Un article de Thierry Le Peut paru dans Arrêt sur Séries 9 (épuisé)
« Police District est une chronique au jour le jour, sans concession ni complaisance, d’un groupe de jeunes policiers dans le contexte difficile d’un commissariat de quartier. »
C’est ainsi que M6 présentait sa nouvelle série policière « innovante » lors de sa première diffusion en septembre 2000. Le travail et les problèmes personnels de l’équipe du Commandant Rivière, un vieux routier de l’Usine, dans un commissariat de la région parisienne. Après P.J. sur France 2, la chaîne privée s’attaquait au relifting du polar « à la française », avec deux atouts dans sa manche : l’auteur Hugues Pagan, ex-flic et écrivain de polars au ton désabusé, et le comédien Olivier Marchal, lui-même flic passé à la comédie, à l’écriture et récemment à la réalisation.
« Ce qui gave dans le feuilleton français, c’est la pseudo-compassion, le syndrome de L’Instit. » Dixit Hugues Pagan, auteur de plusieurs romans policiers dont La mort est une voiture solitaire et Dernière station avant l’autoroute, parus aux éditions Rivages. « Mais en réalité, les pompiers, les flics ou les gens des urgences ne sont pas compatissants. »1 Lorsque Claude Chelli, directeur général adjoint de Capa Drama, vient le trouver pour lui proposer de travailler ensemble, Pagan expose donc ses idées sur une fiction policière allant à contrecourant de cette influence lénifiante, à l’image de ses propres fictions littéraires, où les flics sont fatigués, désabusés voire cyniques, en tout cas loin de cette compassion de façade que le bonhomme reproche à la télévision. L’écrivain souhaite donner vie à des personnages qui ne seront ni des modèles ni des photocopies de flics déjà vus. « Le vrai boulot, c’est de faire en sorte que les personnages existent avant toute chose et sans donner l’impression si possible qu’ils sortent du cerveau fertile d’un scénariste du VIè, VIIIè ou XIIIè arrondissements de Paris. » C’est dans son expérience de flic que Pagan puise l’inspiration pour dessiner les protagonistes de la série. Rivière, son patron de commissariat, n’est pas sans ressemblance avec certains de ses flics de roman et l’acteur Olivier Marchal, lui-même ancien flic, sera tellement frappé par les dialogues qu’il décrochera son téléphone pour contacter la production. « Parce que j’ai immédiatement pensé que, si j’étais resté dans la police, c’est à lui que j’aurais ressemblé : le mec au placard qui en a pris plein la gueule, désabusé, qui traîne son blues et ses problèmes avec son ex-femme... »2 C’est ce réalisme, commandé par Capa Drama et M6, laquelle fondera la promotion de la série sur cet argument, qui fait la différence de Police District, loin du ton bon enfant qu’avaient choisi les producteurs de P.J. pour France 2. « Dans notre commissariat », dit encore Marchal, « ça picole, les flics ont les cheveux gras, ils ne portent pas de manteaux à 800 sacs et ne roulent pas dans des superbagnoles. »
Sordide, glauque, parfois carrément terrifiante, la réalité de Police District saute aux yeux dès le prégénérique du premier épisode, « Zone occupée ». Un « saute-dessus » de la BAC (Brigade Anti-Criminalité) tourne au règlement de comptes lorsque l’un des policiers envoie l’un des jeunes délinquants manger le trottoir tandis que ses collègues lancés à la poursuite du complice sont pris pour cibles par un tireur mystérieux armé d’un Uzi. Dérapage ? Sans aucun doute, et deux boeuf-carottes de l’IGS (Inspection Générale des Services) sont dépêchés pour faire la lumière sur ce qu’un témoin décrit déjà comme une bavure, d’autant que le délinquant tabassé par le flic trop zélé ne tarde pas à mourir à l’hôpital. Au-delà de la bavure, pourtant, le scénario stigmatise la dépression du flic et l’attitude ambiguë de sa hiérarchie : montré comme un mauvais flic, honni par les siens et lâché par tous, le flic se suicide dans son garage. Pointe ultime de faux cynisme : connaissant les dégâts de la chevrotine sur un visage, il a pris soin avant de se faire sauter la tête de la recouvrir d’un sac plastique.
