock star », il est donc décidé de rester au plus près du matériau originel. CBS fait appel à Brian Tyler, compositeur qui s’est illustré au cinéma par les scores de Fast and Furious (4 et 5), Aliens vs Predator : Requiem, John Rambo, Destination Finale (4 et 5), The Expendables ou World Invasion : Battle Los Angeles. Bref, du lourd côté action. Pour la télévision, Tyler a œuvré sur Les Enfants de Dune et Terra Nova. Tyler enregistre une version orchestrale nécessitant pas moins de trente-cinq musiciens et sans synthétiseur. Parmi ces musiciens, trois des artistes ayant participé aux enregistrements originaux du thème de Stevens : David Duke, (1er cor) Chuck Findley (1e trompette) et Bob Zimmitti (percussionniste). « Nous ne voulions pas nous rater sur quelque chose d’aussi important, que les gens sont impatients d’entendre. La nouvelle version est proche de l’original mais un peu plus agressive, un peu plus puissante », commente Peter Lenkov.6 Schweitzer, qui a fait imprimer des slogans promotionnels sur des coquilles d’œufs pour le lancement de la série, n’a pas lésiné non plus sur les moyens de re-populariser le thème de Morton Stevens des mois avant la diffusion du premier épisode : distribution de cartes permettant de télécharger le thème sur son portable, diffusion sur des stations de radio locales appartenant à CBS, organisation d’un concours sponsorisé par CBS College Sports Network pour encourager les fanfares universitaires à proposer leur propre version du générique. Le but : captiver le public avant même la diffusion de la série. Le résultat, disponible sur le CD de la série, est une réussite : il lance chaque épisode avec la même efficacité qu’hier la musique de Stevens, au terme d’une séquence pré-générique conçue elle-même pour accrocher le spectateur en quelques secondes.
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Notes
1. http://www.deadline.com/2010/01/terrifying-tv-showrunner-ed-bernero/
4. Le disque est édité en 1969 par Liberty Records.
5. http://nymag.com/daily/entertainment/2010/07/hawaii_5-0_theme.html