Un article de Thierry LE PEUT
publié dans Arrêt sur Séries n°15 (décembre 2003)

lire le guide des épisodes

sauter dans l'Atlantide

 

La science-fiction télévisée américaine a beaucoup souffert durant les années 70 : en témoignent plusieurs séries qui eurent du mal à s’installer et furent finalement abandonnées après une demi-saison. Arrivant après La Planète des singes (CBS, 1974) et The Fantastic Journey (Le voyage extraordinaire, NBC, 1977), Man from Atlantis est lancée la même année que L’Age de cristal (CBS, 1977) et ne survivra pas plus longtemps. Programmée le jeudi soir sur NBC, face à Hawaii Police d’Etat qui tient l’antenne sur CBS depuis 1968, elle est déplacée au mardi soir dès son troisième épisode, le 18 octobre 1977, alors que trois semaines avaient séparé déjà les deux premiers épisodes diffusés. Autant dire que la série n’a pas eu le temps de s’imposer. Dès la fin 1977, NBC la retire de l’antenne pour ne diffuser les quatre derniers épisodes qu’entre avril et juin 1978.

 

Un inconnu surgi des profondeurs

Pourtant la série de 13 épisodes diffusée durant la saison 1977-1978 bénéficiait d’un préambule favorable puisque dès le mois de mars 1977 NBC avait programmé avec succès quatre téléfilms narrant les aventures de Mark Harris, « dernier citoyen de l’Atlantide ». Le pilote, diffusé le 4 mars, avait recueilli une audience excellente selon l’indice Nielsen et Herbert F. Solow, producteur exécutif et co-créateur du concept avec Mayo Simon, estimait que la période était tout indiquée, grâce au succès de La Guerre des étoiles qui attestait un intérêt certain du public pour la science-fiction. Solow avait à son actif trois séries produites lors de son passage dans la société Desilu en tant que Vice President of Production : Star Trek, Mission: Impossible et Mannix. Après avoir travaillé à la MGM, il avait fondé sa propre boîte, Solow Productions, et c’était la première fois qu’il figurait au générique en qualité de co-créateur. Il avait eu quelque mal à convaincre NBC de se lancer dans l’aventure de Man from Atlantis, le network n’étant pas emballé par l’idée que le héros, Mark Harris, fût un extraterrestre. Ce « détail » ne sera d’ailleurs évident que dans le deuxième téléfilm tourné, « Les visiteurs de l’au-delà », Mark Harris abandonnant ensuite la recherche de ses origines pour devenir un aventurier des fonds sous-marins, chargé de missions souvent liées à la protection de l’environnement.

L’autre difficulté pour Solow avait été d’imposer un jeune comédien inconnu, Patrick Duffy, dans le rôle-titre. Originaire du Montana, Duffy avait commencé à apprendre le métier à l’Université de Washington avant de jouer dans des troupes théâtrales, apprenant et enseignant notamment le mime. Agé de 28 ans, il gagnait sa vie en livrant des fleurs et en installant des salles de bain tout en courant les auditions. Son CV contenait seulement trois prestations mineures dans des téléfilms et un petit rôle dans l’épisode « The Walking Bomb » de la série Switch. Rien ne le prédestinait a priori à décrocher le rôle, NBC le trouvant même trop « chétif ». Il était plongeur certifié mais sans expérience particulière de la natation (même si on a pu lire depuis qu’il était un « champion » en la matière). « Je ne possédais même pas de maillot de bain », confiait-il à l’époque. « J’ai dû auditionner avec mes sous-vêtements. » Pour devenir Mark Harris, le comédien dut par conséquent suivre un régime contraignant afin de renforcer sa musculature, suivant par ailleurs des cours de natation afin d’adopter un « style » proche de celui des dauphins, peu naturel chez un humain.

Mayo Simon, qui écrivit avec Solow le pilote de la série, venait de participer à l’écriture de trois films apparentés à la science-fiction : Marrooned (Les naufragés de l’espace) de John Sturges en 1969, Phase IV de Saul Bass en 1974 et Futureworld de Richard T. Heffron en 1976. Le premier est en quelque sorte l’ancêtre d’Appollo 13 puisqu’on y voit des astronautes en difficulté dans l’espace ; le deuxième raconte la lutte des humains contre des fourmis intelligentes ; le troisième enfin voit Yul Brynner incarner un robot-cowboy dans un parc d’attractions où les machines se transforment en tueurs. Bref, Simon avait les antécédents nécessaires à l’écriture d’un script fondé sur un humanoïde étrange doté d’une physiologie inhabituelle.

