Un dossier de Thierry LE PEUT
paru dans Arrêt sur Séries Hors-série 2, octobre 2000
Passés de mode, les flics des Seventies ? Coupés de la réalité du vingt-et-unième siècle ? Séries dinosaures ? Il suffit pourtant de revoir quelques épisodes pour découvrir que ces flics-là sont encore capables de séduire, par un effet de nostalgie sans doute, mais aussi parce qu'ils savaient déjà être attachants, humains, drôles ou simplement distrayants. Des deux lurons de « Zebra 3 » aux motards de CHiPs, nous vous proposons un petit tour dans l'univers déjà très riche de la série policière de papa, celle qui a bercé notre enfance (enfin, la mienne, en tout cas...). Séquence souvenir.
Kojak avec Telly Savalas
Introduction :
de Starsky et Hutch à Hill Street Blues...
Voilà des années (ces lignes ont été écrites en 2000, rappelons-le) que TF1 n'a plus rediffusé Starsky et Hutch qui, il y a quinze ans, détenait le quasi-monopole du dimanche après-midi après avoir partagé avec Dallas celui du samedi soir. Lorsque la petite M6 a démarré en France, elle a même emprunté une poignée d'épisodes à sa grande soeur RTL, privant les téléspectateurs de la Une de treize histoires sur les 90 que compte la série. En feuilletant aujourd'hui le guide Totem des séries télé, paru chez Larousse en 1999, on peut lire sous la plume de Martin Winckler, l'un des collaborateurs de Génération Séries, que les aventures bondissantes et surtout vrombissantes des « deux guignols » apparaissent « comme une forme archaïque de série policière, plus apparentée au western qu'à la série dramatique réaliste »1. Bref, pour M. Winckler, « la série n'a aucun intérêt » tant en ce qui concerne ses scénarii que dans sa forme cinématographique. Elle a pourtant passionné les Français (bien plus que les Américains, en fait, qui l'ont plébiscitée lors de sa première diffusion puis l'ont complètement oubliée par la suite) pendant des années : débarqués en 1978 sur la première chaîne, les deux guignols n'ont pratiquement pas quitté l'antenne dix années durant, s'octroyant tout juste quelques pauses entre leurs différents passages.
On a souvent évoqué pour expliquer ce succès hexagonal la réussite du doublage français, dû à Michael Salva et au talent de Jacques Balutin (Starsky) et Francis Lax (Hutch). L'argument est incontestable. Il n'en faut pas moins reconnaître que la série elle-même explique ce formidable succès : si les scénarii ne sont effectivement pas d'une grande complexité ni la mise en scène d'une grande originalité, le dynamisme des deux compères, leurs personnalités complémentaires, la figure paternelle de l'irascible Capitaine Dobey et les mimiques d'Huggy ont leur part dans l'accueil enthousiaste qu'a reçu la série.
Sa désaffection auprès de la critique montre cependant deux choses. La première est aussi vieille que l'art : c'est que le regard de la critique et la réaction du public ne sont pas toujours en adéquation et que la popularité d'une oeuvre n'est pas proportionnelle à ses qualités artistiques. La seconde, c'est que l'attente de la critique a sans doute changé à cause de l'influence durable exercée par la « révolution » Bochco. Massacrée par les programmateurs de France 3 (ce qui est une habitude de la chaîne dès qu'il est question de séries américaines), Hill Street Blues / Capitaine Furillo a ouvert la voie à NYPD Blue, Homicide et New York District, qui sont aujourd'hui des références en matière de policier télé. Déjà, lors de l'apparition de la série, on évoquait son ancêtre littéraire, la série des 87th Precinct écrite par Ed McBain à partir de 1956. Aujourd'hui, c'est au sujet d'Homicide que le magazine Génération Séries parle de série « littéraire », confirmant qu'en cherchant à se définir comme genre la série télé se rapproche des formes d'art reconnues.
Il est évident qu'avec de tels critères Starsky et Hutch n'a plus qu'à passer à la trappe, heureuse si elle parvient à se faire oublier. Eh bien non ! Comme Hawai Police d'Etat, qui a également marqué son temps avant de disparaître plus ou moins (jusqu'à sa réapparition sur Série Club), la série des deux guignols appartient au patrimoine des séries télé, au même titre que les programmes que nous allons évoquer ici. Jugée à son époque sur des valeurs différentes de celles qui président aujourd'hui, elle peut encore être regardée comme un divertissement, ce qui est l'une des qualités des séries, pas forcément incompatible avec des critères plus « sérieux ». En matière de séries comme pour l'art en général, il n'est pas souhaitable de privilégier une critique dite « sérieuse » au détriment du goût populaire, premier juge en la matière. Tout en essayant de dégager les qualités de tous ces programmes et de rappeler leur place dans l'histoire des séries télé, nous partirons donc d'un postulat simple : une série est aussi un divertissement valable par lui-même, qui n'a pas à copier les arts dits nobles pour mériter d'être considéré comme intéressant.
Nous évoquerons donc des séries « reconnues », comme Kojak et Columbo, aussi bien que des programmes « ringards » dans le genre de Starsky et Hutch, « dépassés » comme Hawai Police d'Etat, très secondaires comme Holmes et Yoyo, et même quelques séries inédites chez nous mais qui méritent d'être citées parce qu'elles ont connu un certain succès outre-Atlantique et qu'elles ont leur place dans une histoire du flic télé. Cette mise au point étant faite, présentez vos billets, nous plongeons dans le tunnel du temps, direction : les flics des Seventies !
Raymond Burr, tout sourire, est L'Homme de Fer
Flics classiques, flics à gimmicks
Au lendemain de la vague d'espionnite qui a agité les années soixante, donnant naissance à des séries aussi enlevées que Les Espions, Max La Menace, Les Mystères de l'Ouest, Des Agents très spéciaux et Mission Impossible, les années soixante-dix vont voir une recrudescence du policier classique, qui reprend le terrain perdu et s'apprête à explorer de nouveaux territoires. Le bon vieux policier au complet veston fait déjà recette avec Hawai Police d'Etat, depuis 1968 sur CBS, et L'Homme de fer sur NBC depuis 1967. Si la première privilégie la description des enquêtes de son héros, laissant peu de place à la fantaisie, la seconde témoigne de l'importance du gimmick, ce « truc » qui constitue souvent la marque de fabrique d'une série et qui doit la différencier de ses concurrentes. Ici, c'est le fauteuil roulant qui rend le policier Robert Dacier (Ironside dans la v.o.) incomparable. Blessé lors d'un attentat, cet inspecteur de la police de San Francisco continue de diriger ses inspecteurs d'une main de fer (sans jeu de mot). La série, de facture assez classique en dehors de cette astuce, présente son héros comme une figure paternelle dont l'équipe, constituée d'un inspecteur (le sergent Ed Brown) et de deux assistants (une femme, Eve Whitfield, remplacée par Fran Belding à partir de la cinquième saison, et un étudiant, Mark Sanger), est un peu la petite famille. Quelques épisodes permettent d'ailleurs des incursions ponctuelles dans l'intimité des protagonistes. Entre des enquêtes traditionnelles où l'on croise des criminels endurcis autant que passionnels, les intrigues s'intéressent aussi au contexte social troublé de la fin des années soixante, de la contestation étudiante à la condition des Noirs américains, notamment à travers le personnage de Mark Sanger. Ce dernier est d'ailleurs tout à fait dans la mouvance des années soixante, occupant la même place que Barney Collier dans Mission Impossible ou la secrétaire Peggy Fair dans Mannix. Il faudra attendre le détective privé de Shaft, en 1973, pour voir un acteur noir tenir le premier rôle dans une série (si l'on excepte Bill Cosby, co-vedette de la série Les Espions entre 1965 et 1968), ce qui ne manquera pas de soulever un mini-scandale !
