Un article de Thierry LE PEUT
paru dans Arrêt sur Séries 5 (juin à août 2001, épuisé)
Les médecins sont à la mode à la fin du vingtième siècle. Glen Larson, qui développa la première mouture du privé Thomas Magnum, rempile donc pour CBS en créant ‘Holli’ Holliday, un médecin légiste d’Honolulu versé dans l’art de l’enquête criminelle. Si la série n’a pas tenu plus de six épisodes sur CBS, et guère plus de dix-neuf au total, elle n’en constitue pas moins l’un des passages obligés de notre petit parcours. Une halte certes courte mais pas inintéressante pour autant.
La petite histoire fait remonter à 1912 la création du Dr John Thorndyke, un séduisant praticien amateur d’enquêtes policières. Son créateur, l’écrivain Austin Freeman, serait aussi l’inventeur d’une formule que réutiliseront, bien plus tard, les scénaristes Richard Levinson et William Link, créateurs du lieutenant Columbo : dès les premières pages de L’os chantant, on sait tout du crime, y compris l’identité du meurtrier. Une bonne quinzaine d’années plus tard, le milieu médical est à nouveau sollicité dans le genre policier avec le personnage de Sarah Keate, une infirmière détective imaginée par Mignon Good Eberhart en 1930. Puis c’est au tour du Dr Hugh Westlake, en 1936, de mener l’enquête avec sa fille Dawn dans une petite ville de Nouvelle-Angleterre.
Peut-être Glen A. Larson, le producteur reconnu de séries aussi différentes que le westernien Alias Smith & Jones, le spatial Galactica et le comico-dynamique Homme qui tombe à pic, connaissait-il ces classiques : toujours est-il que lorsqu’en 1994 il décide de donner la vedette d’une série policière à une femme médecin légiste, il la prénomme Dawn (« aube » en anglais). Comme la série doit se dérouler sous le soleil généreux de Hawaii et plus précisément de Waikiki, plage ô combien touristique de l’île d’Oahu, le nom de Holliday (« vacances », à un « l » près) sera un complément idéal à ce prénom matutinal. Et comme une pointe d’insistance vaut mieux que pas du tout, la dame se verra surnommée « Holli », ce qui, en changeant un peu l’orthographe, signifie rien moins que « sainte » ou « généreuse ». Voilà posées les bases de One West Waikiki, qui en français deviendra simplement Waikiki Ouest.
La série est cependant à rapprocher d’une précédente production Larson, qui connut un joli succès de 1976 à 1982 : Quincy, M.E. (pour Medical Examiner, que nous traduisons par médecin légiste) mettait en scène le Dr Quincy, incarné par Jack Klugman, un légiste qui parvenait à résoudre les énigmes les plus épineuses soumises à la sagacité de ses compétences médicales. Créée avec Lou Shaw et Michael Sloan (qui signera plus tard le revival des Agents très spéciaux sous forme de téléfilm et sera à l’origine de la série Kung Fu : La Légende continue), Quincy, M.E. débuta dans le cadre du NBC Sunday Mystery Movie, bien longtemps avant qu’Urgences ne mette à l’honneur le milieu médical en primetime dominical dans nos contrées. La société ayant un peu évolué, le rôle vedette échoit cette fois à une femme, en qui CBS plaçait quelques espoirs, ayant déjà produit Hawaii Police d’Etat et Magnum qui avaient imposé le cadre hawaiien dans la série policière.
un zeste de romantisme
One West Waikiki a tout d’une oeuvre de commande. Larson y retrouve ses complices de Enquêtes à Palm Springs, une aventure éphémère datant de 1991. Stephen A. Miller et Gail Morgan Hickman à la production, Matthew DelGado à la musique, un couple séduisant devant la caméra, du soleil et des palmiers dans un cadre pastel : la recette fait aussi les beaux jours des Dessous de Palm Beach lancée, également en 1991, par le concurrent de toujours, Stephen J. Cannell. Larson joue cependant d’un atout maître en engageant Cheryl Ladd, ex-Drôle de Dame retirée d’Hollywood depuis quelques années mais qui fait ici son comeback dans une série, après avoir tourné presque uniquement des téléfilms. Agée maintenant de 42 ans (elle est née en juillet 1951), l’actrice n’a rien perdu de son charme et confère à son personnage un mélange de grâce, de légèreté et de détermination. Le propre mari de la comédienne, le compositeur écossais Brian Russell, collabore à la série en qualité de producteur associé. Habitué à co-signer lui-même les thèmes musicaux de ses productions, Larson cède d’ailleurs la place, cette fois, au sieur Russell, secondé par un artiste hawaiien.
