par Abdessamed Sahali
collection "Idées reçues" 180, édition Le Cavalier Bleu, 2009, 9,50 €
En quatre mots : Indispensable, non. Utile, oui.
Les séries TV ont la cote, c’est peu de le dire. Au point que l’on peut soupçonner la critique dite sérieuse de les surestimer après les avoir ignorées ou pire : snobées. Voilà ce que l’on appelle une « idée reçue ». Vraie ou fausse, elle appelle en tout cas la discussion.
C’est justement le propos de la collection « Idées reçues » chez Le Cavalier Bleu, qui, après des titres comme Les Romains, Le Japon, La culture américaine et bien d’autres, confie à Abdessamed Sahali le soin de passer au crible de sa culture télé seize idées reçues sur Les séries TV. Après en avoir conté « Les 50 plus belles histoires » pour Timée-Editions (Séries Cultes : l’Autre Hollywood, 2007), Abdessamed Sahali revient donc aux séries télé pour, cette fois, étudier le phénomène de différents points de vue : économique, critique, sociologique, esthétique. Sahali, journaliste indépendant, n’est pas de ces signatures que l’on retrouve sur tous les supports lorsqu’il est question de séries ; et il possède, comme le signalait déjà son précédent opus, une qualité qui rend ses écrits intéressants à plus d’un titre : une culture qui dépasse le cadre de la télévision et englobe la pensée de journalistes et de sociologues n’appartenant pas en propre à la sphère de la « culture télé », formule elle aussi « à la mode » et qui possède – grossièrement – deux pôles significatifs : le professionnel et « incontournable » Alain Carrazé et les critiques amateurs du magazine Générique(s), dont l’un des desseins plus ou moins avoués est de « détrôner » le précédent (ah ! les journalistes !). C’est ainsi que Sahali invoque, à l’appui de ses propos, aussi bien Umberto Eco que Ségolène Royal, Ignacio Ramonet, directeur de publication du très sérieux Monde diplomatique jusqu’en 2000, que le Pr Michel Lejoyeux, auteur de Du plaisir à la dépendance, qui porte son regard (notamment) sur l’addiction aux séries télé. Ça n’a l’air de rien, bien sûr, mais les seules citations placées en exergue de chacun des chapitres de ces « Idées reçues » invitent à élargir le champ de la réflexion et illustrent la démarche même de l’auteur : penser les séries télé non du point de vue du fan, du critique ou du professionnel ès culture télé, mais d’un point de vue plus général.
Aussi tirera-t-on profit de la lecture de l’ouvrage, organisé en quatre parties comprenant chacune quatre chapitres (même s’ils ne sont pas appelés ainsi). Chacun de ces chapitres propose une idée reçue que l’auteur discute ensuite, soit pour la confirmer – exemples à l’appui –, soit pour l’infirmer, le plus souvent pour la nuancer en en explorant les différents angles d’approche. De « Les séries télé sont à la mode » à « La critique sérieuse surestime la qualité des séries télé », A. Sahali revisite des clichés (« Les séries américaines sont meilleures que les séries françaises », « Les séries télé, c’est toujours la même chose », « Les séries télé, c’est moins bien que le cinéma ») aussi bien que des tartes à la crème de la sociologie ou (surtout ?) de la politique (« Les séries télé nuisent à la jeunesse »).
Le but de l’ouvrage n’est pas de proposer aux connaisseurs une étude en profondeur des séries télé. Inutile d’y chercher une analyse fouillée de certaines séries, des citations d’auteurs, de producteurs, d’acteurs (elles sont rares). A. Sahali part de constats simples, largement répandus, et propose une mise en perspective accessible au grand public, à partir de la mise en question de ces idées reçues que chacun a entendu formuler au moins une fois. Ce faisant, l’auteur dresse plutôt un état des lieux. N’ayant pas pour but de convaincre, il invoque différentes manières de percevoir, d’appréhender, de juger les séries, et termine volontiers ses chapitres sur des questions plutôt que sur une réponse posée comme définitive. Les spécialistes et les amateurs éclairés n’apprendront sans doute pas grand-chose en lisant ce livre, auquel ils reprocheront justement de s’appuyer presque entièrement sur les idées des autres, sans que l’auteur se prononce lui-même, terminant volontiers ses chapitres par des questions sans chercher à poser de réponse définitive.
Pourtant, cet état des lieux ne se limite pas – c’est d’ailleurs l’objet d’une des idées reçues du livre – aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et à la France ; l’Inde, l’Afrique, l’Amérique du Sud sont également évoquées, ce qui est rarement le cas dans les magazines dédiés aux séries. Certes, le Canada, les pays scandinaves offrent des programmes que la presse aborde ponctuellement, mais l’Inde ou l’Egypte n’ont guère droit de cité ailleurs que dans les pages du Monde diplomatique ou du Monde tout court, et très sporadiquement, alors que leur production nationale est importante. Le livre d’A. Sahali ne s’aventure certes pas dans le détail de cette production ; mais il a le mérite de les mentionner à un moment où, justement, la presse commence à s’y intéresser.
D’idée reçue en idée reçue, on fait ainsi un tour de la question qui, n’excluant pas les faits souvent ignorés de la presse, permet de se faire une idée juste de la situation et de la perception des séries télé. Du passé à l’avenir, mais en laissant la plus large part au présent, A. Sahali se montre précis, informé et accessible à un large lectorat. Il apporte ainsi un éclairage sinon novateur du moins utile pour appréhender un paysage aujourd’hui omniprésent, en rupture avec le mépris ou l’indifférence suscité jusque dans les années 1990 par les séries télé. Deux chapitres abordent d’ailleurs des « idées reçues » très actuelles : la première concerne le téléchargement illégal, dont l’auteur met en perspective le phénomène, la seconde la grève des scénaristes, qui fait dire ou écrire à certains qu’elle a commencé de sonner le glas des séries au profit de programmes moins coûteux et plus gérables.
On sait gré à l’auteur, en parvenant au terme de son étude, d’avoir évité – même s’il en fait état – l’écueil de l’accusation de « sous-culture » qui a longtemps entouré les séries, pour se focaliser sur la réalité d’un marché qui, né d’une logique économique dont il reste indissociable, vise d’abord à concevoir des produits qui se vendent. De même – et l’on ajoute bien sûr mutatis mutandis – que Racine, Corneille et Molière écrivaient sur commande en suivant des règles strictes énoncées par leur temps, ou que Dickens, Balzac et Dumas s’adaptaient à la demande de leur public et au marché du feuilleton… qui payait à la ligne. Ce qui ne les a pas empêchés de survivre au glissement des siècles et de mériter le statut (envié) d’auteur.
Thierry Le Peut