Un article de Thierry LE PEUT

paru dans Arrêt sur Séries 33 (printemps 2009) 

 

« Dans le futur, mon fils mènera l’humanité en guerre contre SkyNet, un système informatique programmé pour détruire la planète. Des machines ont été envoyées à travers le temps, certaines pour le tuer, une pour le protéger. Aujourd’hui nous nous battons pour empêcher à tout jamais la création de SkyNet, pour changer notre avenir, pour changer sa destinée. La guerre pour sauver l’humanité commence maintenant. »

Introduction (par la voix de Sarah Connor) de chaque épisode

 

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Passons sur le buzz qui a précédé l’arrivée de Terminator : The Sarah Connor Chronicles sur le network Fox aux Etats-Unis – et sur TF1 en France, qui a préféré la diffuser sur TMC avant de lui trouver un créneau dans sa propre grille (ce qui_ n’est pas encore fait au moment où nous écrivons). Et venons-en directement à la série elle-même, ou pour mieux dire à sa première saison. 

Le concept de la série était, d’entrée de jeu, assez périlleux. Le succès de la franchise Terminator au cinéma, confirmé par la promesse d’une nouvelle trilogie dès 2009, repose sur l’attrait du thème – l’humanité promise à la destruction par la machine mais susceptible d’être sauvée en agissant sur le passé – mais aussi sur l’abondance des cascades et la réussite des effets spéciaux inhérents aux trois films, les deux premiers de James Cameron et le troisième de Jonathan Mostow. Or, si le thème peut rester inchangé, le budget d’une série télévisée ne peut rivaliser avec la débauche de moyens mise en œuvre dans les deux derniers films. Certes, Cameron lui-même avait démontré avec le pilote de Dark Angel qu’il était possible de « donner de la gueule » à une série pour la télévision ; mais la suite de Dark Angel avait dû revoir à la baisse les ambitions du pilote pour entrer dans le cadre plus modeste de la production en série. Et Cameron, de toute façon, n’allait pas réaliser le pilote de Terminator. C’est David Nutter, passé maître dans l’exercice, qui allait s’y coller. Et avec des moyens sans commune mesure avec le pilote de Dark Angel. Inutile donc de songer à des images d’apocalypse et à de multiples animations de squelettes robotiques. 

Le premier épisode de la série présente donc ces scènes – morceaux obligés, comme plus tard le ciel bleu sombre de la Terre dévastée du futur parcouru par des machines volantes projetant des lasers sur les résistants humains – mais avec parcimonie. Si l’on voit effectivement un « endosquelette » en mouvement, on verra surtout des acteurs dont la peau déchirée laisse voir des morceaux d’acier, et quelques yeux rouges ou bleus. L’effet le plus utilisé est finalement celui de la vision d’un cyborg, avec incrustation de directives. L’acte final de l’épisode offre en outre l’animation de la désormais fameuse « bulle temporelle » dans laquelle se déplacent les voyageurs du temps, et qui se matérialise au milieu d’une tempête d’éclairs. Effets spéciaux visuels parfois impressionnants mais reposant sur des techniques simples, peu coûteuses, notamment des effets de maquillage. L’esprit de Terminator reste donc présent, mais dans des limites très raisonnables question budget. 

Il en est de même des scènes d’action. Les cascades sont bien là, et certaines conçues de toute évidence pour rappeler les films de la franchise. Ainsi de la course à moto dans l’épisode 1.02, de l’évasion de Derek Reese et de la poursuite sur route dans l’épisode 1.05. Ces scènes représentent des morceaux de bravoure qui donnent de l’éclat à la série. On leur ajoutera les incursions dans le futur de l’épisode 1.06, avec justement les machines volantes, la vision d’une mégalopole dévastée et les combats dans les ruines. Quelques murs pulvérisés aussi, spécialement pendant les quelques combats cyborg contre cyborg qui parsèment la saison. Et bien sûr les armes sont omniprésentes, cachées sous les lits durant les accalmies, fréquemment sorties pour des missions dangereuses.