Créée par Collier Young et produite notamment par James McAdams, que l'on retrouvera ensuite aux commandes de Kojak, la série bénéficie d'un thème musical de Quincy Jones, tout à fait adapté puisqu'il « mêle parfaitement (et allègrement) », selon les mots de Véronique Denize2, « les influences blanches et noires, de la pop-music au rythm'n blues. »
Bien que contemporain, Steve McGarrett, le héros de Hawai Police d'Etat, est très différent. Chef d'une unité spéciale de la police d'Hawai, qui ne rend de comptes qu'au Gouverneur de l'archipel, il est entièrement dévoué à sa lutte contre le crime qui souille le cadre paradisiaque de ces îles. Pratiquement dépourvu de vie privée, peu enclin à la plaisanterie (bien que, contrairement à une idée reçue, il soit capable de rire et même, dans un autre registre, de pleurer), McGarrett dirige une équipe multiethnique composée d'un jeune assistant, Danny Williams, et de deux policiers locaux, Chin Ho Kelly et Kono Kalakaua. Durant douze années, de 1968 à 1980, il traquera les criminels de tout poil, tout en appliquant sans jamais y déroger la sacrosainte Loi, seul rempart contre le Mal. Menées sans temps morts, les histoires de la série s'attachent à rendre le travail de la police mais s'intéressent aussi aux criminels, dont les motivations sont parfois décrites longuement. Des sujets de société comme la drogue, la contestation étudiante (encore) et la guerre du Viêtnam, qui agite la société américaine de l'époque, sont abordés au cours des histoires, au moins dans les premières saisons. Décrit parfois comme un fasciste, McGarrett n'est pas dénué de compassion mais tout chez lui est subordonné à l'application de la Loi et son devoir passe avant toute forme de sentiments. Une caractéristique qui tend à réduire la peinture des personnages secondaires au profit de celle du policier, d'où peut-être la mauvaise réputation de la série auprès de certains spécialistes : Jacques Baudou en France, Richard Meyers aux Etats-Unis3.
Dénuée de gimmick, Hawai Police d'Etat est cependant la première série véritablement tournée à Hawai, ce qui la différencie de ses prédécesseurs (de 1959 à 1963, Hawaiian Eye était censée se dérouler également dans l'archipel mais était tournée en fait à Los Angeles) autant que de ses contemporaines. L'abondance des extérieurs utilisés pour le tournage confère à l'ensemble un attrait évident, sans prendre le pas sur les intrigues. Le créateur de la série, Leonard Freeman, qui mourra durant sa diffusion, en 1974, tenait à cet élément qui augmentait selon lui le réalisme du programme. Comme L'Homme de fer, Hawai Police d'Etat bénéficie d'un générique fameux qui gravit les Charts à l'époque de la série et fait encore aujourd'hui la joie des compilateurs : composé par Morton Stevens, il a servi de signature à la série durant les douze années de sa production, en synergie parfaite avec le générique mis en images par le réalisateur Reza Badiyi.
Les Rues de San Francisco avec Karl Malden et Michael Douglas
Des rues de San Francisco à celles de Manhattan Sud
En 1972, une nouvelle déclinaison du flic classique fait son apparition sur ABC, le troisième grand réseau américain. C'est cette fois Quinn Martin, déjà producteur de concepts comme Le Fugitif (ABC, 1963-1967), Les Envahisseurs (ABC, 1967-1968) et, dans le genre policier, Sur la piste du crime (ABC toujours, 1965-1974), qui préside à sa destinée, confiant le rôle principal à un vieux routier du cinéma, Karl Malden, l'acteur au nez aussi célèbre que celui de Cléopâtre (dans un autre registre). Riche de 119 épisodes, Les Rues de San Francisco narre les enquêtes de l'inspecteur Mike Stone et de son jeune assistant Steve Keller, enquêtes souvent empreintes d'une lourdeur tragique qui, présente également dans d'autres programmes de Quinn Martin, est l'une des qualités de la série. D'épisode en épisode, la caméra s'attarde volontiers sur les criminels et décrit leur comportement autant que leurs motivations. Criminels, mais aussi victimes : des épisodes tels que « Ma Maison est une prison » ou « L'Ecole de la peur » s'attachent à rendre compte de drames individuels qui prennent autant de place que l'enquête proprement dite. Assez peu diffusée depuis dix ans, la série ne manque pas d'intérêt encore aujourd'hui à cause de la galerie de personnages secondaires qu'elle développe autour de ses héros. Comme dans les autres programmes de Quinn Martin, également, chacun des quatre actes de chaque épisode est introduit par un carton portant le titre de la série et la mention « Acte I, Acte II, etc. », le tout encadré par un prologue et un épilogue.
La série repose sur les épaules de Malden mais a révélé aussi un jeune comédien qui a depuis fait ses preuves au cinéma : Michael Douglas, présent de 1972 à 1976, et remplacé pour la dernière saison par Richard Hatch. De son propre aveu, l'acteur a beaucoup appris de son partenaire et l'entente entre les deux comédiens confère au duo d'inspecteurs un côté très attachant qui s'exprime dans les plaisanteries paternalistes échangées à l'écran. L'épisode d'adieu de Douglas, « Les assassins », met en avant la relation père-fils qui, au fil des saisons, se dessine entre Stone et Keller, qui d'assistant devient en quelque sorte son fils spirituel. Quelques épisodes font également revenir des personnages récurrents, comme la fille de Mike Stone, incarnée par Darleen Carr (qui était déjà la fille d'Henry Fonda dans Ah ! Quelle famille !, une sitcom policière diffusée sur la même chaîne en 1971 et 1972). En 1992, un téléfilm produit par Aaron Spelling fera revenir le personnage de Mike Stone, malheureusement sans Keller, Douglas ayant décliné l'offre des producteurs de reprendre son rôle : c'est la mort du jeune inspecteur qui sera du coup au centre du scénario, où Stone se verra entouré de nouveaux assistants.
Bien écrite, fourmillant de futures stars du grand et du petit écran (Arnold Schwarzenegger, Don Johnson, Paul Michael Glaser et David Soul, Larry Hagman, Tom Selleck parmi bien d'autres), la série reste indissociable du thème musical composé par le jazzman Patrick Williams, même si celui-ci n'a pas connu le succès planétaire du générique de Hawai Police d'Etat.