Le thème lui-même, la mythique Atlantide, venait d’être utilisé déjà dans Le voyage extraordinaire dont certains personnages étaient issus de la cité engloutie et où il était également question d’extraterrestres. Etant donné la popularité du mythe, on ne s’amusera pas ici à recenser tous les titres qui, en littérature comme au cinéma et à la télévision, l’ont utilisé d’une manière ou d’une autre. De l’Undersea Kingdom de Joseph Kane et B. Reeves Eason réalisé en 1936 au film City beneath the Sea d’Irwin Allen sorti en 1971, les dix doigts de la main ne suffisaient déjà plus à la fin des années 70 pour compter tous les avatars du genre, le plus fameux étant la version de George Pal, Atlantide terre engloutie (Atlantis, Lost Continent) tourné en 1961. Si beaucoup de ces films appartiennent au genre aventures et mettent en scène une cité sous-marine et des créatures analogues aux Amazones de l’Antiquité (charme oblige), le personnage de l’homme capable de vivre sous la mer comme hors de l’eau, doté en outre d’une puissance physique inusitée, avait été popularisé aussi dans la bande dessinée grâce à la bande Marvel The Sub-Mariner : créé en 1939 par Bill Everett et ressuscité en 1961 dans une aventure des Quatre Fantastiques, Namor le Prince des Mers (également appelé Submariner) régnait sur une cité engloutie et luttait contre les envahisseurs venus de la terre ou de l’espace, combattant d’autres héros de l’écurie Marvel ou s’alliant à eux selon les situations. Patrick Giuliano, dans son livre L’Homme de l’Atlantide, sur les traces d’un idéal perdu (DLM, 1994), évoque un avatar de ce Submariner dans City beneath the sea, avatar qu’il voit comme un précurseur de Mark Harris : interprété par Burr DeBenning qui apparaîtra dans le deuxième téléfilm de Man from Atlantis, « Aguila nage en ondulant comme un dauphin, respire sous l’eau et arrive même à parler grâce à une montre spéciale ».

 

L’ARRIVÉE

Mark Harris ne surgit donc pas du néant le 4 mars 1977. Héritier de toute une tradition qui mêle volontiers l’aventure à la mythologie et à la science-fiction, il tente en vérité de surfer sur la vague SF comme le font les quelques séries citées au début de cet article. Malheureusement, il part comme elles avec un handicap sérieux : la faiblesse de ses scénarii qui démontre un manque d’ambition évident, responsable en partie de son échec.

Les scénaristes employés par la production ne sont pas des spécialistes de la science-fiction. Certains, comme David Balkan et Luther Murdoch, sont au début de leur carrière. John D. F. Black, Shimon Wincelberg et Jerry Sohl ont certes travaillé sur des séries de renom comme Star Trek et Les Envahisseurs mais chacun d’eux ne signe qu’un épisode de la série, les autres étant confiés à des scénaristes habitués de la télévision comme Robert Lewin, Larry Alexander, Stephen Kandel ou Alan Caillou.

Le premier téléfilm, écrit par Mayo Simon, peut être considéré comme le plus abouti des épisodes de la série. Il contient déjà, néanmoins, toute l’ambiguïté de la série, l’alliance d’un postulat intrigant et d’un traitement stéréotypé qui renonce à en exploiter les promesses. La construction, très classique, propose en deux parties d’égale longueur l’introduction du héros et sa première mission. Une tempête, des plans sous-marins qui évoquent l’ouverture des Dents de la mer (sorti en 1975), puis la découverte du héros éponyme est narrée du point de vue de son faire-valoir féminin, Elizabeth Merrill. L’inconnu trouvé sur une plage et transporté à l’hôpital où son état laisse sans solution les médecins est sauvé in extremis par la blonde océanologue, d’une manière qui déjà cultive le stéréotype : les médecins, secondaires, paraissent bien incompétents devant la clairvoyance de leur jeune collègue, introduite par incidente dans la salle des urgences et capable en quelques observations de percevoir ce qui échappe à des praticiens expérimentés (dont son propre cavalier d’un soir).