 

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Cameron, John et Sarah Connor : on the road again

 

A faire ainsi le compte des ingrédients utilisés pour la confection du produit, on n’en explore toutefois que l’aspect purement « comptable », objectif. Le plus important, une fois les ingrédients mélangés, est de savoir si la mayonnaise prend. 

Pas tout de suite. Evidemment, les meilleures séries peuvent connaître des débuts hésitants. Magnum n’a créé que des remous la première année, avant d’exploser progressivement ; de même The X Files, avant de devenir en deuxième saison un phénomène télévisuel, n’a-t-elle été qu’une honnête série multigenres durant ses premiers mois. Pour Terminator : The Sarah Connor Chronicles, la question est d’autant plus diffcile que la première saison ne comporte que neuf épisodes, en raison de la grève des scénaristes en 2007. En première saison, la production du Caméléon s’était vu imposer onze premiers épisodes à la structure répétitive avant de pouvoir véritablement déployer ses ailes : c’était pour « toucher » son public, l’accrocher avant de lancer pour de bon l’aventure. Neuf épisodes, c’est donc bien peu pour faire des étincelles, d’autant moins, en fait, que ce premier tour de piste en forme de hors-d’œuvre a été préparé par un buzz savamment fabriqué, qui met la pression sur la série. 

Aussi sera-t-on conciliant avec le résultat. Il est plus facile d’accepter les carences des premiers épisodes si l’on sait que les suivants amorcent véritablement la série : et il faut bien dire « amorcent », tant ils se présentent comme une introduction à la deuxième saison, mettant en place les données d’une intrigue appelée à prendre de l’ampleur, et celles des relations entre les personnages, dont on pressent que, de basiques qu’elles sont d’abord, elles ont le potentiel pour atteindre une complexité intéressante.

 

Un pilote réussi

 

L’épisode pilote a la difficile mission de « relancer » la franchise en l’adaptant aux standards du petit écran. On imagine le casse-tête, car il n’occupe que quarante et une minutes : l’équivalent d’une mise en bouche apéritive au cinéma. Aussi Fox Network a-t-il décidé de créer l’événement en diffusant les deux premiers opus à la suite, le dimanche 13 et le lundi 14 janvier 2008, histoire de ne pas laisser au téléspectateur le temps de décrocher avant d’installer la série dans le créneau hebdomadaire du lundi soir. Le buzz médiatique précédant la diffusion a aussi pour fonction de replonger le public dans le bain Terminator, de lui rafraîchir la mémoire afin de favoriser une acclimatation rapide. 

La séquence d’ouverture du pilote réussit à donner le ton en trois minutes, grâce au concours d’une arme absolue en matière d’écriture : la narration off à la première personne. Le spectateur pénètre d’emblée dans l’esprit de Sarah Connor, tandis que défilent des images immédiatement familières : une voiture filant sur l’asphalte en plein désert, sous un soleil aveuglant qui déforme les perspectives, le défilement de la route à l’écran se confondant avec l’évocation du temps et du destin par la voix off. Ce décor, Cameron l’avait « inauguré » à la fin du premier Terminator et développé dans le deuxième. Lorsque le personnage qui conduit la voiture prononce la première réplique de l’épisode, au bout de cinquante secondes, on connaît sa problématique et celle de son fils, on a vu son visage tendu et ses mains crispées sur le volant, on a constaté la détermination farouche de son allure. L’action peut commencer : au sens viscéral, par une scène d’action de nouveau inspirée des Terminator cinéma. Voitures de police sous le feu nourri d’un seul agresseur aux épaules de colosse portant lunettes de soleil et veston kaki, terreur partagée de Sarah et de John Connor, réaction immédiate et musclée de la mère qui se porte au secours de son fils… L’essence de la problématique Sarah et John Connor est contenue dans ces quelques minutes.