A noter que la série fut tournée réellement à San Francisco, popularisée par le film Bullitt avec Steve McQueen, alors que L'Homme de Fer était réalisée en studio, les plans de San Francisco étant des stock shots puisés dans les archives de la production.
Un an après l'arrivée de Stone et Keller sur le réseau concurrent, CBS lance un autre policier appelé à une gloire internationale. S'il promènera sa silhouette et son crâne chauve également dans 119 épisodes entre 1973 et 1978, Kojak cependant connaîtra une renommée supérieure à celle des Rues de San Francisco. Comme Robert Ironside, Theo Kojak a son petit gimmick, en dehors de la calvitie de son interprète : il adore les sucettes et, à l'instar de Mike Stone, porte presque tout le temps un chapeau. Adaptée par Abby Mann d'un roman de Selwyn Raab, Kojak fut d'abord un téléfilm de trois heures diffusé le 24 octobre 1973, dans lequel le lieutenant Theo Kojak enquêtait sur une erreur judiciaire. S'il apparaissait déjà comme le personnage central, il n'avait toutefois pas l'importance que lui donnera la série régulière. Amer, en butte à la corruption de ses collègues et à l'hypocrisie d'une justice-spectacle, le Kojak du téléfilm originel laissera la place sous l'impulsion du producteur Matthew Rapf à un personnage plus dur, parfois cynique, capable cependant de compassion et plus affecté qu'il ne veut le paraître par la violence qu'il est amené à côtoyer. Indifférent à la hiérarchie, Kojak annonce des héros moins conventionnels comme Baretta et Serpico qui lui emboîteront le pas dès 1975. « Face à la corruption, au laxisme des défenseurs officiels de la loi et à l'indifférence ou la lâcheté des honnêtes gens, ce nouveau type de flic s'érige en justicier et n'hésite pas à utiliser des méthodes illégales pour arrêter un criminel », écrit Jean-Jacques Schléret, spécialiste de la littérature policière, qui rapproche le personnage des flics popularisés au cinéma par des films comme L'Inspecteur Harry 4. Un genre de policier à l'opposé des McGarrett, Dacier et autres Mike Stone qui, tous, agissent dans le respect de la loi.
« Plus personne ne peut croire à la vision féérique du flic honnête », dira l'acteur Telly Savalas. « Kojak n'est qu'un simple être humain avec toutes les frustrations, les relations et peut-être la douleur et le plaisir de la vie d'un flic urbain. »5 Cet aspect distingue Kojak de ses homologues, et aussi la présence très forte de Telly Savalas, dont l'aura dépasse celle de Jack Lord ou de Karl Malden. De son interprète, Kojak partage les origines grecques, et son assistant Stavros est d'ailleurs à la ville le propre frère de l'acteur, George Savalas. Le reste de l'équipe compose, comme il se doit, un groupe multiethnique, qu'on en juge par les noms : Rizzo, Saperstein, McNeill ou Crocker. Au commissariat de Manhattan Sud, Kojak, comme Dacier dans un autre style, fait figure de père redouté mais apprécié, et chacun peut compter sur lui.
La Ville a une grande importance dans la série, bien plus que dans L'Homme de fer. Elle pèse sur les habitants et sur le policier lui-même d'un poids écrasant de fatalité. Le pessimisme de Kojak est différent cependant de celui des Rues de San Francisco, parce que le policier est lui-même désabusé, menacé de déshumanisation par le spectacle d'une violence et d'une corruption hors de portée. « La ville est une jungle qui demande l'impossible à ses habitants », écrit David Buxton dans une étude sur la série. « Comme dans les romans policiers d'Ed McBain, la description objective, réifiée de l'aliénation urbaine suffit en soi pour expliquer l'existence endémique du crime. »6 Face à cette violence, Kojak se pose comme un repère par la force de sa personnalité, tout en partageant la détresse de ceux qu'il s'efforce de protéger : « La saleté de la rue et du commissariat montre Kojak lui-même comme une victime au même titre que les autres habitants. C'est en tant que tel qu'il peut légitimement porter un jugement sur les autres, fût-ce très durement. »6 Par son esthétique crasseuse autant que par son « pessimisme mélancolique » (David Buxton, toujours), Kojak évoque déjà ce que sera Hill Street Blues huit ans plus tard : un policier plus ambigu, plus humain, moins stéréotypé, rompant avec la rigidité et le politiquement correct de ses prédécesseurs, égratignant l'image trop lisse du « flic honnête » pour proposer une vision plus juste et plus nuancée de la vie d'un flic, à une époque où, contestation et Viêtnam aidant, l'Amérique commence à remettre en cause un modèle jusque-là célébré.
Histoires de flics
Police Woman (Sergent Anderson) avec Angie Dickinson, Ed Bernard, Earl Holliman et Charles Dierkop
Dans la foulée, d'autres programmes à vocation réaliste vont voir le jour. Le premier est d'ailleurs légèrement antérieur à Kojak, puisqu'il commence sa carrière le 2 octobre 1973 sur NBC. Il s'agit de Police Story, une anthologie policière initiée par l'ancien policier et écrivain Joseph Wambaugh, déterminé à montrer les policiers sous un jour plus conforme à la réalité, loin des « boys-scouts, des eunuques ou des surhommes » traditionnellement dépeints dans les séries7. Etres humains avant tout, les policiers de Police Story sont pétris de doutes, de peurs, de faiblesses, ils souffrent, commettent des erreurs et aspirent au repos comme tout un chacun. S'intéressant à toutes sortes de personnages, chaque épisode mettant en vedette des policiers différents, inspecteurs ou officiers, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, de la Criminelle aussi bien que du déminage ou des moeurs, la série offre une galerie de portraits dont certains se détachent, comme Tony Calabrese incarné par Tony Lo Bianco ou Frank Janek interprété par Richard Crenna. Ce sont d'ailleurs ces acteurs que l'on retrouvera vingt ans plus tard dans des téléfilms ponctuels ressuscitant la série. Outre la participation d'acteurs confirmés, la série bénéficie de la présence de David Gerber, un producteur chevronné récompensé pour une mini-série sur George Washington et responsable par la suite de séries comme Sergent Anderson, Joe Forrester ou Medical Story, une autre anthologie saluée par la critique. Tout au long de la production, qui durera sept ans et donnera naissance à 94 épisodes, Wambaugh insistera sur la qualité des scenarii, refusant de sacrifier à l'audience en multipliant les coups de feu et l'action au détriment des intrigues et des personnages. La série vit passer un grand nombre de scénaristes, parmi lesquels les collaborateurs habituels de séries policières comme Hawai Police d'Etat, L'Homme de fer ou Columbo : Sy Salkowitz, E. Arthur Kean, Mort Fine, Mark Rodgers, mais aussi de jeunes talents prometteurs comme Michael Mann, futur producteur de Deux flics à Miami et de Crime Story.