Une « réalité crue »
Premier dérapage en forme d’exemple. Pas besoin d’être grand clerc pour saisir dans le monde décrit par la série les raisons de cette dépression, qui guette les protagonistes à chaque épisode. Et pourtant, précise Pagan, « la vérité des commissariats est encore plus glauque, plus triste et, surtout, plus désespérée. »3 Pas question pour le scénariste de masquer une réalité qui finit forcément par déteindre sur les flics et par les ronger de l’intérieur. La police, dit-il encore, « je la montre telle qu’elle est et non pas telle qu’elle devrait être. » Même son de cloche chez Marchal, le comédien, qui a ressenti le même désarroi que le flic de « Zone occupée ». « Les crimes de sang, c’est dégueulasse. Pour une belle affaire par an, tu te tapes des dizaines d’histoires sordides : des bagarres d’ivrognes qui finissent mal, des vies de famille à vomir, des infanticides. C’est très perturbant. Et quand tu mets en garde à vue un mec qui a tué sa femme, tu te retrouves inévitablement face à tes propres démons. Les dix premières heures, tu as en face de toi un zombie et puis, au bout de vingt-quatre heures maximum, le gars réalise ce qu’il a fait. Il explique sa vie et tu comprends qu’il ait pété un plomb : tu te demandes comment toi, dans la même situation, tu aurais réagi. Et tu ne dors plus. Tu te sens de plus en plus désemparé. A cran, tu deviens agressif. »4
Des propos auxquels font écho tous les épisodes de la série. « Etat de démence » montre ainsi un père de famille lambda, ni plus ni moins qu’un autre prédisposé à devenir un fou furieux, prenant en otages sa femme et ses deux gosses parce qu’il n’en peut plus : sa vie, lui aussi la raconte aux flics venus l’arrêter. Vingt ans d’économies pour se payer une maison, un chantier abandonné après la faillite de l’entrepreneur, la banque qui ne veut rien entendre et c’est la crise. L’explosion. L’épreuve ne fait pourtant que commencer : arrêté, le bon père fait l’expérience de la prison, à commencer par l’humiliation de la garde à vue, dont le premier acte est la mise à nu intégrale en présence d’un policier.
Comme Homicide avait son Bocal, Police District a ses « geôles ». C’est dans une pièce ressemblant à un débarras, humide, mal éclairée, au fond d’un couloir étroit, qu’a lieu l’humiliation préliminaire de la garde à vue. C’est là aussi que sévit Norbert, l’un des jeunes flics du commissariat, souvent à la limite de la légalité. Il n’hésite pas à frapper un peu fort sur les suspects, que ceux-ci aient quelque chose à se reprocher ou non, comme cet amant homosexuel qui refuse de se dévêtir, dans « Affaire vous concernant ». « La garde à vue est une zone de non-droit qui vous remet pieds et poings liés entre les mains d’un officier de police judiciaire sur lequel ne s’exerce dans les faits aucune espèce de vrai contrôle, bien qu’ils soient prévus dans la loi ». Ces mots sont de Hugues Pagan, dans son roman Tarif de groupe, et résument parfaitement le climat ambigu dans lequel se passent ces confrontations dans la série. Les autres policiers ferment volontiers les yeux sur les « dérapages » de Norbert, feignant de ne pas les voir même lorsqu’il déclare naïvement, surpris à secouer un peu fort un suspect : « Il a perdu ses lentilles de contact... »
C’est aussi ce qui fait la différence de Police District, et son côté angoissant. C’est tout le commissariat qui apparaît comme une zone de non-droit, tant y règne une tension quasi palpable, prête à exploser et, surtout, à se retourner contre nous. La caméra accentue cette impression en ne filmant jamais intégralement l’endroit. On connaît vite le bureau de Rivière, l’entrée du commissariat, les bureaux exigus des inspecteurs, où sont enregistrées les plaintes et cuisinés certains suspects, celui de Frane et de Sandrine où ont lieu d’autres confrontations, la salle de repos aussi, avec cet immense poster de New York, les cellules, situées au sous-sol, comme la « salle des humiliations » (appelons-la ainsi...). Mais on circule dans tout ce décor par déplacements hachés, discontinus. Même lorsque la caméra précède Sandrine accompagnant la famille de Bernard Lemoine, dans « Etat de démence », on garde l’impression d’un long couloir, une sorte de coupe-gorge, qui stigmatise l’exiguïté du lieu. La fréquence des gros plans, l’instabilité des cadrages achèvent de faire du commissariat un lieu de fragilité et d’incertitude où se croisent victimes et criminels, les policiers occupant constamment la ligne ténue qui sépare les uns des autres.