Le générique est à l’image de la série : lent, plein de légèreté, imprégné de culture locale. En mettant en vedette un couple séduisant, One West Waikiki s’inscrit dans la lignée des comédies romantiques qui continuent de faire recette même si l’originalité des Clair de Lune et autres Remington Steele n’est plus que rarement au rendez-vous. Dès le téléfilm pilote, le Dr Dawn Holliday perd son fiancé (un officier de marine, comme le regretté Thomas Magnum, dont il partage d’ailleurs le prénom), ce qui laisse le champ libre au solide et élégant Lt Mack Wolfe, juste assez macho et horripilant pour ne pas taper immédiatement dans l’oeil de la belle. Leur relation, tout juste saupoudrée d’un zeste de marivaudage, est avant tout professionnelle mais l’aspect romantique de la série n’échappe à personne. Cette légèreté voulue se retrouve dans le développement des personnages. On en saura peu, finalement, sur leurs vies respectives. Le passé de ‘Holli’ est parfois évoqué, tout comme celui de Mack, mais d’une manière surtout fonctionnelle : dans « Les fleurs du mal », Holliday piste un criminel à qui elle a (peut-être) déjà eu affaire, dans « Les cinq magnifiques » Mack retrouve des amis de faculté. Ce dernier épisode peut être comparé avec « Contrainte », un segment de Magnum où Higgins retrouve des compères d’université auxquels il a menti sur sa vie des années durant. On mesurera ainsi la distance entre les caractères complexes de Magnum et la ligne plus simple choisie pour les héros de One West Waikiki.
La production un peu contrariée de la série n’a sans doute pas simplifié la tâche des scénaristes, mais on observe pourtant, d’épisode en épisode, une certaine évolution dans les relations des protagonistes. Peu à peu, ceux-ci en viennent à se connaître et si leurs rapports sont teintés d’ironie et de quelques grimaces, l’estime qu’ils se portent est très visible. Dans « Etat d’ivresse », Mack est prêt à tout, y compris à dissimuler des pièces à conviction, pour protéger sa partenaire des attaques de la justice. La plupart des épisodes se terminent sur une note de tendresse plus ou moins maquillée : dans « Le crâne révélateur », les deux acolytes partagent un barbecue, dans « Meurtre en musique » Mack donne un petit coup d’épaule à ‘Holli’ en lui murmurant doucement : « Vous êtes une brave fille », et ainsi de suite. Une scène de « Etat d’ivresse », déjà cité, montre aussi que leur relation comporte sa part de non-dits, lorsque Mack retrouve sa partenaire à la morgue et lui dit avec une pointe d’ironie : « A chaque fois que vous voulez vous détendre, vous passez ici disséquer un cadavre ou deux. »
un team classique, mais sympathique
Si les personnages ne sont pas extrêmement étoffés, ils parviennent pourtant à gagner notre sympathie. Dawn Holliday a un côté superwoman, comme le note ironiquement l’avocat de « Meurtre en musique » en entendant la description que lui en fait un autre médecin : « C’est une des meilleures. Elle est brillante, sûre d’elle-même, terre à terre [il faut sans doute comprendre : pragmatique, ndlr]... séduisante. » Certes redoutable, déterminée et parfois téméraire, elle n’en est pas moins vulnérable. Plusieurs fois on la trouve en situation difficile et elle ne doit sa survie qu’à l’intervention du Lt Wolfe qui joue les machos de service en secourant la belle en détresse. Fort heureusement, celle-ci peut à l’occasion lui rendre la pareille, entretenant un équilibre salutaire au sein d’un schéma très classique.
De son côté, le beau Lt Wolfe a tous les atouts d’un sex symbol. Sûr de lui, un brin moqueur, voire gouailleur, toujours bien habillé, il évoque une version solaire du Sonny Crockett de Miami Vice, sans le mal de vivre et la pesanteur un peu tragique du flic de Miami. Si l’insigne de police fixé à la ceinture évoque le policier relax des Dessous de Palm Beach (soleil oblige), il arbore aussi un attribut très mulderien : le téléphone qui ne quitte que rarement sa taille. Une oreillette très pratique lui épargne la peine de manipuler l’appareil, dont la sonnerie égrène la plupart des épisodes. Ça n’a l’air de rien mais le gadget ajoute au côté homme d’action, toujours disponible et prêt à foncer, qui fait une partie du charme du beau lieutenant. Danseur émérite à l’occasion (on s’en rend compte dans « Le crâne révélateur » où il rejoint le temps d’une exhibition un groupe de danseurs australiens type Chippendales), notre homme est un athlète accompli, ancien pilier d’une équipe de football universitaire. « Les cinq magnifiques » nous apprend qu’il a fréquenté une grande école malgré des origines modestes. Il en a gardé quelques amis à qui il n’a jamais avoué qu’il était devenu policier mais qui le découvriront par un concours de circonstances.