Certaines histoires de la série donneront également naissance à des séries dérivées dont Sergent Anderson, avec Angie Dickinson dans le rôle de la première femme-flic à tenir la vedette d'une série, et Joe Forrester, avec le déjà vétéran Lloyd Bridges. Ce dernier, qui a fait un passage sur Antenne 2 dès 1977, est décrit comme un flic humaniste, volontiers paternaliste, qui ne connut qu'une saison sur NBC entre 1975 et 1976. Le Sergent Anderson, en revanche, tiendra l'antenne de 1974 à 1978 avec 91 épisodes emmenés par le thème musical de Morton Stevens. Développée par Robert Collins, l'un des scénaristes de Police Story, et toujours produite par David Gerber, la série fut récompensée aux Emmy Awards et apporta la notoriété à Angie Dickinson, revue depuis dans les téléfilms de réunion de Police Story. Autour de la jeune femme, une équipe particulièrement typée compose, une fois n'est pas coutume, un team multiracial. On notera en particulier le sergent Peter Royster dont l'allure pré-grunge annonçait le Serpico des mêmes Collins et Gerber et surtout le Belker de Hill Street Blues. S'intéressant à la vie privée de son héroïne, notamment à ses rapports avec sa soeur handicapée, Cheryl, la série préfigure également le traitement plus feuilletonnesque, quelque huit ans plus tard, de Cagney et Lacey, consacrée à deux femmes flics dont les déboires personnels occupent autant de place sinon plus que leurs enquêtes policières.
Le Serpico campé par David Birney dans les 14 épisodes d'une série diffusée sur NBC de 1976 à 1977 s'inscrit dans la même veine anti-conventionnelle, reprenant le thème du film de Sidney Lumet lui-même inspiré de la vie du vrai Frank Serpico, un policier honni par ses collègues pour avoir dénoncé la corruption qui régnait au sein de la police. Serpico se déplace en moto, porte des jeans et arbore une barbe fournie, ce qui n'est pas si courant. Surtout, comme Kojak, il affirme son indépendance vis-à-vis d'un système décrédibilisé par la corruption et oppose à l'absence de repères sociaux son propre système de valeurs, fondé bien entendu sur la justice et la défense des opprimés. La série avait sans doute de quoi plaire mais n'a guère eu le temps de faire ses preuves. Elle aussi fut rediffusée par la Cinq avant de disparaître de nos écrans.
La relève anticonformiste
Serpico avec David Birney
En 1973, déjà, un policier très proche de Serpico, Dave Toma, avait vu le jour sous l'impulsion du producteur Roy Huggins, qui avait derrière lui une carrière très chargée, ayant travaillé sur des séries comme Le Fugitif et Les Incorruptibles. Né en 1914, Huggins avait commencé comme écrivain, créant en 1946 le personnage de Stu Bailey, un détective privé qui devint le héros d'une série policière, 77 Sunset Strip, diffusée sur ABC de 1958 à 1964. Toma mettait en scène un flic de Newark, dans le New Jersey, enquêtant sous couverture comme plus tard Serpico ou le Sergent Anderson, inspiré également d'un personnage réel. Lorsque, à l'issue des 22 épisodes de la première saison, l'acteur Tony Musante décida d'abandonner le rôle, Huggins et son jeune producteur Stephen J. Cannell (plus tard célèbre pour des séries comme Agence Tous Risques, Un Flic dans la mafia et 21 Jump Street) retravaillèrent le personnage et en firent le héros d'une nouvelle série intitulée Baretta, avec Robert Blake dans le rôle-titre. Diffusée sur ABC de 1975 à 1978, Baretta développe un nouveau type de flic peu conventionnel, grande gueule et individualiste, adapté paraît-il à la personnalité de son interprète, dont la mauvaise humeur sur les plateaux est devenue légendaire. En 80 épisodes, la série a imposé un personnage qui fera ensuite recette dans les années quatre-vingt, notamment sous la plume de Stephen J. Cannell qui, des Têtes Brûlées en 1976 au Rebelle en 1992, a toujours aimé les fortes têtes en rébellion contre l'autorité officielle. Basée en Californie et non plus dans le New Jersey, Baretta a aussi son petit gimmick, en l'occurrence un perroquet blanc prénommé Fred, compagnon du héros, lequel vit dans un hôtel minable près du commissariat du 53è district, tenu par Billy Truman. Solitaire et bagarreur, Baretta est également un adepte du déguisement, une caractéristique qui restera aussi une constante de Stephen J. Cannell (de l'Eddy Turner de Timide et sans complexes au Sonny Spoon de la série du même nom, en passant par le Futé d'Agence Tous Risques). Durant son service au 53è district, il sera perpétuellement en butte à l'hostilité de ses deux patrons successifs, l'inspecteur Shiller (incarné par Dana Elcar, qui délaissera son rôle pour jouer un personnage similaire face à Robert Conrad dans Les Têtes Brûlées) et le sergent Hal Brubaker (Edward Grover).
On aurait tort de croire cependant que les Baretta et autres Serpico ont été les premiers à remettre en question le look conventionnel du policier au complet veston. Dès 1968, Aaron Spelling, déjà producteur confirmé passé maître dans l'art de s'adapter à l'air du temps, initiait pour ABC un programme fondé sur une vision originale du travail de la police : les héros de La Nouvelle équipe (adaptée récemment au cinéma sous son titre original, The Mod Squad) étaient un groupe de jeunes policiers enquêtant eux aussi sous couverture, et arboraient qui des jeans à pattes d'éph', qui une coiffure afro aujourd'hui un peu vieillie mais symbole d'une époque où la présence d'un acteur noir dans le team vedette d'une série était devenue quasiment incontournable. C'est Clarence Williams III qui campe ici le personnage de Lincoln Hayes, « l'un des treize enfants d'une famille du quartier noir de Watts », écrit Jean-Jacques Jelot-Blanc8, « arrêté à la suite d'une révolte et qui se rachetait ainsi aux yeux de la loi, par des missions quasi suicidaires. » Comme L'Homme de fer, mais dans un style résolument plus « branché », La Nouvelle équipe s'intéresse à des faits de société et entend accompagner l'évolution des mentalités américaines, alors en pleine contestation. Le team vedette ratisse d'ailleurs très large, associant à l'enfant du ghetto noir un fils d'aristocrates et la fille d'une prostituée, préfigurant le cocktail détonant d'Amicalement Vôtre, le tout chaperonné par un policier chevronné. Présentée en 1971 sur la deuxième chaîne française, la série est ainsi décrite par François Julien : « Trois jeunes 'délinquants' arrêtés pour des délits mineurs (vol de voiture, émeute, vagabondage) sont en période de probation. Pour les en sortir, le capitaine Adam Greer leur propose de former une brigade spéciale chargée d'infiltrer la pègre californienne où leur look 'hippy' serait le meilleur des laissez-passer. Et les pseudo-babas de se transformer en taupes pour la police de Los Angeles... »9 Réactualisée en 1987 par Stephen J. Cannell sous le titre 21 Jump Street, la série s'inspirait encore une fois de l'expérience d'un authentique policier, Bud Ruskin, qui fit partie dans les années cinquante d'une équipe de jeunes officiers travaillant sous couverture pour le bureau des narcotiques de Los Angeles. Conçue pour accrocher le public jeune, susceptible de s'identifier facilement à ses vedettes hétéroclites, La Nouvelle équipe dura cinq ans et 124 épisodes. Bien plus tard, on retrouvera l'actrice Peggy Lipton, qui jouait Julie Barnes, dans la série-soap Twin Peaks, où elle sera Norma Jennings. Dernier détail notable : le générique de la série fut composé par le jazzman Earle Hagen, qui signera plus tard le thème musical de Mike Hammer, « Harlem Nocturne ».