Lorsque les flics sortent du commissariat, qu’ils « montent », dans le langage de l’Usine, les lieux qu’ils visitent n’ont rien à envier à ce commissariat sombre et triste. Cages d’escaliers poisseuses, garages souterrains plongés dans la pénombre, entrepôts délabrés, immeubles décrépits sont les séjours privilégiés du crime ordinaire, acoquiné avec la misère crasse. La population ? Prostituées, toxicos, immigrés plus ou moins bien intégrés et criminels plus ou moins dangereux, entre lesquels les flics de Rivière évoluent avec l’aisance des habitués, même s’ils ne sont pas encore totalement blindés, et certains moins que d’autres.
Et au milieu cool, le Rivière
De Rivière à Dino, le « bleu » qui aligne les maladresses, les personnages nous sont donnés par touches successives. La série les donne à voir avant toute chose, livrant au hasard des situations, planques, confidences ou altercations, quelques éléments d’information qui permettent de les cerner un peu mieux. Ni tout blancs ni tout noirs, beaucoup échappent en définitive à un jugement moral : un instant on les sent capables du pire, l’instant d’après on les prend en flagrant délit de compassion.
Le chef, c’est Rivière. Pierre Rivière. La quarantaine bien avancée, le cheveu gras, la barbe sèche, Rivière a travaillé à la Criminelle avant de se retrouver à la tête de ce commissariat, pour une raison qu’on ignore. Taciturne, colérique pourtant, il masque sa sensibilité derrière une façade difficile à entamer. Tranchant, il refuse à la jeune Julie un moment de récupération sous prétexte qu’elle se fait un drame d’une nuit calamiteuse, mais il s’inquiète pour ses subordonnés partis « taper ». Il traite Norbert de « connard » et le sort de son bureau à coups de « me casse pas les couilles ! », mais lorsque le jeune flic est repéré par l’IGS il le prend dans ses bras en l’appelant « mon Nono ». Prudent, il se garde de juger trop vite, tout en assurant Frane que si l’un de ses flics est convaincu de malhonnêteté il ne lui passera rien. Dès le premier épisode, on apprend que cet homme apparemment blasé a raté sa vie personnelle : sa femme, procureur, semble le détester cordialement et son fils, toxico, n’attend de lui rien d’autre qu’une aide... financière, quand il a besoin de poudre. Sa paternité manquée, c’est un peu au commissariat qu’il la retrouve. Et peu à peu il baisse sa garde pour ouvrir à Frane un passage vers son coeur blessé. Le chef acariâtre se montre alors un amoureux maladroit, souriant avec innocence et embarras pour remplacer les mots qu’il ne sait pas trouver. « Un bon flic, qui ne tarderait pas à faire un homme triste », pour citer Pagan lui-même, dans une page de Tarif de groupe, mais un bon flic qui trouve encore l’énergie de ne pas sombrer dans le cynisme.
