sous la direction de Frédéric Gimello-Mesplomb

Nouveau Monde éditions, 2007, 368 p., 23 €

 

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Ouvrage collectif rédigé par des universitaires de différentes disciplines, ce livre se caractérise par l’inégalité de ses contributions.1 

Commençons par ce qui fâche : on est surpris, tout au long de la lecture, par les erreurs de syntaxe et de ponctuation qui émaillent l'ouvrage, chose étonnante dans une publication de cette nature 2. S’il est utile d’insister sur ce point avant tout commentaire du contenu, c’est que la première lecture que je fis de cet ouvrage en 2007 fut en grande partie affectée – et de façon négative – par des approximations de la langue nuisant hélas à la compréhension des pages – et entraînant chez le lecteur un certain agacement. 

La richesse des bibliographies placées en annexes de chaque contribution est l’un des points forts de l’ouvrage, mais un certain nombre de renvois à Marx, Weber, Althusser nous semblent relever d’un souci d’érudition qui, en rattachant trop le discours à une myriade de systèmes philosophiques à peine effleurés, dessert parfois la clarté du propos, sans nécessité. On sourit, aussi (comme le fit Laurent Duroche dans Mad Movies 3) de l’emploi d’acronymes qui, s’ils peuvent avoir leur intérêt, se révèlent assez inutiles à l’usage : on peut certes appeler FAGS les « films d’action à grand spectacle » (l’acronyme devient savoureusement… GAGS en p. 67, par l’effet d’une coquille malencontreuse) et FàGS les « films à grand spectacle »… mais à quoi bon si ces acronymes ne sont pas utilisés dans le reste de l’ouvrage ? De même FCVS et FCVM qui se rencontrent en pages 71 et 72… puis disparaissent.

 

Les trois premiers chapitres de l’ouvrage sont destinés à mettre en contexte l’ensemble des contributions recueillies ensuite, d’abord en explicitant le propos global du livre, ensuite en expliquant les mutations de l’industrie hollywoodienne lors de la période étudiée. Une seconde partie, plus importante, est intitulée « Mythologies et thèmes récurrents » et présente des réflexions sur le héros américain, le film d’action, la justice et la morale, le corps, la violence…

Dans un article central intitulé « Le héros reaganien ou l’expression du mythe du rêve américain » (chapitre 6),  Pascale Fauvet s’efforce de définir ce « héros reaganien » dont la figure est évidemment centrale dans le « cinéma des années Reagan » 4. Son premier constat est que ce héros est un self made man, défini par ses qualités de travail, d’abnégation et de courage mais aussi par son invulnérabilité. L’exemple qui vient alors est celui de Rocky Balboa, ce qui amène un autre constat : le héros reaganien apparaît avant l’accession de Ronald Reagan à la présidence des Etats-Unis, puisque Rocky sort dans les salles en 1976. Par ailleurs, et l’auteur de l’article le voit bien, hommes et personnages sont souvent confondus lorsque l’on cherche à circonscrire le héros reaganien. Celui-ci en effet s’incarne autant dans des figures de fiction – Rocky, Rambo, Conan… - que dans les acteurs qui leur prêtent vie, Sylvester Stallone et Arnold Schwarzenegger en tête. Ronald Reagan, ancien acteur devenu syndicaliste puis président des Etats-Unis, est à l’image de ces héros, puisqu’en lui se mêlent la fiction (les personnages valeureux qu’il a incarnés dans nombre de westerns) et la réalité. La personnalité de Ronald Reagan explique aussi en grande partie à quelle figure antérieure se rattache le héros reaganien : celle de John Wayne. Et, de fait, l’ombre de l’acteur est omniprésente sur la production des années 1980 : cinématographique certes, mais aussi télévisuelle (il suffit pour s’en convaincre de revoir les séries produites par Stephen J. Cannell et Glen A. Larson dans la première moitié de la décennie, qui actualisent les thèmes et les figures du western). Cette évidence amène une remarque d’importance : le héros « reaganien », s’il faut l’appeler ainsi, n’est pas propre aux « années Reagan » mais s’enracine dans un héritage qui est, significativement, celui de l’homme qui l’a inspiré, Ronald Reagan lui-même. Car si l’on remonte à John Wayne, force est de constater qu’il faut aussi rendre justice aux figures héroïques des années 1930-1940, et spécifiquement aux super-héros que furent Superman puis Captain America. Car ce sont bien leurs valeurs de courage et d’invulnérabilité que prétend porter à nouveau le héros « reaganien ». Le cinéma des « années Reagan » remet donc au premier plan une forme d’héroïsme et de fierté que l’Amérique avait déjà célébrée en des temps passés, mais il le fait à la façon dont Ronald Reagan s’efforce lui-même de rendre sa fierté à la nation après l’humiliation de la guerre du Vietnam et la période de troubles et de perte de foi des années 1970 (le scandale du Watergate et l’affaire des otages en Iran s’ajoutant au traumatisme du Vietnam). C’est pourquoi l’auteur de l’article oppose la notion de « héros reaganien » à celle de « héros carterien », soulignant le phénomène de réaction qui préside à l’émergence du héros dit reaganien. A un héros de la défaite, du désenchantement, qui est celui de la décennie précédente, le héros reaganien substitue un héros de la victoire, du triomphe, qui est aussi un héros de la revanche sur la descente aux enfers que constituèrent les années 1970.

