Un article de Thierry LE PEUT
publié dans Arrêt sur Séries n°22 (octobre 2005 - aujourd'hui épuisé)

Lire aussi : Stephen J. Cannell, l'homme à la machine à écrire

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enfants de la « première génération télé »

et héritiers du western

« Quand les gens allument la télévision, que cherchent-ils ?  Ils veulent se divertir, s’évader et, en même temps, s’identifier à un personnage. Or, nous ne sommes plus à l’époque des westerns. Il n’y a plus vraiemnt de territoires à conquérir, plus de réelles frontières sur la planète. C’est l’époque de la technique et de l’espace... Les histoires policières racontent les événements inhabituels qui peuvent arriver à tout le monde aujourd’hui, dans toutes les villes modernes, partout dans le monde. La vie est compliquée, remplie de désillusions et de problèmes. A la télévision, le héros arrive à la rescousse, pour les résoudre. Les flics sont les héros modernes. » (1)

Cette déclaration date de l’époque de tournage de la série Hunter : depuis quatre ans à l’antenne, elle réalisait d’excellents scores d‘audience et confirmait Fred Dryer comme une star dont on parlait avec respect et, parfois, emportement. C’est que, à l’instar de Jack Lord sur le plateau de Hawaii Police d’Etat entre 1968 et 1980, « Monsieur Dryer » passait pour un tyran qui voulait tout diriger et imposer ses vues aux scénaristes comme aux réalisateurs. Du moins selon certains qui, mécontents, quittaient le tournage en claquant la porte.

Mais ce ne sont pas les humeurs de Monsieur Dryer qui nous intéressent : ses propos auraient pu être prononcés par d’autres à la même époque, et en particulier par son producteur Stephen J. Cannell, le géniteur (souvent en collaboration avec des scénaristes-producteurs débutants comme Frank Lupo et Patrick Hasburgh) de grands succès populaires du moment comme Agence Tous Risques et Riptide.

Cannell avait débuté durant les années 70, sous l’égide de producteurs comme Glen A. Larson (It Takes a Thief / Opération vol), Jack Webb (autre figure monolithique du petit écran, interprète du flic « rigide » Friday dans Dragnet puis producteur d’Adam-12, série policière sur laquelle travailla Cannell avant de créer lui-même Chase en 1973) puis Roy Huggins, le créateur du Fugitif avec lequel il créa Toma puis Baretta et City of Angels (Los Angeles Années 30) et fut l’un des principaux artisans de The Rockford Files (Deux cents dollars plus les frais) qui constitua l’une des séries de détective privé les plus populaires et remarquées de la décennie, prélude au Magnum de Donald Bellisario. Bellisario, justement, Cannell le rencontra en 1976 sur Les Têtes Brûlées, créée par Cannell mais prise en main par Bellisario lors de la deuxième saison. C’est l’époque où Cannell, fatigué de dépendre des studios et aspirant à plus d’indépendance, monte sa propre société et se lance dans la production de programmes ensuite revendus aux studios et aux networks.

C’est alors le début d’un « âge d’or » qui durera jusqu’à la fin des années 80 et sera marqué, justement, par ces producteurs ayant émergé durant la décennie précédente : Larson, Cannell, Bellisario. Pour le premier, le succès vient avec Switch, Quincy M.E., Knight Rider (K2000), The Fall Guy (L’Homme qui tombe à pic), tandis que le deuxième marque l’essai avec Tenspeed & Brownshoe (Timide et sans complexes, où débute Jeff Goldblum) puis The Greatest American Hero (Ralph super-héros) et le transforme avec Agence Tous Risques, Le Juge et le pilote et Riptide. C’est alors, en 1984, qu’il produit avec Frank Lupo Hunter, lancée à mi-saison sur NBC et confirmée à la rentrée suivante, jusqu’en 1991. Quant à Bellisario, plus inspiré par le cinéma que par la télévision, il se tourne davantage vers les films en noir et blanc de son enfance, les films de guerre en particulier, et en adapte les valeurs à ses programmes : sa présence sur Les Têtes brûlées puis Galactica (produite par Larson) n’a rien d’anodine puisqu’il s’agit de deux séries de guerre, la première au sens propre, la seconde transposée dans l’espace. Par la suite, Bellisario poursuivra sur cette voie avec Tales of the Gold Monkey (Jake Cutter) en 1982 puis JAG, n’ayant par ailleurs jamais cessé d’explorer les valeurs militaires et patriotiques dans ses autres shows, Magnum en tête.