Au-dessous de Rivière, il y a Frane. Françoise Morvan pour l’Etat-civil, mais personne ne l’appelle plus ainsi. Elle aussi a recours au masque pour dissimuler sa fragilité. Elle rompt avec son ami François qui ne supporte plus sa dévotion à son travail, mais ce n’est qu’à son père malade, dans « Classé sans suite », qu’elle avoue en avoir souffert. Pour tromper la solitude, elle passe une nuit en compagnie d’un gardien de la paix, pour déclarer le lendemain, de retour au commissariat : « Pour les autres, il ne s’est rien passé. » Si elle a le blues, elle refuse d’en parler et mord la main qu’on lui tend. Ce n’est, encore une fois, que sur les genoux de son vieux père qu’elle laisse couler les larmes. Encore est-ce en partie par tristesse devant l’état de fragilité mentale dans laquelle se trouve cet homme qu’elle voit toujours, dans ses souvenirs, comme un bel officier en uniforme, « un vrai dieu viking ». Sa seule famille, puisque sa mère, de vingt ans plus jeune que lui, les a quittés très tôt. La solitude de Frane n’est pas qu’affective, elle est identitaire : même son père, quand elle lui parle de son travail, lui recommande, certes un peu embrumé, de « garder sa place », comme si cette place n’était pas parmi les flics, ces loups au coeur desséché. Rien d’étonnant finalement à ce qu’elle cherche réconfort auprès de Rivière, un coeur blessé comme elle, aussi avare de belles paroles.
Nono est aussi « limite » que Frane est intègre. Tous les deux ne s’apprécient pas beaucoup, d’ailleurs. « Frane peut pas me blairer », déclare-t-il dans « Zone occupée ». « Mais c’est pas grave, je peux pas l’encadrer non plus. » Norbert Rabier, après un passage par les stups où il a bossé deux ans en sous-marin, a atterri dans ce commissariat où il applique les principes simples mais pas toujours honnêtes qui lui ont permis de tenir durant douze années d’Usine. Il ne se cache pas de fermer les yeux sur certaines choses en échange de quelques services. Un ou deux magnétoscopes, par exemple. Il connaît les receleurs, les dealers, les petites frappes et les gros morceaux. Comme eux, il fonctionne le plus souvent à l’instinct, réagissant parfois comme un animal traqué. Au début de « La loi du quartier », il se sert à l’étalage d’un marchand de primeurs, un Tunisien avec qui il se bat avant de sortir sa plaque de police et de le convoquer au commissariat. Là, il lui paie une partie de baby foot et tout est oublié. C’est l’instinct de la rue, qui le place à la lisière, sur le fil du rasoir. A frapper trop fort sur les prévenus et à entretenir des accointances douteuses avec la rue, Nono s’expose au retour de bâton. « Fais attention », lui souffle son ex, dont il a eu deux filles (car le jeune loup est aussi père de famille). « Il se pourrait qu’un jour ça explose... »
Sandrine, elle, n’a pas cette ambiguïté. Sa bio officielle, distribuée par M6, nous apprend qu’elle est devenue flic en marchant dans les traces de papa. C’est surtout une femme qui ne parvient pas aussi bien que Frane à tenir la misère à l’écart. Elle n’est pas infaillible, elle le sait, elle n’essaie pas de l’être. Elle peut désobéir, comme lorsqu’elle se lance impulsivement à l’intérieur de l’appartement où Bernard Lemoine tient sa famille sous la menace d’un fusil, mais dans l’ensemble elle fait consciencieusement son boulot et rentre chez elle fatiguée, écoeurée, ayant besoin d’une nuit de sommeil pour trouver la force de voir le jour suivant. C’est presque par hasard qu’on apprend qu’elle est enceinte : « C’est un accident », dit-elle, redoutant d’en parler à son petit ami Igor de peur de le voir fuir.
Willy, le petit Willy, est l’outsider du groupe. Encore naïf mais déjà endurci, il semble être l’élément stable de l’équipe et il faudra attendre la deuxième saison pour découvrir en lui une violence contenue. D’origine arabe, William Forest a épousé une européenne dont il a eu une fille, toute jeune encore. Il a quelque mal à concilier boulot et vie de famille, ce qui laisse présager de futurs troubles dans le couple, mais pour l’instant tout semble aller tranquillement. « Justice de merde, témoins de merde, que de la merde ! », laisse-t-il échapper dans « Affaire vous concernant », mais c’est plus une formule faite pour meubler le silence qu’un aveu de lassitude devant le système. Il est ainsi fait, Willy, qu’on ne le sent pas vraiment fragilisé dans cette première saison, mais plutôt facteur de conciliation et d’apaisement.