Si le trait est grossier, il établit néanmoins plusieurs données fondamentales pour l’ensemble de la série, à quelques modifications près : d’emblée, Elizabeth Merrill démontre une capacité supra-ordinaire à admettre l’improbable et à adopter une réaction immédiate, en dépit d’un principe de réalité qui paralyse les médecins ; les personnages secondaires sont peu développés et servent à mettre en avant par un effet de contraste les protagonistes ; ces derniers n’en sont pas moins stéréotypés, la blonde océanologue se caractérisant par sa compassion et son altruisme tandis que le héros apparaît à la fois vulnérable et énigmatique. Enlevée impromptu à une soirée mondaine, la jeune femme nous est montrée en tenue de soirée, élégante et romantique, et son intérêt pour le héros, dont la nudité athlétique s’oppose à la banalité du cavalier de la belle, souligne la part d’ambiguïté romantique qui sous-tendra leur relation future, même si elle ne sera jamais exploitée explicitement.

Les bases du concept sont donc d’entrée de jeu plutôt plaisantes et reposent sur le mystère qui entoure les origines du héros, cet homme doté de branchies que l’on baptise (allez savoir pourquoi) Mark Harris et qui serait, peut-être, selon l’ordinateur de la Fondation pour la Recherche Océanique, « le dernier citoyen de l’Atlantide ». Intéressante également la définition même du héros, à la fois d’une grande puissance lorsqu’il sort de l’eau et de plus en plus vulnérable à mesure qu’il en est éloigné, au point de risquer la mort par déshydratation au bout de douze heures hors de l’eau. Très naturellement, Mark Harris est par ailleurs un candide, un « poisson hors de l’eau » qui porte sur le monde des hommes un regard vierge de tout préjugé et curieux de tout. Dans la tradition du genre, ses questions et ses étonnements mettent parfois le doigt sur les contradictions de l’être humain, notamment dans le domaine de la science auquel appartient le Dr Merrill.

 

Dieu créa Schubert et la série s’égara

C’est dans sa seconde partie que le téléfilm prend une orientation emblématique des limites que se fixera ensuite la série et d’une contradiction majeure, malheureusement aggravée par la suite. Le personnage de Schubert, obèse génial réfugié dans son antre sous-marin d’où il entend gouverner le monde après l’avoir balayé, tel un nouveau Créateur rescapé de son propre déluge, entouré de grands esprits soumis à sa volonté par de commodes artefacts - Schubert, donc, se rattache à une tradition chérie des scénaristes de la décennie précédente. Son interprète même, Victor Buono, est une citation à lui seul, issu du Batman de 1966 où il fut King Tut, un villain emprunté à l’imagerie égyptienne, et d’un Wild Wild West où il fut d’abord Wing Fat dans le pilote puis le Comte Manzeppi, avatar avorté du Dr Loveless. La prestation de Buono est délicieuse mais détourne le concept de la série et stigmatise une tentation qui l’éloignera très vite de la SF pour la cantonner au divertissement enfantin. Les scénaristes en effet rappelleront cinq fois Schubert mais en lui refusant toute évolution. Pire : le jeu invariable de Buono se figera en un cabotinage d’autant plus excessif qu’il sera le prétexte essentiel à des histoires dénuées d’intérêt !

Flanqué d’un assistant caricatural et maladroit, voire d’une fille tombée du ciel dans « L’oiseau du fond des temps », Schubert refait jusqu’à saturation son numéro du vilain mégalomane, recherchant l’affrontement avec Mark Harris qu’il admire et redoute à la fois, se servant volontiers de lui pour parvenir à ses fins après avoir vainement tenté de voler ses secrets. Toujours perdant, d’une lâcheté qui n’a d’égaux que sa cupidité et son désir de domination, mélomane averti (il adore Schubert par narcissisme, caressant même le rêve d’achever son oeuvre) et fin gourmet, Schubert change de lieu à chaque apparition mais demeure fidèle à lui-même : tantôt dans un bungalow abritant une installation secrète, tantôt sur un paquebot ou dans un sous-marin, il n’effraie jamais mais se ridiculise à outrance, entraînant avec lui des épisodes entiers vers la bande dessinée la plus basique. Car l’outrance, cultivée par Les Mystères de l’Ouest, Batman ou Des Agents très spéciaux, peut devenir un style ; mais mal maîtrisée ou utilisée comme palliatif à des scénarii inaboutis, elle n’est que ridicule.