Etant donné l’héritage que reprend le héros de cette période, il faut reconnaître une certaine difficulté à définir le héros « reaganien » en tant que tel, puisque ses qualités débordent en fait largement le cadre des « années Reagan ». Cette difficulté se ressent dans l’emploi des références qui sont ici utilisées. On note ainsi que Superman est évoqué aussi bien parmi les héros reaganiens (p. 156 : « le premier héros reaganien, hormis Superman, est Rocky Balboa ») que parmi les héros carteriens (p. 158) ; de même les Hobbits, personnages centraux de la saga Le Seigneur des Anneaux, sont-ils cités comme « un bon exemple » de l’une des catégories du héros reaganien (p. 155) avant que cette appartenance soit mise en question quelques pages plus loin (p. 162). Ce flottement nous renvoie in fine à la définition : le héros reaganien est rattaché à la certitude qui accompagne l’invulnérabilité, tandis que le héros carterien est associé au doute et à la perte de foi. De là le prolongement qu’apporte l’auteur de cet article au terme de son propos, autour de la résurgence du héros reaganien dans les décennies ultérieures et de la question de la religion dans la politique et la production cinématographique américaine. Ce qui nous ramène au début de l’article et au constat selon lequel le héros reaganien est lui-même une résurgence en ceci qu’il incarne, mais d’une manière il est vrai inédite, des valeurs que l’Amérique érigea en modèle bien avant les présidences de Ronald Reagan.

 

La contribution de Marianne Kac-Vergne (dans le même chapitre 6, pages 213 à 223) nous paraît l’une des plus éclairantes du recueil, questionnant la représentation de la masculinité véhiculée par les films d’action des années 1980 et disséquant la personnalité contrastée de leurs héros. C’est ici que l’on trouve les remarques les plus pertinentes sur le corps sacrificiel du héros et le rôle de ce motif dans l’économie narrative des films d’action (et non, nous semble-t-il, dans le chapitre intitulé justement « Le corps sacrificiel du héros », p. 169-180, qui nous a bien moins convaincu). Ici également que nous semble le mieux mis en perspective ce caractère redondant du « héros reaganien » (restons prudent), grâce à une contextualisation historique raisonnée. Alors que beaucoup des auteurs du collectif se condamnent à réutiliser les mêmes exemples (Rocky, Rambo et Terminator), M. Kac-Vergne appuie son propos sur une richesse de citations filmiques dont elle tire ce qui sert la démonstration, sans se perdre dans les généralités ou le détail.

