par Pamela Douglas

Michael Wiese Productions, 2005, 234 p.

 

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On a beau ne pas être aux Etats-Unis, ne pas être scénariste et n’avoir aucune intention d’envoyer un script à un studio (ce qui de toute façon aurait peu de chances d’aboutir, comme le souligne cet opus), le livre de Pamela Douglas n’en est pas moins passionnant de bout en bout pour qui s’intéresse au fonctionnement de l’usine à séries qu’est Hollywood.

Elle-même scénariste, enseignant l’art d’écrire à des générations successives d’étudiants dont certains ont déjà trouvé place dans des séries comme Smallville et Law & Order, Pamela Douglas tire les leçons de sa propre expérience et dresse à la fois un constat de la télévision actuelle et des pistes pour l’avenir. Son champ d’étude et d’action est le drama et les exemples qui illustrent son propos sont empruntés aux séries qui ont marqué – voire révolutionné – la télévision américaine depuis les années 1990. Proposant notamment des extraits de scripts de NYPD Blue, elle les examine, en met en évidence la structure et les ficelles, pour indiquer à ses lecteurs, essentiellement des professionnels et des étudiants, les lignes fortes de l’écriture du drama et les écueils à éviter. Les chapitres de cette étude sont séparés par des interventions de professionnels comme Steven Bochco (Hill Street Blues, L.A. Law, NYPD Blue), David Milch (NYPD Blue, Deadwood), John Wells (Urgences, New York 911, A la Maison Blanche) et John Sacret Young (China Beach). Autant dire que ces « intermèdes » sont en eux-mêmes une raison suffisante de s’intéresser à ce livre. L’ouvrage bénéficie d’ailleurs de commentaires élogieux de ces professionnels.

Dans son premier chapitre, Douglas met au clair les différences essentielles entre l’écriture d’un drama et celle d’un film. Elle distingue les formes que peuvent prendre les fictions télé et tord le cou à plusieurs « mythes » dans lesquels on reconnaît les habituelles tartes à la crème dont usent à la fois les professionnels faisant la promo de leurs produits et les critiques : par exemple, qu’un épisode de série est comme « un petit film » (rappelez-vous, c’est ce que disaient les producteurs de Chris Carter il n’y a pas si longtemps et on l’entend encore aujourd’hui), ou encore que la télé est le cinéma du pauvre, ou même, ce qui en surprendra plus d’un, qu’il y a des choses qu’on ne peut pas faire à la télévision. Pour casser chacun de ces mythes, l’auteur a bien sûr des exemples à l’appui. Une fois ces idées mises en place, on entre de plain-pied dans l’art d’écrire un drama : j’ai écrit « art » ? S’il est une chose que ce livre démontre c’est bien qu’écrire pour la télévision est un métier avant toute chose !

Avant de songer à écrire pour la télévision, il est essentiel de bien comprendre comment s’organise l’industrie dans laquelle on veut creuser son trou. Aussi Douglas détaille-t-elle les étapes quasi-incontournables qui constituent le parcours du combattant de tout professionnel des séries : quand et sous quelle forme propose-t-on une idée, à qui s’adresse-t-on, comment une présentation peut déboucher sur la commande d’un pilote, comment celui-ci peut déboucher sur la commande d’une demi-saison, comment et à quel moment est prise la décision de compléter cette saison, etc. Bien entendu, ces étapes, pour être importantes, ne sont pas écrites dans le marbre : si l’on s’appelle Steven Bochco ou David E. Kelley et que l’on a un contrat avec un network, on ne suit pas les mêmes règles que l’inconnu qui débarque. Mais Douglas cherche avant tout à dresser le tableau d’une réalité qui, pour les aspirants scénaristes, peut être abstraite et lointaine, et qu’il est nécessaire de connaître pour s’aventurer dans un monde plein de portes à franchir et de formules magiques à prononcer.

On peut ensuite se mettre à écrire. Et quoi de mieux que de prendre pour exemple l’une des meilleures séries de la dernière décennie, NYPD Blue ? Douglas s’appuie donc sur deux actes entiers issus de deux épisodes différents pour mettre en lumière la nature d’une scène dramatique et l’organisation de différentes trames au sein d’un acte. Quatre actes, trois trames entrecroisées que l’on peut distinguer selon leur importance (les trames A, B et C) et qui doivent être reliées par un thème unique afin d’optimiser leur impact et la qualité dramatique de l’ensemble. Douglas insiste par exemple sur le fait que la moindre scène doit être motivée, c’est-à-dire que les personnages ont quelque chose à y trouver ou à y démontrer, le plus souvent à travers un conflit qui peut paraître anodin ou prégnant. Si la structure de l’épisode est claire, chaque scène peut trouver sa place dans une grille que Douglas livre à ses lecteurs.

L’une des leçons que l’auteur a tirées de sa propre expérience est de ne jamais s’isoler d’une équipe. La plupart des séries en effet sont écrites par une équipe de scénaristes recrutée par la production. Il est à peu près impossible aujourd’hui de proposer un script pour une série si l’on ne fait pas partie de l’équipe, qui se charge de l’écriture de la quasi-totalité des scripts. Mais, même une fois recruté, il est essentiel de garder le contact car des tas de choses peuvent se passer à tout moment : l’image du scénariste qui participe aux réunions du staff puis disparaît dans son coin pour écrire le script qu’on lui a confié ne résiste pas au tableau dressé par Douglas. En revanche, les entretiens reproduits à la fin du livre, entre l’auteur-enseignante et les étudiants qui sont passés par sa classe avant de tenter leur chance, démontrent qu’il est possible de percer si l’on sait où s’adresser et comment procéder. Parfois, les règles apparemment sacro-saintes ne sont pas respectées ; parfois, aussi, on peut les respecter toutes et ne pas avancer. Qui dit équipe dit hiérarchie : on lira avec intérêt ce que l’auteur écrit sur les différents « postes » crédités au générique de n’importe quelle série. Qui sont et que font réellement les producers, supervising producers, story editors ? Qu’est-ce que le show runner ? Que signifie le titre de creative consultant ? Là encore, certaines évidences sont battues en brèche.

L’ouvrage s’achève sur un glossaire reprenant tous les termes expliqués et commentés dans le cours du livre, avec cet avantage d’être ici recensés et définis par une professionnelle.

Les entretiens particuliers avec les professionnels sont l’autre richesse du livre, comme on le soulignait plus haut. Si Steven Bochco évoque sa carrière, David Milch revient sur la genèse de Deadwood et John Sacret Young et Georgia Jeffries partagent leur expérience sur China Beach, série trop rare en France mais qui reste l’un des meilleurs dramas de la décennie 1980, sur laquelle on a peu écrit. Alors qu’il est tentant de croire que la télévision d’aujourd’hui est plus ouverte que celle d’hier et qu’il est plus facile de vendre des idées originales, John Sacret Young estime au contraire qu’une série comme China Beach aurait peu de chances d’être acceptée actuellement, de même d’ailleurs qu’un concept comme A la Maison Blanche.

Ouvrage de référence pour les aspirants scénaristes américains, le livre de Pamela Douglas mérite de figurer aussi dans la bibliothèque de l’amateur français, ne serait-ce que pour remettre de l’ordre dans la perception d’une industrie qui, chez nous, s’exprime essentiellement dans les magazines et ne dispose pas d’une littérature aussi précise.

Thierry Le Peut

Tag(s) : #Livres
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