 

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L’ensemble du pilote possède une qualité cinématographique, sensible aux moyens utilisés à l’écran, aux cadrages larges qui donnent plus d’ampleur à l’action, à la concentration de celle-ci. Observez bien les murs, aussi, autour des personnages : ils contiennent de nombreux messages, des images en rapport avec le thème de la série : « Warning », crie un grand panneau dans la chambre de John Connor ; « Don’t Go It Alone », dit un poster incitant les lycéens à aller voir leur conseiller ; l’Oncle Sam au doigt tendu, sur la célèbre affiche de recrutement américaine, désigne explicitement John Connor au moment où la silhouette du Terminator Cromartie pénètre dans la salle de classe, et c’est l’affiche qui traduit la raison de sa présence : « I want You » ; à côté, le regard d’un simple chat sur une affichette matérialise aussi la menace, l’instinct du chasseur. Question timing, pas une minute n’est perdue, les scènes s’enchaînent avec une moyenne d’une à deux minutes chacune, les informations essentielles sont dispensées dans les transitions, certaines correspondant à des instants d’accalmie (relative), d’autres conservant le rythme tendu d’un morceau d’action. Le mouvement de la première minute – la voiture filant sur le bitume dont les bandes jaunes scandent le mouvement vers l’avant – est celui de l’ensemble de l’épisode : une fuite en avant qui culmine dans le coffre-fort d’une banque, lieu confiné qui ouvre en fait, in extremis, à un nouvel espace qui sera celui de la série. Un nouveau lieu, un nouveau temps : de 1999, Sarah, John et leur protectrice Cameron, un cyborg évidemment envoyé du futur par John Connor, sont projetés en 2007, où se déroulera le reste de la saison.

 

Pas le temps de souffler

 

L’impression qui domine à la première vision des quatre premiers épisodes est peut-être la conséquence de la condensation extrême de l’écriture – ce qui n’est finalement qu’un paradoxe apparent. A les revoir, on constate que ces épisodes sont effectivement bien écrits et que, comme dans le pilote, chaque scène sert le propos d’ensemble. Mais cette contraction du récit crée aussi le sentiment que les coups de théâtre ou les rebondissements sont trop faciles, « téléphonés ». Prenez le deuxième épisode, « Voyage dans le temps ». Les protagonistes sont tout juste arrivés en 2007, ils ont besoin d’une période d’adaptation à ce nouvel environnement. Mais la nécessité d’aller de l’avant ne laisse guère de temps pour explorer leurs états d’âme. C’est autant un bien – une telle exploration risquerait, en ralentissant le récit, de provoquer l’ennui, alors même que l’objectif de Fox, en programmant les deux premiers épisodes au cours de deux soirées consécutives, est d’accrocher durablement son public – qu’un mal : dès la dernière scène du pilote, les protagonistes disposent d’une maison qui constituera ensuite leur « base », un asile à partir duquel concevoir des plans et où se replier dans une (relative) sécurité. On ne sait pas comment ils ont trouvé cette maison – difficile, à vrai dire, de ne pas penser à la crise immobilière qui, loin de faciliter l’accès au logement, le rend problématique…-, si Sarah Connor a retrouvé un emploi de serveuse (qu’elle occupait dans le pilote), comment ils se sont procurés en quelques jours les armes dont ils disposent… Evidemment, ce sont là des questions bien triviales quand le destin des héros est de sauver l’humanité. Et, pour être honnête, la question de l’adaptation est tout de même posée, à travers le personnage de John Connor qui ne supporte pas longtemps de tourner en rond dans sa nouvelle maison en attendant de recevoir une nouvelle identité. Mais l’impression de facilité touche aussi l’action ; il ne faut qu’une scène de quelques dizaines de secondes pour apprendre que les trois protagonistes ne sont pas seuls en 2007, que la résistance future a envoyé des combattants qui constituent autant d’alliés inattendus, mais que les machines ont également expédié des cyborgs pour traquer ces résistants. Bref, la guerre n’est pas seulement une perspective d’avenir : elle devient une évidence présente, exposant les héros à la menace des machines alors même que SkyNet n’existe pas encore et que la « fin du monde » reste à venir. Cette nouvelle est à peine digérée – par le spectateur autant que par Sarah Connor – que l’on retrouve trois de ces résistants morts dans un appartement, avant d’assister à une scène de poursuite impliquant Sarah, Cameron et un cyborg. Plus tard, retournant dans l’appartement des résistants à la recherche de choses (on ne sait pas quoi) « très bien cachées », les héros découvrent un coffre-fort en quelques instants : et pour cause, il est carrément sous leur nom, dissimulé par un poster tellement incongru qu’il attire forcément l’attention. On songe bien sûr à cette vieille règle du récit policier : la meilleure cachette est encore la moins cachée… mais on est tout de même un peu décontenancé. 