Deux ans après l'arrêt de cette série novatrice, Spelling récidive en lançant un duo de flics eux aussi dans la mouvance pré-grunge de ces années-là. Portant pattes d'éph' et blousons, Starsky et Hutch débarquent le 30 avril 1975 sur ABC, avec laquelle Spelling et son complice Leonard Goldberg sont en partenariat. Le pilote, réalisé par Barry Shear, impose une esthétique humide et crasseuse proche de celle de Kojak et de Serpico, et pose comme il se doit les bases de la série. Huggy l'informateur, bien que présent, n'a pas encore l'importance qu'il prendra par la suite et le Capitaine Dobey n’a pas encore les traits de Bernie Hamilton : tous deux cependant vont bientôt multiplier par deux la part des acteurs noirs dans une série télé et acquérir une notoriété qui, en France au moins, perdure jusqu'à nos jours.
C'est William Blinn, plus tard à l'origine des concepts de Hunter (avec James Franciscus et Linda Evans, pas celui de 1984) et de Fame ainsi que de l'adaptation télé du Racines d'Alex Haley, qui définit les personnages des deux policiers. Le concept n'est pas si novateur, mais la Ford Torino 1974 de Starsky connaîtra une gloire inédite pour un véhicule de série télé, déclinée sous forme de posters et de jouets que s'arracheront les fans. C'est d'ailleurs sur elle que s'ouvre chaque épisode, introduit au début par une musique envoûtante de Lalo Schifrin (malheureusement remplacée en France par une chanson sirupeuse composée par Shuki Levy, mais que l'on pouvait encore entendre à la fin de certains épisodes de la première saison).
Starsky & Hutch avec David Soul, Paul Michael Glaser et Antonio Fargas
Déclinée en série régulière à partir de septembre 1975, Starsky et Hutch reprend l'aspect glauque de la Ville pour développer des histoires très vite jugées trop violentes. Les scénarii de la première saison, dus à des collaborateurs habitués aux séries, comme Fred Freiberger (producteur des Mystères de l'Ouest, honni des fans de Star Trek et de Cosmos 1999 qui l'accusent d'avoir poussé leurs séries fétiches à la cancellation, c'est-à-dire l'annulation), David P. Harmon ou Michael Fisher, et à de futurs producteurs de premier plan comme Michael Mann, qui signe trois épisodes, sont souvent de qualité mais eurent le malheur de heurter les associations de parents et de professeurs qui incriminèrent sa mauvaise influence sur le jeune public, attiré par le côté gadget de la Torino et le look très branché des deux policiers. Du coup, les producteurs furent sommés de montrer moins de violence et orientèrent les histoires vers plus de romantisme, ou de sentimentalisme, ce qui enleva à la série une part de son identité. Reconvertis en joyeux lurons engagés dans des histoires de culte vaudou, de sectes sataniques et de vampirisme, de plus en plus déguisés au fil des épisodes (en coiffeurs, en chauffeurs de taxis, en acteurs de western...), expédiés même sous des cieux plus ensoleillés dans l'épisode « Des créatures de rêve » ou en croisière dans « Une croisière mouvementée », les deux flics conservent leur dynasmisme mais perdent peu à peu leur crédibilité. Toujours distrayants mais moins intéressants, ils vivront tout de même pas loin de cent histoires différentes en quatre années d'existence, avant de tirer leur révérence, en partie à cause d'une sclérose scénarique, en partie aussi parce que les acteurs, Paul Michael Glaser surtout, finirent par se lasser de leur rôle.
N'en déplaise à ses détracteurs, Starsky et Hutch reste un programme agréable, et le tandem vedette influencera plus tard Deux flics à Miami, bien sûr, mais aussi des séries plus réalistes comme Cagney et Lacey, qui transpose au féminin le concept du duo. Anticonformistes comme Baretta, mais dotés d'une personnalité moins agressive, les détectives ouvriront aussi la voie à des séries plus fantaisistes comme Agence Tous Risques ou, dès 1976, les Drôles de Dames, où la série policière croise la série d'aventure dans un climat souvent proche de la bande dessinée.
Les flics en uniforme
Les héros de Section 4
Beaucoup moins connus en France que leurs collègues en civil, les flics en uniforme furent également une déclinaison très prisée du policier outre-Atlantique. La seule série significative du genre qui soit parvenue jusqu'à nos chaînes est sans doute Section 4, dont le titre original, S.W.A.T., signifie Special Weapons And Tactics et désigne les forces d'intervention de la police américaine, constituées de tireurs d'élite et de policiers endurcis. Présente aussi dans d'autres séries policières (notamment Hill Street Blues, où elle a pour chef le délicieux Hunter campé par James B. Sikking), cette unité spéciale est appelée pour des situations graves, terrorisme, prise d'otages ou fusillades. Produite par le tandem Spelling - Goldberg, toujours pour ABC, la série fut créée par Robert Hamner et développée par Rick Husky, futur producteur de T.J. Hooker ou encore Le Flic de Shanghai, et diffusée durant à peine deux saisons, entre 1975 et 1976 : comme Starsky et Hutch, elle fut prise d'assaut par la critique qui condamna sa violence, et s'interrompit au bout de 38 épisodes malgré un accueil plutôt encourageant de la part du public.
L'équipe du SWAT était dirigée par le lieutenant Dan 'Hondo' Harrelson, incarné par Steve Forrest, héros d'Alias le Baron produite en Angleterre en 1966 et futur Wes Parmalee de Dallas (saison 9). A ses côtés, le jeune Robert Urich, qui deviendrait plus tard le Dan Tanna de Vegas puis le Spenser de Spenser, James Coleman, Mark Shera et l'incontournable membre coloré du groupe, le sergent Dave 'Deacon' Kay joué par Rod Perry. Tous les cinq étaient des vétérans du Viêtnam, formés à la lutte en territoire ennemi et parachutés dans la jungle urbaine. De facture classique (à en juger par les quelques épisodes que diffusa jadis M6), la série empruntait aux autres productions Spelling leurs scénaristes (Michael Fisher, Fred Freiberger, Ben Masselink...) et leurs réalisateurs (Barry Shear, George McCowan, Sutton Roley entre autres), et était emmenée par un thème musical de Barry DeVorzon, qui signerait plus tard celui de Simon & Simon. Sans être aussi réaliste que Police Story, elle faisait également une place à la famille du personnage vedette, présente dans plusieurs épisodes.