Le western est d’abord ancré dans la carrière même de ces jeunes scénaristes parvenus dans les années 80 à leur belle quarantaine. Larson a certes débuté sur It Takes a Thief, série policière, mais il a produit ensuite McCloud (Un shérif à New York), série policière inspirée du film Un shérif à New York avec Clint Eastwood, puis Alias Smith and Jones (Opération danger), une série western assez populaire. It Takes a Thief était elle-même, au demeurant, produite par Roy Huggins qui avait commencé au milieu des années 50 par écrire des séries westerns telles que Cheyenne et Colt .45, très à la mode à l’époque. Ayant produit également Le Virginien, série western extrêmement populaire, Huggins ne quitta pas vraiment le genre lorsqu’il imagina le concept de Le Fugitif : un héros solitaire, parcourant l’Amérique dans toute sa dimension, traqué injustement et condamné à ne jamais s’établir.

Si Larson et Cannell, principalement, se sont illustrés dans les genres action-aventure et policier, c’est faute d’être nés à l’époque où le western faisait recette et attirait encore l’audience en masse. Mais ils ne résisteront jamais – au contraire de Bellisario – à la tentation de faire entrer le western dans leurs programmes, à la fois par la nature de leurs concepts et de plain-pied, avec Stetsons et colts à la ceinture. Si le héros de Knight Rider s’appelle Knight, c’est uniquement parce que le syndrome du Chevalier n’est pas sans parenté directe avec celui du héros westernien ; quant au « Colonel » d’Agence Tous Risques, il porte le nom passepartout de l’Amérique, John Smith, équivalent de notre Jean Dupont, archétype donc du héros anonyme qui parcourait l’Ouest trente ans plus tôt. On pourrait prolonger ainsi le jeu des noms et développer une onomastique éloquente des séries des deux compères : Hunter (le Chasseur) est une autre figure de l’Ouest (qu’il s’agisse du Scalp Hunter – Chasseur de scalp – ou du Bounty Hunter – Chasseur de primes) ; Colt Seavers, comme Magnum (personnage développé par Larson, rappelons-le, avant d’être redéfini par Bellisario), porte le nom d’une arme mythique, avec cette différence que le Colt est profondément ancré dans l’Ouest ; Wyatt Earp (troisième du nom, celui-là) sera même le patronyme du héros de The Rousters, série oubliée de Cannell diffusée sur NBC en 1983, ressuscitant l’esprit du personnage mythifié de l’Ouest américain, héros de westerns de John Ford ou de John Sturges.

Les deux producteurs sont liés aussi par leur goût des motifs westerniens, qu’il s’agisse des décors, des situations ou des personnages : le désert, les petites villes « pionnières », perdues dans l’Amérique profonde, déjà fantômes ou sur le point de l’être, les batailles rangées entre riche propriétaire méchant et gentils exploitants exploités, autour d’un point d’eau ou de la possession d’une terre, voire de la capture de chevaux sauvages. Tout cela se retrouve, à peine transposé, dans leurs séries : on l’a souvent cité (lire ASS Hors-série 3, « Agence Tous Risques et Stephen J. Cannell », et ASS 8), le téléfilm « Les mustangs » d’Agence Tous Risques est un hommage éloquent et réussi aux luttes entre ranchers et Indiens parqués dans leur réserve, faisant un usage totalement décomplexé des poursuites à cheval, de la panoplie du cow-boy, des attaques de train et des grandes étendues sauvages. Inutile de citer les gunfights, qui font partie intégrante d’Agence Tous Risques comme de nombreux shows de Cannell ! Les titres mêmes de la série sont explicites : « Black Day at Bad Rock », « Bay Day on the Border », « Sheriffs of Bordertown », « Bounty », « Cowboy George » (avec le chanteur Boy George !), « The Duke of Whispering Pines »... et, last but not least, le titre original de « Les Mustangs », référence à l’une des plus populaires séries westerns de la fin des années 40-début des années 50, The Range Rider, en forme d’appel à la nostalgie... « When You Coming Back, Range Rider ? » On a choisi Agence Tous Risques par commodité mais une série de Larson se prêterait au même jeu : Automan, l’une des plus éphémères, a son épisode centré, comme « Bagarre à Bad Rock », sur une petite ville de l’Ouest harcelée par ses bandits sans foi ni loi hissés non à dos de cheval mais de... motos ! Croisement entre le western, L’Equipée sauvage et Easy Rider. Quant à Knight Rider, elle compte également nombre d’épisodes situés dans le désert ou devant le main stor de la grand’rue d’une petite ville « tranquille », et le héros y joue le rôle du justicier secourant la belle en détresse sur sa monture moderne. Un épisode comme « Jusqu’à la dernière goutte » est tout entier un hommage explicite au western, au même titre que « Les Mustangs ».