L’équipe constituée autour de ces deux personnages charismatiques n’aura malheureusement pas eu la chance de s’élever au-dessus du rôle ingrat de faire-valoir. Le capitaine Dave Herzog, parfois râleur mais finalement très bonne pâte, copain du Lt Wolfe plus que figure d’autorité, n’hésite pas à braver la fureur d’un procureur ambitieux (Joan Wiggans - ou Williams, selon les sources anglo-saxonnes) pour couvrir ses subordonnés. On le sait amateur de golf, un sport qu’il pratique avec Dawn Holliday dans « Allergique au golf » (le titre s’applique à Mack, qui n’en démontre pas moins sa grande dextérité en réalisant à la fin de l’épisode un coup fabuleux dont la belle Holli ne se remettra pas !), mais on ne connaît pas grand chose de sa vie privée.
Kimo, le spécialiste es informatique du laboratoire de la police, et Nui Shaw qui seconde Holliday au bureau du médecin légiste complètent un casting multiethnique et mixte, chacun apportant une touche de couleur locale. Homme à tout faire de Mack, Kimo accélère plus souvent qu’à son tour la résolution d’une affaire en mettant en lumière l’indice décisif. Quant à Nui, elle joue parfois les confidentes de sa patronne, dont elle suit avec intérêt la vie amoureuse (très calme...), et se signale par son dévouement et son professionnalisme. Rien de particulier donc, sinon un tandem stéréotypé - mais sympathique, ce qui confirme le côté « bien sous tout rapport » de la série dans son ensemble.
romance écourtée
Les histoires ne révolutionnent nullement, elles non plus, la fiction policière, mais elles sont suffisamment bien ficelées et rythmées pour maintenir l’intérêt. Tueurs en série, meurtre oublié qui remonte inopinément à la surface, scènes de prétoire, rivalités entre services, morts à la chaîne dans l’esprit des Agatha Christie, mise en danger des héros : les scénaristes utilisent toute la panoplie du parfait détective sans négliger les richesses du cadre. Le choix de Waikiki trahit la volonté d’une série résolument tournée vers la lumière, ce que confirme la touche glamour apportée par les tons pastel, les costumes impeccables et le maquillage lumineux de Cheryl Ladd. Si les détails de la procédure ne prennent jamais le pas sur le déroulement linéaire de l’intrigue, la production s’est tout de même adjoint les services de deux praticiens, le Dr Kanthi De Alwis, médecin légiste en chef d’Honolulu, et son confrère Peter Dean... de Londres ! De quoi éviter les trop grosses bévues et assurer au programme une caution respectable.
Las ! les dieux de l’audimat, peu sensibles aux charmes de la série, ont décidé de son annulation après seulement un pilote et cinq épisodes, diffusés d’août à septembre 1994 sur CBS. La production s’est poursuivie un an plus tard en syndication mais pour treize épisodes supplémentaires seulement. Le 25 mai 1996, le Dr Holliday et son chevalier servant ont fait leurs adieux au public. Il faut croire pourtant que la présence de Cheryl Ladd et de Glen Larson au générique a convaincu les chasseurs de tête de France 2 du potentiel du programme, puisque la série est apparue chez nous dès septembre 1995, alors qu’elle reprenait à peine de l’autre côté de l’Atlantique.
La belle n’est cependant pas le seul atout du casting de la série. One West Waikiki a également révélé un jeune acteur de trente-six ans (il est né le 30 juillet 1958) inconnu chez nous mais que les Américains avaient vu déjà dans les soaps Another World, As The World Turns et Des Jours et des Vies, entre 1986 et 1993. Richard Burgi, qui depuis a obtenu la consécration avec le rôle vedette de The Sentinel, est parfait dans le rôle de l’athlétique lieutenant au charme enfantin. On l’a revu récemment dans quatre épisodes de Viper, saison 1, dans le rôle d’un magnat du crime et les fans de Providence peuvent déjà guetter le quatorzième épisode de la deuxième saison de la série, intitulé « The Apartment » : il y est le Dr J.D. Scanlon. Parmi ses autres prestations, signalons un épisode de The Flash en 1991 (par les producteurs de Viper), un autre de La Loi est la Loi et quelques apparitions dans Madame est servie, Matlock, Seinfeld, Les Ailes du Bonheur, Action et tout récemment dans plusieurs épisodes de The District, l’une des nouvelles séries de CBS. Patience donc pour ses fans, déjà nombreux en France, son visage n’a pas fini de hanter la lucarne de nos errances cathodiques (qui c’est qu’a écrit ça ?!).
Glen Larson, quant à lui, n’a plus beaucoup fait parler de lui depuis l’arrêt de la série puisqu’on ne le retrouve guère qu’au générique de Team Knight Rider, une série « jeuniste » inspirée du populaire K2000. Mais à plus de soixante ans et quelque vingt-deux séries dont la plupart ont été soit des hits soit des séries vaguement cultes (Buck Rogers au 25è siècle, par exemple), il a bien mérité sa retraite, qu’il partage d’ailleurs avec son alter ego des Eighties vrombissantes, le sieur Stephen J. Cannell.