Les deux autres programmes en uniforme qui ont marqué ces années-là sont inconnus chez nous. Le premier, Adam-12, fut lancé en 1968 comme une série dérivée de Dragnet, programme policier très conservateur et à vocation très réaliste produit et interprété par l'acteur-producteur Jack Webb dans deux séries, la première en 1951, la seconde en 1967. Adam-12 s'intéressait au quotidien de deux officiers du Los Angeles Police Department, le flic expérimenté, Peter J. Malloy, joué par Martin Milner, et la jeune tête brûlée fraîchement sortie de l'école de police, Jim Reed, à qui l'acteur Kent McCord, entrevu dans plusieurs épisodes de Dragnet, prêtait ses traits. Comme plus tard Les Rues de San Francisco, le concept joue sur l'opposition de deux générations et de deux personnalités différentes, l'impulsivité du jeune flic contrastant avec l'amertume et les désillusions de son aîné, marqué par la mort de son précédent coéquipier. Dès les premiers épisodes, Malloy est déterminé à protéger son nouveau partenaire et à le maintenir en vie. Se voulant très réaliste comme sa série-mère, Adam-12 s'attachait à rendre le travail de la police de manière aussi authentique que possible : une authenticité qui s'appliquait autant aux procédures qu'aux véhicules et aux lieux montrés dans la série, et jusqu'aux badges des policiers, que l'on disait prêtés par le véritable LAPD. Le titre lui-même reprend l'indicatif Adam qui désigne les patrouilles de deux policiers en voiture, et que l'on retrouvera dans CHiPs deux ans après l'arrêt du programme. Classée huitième au top des séries les plus regardées en 1971, Adam-12 fut soumise à rude concurrence puisqu'elle se vit opposer au fil des ans L'Homme qui valait trois milliards, Baretta, Starsky et Hutch ou encore S.W.A.T., avant de céder la place à Police Story et Police Woman, diffusées sur le même réseau, NBC. Elue meilleure série dramatique en 1970 et 1971, elle continue de susciter l'intérêt de nombreux fans et bénéficie d'un site internet très documenté (http:// www.adam-12.com).
Dernière des séries en uniforme de la première moitié des Seventies, The Rookies, elle aussi inédite en France, est une autre production Spelling, qui tentait de renouer avec le succès de La Nouvelle équipe. Littéralement Les Bleus, la série raconte les enquêtes et la vie de trois jeunes policiers placés sous les ordres du lieutenant Edward Ryker, dont la politique est qu'un policier ne doit pas user de la violence sauf en cas d'extrême nécessité. Comme dans toutes les séries de groupe, les protagonistes forment une équipe diversifiée : Willie Gillis est un jeune officier frais émoulu de l'école de police, Terry Webster un policier noir issu du ghetto (copie du Lincoln Hayes de La Nouvelle équipe) et Mike Danko, le plus âgé, un ancien membre de l'Air Force marié à une infirmière, Jill, à qui Kate Jackson prête ses traits avant, dès la fin de la série, de devenir Sabrina dans Drôles de Dames. Riche en action, ne négligeant pas, dit-on, l'aspect humain de ses personnages, The Rookies sera diffusée durant quatre saisons, de 1972 à 1976, sur ABC, et comptabilisera 91 épisodes, à l'instar de Sergent Anderson. Certains de ses acteurs, comme Kate Jackson et Georg Stanford Brown, feront ensuite une carrière remarquée, la première en passant des Drôles de Dames à Les Deux font la paire, le second en devenant un acteur-réalisateur apprécié, mari, à la ville, de l'actrice Tyne Daly (Lacey dans Cagney et Lacey).
Francis Llewellyn "Ponch" Poncherello (Erik Estrada), Jonathan "Jon" Baker (Larry Wilcox ) et le sergent Joseph Getraer (Robert Pine) dans CHiPS
Héritière de toutes ces séries tout en se distinguant par son thème, CHiPs est en revanche bien mieux connue dans nos contrées. Policiers en uniforme, Jon Baker et Frank Poncherello travaillent pour la patrouille des autoroutes californienne, la California Highway Patrol dont les initiales forment le titre de la série. Une fois de plus, c'est un ancien policier qui est à l'origine de ce concept original, héritier également d'une autre Highway Patrol diffusée entre 1955 et 1959, avec Broderick Crawford dans le rôle du Capitaine Dan Matthews. « J'en avais assez des séries policières violentes », déclarait le créateur-producteur Rick Rosner. « Je suis encore député-shérif de réserve à Los Angeles et je peux vous dire que 95 % des policiers ne se servent jamais de leurs armes en quarante ans de carrière. » Les deux policiers de la série sont donc avant tout des hommes et leurs aventures mettent en scène des gens ordinaires impliqués dans des situations dramatiques : accidents de la route, délits de fuite, verbalisations sont le lot quotidien des patrouilleurs de CHiPs, dont les meilleures armes sont la patience et la diplomatie. Armés, Jon et Ponch auront très peu d'occasions de sortir leur arme au cours des 139 épisodes de la série et passeront une partie de leur temps à plaisanter sur leurs engins vrombissants, entre deux interventions.
Série policière assez unique, CHiPs vaut aussi par son tandem vedette, même s'il régnait paraît-il sur le plateau une certaine mésentente qui finit par causer le départ de Larry Wilcox, alias Jon Baker, à la fin de la cinquième saison. Autour de Jon et Ponch, la série développe une galerie de personnages parfois pittoresques, comme l'enveloppé Grossie flanqué du filiforme Baricza, le sergent Getraer ou le mécano du Central, Harlan, un petit bonhomme frisé. Au fil des saisons, certains visages en remplaceront d'autres, et les femmes feront leur apparition au Central, d'abord Sindy Cahill puis Bonnie Clark. Le thème musical, composé par John Parker (auteur du thème de Cannon et de partitions pour Dallas), connaîtra lui aussi une certaine renommée, souvent repris aujourd'hui encore sur les compilations de génériques télé.
Comme Starsky et Hutch, CHiPs verra son concept évoluer au fil des saisons. Alors que les premiers épisodes développent plusieurs petites histoires reliées de manière plus ou moins lâche, très vite les scénaristes doteront chaque épisode d'une intrigue principale entrecoupée d'interventions plus ou moins dramatiques ou comiques. Dans l'un des épisodes, Jon et Ponch verbalisent Broderick Crawford, la vedette de Highway Patrol, rendant ainsi hommage à la série inspiratrice. Dans un autre, les deux policiers ont maille à partir avec l'impressionnant Rosey Grier dans le rôle d'un géant contrarié qui s'acharne à désosser sa vieille voiture sur la bande d'arrêt d'urgence d'une autoroute, ou portent secours à un gamin menacé d'électrocution. Plusieurs épisodes reprennent aussi le thème de l'accident monumental, prétexte à décrire le travail des experts en quête de la vérité et le mérite des sauveteurs qui risquent chaque jour leur vie pour sauver celle des autres ou réparer les erreurs d'automobilistes irresponsables. Avec le temps, les scenarii s'intéresseront aussi à des histoires plus criminelles, pas toujours du meilleur cru mais qui montrent une volonté de varier les intrigues, à la longue répétitives.