C’est là un exemple parmi quelques autres. L’impératif de l’action primant sur tout le reste impose un rythme soutenu, certes ; mais l’impression que tout est trop facile crée aussi une insatisfaction : on attend un programme intelligent et l’on ressent donc une pointe de déception devant des ficelles dignes de Dora l’exploratrice.

 

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Le parcours de Cromartie – le Terminator chargé d’éliminer John Connor en 1999 et qui, on le découvre bientôt, a suivi les héros en 2007 -, dont seule la tête a voyagé dans le temps et qui doit se « reconstituer » pour poursuivre sa mission, engendre la même réticence. Il est riche en images-choc : une tête abandonnée dont les yeux se rallument brusquement, un bras mécanique émergeant brutalement d’un amas de décombres, une silhouette inquiétante au visage dissimulé sous une capuche, d’épaisses lunettes et un masque aux allures de bec recouvrant entièrement le bas du visage… mais pratique aussi le raccourci, tellement raccourci qu’il suscite forcément quelques interrogations : qui est exactement le scientifique (même dans la distribution officielle destinée aux journalistes, le personnage n’a pas d’autre dénomination) auquel s’adresse la silhouette pour se recomposer une enveloppe charnelle à base de sang humain ? Si l’on comprend bien qu’il agit par intérêt scientifique – un intérêt tournant à la fascination obsessionnelle -, en savoir un peu plus aiderait à accepter son rôle. 

Ces facteurs d’insatisfaction génèrent un brin de déception à la vision des premiers épisodes, au point que l’on se demande, à ce stade, s’il est vraiment intéressant de prolonger l’expérience du Terminator télé, ou s’il ne vaut pas mieux en rester aux trilogies cinématographiques : celle déjà existante et celle qui s’annonce dans les salles en 2009. 

Les commentaires de Josh Friedman, dans la presse et sur le Net, éclairent cet aspect de la première saison. Le souci de continuité et la volonté de semer les bases d’une « mythologie » dès les premiers épisodes expliquent les ellipses, autant que les inévitables choix au moment du montage. Friedman explique par exemple que la part de la vie lycéenne de John en 2007 devait être plus développée, notamment dans l’épisode « L’origine du mal », où ce qui fut conservé de l’histoire de Jordon, la lycéenne suicidaire, rend la trame lycéenne assez confuse. Ce genre de confusion est l’un des défauts que Friedman reconnaît à la première saison, et qu’il affirmait vouloir corriger dans la deuxième.