Restent les bleus, vrais de vrais, Dino et Julie. Le premier semble tombé au milieu des fauves un peu par hasard. S’il accompagne ses collègues sur le terrain à l’occasion, on sent bien qu’il n’a pas encore leur dureté. C’est souvent lui qui enregistre les plaintes, qu’il s’agisse de celle d’un vieillard un peu dérangé qui accuse son voisin de tuer ses spermatozoïdes au moyen d’une machine diabolique, ou de celles, plus sérieuses, qui donneront suite à une enquête. Sa naïveté le conduit à prendre au pied de la lettre tout ce qu’on lui dit, sa maladresse lui vaut les remarques acerbes de ses collègues, mais au fond on l’aime bien, même s’il est un peu lent à la détente. L’essentiel, c’est qu’il veut bien faire et que, bon an mal an, le métier entre petit à petit.
Quant à Julie, décrite dans la « bible » comme « le rayon de soleil de l’équipe », elle est encore effacée mais son caractère doit s’affirmer au fil des épisodes. Comme Dino, elle n’a pas encore assez de bouteille pour supporter sans broncher la vue d’un cadavre et ne sait pas masquer son désarroi derrière des paroles dures et désabusées. Son inexpérience, sa volonté de bien faire agacent parfois Frane, qui lui jette froidement dans « Classé sans suite », alors qu’elle veut l’accompagner pour une autopsie : « Vous voulez prouver quoi ? Que vous en avez ? C’est bien, vous en avez. Mais tout le monde en a. » Avant d’ajouter un commentaire bref censé décourager toute velléité de réponse : « Il vaut mieux avoir le ventre plein quand on va faire une autopsie. Quitte à gerber quelque chose, autant que ce soit quelque chose de solide. »
Pour être complet, il faudrait ajouter Pascale, une femme énergique qui a son franc-parler et qui dirige l’équipe de gardiens de la paix attachée au commissariat. Elle, c’est dans la rue qu’elle passe ses journées, et les raisons qui font craquer un de ses gars, elle est aux premières loges pour les comprendre. Aussi n’hésite-t-elle pas à dire sa façon de penser à Rivière quand il lui demande des comptes. La paperasse n’est pas son fort, elle préfère l’action, immédiate, franche, sans fioritures. On saura peu de choses d’elle au cours de la première saison, sinon qu’avant l’arrivée de Frane c’est elle qui occupait la place laissée vacante dans la vie de Rivière. Une simple histoire de cul, pas vraiment de sentiments.
Homicide à la française
Pour nous faire entrer de plain pied dans cet univers noir, Hugues Pagan a choisi un regard extérieur, un regard de novice. En l’occurrence, Claire Besson, une jeune magistrate stagiaire curieuse de voir « de près » comment fonctionne un service de police. Blonde, mignonne, BCBG, la stagiaire jure dans le décor du commissariat, où d’ailleurs elle est accueillie froidement par Frane. Curieux lui aussi de gratter sous la surface trop lisse, Nono ne résistera pas à la tentation de draguer la nouvelle venue, moins coincée qu’il n’y paraît. Il n’aura pas trop d’efforts à faire, même si leur relation n’est pas promise à un grand avenir. Après la brutalité du prégénérique in medias res, l’arrivée de Claire permet au téléspectateur d’entrer plus doucement dans la série. Innocente, elle pose des questions dont les réponses nous sont destinées. Elle s’étonne, aussi, de la conduite « nerveuse » de Frane les emmenant sur le lieu de la « bavure ». « Et encore, aujourd’hui elle est calme, alors allez pas nous l’énerver », répond, serein, Willy le pacifique.