L'un des atouts majeurs du programme reste l'abondance des extérieurs, une grande partie des scènes se déroulant sur le réseau routier de Los Angeles ou sur le parking du CHP Central, et les prises de vues réalisées à l'aide de caméras spéciales fixées sur les motos. Comme Adam-12, CHiPs se veut en effet réaliste, tant dans la description du travail des policiers que dans le matériel utilisé : le Central de la série est le véritable quartier général de la Patrouille des Autoroutes, et celles-ci, bien sûr, sont aussi les vraies ! Le défaut de la formule, cependant, sera vite d'utiliser les histoires comme prétextes à des scènes spectaculaires, qu'il s'agisse de carambolages monstres ou de cascades périlleuses. A l'instar des deux flics de Starsky et Hutch, Jon et Ponch sont tenus de passer un certain temps sur leur moto dans chaque épisode, au détriment parfois de la crédibilité des histoires. Le réalisme des débuts fera ainsi place à un sensationnalisme parfois très éloigné des bonnes intentions de départ, même si les nombreux morceaux de bravoure de la série sont l'un de ses charmes.
Diffusée pour la première fois le dimanche après-midi sur Antenne 2 en septembre 1983 (mais pour huit épisodes seulement), la série sera ensuite reprise par la Cinq puis diffusée intégralement sur TF1 en 1988, cinq jours sur sept. Programme d'un type particulier, elle n'est guère retenue par la critique. Jacques Baudou en dit quelques mots dans Les séries télévisées américaines, notant simplement qu'elle obtint en 1977 « un franc succès public, sans véritablement mériter cet enthousiasme »10, et elle ne figure pas dans le Guide Totem des Séries télé de Christophe Petit et Martin Winckler, chez Larousse.
Peter Falk est le lieutenant Columbo
Les flics alternatifs des Mystery Movies de NBC
Plus largement reconnues par ladite critique sont d'autres séries d'un type légèrement différent. Diffusées dans le cadre du NBC Mystery Movie, elles se partageaient l'antenne d'une semaine sur l'autre sous forme d'épisodes de 75, 90 voire 120 minutes. Leurs titres : Columbo, Madigan, McMillan & wife, McCloud ou encore Tenafly. Leur particularité : elles étaient construites en général autour d'un acteur confirmé au talent reconnu ou reposaient entièrement sur un gimmick plus ou moins original.
Produite à partir de 1970 par Glen A. Larson, qui s'était fait un nom en produisant Opération vol avec Robert Wagner, McCloud est en fait la version télé du film de 1968 Un shérif à New York, où Don Siegel dirigeait Clint Eastwood, trois ans avant L'Inspecteur Harry. Comme dans le film, Dennis Weaver incarne un shérif « de la province », Sam McCloud, expédié à New York pour convoyer un témoin et qui sera ensuite affecté à la police de la « Grosse Pomme » afin d'apprendre les techniques d'investigation modernes. Comme plus tard Dempsey dans Mission casse-cou et Sammo Law dans Le Flic de Shanghai, le succès du personnage prolongera son séjour au-delà des quelques mois prévus au départ et McCloud restera finalement à l'antenne jusqu'en 1977, bouclant quelque 40 enquêtes où Dennis Weaver aura pour partenaires Terry Carter, le futur commandant en second de Galactica (une autre production Larson, en 1978), J.D. Cannon et Diana Muldaur (la femme de Gary Collins dans Vivre libre, une courte série se déroulant en Afrique et diffusée en 1974 sur le même réseau).
Puisqu'on en est aux flics cow-boys, citons en passant le Sam Cade produit par David Gerber en 1971-1972, avec Glenn Ford dans le rôle titre. Située à Madrid, une petite ville américaine, l'histoire est celle du shérif Sam Cade, qui résout les problèmes de ses paroissiens avec l'aide de son vieil assistant J. J. Pritchard et du jeune Arlo Pritchard : une aventure familiale à double titre puisque Glenn Ford y côtoyait aussi son propre fils Peter. L'acteur conservera d'ailleurs un excellent souvenir de la série : « on me demandait d'interpréter au petit écran le personnage que j'étais dans la vie, et en plus on me payait pour cela », dira-t-il 11. L'aventure ne dura pas plus de 24 épisodes sur CBS, mais méritait au moins d'être citée !
Pour prêter main forte à McCloud le mercredi soir, NBC eut l'idée de ressusciter deux autres policiers : le premier avait été le héros d'un téléfilm en 1968, le second celui d'un film de Don Siegel (encore lui) en 1968. L'un s'appelle Columbo, l'autre Madigan. Inutile de présenter Columbo, qui fait encore aujourd'hui les beaux soirs de TF1, l'acteur Peter Falk ayant repris son rôle fétiche douze ans après l'avoir abandonné, pour le réseau concurrent ABC. Imaginé par Richard Levinson et William Link, deux jeunes écrivains qui se sont rencontrés à l'université, l'inspecteur à l'imperméable et à l'oeil de verre doit sa célébrité au talent de Peter Falk, bien sûr, mais aussi à quelques gimmicks dont les moindres ne sont pas sa vieille Peugeot 403, son chien appelé... le Chien et la fameuse Mme Columbo dont on entend parler sans arrêt mais qui n'apparaît jamais (sauf dans une série dérivée qui ne dura que treize épisodes en 1979 et fut très vite débaptisée pour escamoter la parenté avec le célèbre lieutenant qui, réflexion faite, était très bien avec une femme invisible).
La genèse du personnage n'a pas été des plus simples. Au départ, il ne s'appelait pas Columbo mais Fisher et était le héros d'une nouvelle de Levinson et Link publiée dans le prestigieux Alfred Hitchcock's Mystery Magazine en mars 1960, sous le titre : « May I Come In ? » Puis il devint Columbo lorsque la chaîne NBC décida d'en faire une adaptation télé intitulée « Enough Rope », dans le cadre du Chevy Mystery Show. Il prit alors les traits de Bert Freed, un acteur aujourd'hui oublié (mais qu'on peut revoir dans de nombreuses séries, de Gunsmoke / Police des plaines à L'Homme qui tombe à pic en passant par Bonanza, Le Virginien, Cannon et Les Rues de San Francisco). Ce n'est que sept ans plus tard que les compères géniteurs essaieront de tourner une nouvelle version, proposant alors le rôle à l'acteur chanteur Bing Crosby (le père de Mary Crosby, la femme qui tira sur J.R.) puis au comédien Lee J. Cobb, avant d'arrêter le choix sur Peter Falk. Columbo prit alors ses traits définitifs et devint le héros du téléfilm Prescription Murder (en français : « Inculpé de meurtre »), diffusé le 20 février 1968 sur NBC. Il faudra encore trois ans pour que le personnage soit recyclé en héros de série afin d'être intégré à la soirée du NBC Mystery Movie, ce qui sera chose faite avec la diffusion le 1er mars 1971 d'un second pilote, « Rançon pour un mort » (Ransom for a Dead Man). Columbo est alors mise en chantier pour 45 épisodes jusqu'en 197712. En France, c'est ce second pilote qui présentera le personnage de l'inspecteur au cigare. Diffusé le 20 décembre 1972 sur la première chaîne de l'ORTF, il précède de cinq ans le téléfilm originel, celui-ci n'étant programmé par TF1 qu'en 1976, après une trentaine d'épisodes de la série. Sa dernière diffusion (à l'heure où nous rédigeons cet article) date du samedi 7 février 1998, lorsque TF1 célébra le trentième anniversaire de son policier fétiche à l'occasion d'une soirée spéciale.
