publié en janvier 2007 (ASS 27)
par Thierry Le Peut
Lancée à la mi-saison sur CBS l’an dernier, The Unit a été programmée cet automne par W9, en prélude à une exposition plus large sur M6. Aux Etats-Unis, la série a rencontré son public et gagné le droit à une saison complète à la rentrée 2006. Surprenant ? Pas si l’on considère le beau monde dont elle utilise les compétences, tant devant que derrière la caméra : les comédiens Dennis Haysbert et Robert Patrick (pour les plus connus), le producteur-scénariste-réalisateur David Mamet (et son épouse Lynn), Shawn Ryan le créateur et producteur-scénariste de The Shield, Carol Flint (China Beach, Urgences entre autres choses), Vahan Moosekian à qui l’on dut entre autres L’Enfer du devoir sur la guerre du Viêtnam dans les années 1980… C’est forte de telles signatures et cautions que CBS a négocié en quelque sorte l’après-JAG, E-Ring (D.O.S. Division des Opérations Spéciales) n’ayant pas réussi dans cette mission.
The Unit est en effet une série « militaire » qui met en scène les missions d’une section spéciale constituée de soldats d’élite travaillant sous couvert d’une prétendue section logistique. Qui dit « militaire » dit action, et c’est l’une des composantes essentielles de la série. Pas la seule toutefois : le gimmick de The Unit est de monter en parallèle les missions diverses de ces agents super-entraînés (aussi bien une récupération en pays étranger hostile que la garde rapprochée d’un diplomate) et la vie de leurs épouses qui les attendent dans les pavillons résidentiels de la base. Du coup, il est presque inévitable de comparer les séquences domestiques à Desperate Housewives ou Côte Ouest, tandis que l’action entraîne la série sur les sentiers de 24 ou de Special OPS Force. Justement, évoquer ce dernier titre permet de souligner ce que The Unit n’est pas (nous jugeons ici après la vision des premiers épisodes) : un programme dominé par le syndrome de la testostérone et du drapeau, où les commandos affronteraient des méchants très méchants en tirant sur tout ce qui bouge. The Unit assume davantage de finesse : si l’action est bien présente, la série accorde le premier plan à la personnalité de ses « héros », évoluant dans les eaux troubles de la politique et des états d’âme au détriment du manichéisme habituel dans le genre action-aventure. A titre d’exemple, le premier épisode met l’accent sur la préparation et expédie en quelques scènes la mission elle-même (le sauvetage d’un avion investi par des terroristes), tandis que le deuxième fait l’inverse, exécutant la mission en quelques instants avant de s’attarder sur un développement imprévu. Les amateurs de gloriole ne sont pas déçus : dans le pilote, l’équipe dirigée par Dennis Haysbert (alias Jonas Blane dans la fiction) s’éloigne de l’avion désormais sécurisé en un ralenti digne de L’Etoffe des héros, les trois hommes avançant de front tandis que la musique souligne l’héroïsme de leur action après que le scénario a posé l’ingratitude de leur métier : affrontés à une équipe du FBI hostile à leur intervention, les commandos savent que s’ils réussissent personne n’en saura rien, alors qu’en cas d’échec ils passeront en cour martiale ! Le leader charismatique incarné par Haysbert est à l’image des héros d’antan, jamais un mot de trop, efficace mais paterne. Ses hommes forment autour de lui une équipe soudée, dans laquelle le nouveau, Brown (campé par Scott Foley), trouve rapidement ses marques en dépit de quelques incertitudes assimilables à un bizutage, à ceci près que ce n’est pas l’esprit potache qui le détermine mais les contraintes drastiques du métier. Mais en dépit des allures traditionnelles de la série, qui flirte avec la propagande américaine habituelle, le schéma d’action bien bourrin est soigneusement évité au profit d’une description en finesse de la réalité qui sous-tend l’imagerie héroïque.