L’hommage prend souvent, en outre, la forme de visages qui, avant de se recycler dans les séries policières et d’aventure – voire de science-fiction –, avaient peuplé les westerns télévisés des premières séries, voire les écrans des salles obscures avant le développement du nouveau medium. Stuart Whitman, qui succéda à Glenn Ford dans le rôle vedette de Cimarron pour l’adaptation télévisée de ce long métrage durant les années 70, est ainsi l’une des têtes de méchant les plus sollicitées par Cannell et Larson ; mais on citera aussi, surtout chez Larson, Doug McClure, l’un des héros de Le Virginien, ou Morgan Woodward, qui bien avant de devenir Punk Anderson dans Dallas avait été un second couteau très employé dans les westerns. William Smith et Peter Brown, héros de Laredo, reviennent aussi régulièrement, figures très familières dans les séries. Larson, surtout, transforma The Fall Guy (L’Homme qui tombe à pic), série-hommage au cinéma tout entier et spécialement à ses « acteurs de l’ombre », les cascadeurs, en hommage récurrent au western et à ses gloires passées : le cow boy chantant Roy Rogers, Peter Breck héros de La Grande vallée et Jock Mahoney de The Range Rider se retrouvent ainsi dans un épisode riche en poursuites à cheval où les comédiens jouent leurs propres rôles et cabotinent à l’envi, faisant référence explicitement à leurs shows d’antan. Le héros de la série, Lee Majors, fut d’ailleurs révélé par la série La Grande vallée, entre Peter Breck, la grande dame du cinéma Barbara Stanwyck et l’également débutante Linda Evans, qu’il croise dans l’un des premiers épisodes de L’Homme qui tombe à pic. Terminons ce tour non exhaustif en soulignant que Bellisario – en dépit de son goût prononcé pour le film de guerre et le film noir, qui lui font rendre hommage aux films de Bogart et de John Wayne plutôt qu’au western, encore que Wayne en soit une figure mythique – lui aussi s’égare à l’occasion dans les poussières de l’Ouest, par exemple dans un épisode de Airwolf (Supercopter), « Annie Oakley », où les héros revêtent la panoplie classique pour travailler en qualité de cascadeurs dans une « ville-fantôme », attraction pour touristes. Le personnage-titre, Annie Oakley, est à la fois une gloire authentique de l’Ouest et une héroïne de série télé pionnière (Starsky et Hutch ont eu aussi leur épisode-western-cascadeurs-sur-le-tournage-d’un-film, « Le clown » - et d’autres shows télévisés ont emprunté ce sentier très battu.).

Alors que les premiers programmes télévisés avaient été conçus par de nombreux artisans venus du cinéma (en particulier des séries B et des serials) et de la radio, beaucoup de séries n’étant que l’adaptation en images de feuilletons radiophoniques ou de serials célèbres (Superman, Dick Tracy, Gunsmoke, etc., ainsi que plusieurs soap operas), la présence de ces mêmes artisans se fait plus rare à la charnière des années 70-80. Déjà, la fin des années 60 voit s’affirmer des producteurs qui vont dominer la décennie suivante, comme Quinn Martin et Aaron Spelling, et les années 70 donnent leur chance aux plus jeunes, Cannell, Larson, Bellisario (dans la seconde moitié de la décennie surtout) mais aussi Steven Bochco. Tous ont en commun d’être à la fois scénaristes et producteurs, parfois aussi réalisateurs (Bellisario), voire compositeurs des génériques de leurs shows (Larson, qui débuta dans la musique). Tous vont marquer les années 80 de leur empreinte en définissant les nouvelles lignes de la télévision : action-aventure d’un côté, refonte des vieux modèles de l’autre, et particulièrement sur le plan narratif. Car si Bochco est dès 1981 le concepteur de Hill Street Blues (Capitaine Furillo) qui emprunte à la littérature et au cinéma un nouveau modèle d’écriture et de montage scanristique, Bellisario applique à Magnum un traitement narratif également novateur, en confiant son écriture (outre lui-même) à des écrivains qui sauront jouer autant des anciennes icônes (le privé à la Bogart et Hammett aussi bien que le détective littéraire) que des nouvelles influences (le développement de la continuité et du background des personnages, le Viêtnam, la noirceur contagieuse de la seconde moitié de la décennie, dans la foulée de Miami Vice et de Wiseguy/Un Flic dans la mafia). Le créateur de Code Quantum et de JAG se tiendra constamment à la limite entre ces deux pôles : il se verra toujours comme un entertainer, un fournisseur de divertissemnt (même intelligent), plutôt qu’un socio-producteur comme Bochco ou plus tard David E. Kelley, qui ouvriront toutes grandes les portes de leurs séries aux thèmes sociaux et politiques.