Les 13 épisodes diffusés en 1977-1978 enliseront la série dans cette voie sans issue. Le manque de moyens y est évident, obstacle rédhibitoire à la transposition à l’écran de scénarii lorgnant vers les monstres divers et les mondes disparus. Difficile de ne pas rire devant la méduse-sac poubelle de « La méduse », censée terrifier une plage entière sur laquelle se déroule une compétition internationale figurée à l’écran par quelques pelés marchant en costume trois pièces sur le sable californien ! Mêmes réserves pour le robot « formidable » de « Le robot vivant », le faucon risible de « L’oiseau du fond des temps » ou le monstre en plastique de « Oscar », aussi réussi que l’Aquaman incarné par Hannibal Smith dans Agence Tous Risques.

Incapable de visualiser de telles idées, la production aurait pu soigner ses scénarii et miser sur une mise en scène efficace, à base de suggestion plus que de démonstration. Las ! les histoires sont alourdies par des scènes d’action artificielles, vite éventées, où les personnages se contentent trop souvent de faire de la figuration (Elizabeth n’a la plupart du temps qu’à attendre à l’intérieur du sous-marin le retour de Mark). L’humour, voire la comédie, deviennent ainsi le refuge de certains épisodes, comme « Dr Crawford et Mister Hyde », à défaut d’un traitement fort.

Dès le quatrième téléfilm, « La disparition », diffusé en juin 1977, l’incapacité de la série à se renouveler apparaît flagrante. Le « méchant » a beau être une femme, il n’en est pas moins l’ombre du Schubert du pilote, la flamboyance en moins. Même ficelle de l’enlèvement de savants, même complexe souterrain (ou sous-marin), même procédé de soumission de la volonté, même projet mégalomane de destruction de l’humanité... Le téléfilm est en outre (en tout cas dans sa version française - voir le guide d’épisodes) handicapé par des coupes qui, le ramenant à une durée de 60 minutes, font disparaître des morceaux entiers de l’histoire pour ne laisser qu’un montage maladroit accentuant finalement son inconsistance.

Les derniers épisodes, diffusés d’avril à juin 1978 après une interruption de quatre mois, entérinent la triste tenue d’une série qui n’aura jamais su exploiter son idée de départ. « La sirène » et « Le cirque de la mort » se dérouleront finalement sans Elizabeth mais avec la même indigence que les segments précédents, leurs scénarii alignant les poncifs sans véritable souci de crédibilité.

 

Un esprit de bande dessinée

Malgré ces défauts prégnants, Man from Atlantis a conservé sa place dans la mémoire des jeunes téléspectateurs qui, en France, l’ont découverte en 1979 à la faveur d’un numéro de L’Avenir du futur, et de nouveau en 1986 grâce à La Cinq. La substance mythologique du concept explique en partie son attrait, et sans doute aussi ce caractère de bande dessinée qui en fait, sinon une « grande » série, au moins un divertissement agréable.

Sur le plan romantique, les premiers téléfilms esquissent un triangle qui sera par la suite réduit à un tandem (carrément déconstruit dans les deux derniers épisodes puisque Merrill en est absente). Auprès de Mark et d’Elizabeth, un autre scientifique, Miller Simon (hommage au nom du scénariste du pilote ?), occupe une place prépondérante, à la fois par sa présence et par sa personnalité, stéréotypée également mais dont une scène de « Les flammèches » révèle un soupçon de complexité profondément enfouie, lorsqu’est évoqué le « grand amour » du bon docteur, que l’on croirait volontiers amoureux de la douce Elizabeth et qui, une seule fois, perd son calme et son sens de l’humour. Le souci de simplification qui présidera au reformatage de la série pour son lancement sous forme régulière à l’automne 1977 aura malheureusement raison de Miller Simon, dont il ne sera plus jamais question. Las ! la relation existant entre Elizabeth et Mark ne sera pas davantage développée pour autant, le but de la manoeuvre étant en fait d’assurer à Mark Harris une place prépondérante au sein du casting : le héros en effet prend place aux commandes du sous-marin Cétacé où il fait désormais figure d’homme fort, Elizabeth elle-même s’en trouvant reléguée au rang d’exécutante dans la plupart des épisodes.