 

Montée en puissance très maîtrisée

 

Le cinquième épisode, « Echec et mat », marque le tournant de la saison. La conjonction des pistes développées jusque là en parallèle booste l’action et gomme la confusion des premiers segments. Le personnage emblématique de cette conjonction est Derek Reese, le frère de Kyle Reese (père de John Connor, voir Terminator, de 1984). Dès le deuxième épisode, on sait que l’un des quatre résistants envoyés du futur a échappé au cyborg Vick et se cache ; son ombre s’est profilée à plusieurs reprises ensuite, jusqu’à ce que l’épisode 1.05 lui donne corps. Le choix de Brian Austin Green, ancien ado dans Côte Ouest puis vedette de Beverly Hills 90210, est surprenant pour incarner le personnage mais se révèle avisé. Dès son apparition, le personnage s’impose dans la distribution, où sa place se confirme jusqu’à la fin de la saison. Non seulement Derek Reese n’est pas aussi limpide qu’il paraît l’être – ou qu’on l’attendrait du frère de Kyle Reese, héros « fondateur » de la franchise – mais sa présence sert de catalyseur aux ambiguïtés des protagonistes. Sa méfiance à l’égard de Cameron, qu’il a déjà rencontrée dans le futur, aux côtés de John Connor, oblige à considérer d’un œil prudent les agissements de la cyborg, qui reconnaît elle-même qu’elle dissimule parfois la vérité, quand elle le juge préférable. L’idée qu’elle puisse poursuivre d’autres buts que la simple protection de John apparaît plus que probable et ses regards, comme ses paroles, semblent désormais lourds d’un sens caché, à tort ou à raison. 

C’est l’un des atouts de la série que d’entretenir le doute sur les desseins de Cameron, alors que dans le film Terminator 2 le cyborg incarné par Schwarzenegger assurait la fonction de substitut paternel auprès du tout jeune John Connor. La série utilise le ressort comique fondé sur le décalage entre la perception « mécanique » de Cameron et la perception émotionnelle, humaine, de la réalité. On retrouve la phrase du T1000 (Robert Patrick) de Terminator 2, « Merci de votre coopération », prononcée avec ou sans exécution de son destinataire, mais surtout la « perplexité » du cyborg devant l’émotion humaine, et une certaine volonté de comprendre cette émotion pour mieux la gérer ou la simuler. De même, le rapport qui se noue peu à peu entre John, l’adolescent, et Cameron, qui pour être robot n’en a pas moins une plastique superbe et un look adolescent, joue sur le besoin d’amour de John. La cyborg lui est d’abord apparue sous les traits d’une lycéenne qui semblait s’intéresser à lui, avant que les événements ne l’amènent à  révéler sa vraie nature. Si le John Connor de Terminator 2, tout juste entré dans la puberté, était en quête de figure paternelle, celui de la série, qui fête ses seize ans dans le dernier épisode de la saison, est davantage porté vers le sexe opposé et cherche à nouer d’autres relations que celle, exclusive, qu’il vit avec sa mère. Cette ambiguïté, d’autant plus forte que Cameron semble consciente de l’effet de ses charmes, revêt plus d’importance encore lorsque les objectifs réels de la cyborg deviennent eux-mêmes moins évidents. Manipulation et dissimulation trouvent leur place aussi bien dans le jeu amoureux que dans la stratégie guerrière, qui est la finalité première des robots.

 

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La dimension ludique du personnage de Schwarzenegger dans Terminator 2 était accentuée par la programmation qui l’obligeait à obéir à tous les ordres de John Connor ; l’enfant s’amusait ainsi à lui faire exécuter des gestes absurdes et à lui apprendre les expressions de son âge – « Hasta la vista, baby ! ». Puis l’enfant faisait peu à peu l’apprentissage de la responsabilité en prenant conscience de l’arme qu’il avait brusquement à sa disposition. La série évacue cet aspect comique : Cameron obéit à John Connor, mais à celui du futur ; sa programmation ne l’oblige pas à se soumettre aux ordres du John Connor qu’elle est chargée de protéger, pas plus qu’à lui dire la vérité en toutes circonstances. En outre, la cyborg n’a aucun scrupule lorsque tuer est plus logique que laisser vivre : à la fin du deuxième épisode, elle abat un informateur qui a vendu Sarah Connor au FBI et que Sarah n’aurait sans doute pu tuer parce qu’il avait été son ami. Au « Pourquoi as-tu fait ça ? » de Sarah, le robot répond sans y voir malice : « Parce que tu ne l’aurais pas fait. » Dans le même épisode, elle aurait probablement tué un policier si Sarah n’était pas intervenue à temps. Son indifférence à la vie humaine rend Cameron d’autant plus ambiguë lorsque ses objectifs sont mis en cause. 