On éprouve la même satisfaction à la lecture du texte d’André Muraire, « Régénération par la violence : Rambo ou l’innocence retrouvée » (chapitre 7, pages 237 à 255). L’auteur dissèque ici le personnage de Vietnam veteran incarné par Sylvester Stallone dans trois (puis quatre, avec la sortie de John Rambo bien plus tard) films, ne se contentant pas des clichés habituels (qui ont évidemment leur place dans l’étude) mais évoquant également la richesse culturelle du personnage, qui a des tenants essentiels dans la culture américaine. Il démontre ainsi, ce qui sera utile aux sceptiques, que Rambo n’est pas seulement le soldat revanchard que d’aucuns voudraient voir en lui mais qu’il perpétue aussi l’image du Native American, du Hawkeye de James Fenimore Cooper et des Davy Crockett et autres Daniel Boone. Outre ce travail de contextualisation, Muraire s’intéresse à un film peu connu antérieur à Rambo, Ruckus, pour examiner les similitudes des deux films et mieux en dégager l’apport de Rambo.

Jérôme Momcilovic et Florian Tréguer consacrent de leur côté leurs contributions à deux figures essentielles du film d’action des années 1980, Arnold Schwarzenegger et John McTiernan, avec une précision et une pertinence qui emportent l’adhésion et contribuent à dégager les lignes de force du « héros reaganien ».

 

Au fil des contributions présentées dans cet ouvrage, on aura noté un flottement dans la définition du « héros reaganien ». Comment s’en étonner, lorsque le « reaganisme » et les « années Reagan » sont eux-mêmes des notions ambiguës, objets d’une diversité de définitions ? Ainsi Laurent Kasprowicz note-t-il dans l’une des dernières contributions : « Le reaganisme est un ‘mot-éponge’ et beaucoup d’auteurs ont des définitions différentes du terme ». Dès son avant-propos, F. Gimello-Mesplomb souligne, lui, que « les années Reagan » est un chrononyme ambivalent, qui pourra recevoir différentes définitions selon le groupe d’individus qui l’emploiera. Du coup, la définition du « héros reaganien » porte tout autant sur des qualités intrinsèques (qui sont rappelées dans l’avant-propos et développées plus loin par Pascale Fauvet) que sur un « moment » historique qui les a vues s’exprimer sous une forme particulière. Il n’en reste pas moins que ce héros qui s’éploie entre la moitié des années 1970 et la fin des années 1980 a des racines profondes dans l’imaginaire ou la « mythologie » américaine. Il ne suffit pas de déborder de quelques années en amont et en aval des deux mandats de Ronald Reagan : les caractéristiques du cinéma de la période sont en effet ancrées dans la culture américaine dans son ensemble (et les auteurs remontent à juste titre, à plusieurs reprises, au mythe de la Frontière qui structure l’imaginaire américain). En conséquence, le héros reaganien, s’il existe bel et bien, n’est peut-être pas proprement « reaganien »…

Il n’est donc pas inutile de relire l’avant-propos après avoir achevé la lecture des contributions présentées dans l’ouvrage, afin de conjurer le danger qui menace le lecteur au tournant de la dernière page : le sentiment de lignes de force qui, lancées dans plusieurs directions, suscitent parfois la perplexité au lieu de converger vers une conclusion ferme. 

 

 

1. Un constat que faisait aussi, en 2007, Gérald Arboit dans la revue Questions de communication, 12, p. 366-368 : "L’origine disciplinaire des contributeurs explique l’inégal intérêt de leurs analyses." 