Bochco, à son tour, constitue le lien entre cette nouvelle ère de la télévision et la suivante, qu’il saura négocier avec succès grâce au succès de NYPD Blue (New York Police Blues) notamment, tandis que Cannell et Larson abandonneront la scène télévisuelle après avoir produit des shows moins marquants, souvent à destination de la syndication et des nouvelles chaînes. C’est grâce au succès inattendu de JAG, finalement, que Bellisario saura, pour sa part, rester sur la scène publique, peut-être aussi parce que son sens des valeurs américaines lui aura permis de rester en phase avec l’époque nouvelle. Cannell, lui, se consacre essentiellement à l’écriture de romans mais aura porté jusqu’au bout l’héritage de son mentor Roy Huggins, dont il dit : « Il a été mon parrain dans l’industrie. Ce fut mon meilleur professeur. Tout ce que je sais et que je ressens de la télévision, c’est à Roy que je le dois. » (2) Renegade (Le Rebelle), en effet, est la transposition dans les années 90 du concept de Le Fugitif : un innocent traqué à travers les Etats-Unis, aidant ceux qui en ont besoin tout en fuyant sa Nemesis.

 

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La « première génération télé », à laquelle appartiennent Cannell, Larson et Bellisario – le premier est né en 1941, les deux autres en 1937 et 1935 -, ce sont ceux qui ont grandi en regardant les premiers programmes diffusés sur ce medium, à la fin des années 40 et durant les années 50. Ceux dont les productions et les thèmes puiseront abondamment dans la « fabrique d’images » alors pionnière, sans renier bien sûr le cinéma ou la littérature, sources d’inspiration constantes, mais en donnant naissance à la télévision consciente d’elle-même, non plus seulement boîte à images mais également boîte à mémoire, fabrique de nouveaux classiques, de nouvelles références. En créant Agence Tous Risques avec Frank Lupo, Cannell a en tête Mission : Impossible ; en créant 21 Jump Street avec Patrick Hasburgh quatre ans plus tard, il ne peut méconnaître la parenté de la série avec The Mod Squad (La Nouvelle équipe) que produisit Aaron Spelling à la fin des années 60. Plus que jamais jusqu’alors, cependant, la télévision se cite elle-même et assume explicitement la mémoire qu’elle s’est construite et dont elle dispose désormais. Si la désaffection marquée du public pour le western à partir des années 60-70 et le regain d’intérêt pour le policier durant la décennie 70 est un phénomène dans lequel s’inscrit la télévision et qu’elle n’a pas créé, en revanche la conscience qu’elle a d’elle-même – et la mémoire de ses concepteurs – la rend capable d’évoluer plus vite, à mesure que se mettent en place la société de consommation et l’après-Viêtnam, le grand capitalisme et l’arrivée de nouvelles chaînes qui remettront en cause l’hégémonie des « antiques » networks ABC, CBS et NBC. Nos trois lascars sont, dans cette perspective, parmi les premiers à avoir imposé le scénariste comme producteur à part entière, donc « propriétaire » de son oeuvre sur le plan créatif. Si l’on qualifiait la télévision de « medium des producteurs » dans les années 70 et au début des années 80, elle est désormais le medium des scénaristes-producteurs, les Bochco, Kelley, Chase et autres qui ont fait leurs armes en même temps que Cannell, Larson et Bellisario ou durant les années 80.