Il se trouve que le regard candide que le héros posait sur le monde à son arrivée est considérablement modifié dans la série régulière, où Mark Harris a acquis d’emblée et sans explication une maturité surprenante, quand bien même il retrouve sa naïveté à quelques occasions. Sûr de lui, il décide souvent de ses sorties hors du Cétacé et prend l’initiative de l’action, alors qu’il était plutôt passif dans les téléfilms. Il joue même le rôle d’ « adulte responsable » dans sa relation avec les personnages épisodiques, comme la fille de Schubert dans « L’oiseau du fond des temps », Jake Muldoon dans « Le géant » et « Oscar », ou les bons sauvages de ce dernier épisode. Dès lors, l’utilité d’Elizabeth s’en trouve encore réduite et l’on ne s’étonne même pas de son absence dans les deux derniers épisodes. De fait, Man from Atlantis n’est pas une série qui met en avant ses personnages féminins : le substitut d’Elizabeth dans « La sirène » n’est guère écouté, tout bêtement parce qu’il n’a rien à dire ! En définitive, toutes les figures féminines de la série sont tributaires de clichés, parfois éhontés comme les indigènes frivoles de « Oscar », ou empruntés à la littérature comme la Juliette de « Mark et Juliette ».

La naïveté la plus évidente est finalement celle des scénarii : de là un paradoxe, car ce qui déçoit dans la série – à savoir l’abandon de son véritable postulat « atlantéen » au profit d’aventures somme toute banales – est aussi ce qui s’imprime le plus facilement dans l’esprit du jeune public. Son aspect bande dessinée qui la fait jouer dans la cour des petits lui confère aussi une certaine fantaisie, inaboutie certes mais tout de même présente. Les histoires empruntent ainsi à tous les râteliers et offrent en quelques épisodes des créatures étranges, des mondes insolites situés en-deçà des océans, des virées dans le temps, des délires gentillets sur les dangers de la mécanisation et de la science en général, des comédies inoffensives sur le sens des responsabilités ou le dédoublement de la personnalité.

On rangera également au rang des réussites le sous-marin Cétacé et la base qu’il quitte et rejoint plusieurs fois au fil des épisodes. Conçus à l’origine pour M. Schubert dans le téléfilm pilote, ces deux éléments sont ensuite transmis aux héros, sans explication d’ailleurs : si l’on accepte sans peine que la Fondation ait pu confisquer le sous-marin, sa base et celle de Schubert, détruite à la fin du pilote, ne sont manifestement pas situées au même endroit et on sent bien là-dessous la nécessité de faire des économies. Il n’en reste pas moins que ces effets ont été réalisés par Gene Warren, récompensé en 1961 pour son travail sur La Machine à explorer le temps et qui avait travaillé en 1974 sur la série Land of the Lost. D’une structure simple (quatre sphères mises bout à bout et surmontées de deux ailerons), le Cétacé possède sur sa surface inférieure un sas par lequel le héros effectue ses entrées et sorties durant les missions, des caméras et sonars qui permettent à la fois de sonder les fonds sous-marins et d’entendre Mark Harris pendant qu’il parle sous l’eau, de puissants projecteurs qui rendent son approche parfois impressionnante. Quant à la séquence montrant son départ ou son retour à la base de la Fondation, elle fut améliorée pour la série régulière, notamment par l’adjonction d’un nouveau système de porte en iris, similaire à l’iris qui sera créé bien plus tard pour la Porte des Etoiles de Stargate SG-1, et par un chariot coulissant sur lequel vient se déposer le sous-marin. Le poste de commande du Cétacé fut également revu par une dominante jaune-bleue ainsi que l’intérieur du « coeur » de la Fondation, situé sous le niveau de la mer et accessible par un sas qui évoque, cette fois, le Chronogyre d’Au Coeur du temps.