Soutenue par le talent des acteurs invités et la participation de scénaristes et de réalisateurs reconnus, comme Steven Bochco, Jackson Gillis, Dean Hargrove, Stephen J. Cannell, Jonathan Demme et le jeune Steven Spielberg, Columbo repose avant tout sur l'affrontement du redoutable inspecteur et du criminel de chaque épisode : dès les vingt premières minutes, le nom du meurtrier est connu, et l'on sait comment il a procédé. L'enquêteur, lui, n'intervient qu'ensuite, et toute l'histoire se résume à la recherche de l'indice qui finira, immanquablement, par perdre le coupable : un fil oublié dans « Le spécialiste », un parapluie dans « S.O.S. Scotland Yard », une boîte de cigares dans « Accident », et bien d'autres trouvailles ! Entretemps, ce bon Columbo aura joué au chat et à la souris avec le meurtrier, distillant ses informations et tendant des pièges avec une science consommée qui ne sera jamais prise en défaut. Invariablement, l'histoire se termine par la confrontation du coupable et par son arrestation, à une exception près : à la fin de « La femme oubliée », diffusé le 14 septembre 1975, Columbo décide de laisser libre la criminelle, qui n'a déjà plus toute sa raison.
Autre flic à l'histoire un peu tarabiscotée, Madigan commence sa carrière en 1972 mais la termine beaucoup plus tôt que ses confrères du mercredi soir, puisque seuls six épisodes seront tournés. A l'origine, Madigan est un film de Don Siegel où Richard Widmark joue un policier qui est censé mourir à la fin de l'histoire. Pressenti pour supporter à son tour une série régulière, il est donc ramené d'outre-tombe et rendu aux rues sombres et humides de Manhattan par les producteurs Dean Hargrove et Roland Kibbee, également impliqués dans Columbo. Las ! Malgré des excursions à Londres, Naples et Lisbonne, le personnage n'est pas reconduit pour une deuxième saison et abandonne ses collègues à une carrière plus méritante !
Rock Hudson aura plus de chance que Richard Widmark en acceptant de prêter son nom et sa carrure au commissaire Stewart McMillan, résidant à San Francisco avec son épouse Sally et résolvant avec son aide précieuse une série de mystères policiers. Créée par Leonard B. Stern, McMillan & wife débute en 1971 et poursuivra son petit bonhomme de chemin jusqu'en 1977, bouclant au passage une quarantaine d'enquêtes, soit presque autant que son compère Columbo. La série, pourtant, n'a pas connu la gloire de sa voisine. Alliant comédie et intrigue policière, elle n'a jamais trouvé ce « truc » qui fait la différence et lui aurait permis de se hisser au-dessus d'un niveau moyen. En 1976, Susan Saint-James, jeune partenaire de Rock Hudson, abandonne la série et son époux de télévision, qui voit alors arriver un nouvel assistant en la personne du sergent Steve DiMaggio. Comme Pour l'amour du risque, que lanceront Spelling et Goldberg en 1979, McMillan a été rapprochée du couple d'enquêteurs formé par Nick et Nora Charles dans L'Introuvable de Dashiel Hammett, adapté au cinéma puis à la télévision sous forme d'une série dans les années quarante-cinquante.
Plus discrets mais flics aussi
Ce petit tour d'horizon ne serait pas complet sans quelques flics peu ou pas connus chez nous mais qui ont aussi leur place dans la grande famille des flics des Seventies. Barney Miller, diffusée de 1975 à 1982 sur ABC, est une sitcom policière qui suit dans leur travail les policiers du 12ème district de Los Angeles. Née de l'imagination de Danny Arnold et Theodore J. Flicker, elle devint, grâce à une écriture soignée et à des situations cocasses et très diversifiées, l'équivalent de MASH dans le genre policier13.
Produite par Leonard B. Stern (McMillan & wife) et Arne Sultan (Max la menace), Holmes et Yoyo était une parodie de L'Homme qui valait trois milliards et autres créatures bioniques (Jaimie, bien sûr, mais aussi le chien Max). Le policier Alexander Holmes y faisait équipe avec Yoyo Yoyonovitch... un robot, capable d'avaler n'importe quoi, d'imprimer un tirage couleur de tout ce qu'il voyait, de capter des ondes radio, etc. Seul problème : il avait toujours un dysfonctionnement au mauvais moment. Riche en plaisanteries loufoques, la série plut à pas mal d'enfants mais disparut au bout de treize épisodes, soumise à une concurrence trop rude. Elle mettait en vedette un acteur pittoresque révélé par Robert Altman dans la version cinéma de MASH, John Schuck, alias le sergent Enright dans McMillan & wife.
Il y en avait donc pour tous les goûts dans ces années soixante-dix ! Le flic à papa, bien dans son joli costume, le flic rajeuni, en jeans ou en tomate rouge et blanche, le flic mélancolique, amer, désabusé, le flic dynamique et gouailleur, le flic Madame, le vieux flic et le jeune flic, le flic en civil et le flic en uniforme, le flic en voiture et le flic à moto, le flic familial et le flic sitcom, bref : de tout ! Pour peu qu'une chaîne veuille en rediffuser quelques-uns, il y a encore là de quoi passer de bonnes heures de détente...
NOTES
1. M. Winckler in Les Séries télé, coll. "Guide Totem", Larousse, 1999, p.357.
2. V. Denize in Les grandes séries américaines des origines à 1970, Huitième Art, 1994, p. 174.
3. Lire les quelques lignes de J. Baudou sur la série dans Les séries télévisées américaines, op.cit., pp. 61-62, et l'opinion de R. Meyers dans TV Detectives, A.S. Barnes, San Diego, 1981.
4. J.-J. Schléret in Les grandes séries américaines des origines à 1970, op.cit., p. 37.
5. Déclaration tirée de Photoplay film monthly, 1974, citée par P. Setbon in Telly Savalas, Pac, 1978, p. 53.
6. David Buxton, De Bonanza à Miami Vice, Formes et idéologie dans les séries télévisées, Ed. de l'Espace Européen, 1991, pp. 158-165.
7. Cité par J. Baudou in Génération Séries, n°11, automne 1994, p. 46.
8. J.-J. Jelot-Blanc, Black Stars, Pac, 1985, p. 52.
9. F. Julien dans le livret d'accompagnement du CD Le Compact des séries américaines vol. 3, TV Records
10. J. Baudou, op.cit., p. 69.
11. Cité par J.-J. Jelot-Blanc dans Télé Feuilletons, Ramsay, 1993, p. 496.
12. Certaines de ces informations proviennent de l'article de Wilfrid Tiedtke, "Columbo : une énigme !", publié dans Ciné News
13. D'après John Javna et Max Allan Collins, The Best of Crime and Detective TV, Harmony Books, 1988, cité par J. Baudou in Les séries télévisées américaines, op.cit., p. 70.