Ce choix purement scénaristique permet de négocier en douceur le premier contact avec Police District mais très vite on apprend à se repérer, à suivre à défaut de pouvoir juger. Car tous les personnages échappent au jugement moral (si tant est qu’on soit là pour en donner un). Tous ont leurs bons et leurs mauvais jours, leurs facettes multiples qui remettent en question ce que l’on croyait connaître. Ils sont ainsi pour nous et pour eux-mêmes. Frane croit connaître Nono et il la surprend encore. Il ne peut pas la blairer mais ils s’embrassent presque après une violente altercation. Parce qu’une bonne bagarre remet les choses au clair, « comme une bonne bourre ».
Police District est une sorte d’Homicide hexagonal. Le générique d’ailleurs, tant la musique que l’image, faite de clairs-obscurs, de flashes et de surimpressions, dissipe les doutes que l’on pourrait avoir. Comme son inspirateur américain, Police District offre un point de vue sur un univers que l’on croit connaître, qui existe là à quelques pas, dans nos villes, et nous propose de devenir les témoins de ce qui s’y passe. Il ne s’agit pas de présenter les flics comme des héros modernes. Ils ne le sont pas. Les scénarii ne contiennent pas de morales, libre à chacun d’en tirer une. Les histoires ne sont pas toujours résolues, les salauds s’en tirent parfois, ce sont les pauvres types qui trinquent. D’ailleurs la frontière est incertaine. Tel que l’on prendrait pour un glorieux vétéran est en fait une ordure suffisante, glorifiant un crime raciste commis en pleine guerre d’Algérie. Tel autre qui donne toutes les apparences d’un père de famille un peu paumé cache finalement un tueur irresponsable. Tel autre, enfin, mitraille la police et dort dans un vieux bunker parce qu’il n’a nulle part où aller, lui qui s’est engagé en Bosnie parce que « c’était ça ou le chômdu » et qui en est revenu blessé, paumé, espérant simplement retrouver sa petite fille et fonder une famille.
Plus qu’un décalque, la série sait trouver son propre créneau et fait mouche. On s’attache aux personnages, même si on ne prétend pas les comprendre. Du moins saisit-on ce qui, dans leur travail, peut amener un homme, une femme à craquer ou à se durcir. « A priori je n’aimais pas les flics », dira Francis Renaud, alias Nono. « Maintenant je les respecte : tout le monde les rejette, alors qu’ils sont au taf 24 heures sur 24 et que c’est terrible... »5
Sur un plan formel, chaque épisode propose deux enquêtes dissociées menées en parallèle, l’une prenant en général le pas sur l’autre. Surtout, chaque histoire ménage des moments d’intimité et d’échange qui permettent aux personnages de se développer. D’un segment à l’autre, la vie privée des protagonistes est déclinée en « arc », la fin de la saison laissant ouvertes plusieurs pistes pour la deuxième livraison, programmée par M6 quelques mois plus tard, en juin 2001. La liaison de Frane et Rivière, le sort de Nono comme celui du bébé de Sandrine restent en suspens et l’on attend la conclusion avec intérêt. La réalisation d’Olivier Chavarot, que l’on a dite parfois trop décousue, est en tout cas plus accessible que celle du Lycée, autre feuilleton made in M6 qui prit la suite de Police District le mercredi 27 septembre 2000. Si Hugues Pagan semble émettre des réserves sur ce que la production a fait de son travail (voir Synopsis n°10, note 1), la critique a reconnu en cette nouveauté une série digne qu’on s’y arrête. Ce que l’on vous encouragera à faire en guise de conclusion, et en attendant qu’on puisse vous parler de la suite, déjà diffusée.
Notes
1. in Synopsis n°10, novembre-décembre 2000, pp. 30 à 33.
2. in Télé Star n°1249, du 9 au 15 septembre 2000, p. 91.
3. Cité dans Télérama n°2643, du 9 au 15 septembre 2000, p. 143.
4. Ibid., p. 100.
5. in Télé Star n°1289, du 16 au 22 juin 2001, p. 87.