Or, il n’est pas mauvais d’avoir cette évolution en tête lorsque l’on juge de la qualité des séries de Stephen J. Cannell, et spécialement de Hunter. Ecrire de cette dernière qu’elle est une mauvaise série télé parce qu’elle est une mauvaise policière, et qu’elle est une mauvaise série policière parce qu’elle est trop violente et trop caricaturale, ou trop spectaculaire, c’est sans doute avoir une idée de ce qu’est le policier mais c’est profondément méconnaître la télévision et spécialement celle des années 80. Cette méconnaissance peut être le fait de l’ignorance, elle est parfois aussi celui du snobisme : il est essentiel de reconnaître la qualité des Hill Street Blues, St. Elsewhere et autres Un Flic dans la mafia (d’ailleurs produite par Cannell), qui ont soit accompagné soit initié l’évolution des séries télévisées durant les années 80 – mais il est stupide de mépriser pour autant tout un pan de la production de cette époque sous le prétexte ridicule (et bien prétentieux dans la bouche d’un critique) qu’elle privilégiait la légèreté et l’action et mettait en avant le principe souverain d’entertainment, de divertissement.

D’autant que ce sont justement les séries de Stephen J. Cannell – en même temps que celles de Bellisario et de Bochco – qui ont ouvert la lucarne cathodique à une autre évolution, à laquelle s’étaient refusés jusqu’alors nombre de producteurs et/ou de compositeurs. Qui mieux que Cannell et Bellisario a en effet mis en avant la musique de Mike Post et Pete Carpenter, qui accompagne presque toutes leurs productions ? Avec eux, les tempos jazzy, soul, funk des années antérieures s’effacent devant l’assaut du rock, qui emporte dans ses percussions et ses envolées les scènes d’action des shows Cannell et les évolutions asphaltiques de la Ferrari de Magnum. Magnum est au demeurant une sorte de « symbole » du passage de flambeau : après quelques épisodes emmenés par la musique « surannée » de Iain Freebairn Smith, le thème musical de Post et Carpenter s’est vite imposé comme l’unique marque de reconnaissance de la série, elle-même représentative de son époque. Hunter, comme Agence Tous Risques, Riptide et Le Juge et le pilote, doit énormément à sa musique, qui suffit à accrocher le spectateur quand bien même l’intrigue vole plus bas que les voitures. Comme Magnum, en outre, Hunter voit le tandem Post-Carpenter arriver à maturité (il officiait déjà dans les années 70, notamment sur The Rockford Files/Deux cents dollars plus les frais et Les Têtes brûlées) puis se disloquer (avec la mort de Carpenter en 1987) tandis que Post continue seul mais en lançant à son tour d’autres compositeurs (Velton Ray Bunch sur Code Quantum, Danny Lux sur Silks Stalking/Les dessous de Palm Beach, etc.).

On peut affirmer sans se fourvoyer – n’en déplaise aux critiques snobinards – que les séries de Cannell ont laissé une empreinte profonde sur les années 80, qui forment, avec le recul, une sorte d’époque-charnière entre la « télé d’avant » et la « télé de maintenant ». La distinction est évidemment grossière et, en soi, n’a pas grand sens : mais cette époque, que d’aucuns ont appelée un « âge d’or » de la télévision américaine, sut très bien rompre avec celles qui l’avaient précédée tout en s’en inspirant et en amorçant les codes de l’époque suivante. C’est dès le milieu des années 80, avec Miami Vice, Un Flic dans la mafia, 21 Jump Street même, que s’amorce la veine noire de Twin Peaks et autres The X Files, mais aussi le retour à un réalisme plus terre-à-terre et quotidien avec Thirty-something (Génération Pub) et les sitcoms comme Roseanne, ainsi que l’émergence d’une autre « génération », ainsi que l’arrivée d’un jeunisme qui marquera toute la décennie 90 et continue de jouer un rôle majeur dans l’industrie télévisuelle, non seulement devant la caméra mais derrière, où nombre de scénaristes « âgés » de plus de 35 ans peinent à trouver du travail. Et puis, ce sont encore, ces années 80, celles de l’émergence d’une nouvelle « génération », nourrie au lait de la première : celle des David E. Kelley, Dick Wolf, Tom Fontana et autres David Greenwalt.

 

NOTES

1. « Fred Dryer : les flics sont les héros modernes ! » par Joan Mac Trevor, in Ciné Télé Revue n°88-45, 10 novembre 1988.

2. James L. Longworth, Jr, TV Creators : Conversations with America’s Top Producers of Television Drama, vol. 2, Syracuse University Press, 2002, p. 34.

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