L’introduction de Derek Reese permet d’explorer le difficile rapport de John à son père (Kyle Reese, le frère de Derek). « Mon père est toujours un héros », déclare John en révisant les détails de sa nouvelle identité dans « L’origine du mal », « et il est toujours mort. » Or, Derek évolue très vite vers une nouvelle figure paternelle dans la vie de l’adolescent, comprenant intuitivement – car il était censé l’ignorer – que John est le fils de son frère. La scène de « Nouvelle donne » où, lui proposant une balade pour fêter son seizième anniversaire, il le met en présence de deux jeunes garçons qui se révèlent être Kyle et Derek Reese enfants est un moment touchant qui met en évidence la douleur de l’ado orphelin de père, élevé dans l’admiration d’un héros qu’il n’a jamais connu et dont il est sommé de se montrer digne.

La montée en puissance tient aussi au personnage de Cromartie, le Terminator dont l’unique mission est de traquer et d’éliminer John Connor. Sa présence dans les quatre premiers épisodes est surtout constituée de scènes très caricaturales, parfois confuses, dominées par la recherche de l’effet. Ce n’est qu’en recevant enfin une « identité », un visage défini, qu’il s’inscrit vraiment dans l’action. Tout ce qui le concerne dans la première saison n’a toutefois valeur que d’introduction, car il n’est que très fugacement mis en présence de John. Son statut est celui de menace plus que de danger direct. 

C’est à l’agent fédéral James Ellison que Cromartie sert en fait de révélateur. Traquant lui aussi Sarah Connor et son fils, Ellison est amené à être le témoin de faits invraisemblables qui ébranlent ses certitudes : d’abord convaincu que Sarah Connor est une dangereuse psychopathe atteinte d’un délire paranoïaque, il acquiert en enquêtant sur les morts que sème Cromartie la conviction que ce délire repose sur l’existence effective des machines dont Sarah Connor n’a cessé de parler. Profondément religieux, Ellison est sensible au discours d’apocalypse et en vient à s’interroger sur sa place dans les événements auxquels il se retrouve mêlé. Les scénaristes insistent sur cette problématique en lui faisant rencontrer le Dr Silberman, le psychiatre qui, dans les trois films, avait suivi le même parcours, de l’incrédulité condescendante à la confrontation directe avec « l’incroyable ». A mesure qu’avance la saison, Ellison s’affranchit donc du rôle conventionnel qui était le sien au départ : un ersatz du Samuel Gerard du Fugitif 2000, voué à traquer le mauvais coupable en refusant obstinément toutes les preuves de son erreur. Confier le rôle à un acteur noir, Richard T. Jones, ne faisait qu’amplifier cette impression, le personnage semblant satisfaire à l’impératif ethnique (de même que le lycéen Morris n’est là que pour montrer un latino gentil), sans qu’on le sente appelé à jouer un autre rôle que secondaire. 

Le finale de la saison marque le point culminant de l’évolution d’Ellison. Ne gâchons pas la surprise pour ceux d’entre vous qui ne l’ont pas encore vu ; disons simplement que ce finale, déroulé sur une chanson de Johnny Cash, surprend par la manière dont il évite le traitement attendu pour, finalement, mettre en exergue l’impact de l’événement sur l’agent Ellison. Aucun retour en arrière ne semble plus possible après cela, à moins d’une mauvaise foi pathologique des scénaristes. En cela, ce qui arrive à Ellison constitue le véritable aboutissement de la saison, alors que le cliffhanger qui suit, et sur lequel se referme l’ultime épisode, apparaît tristement conventionnel et sans véritable enjeu dramatique (mais, là encore, on ne vous en dira rien).

 

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