La présence des épouses n’est pas seulement un procédé scénaristique donnant à la série une double appartenance, une sorte de gimmick apte à séduire le public des deux sexes. En montrant les soldats d’élite dans leur foyer, rentrant à la maison après une mission périlleuse ou s’efforçant d’organiser une vie de famille toute classique, The Unit rappelle que leur activité, certes atypique, n’est pas pour autant réductible à l’imagerie du film d’action. Ces hommes, s’ils affrontent la mort à chaque mission, s’ils agissent à l’étranger sans la couverture de leur gouvernement qui les lâchera en cas d’échec, s’ils savent que leur vie dépend alors de leurs acolytes, n’en sont pas moins des maris, des pères de famille, soumis aux aléas du cœur comme de la hiérarchie militaire, ainsi qu’à la nécessité d’exercer une activité que personne ne doit soupçonner, en dehors de leurs propres épouses et de leurs compagnons d’armes. Le poids du secret pèse sur l’existence de ce petit monde, le guerrier comme le domestique : dans un épisode, un membre de l’unité est renvoyé par le Colonel Ryan parce que sa femme a dit quelques mots de trop. Quelques mots à une voisine, à une amie, à un inconnu, qui peuvent coûter la vie à un homme, à plusieurs membres de l’unité. La sécurité est à ce prix. Inflexible, Ryan n’écoutera aucune doléance, ne tolèrera aucun écart à une ligne de conduite exigeante mais nécessaire. Or, Ryan dissimule précisément un secret susceptible de semer la discorde au sein de son unité… A l’inflexibilité du chef est ainsi accolée l’inévitable contradiction des hommes, et les failles apparaissent très vite dans la peinture des soldats d’exception que la série se propose de mettre en scène.
Il n’est pas évident pour les femmes de trouver leur place dans ce schéma, et cette remarque vaut pour l’univers de fiction comme pour le concept de la série. Dans le pilote, la femme de Brown, Kim, est aussi nouvelle que son mari dans l’unité : accueillie par les femmes de son nouveau voisinage, elle découvre une dureté à laquelle elle n’était pas préparée, et d’autant plus violente qu’elle se cache dans les manières avenantes de ses co-religionnaires. En effet ce ne sont pas seulement les hommes qui appartiennent à l’unité : leurs femmes aussi. C’est ce que déclare sans ambage Molly Blane à Kim, en lui signifiant qu’elle n’a pas le droit à l’individualisme égoïste qui consiste à songer à sa propre vie de couple sans y inclure, en quelque manière, les « femmes des autres ». Autant les maris doivent compter les uns sur les autres dans leur travail, autant les femmes doivent s’épauler pour tenir le coup et permettre à leurs hommes d’en faire autant. Tout n’est pas convaincant dans cette peinture « domestique » ; les rôles paraissent d’emblée trop bien attribués, les personnalités trop prévisibles, les intrigues assujetties à des schémas déjà souvent vus ailleurs. Cela tient à la nécessité de combiner dans chaque épisode l’aspect guerrier et l’aspect domestique, avec le danger inhérent de sacrifier dans l’un comme dans l’autre à des ficelles empruntées à des genres différents. La réunion des membres de chaque couple permet de compenser cette faiblesse initiale : de loin en loin, maris et femmes se retrouvent sous le même toit, accaparés par les mêmes intrigues, tributaires l’un de l’autre, et la série évite ainsi le parallélisme trop rigoureux des deux genres.
Série d’action ET série dramatique, The Unit risquait de souffrir d’emblée d’une limitation due à son support : difficile de se livrer à la télévision à une critique frontale des instances, en dehors des habituels conflits entre services et des « gentilles » compromissions politiciennes qui subordonnent l’activité d’une telle unité de combat. Certains clichés agacent, comme de voir dans l’un des épisodes un membre du congrès en jupons quitter ses airs guindés pour entamer une discussion franche et complice avec les dames de la base, assise sur le plan de travail de la cuisine une bouteille de bière à la main. La question n’est pas de savoir si la situation est vraisemblable : elle sacrifie, surtout, à des conventions grossières mille fois vues ailleurs. Mais les scénarii font une place, aussi, à des vérités pas forcément plus subtiles mais certainement plus intéressantes : dans « Opération feu de prairie », par exemple, Blane et son équipe procèdent à un assassinat pur et simple, dans un climat de désorganisation hallucinant : alors que son tireur a la cible en joue dans une chambre d’hôtel, Blane reçoit l’ordre, à la dernière minute, de renoncer à l’exécution. Mais il est trop tard. Chaque membre de l’équipe doit alors regagner le pays indépendamment, et le scénario suit les pérégrinations de Brown, amené à manipuler des civils pour échapper à la police locale : il jette un innocent dans les bras des policiers, abuse de la naïveté d’une jeune touriste en quête de drogue et finit par boxer un gigolo pour embarquer à sa place sur le yacht d’un riche homosexuel. Le scénario ne commente pas les actions qu’il met en scène ; il s’achève même dans une scène de beuverie détendue. Mais les faits n’en sont pas moins là. Constamment, The Unit oscille ainsi entre plusieurs influences, jouant des conventions de toutes pour composer un produit original, susceptible de plaire au network (CBS est la chaîne de Dallas, Walker Texas Ranger et JAG) sans pour autant s’abandonner aux tentations d’un programme parfaitement standardisé. Pour cela, c’est une série à suivre.