L’autre atout de la série est la musique de Fred Karlin. Ce compositeur d’une quarantaine d’années à l’époque avait composé les musiques de Westworld (Mondwest) en 1973 puis de Futureworld en 1976, une « suite » écrite, rappelons-le, par Mayo Simon. Extrêmement prolifique, Karlin composera plus tard les scores de Ike (avec Robert Duvall et Lee Remick) et des séries Paris et Friends (celle de 1979) en plus de partitions pour le grand écran. Sa mélodie pour Man from Atlantis  est une musique entêtante qui reste associée à l’image de Patrick Duffy évoluant sous l’eau à la manière d’un dauphin, et qui prend en charge à elle seule une part importante de « l’esprit » de la série.

Parlons-en, justement, de la nage de Patrick Duffy. C’est le coordonnateur des cascades Paul Stader que la production engagea pour entraîner l’acteur à nager « comme un dauphin », par une ondulation continue du corps. « Chez une baleine ou un dauphin, la colonne vertébrale bouge de la tête à la queue », expliquait le comédien dans TV Guide. « Chez un être humain, ça s’arrête au niveau du bassin, donc c’est fatigant, spécialement dans le bas du dos, et vraiment pas très bon de nager de cette manière. Ce n’est pas que ce soit douloureux, mais au bout d’un moment vous le sentez vraiment passer. » L’apprentissage de Duffy incluait en outre de parler sous l’eau. « Tout le monde m’avait dit que ce n’était pas possible », confiait Herbert Solow. « Paul Stader m’a dit que ça pouvait marcher, avec un peu d’entraînement. Mais personne ne pensait que ça pouvait être fait avec autant de réussite que ce qu’a fait Patrick. Nous pensions tous qu’il pouvait apprendre à dire salut mais il prononce des phrases entières là-dessous ! » En fait, le comédien articulait ce qu’il avait à dire et enregistrait ensuite les dialogues en studio, sa voix étant mixée de manière à produire un effet d’écho. « C’est une expérience étrange », disait Duffy. « Quand la plupart des gens retiennent leur respiration, leurs joues enflent et leurs yeux se ferment à moitié. Je dois garder mes yeux ouverts, faire entrer l’eau dans mon nez et ma bouche, et parler. » Le « truc » consiste alors à bloquer l’eau dans la gorge afin de pouvoir ouvrir la bouche et articuler, sans libérer de bulles d’air.

Paul Stader n’était pas n’importe qui : doublure de Johnny Weissmuller dans plusieurs Tarzan, il a collaboré au fil d’une carrière commencée dans les années trente à une multitude de productions dont plusieurs Planète des singes, L’Aventure du Poséidon et La Tour infernale. A la télévision, il régla les cascades de Perdus dans l’espace et oeuvra notamment sur Remous. Il s’occupa souvent de séquences sous-marines, sur Dinosaurus ! en 1960 ou sur Le Retour du Capitaine Nemo en 1977. Le résultat à l’écran est tout à fait convaincant, même s’il est clair parfois que ce n’est pas Duffy qui nage mais une doublure, parfois filmée de si près que l’illusion ne tient plus !

Si donc son traitement s’avère décevant car trop caricatural, la série possède un énorme potentiel qu’elle serait peut-être parvenue à exploiter si elle avait duré plus longtemps. Les épisodes qui se laissent aujourd’hui apprécier sans difficulté sont finalement les moins ambitieux sur le plan scénaristique, comme « Le frère jumeau » où la confrontation de Duffy à un double de lui-même est déclinée sur un mode fantaisiste et réussi, les effets spéciaux faisant apparaître les jumeaux dans le même plan étant en général convaincants. On peut donc douter de l’intégration de Man from Atlantis au panthéon des « grandes » séries, n’en déplaise à ses fans purs et durs, mais la série conserve un charme indéniable qui fait qu’on peut ne pas rougir de sa fréquentation. C’est déjà ça !

 

A lire : 

 

 

Patrick Giuliano, L'Homme de l'Atlantide, Sur les traces d'un idéal perdu, Car rien n'a d'importance, 1994.

Didier Liardet, L'Homme de l'Atlantide, "Les Archives de la télévision", Editions Yris, 2018 (postérieur à la rédaction de cet article).

Tag(s) : #Dossiers, #Dossiers 1970s
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