2. Ces erreurs hélas obligent le lecteur à procéder à un travail de correction qui est logiquement à la charge de l’éditeur. L'un des contributeurs de l'ouvrage m'écrivait que les coquilles devaient être dues à un problème d'impression et qu'il ne fallait pas en tenir rigueur aux contributeurs. C'est possible, mais on a quand même le droit de s'en étonner et (selon l'humeur) de sourire ou de hurler en lisant l'expression "reaganitte entraitnainment" (page 18) au lieu de "reaganite entertainment", c'est-à-dire "divertissement reaganien", expression utilisée par Robin Wood dans "Papering the cracks : Fantasy and Ideology in the Reagan Era", in Hollywood from Vietnam to Reagan, Columbia University Press, 1986, édition augmentée en 2003 ; l'expression, toutefois, n'est pas  "à l'origine, de Robin Wood", comme le dit la note 21, mais d'Andrew Britton dans un numéro de Movie, 31/32, sur lequel s'appuie Robin Wood dans ce chapitre : cf. "Blissing Out : The Politics of Reaganite Entertainment" (1986) in Britton on Film : The Complete Film Criticism of Andrew Britton, publié par Barry Keith Grant avec une introduction de Robin Wood, Wayne State University Press, 2009. Le regret du lecteur que je suis est que la désinvolture de la langue alimente finalement une certaine animosité à l’égard de l'ouvrage, obstacle à une lecture sereine. De nouveau, Gérald Arboit notait en préambule ces coquilles (dont il relevait quelques exemples seulement) in Questions de communication, op. cit., et la remarque reparaît en conclusion du compte rendu de la Bifi (bibliothèque du film) en avril 2007 : "Sont également à déplorer quelques "négligences " éditoriales, notamment [...] quelques " coquilles " handicapant par moments la lecture d'un ouvrage dont la thématique originale et le parti pris syncrétique restent cependant à souligner." (Delphine Robic-Diaz) Le fan de séries, lecteur privilégié de ce blog, appréciera par exemple les titres "L'Homme qui Valait trois Millards" (sic) et "Super Jamie" (au lieu de "Jaimie") (p. 158 ; on lit aussi en note 229 - numérotée par erreur 179 en p. 158 - que L'Incroyable Hulk est une série "de Stan Lee", ce qui fera tiquer le sériphile, le créateur de la série étant Kenneth Johnson), le cinéphile lira par deux fois "John G. Avidsen" au lieu de "Avildsen" (p. 154 et 156) ; en p. 172 le personnage de Terminator Kyle Reese est nommé Kyle Reeves (l'auteur pensait peut-être à Christopher [Reeve] ou à Steve [Reeves] ?) et l'on rencontre par deux fois l'expression "tout prêt d'être sacrifié / tout prêt d'être tué" (au lieu de "tout près de") ; en p. 193 l'expression tout de même peu rigoureuse "il n'agit, avec pour seule arme, que son corps, ses muscles, sa détermination et ses armes" ; en p. 199 la phrase "Le corps de Stallone dans (au lieu de "devient") un acteur du film à part entière"  ; en p. 134 on voit des fermiers sacrifiés "sur l'hôtel de la rentabilité économique" (elle est jolie, celle-ci) ou en p. 109 un audacieux "ordre désordonné" sans guillemets... Peu de chose, diront certains, et pas de quoi remettre en cause la réflexion intelligente et pertinente de l'ouvrage ; mais c'est la récurrence de ces maladresses qui agace, et nous ne mentionnons pas ici les occurrences d'une ponctuation insolite dans certains articles (parce que l'on nous rétorquera sans doute que la ponctuation peut être subjective...). 

3. On trouvera sur une page alimentée par le coordinateur de l’ouvrage, Frédéric Gimello-Mesplomb, une revue de presse des échos suscités par la publication de Le cinéma des années Reagan, dont l’article de Laurent Duroche.

4. L'expression "héros reaganien" apparaît dans l'article "Clint Eastwood, Portrait du justicier en héros reaganien" de Robert Mazzocco publié dans la New York Review of Books du 1er avril 1982. On signalera en outre le site Pop-en-stock qui propose des articles divers sur la période reaganienne. 

 

 

A lire dans Arrêt sur Séries :

Magnum et la guerre du Vietnam : comment la série de Donald Bellisario illustre précisément ces « années Reagan », entre diabolisation du communiste, syndrome de stress post-traumatique et volonté de revanche, dans Arrêt sur Séries 38

Agence Tous Risques ou l’Amérique de l’entreprise triomphante des « années Reagan »

- Stephen J. Cannell et Glen A. Larson, ou la perpétuation du western dans les années 1980 

Tag(s) : #Livres
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