GAME OF THRONES
la saison 2
elle s'est imposée :
HAWAII 5-0 (saison 2)
examen d'un échec :
TERRA NOVA
dossier rétro Seventies :
L'HOMME INVISIBLE
& GEMINI MAN
> L'édito de ce numéro :
Chaque époque invente ses repères. Quand Les Soprano est apparue, on a dit qu’il y avait un avant et un après Soprano. L’après, c’est le regain de qualité entraîné par le succès populaire et critique de la création de David Chase. L’avant, comme tous les avant, devient une sorte de préhistoire où l’on arrivera toujours à retrouver les prémisses des Soprano. Car en fait tous ces découpages sont un peu factices. Avant Les Soprano, il y eut Twin Peaks, qui imprima si profondément sa marque que la télévision ne pouvait plus être « comme avant ». Avant cela encore, il y eut Hill Street Blues… A chaque fois, on parle de « révolution », comme encore tout récemment avec le lancement de House of Cards par la plateforme de streaming Netflix. Mais on sait bien que ce ne sont pas là des révolutions. Retirons simplement une lettre et nous serons plus près de la vérité : ce sont des évolutions. Hill Street Blues propose une évolution de la série en intégrant au format conventionnel certains apports de la littérature et du soap opera. Elle fait subir à la série policière ce que La Conquête de l’Ouest a tenté quelques années plus tôt avec le western, à savoir une série feuilletonnante, mais s’inspire aussi de la littérature pour proposer une écriture exigeante et évolutive, faisant vivre ses personnages sur la durée, imposant une structure complexe qui fait voler en éclats la sacro-sainte unité hebdomadaire et abordant des thèmes adultes. D’autres séries ont pu développer avant elle l’une ou l’autre de ces qualités, mais pas toutes à la fois.
Cette évolution était possible à ce moment-là non parce que Bochco était un génie (ce qui n’empêche pas qu’il le soit, si certains y trouvent leur compte) mais parce que l’industrie de la télévision américaine était en train de changer. Les networks commençaient à admettre le principe des « niches » : on en parlera aisément plus tard, considérant par exemple que Stargate SG-1 est une série « de niche » parce qu’elle s’adresse à une catégorie de spectateurs, capables de former un noyau de fans assidus prêts à soutenir leur série d’élection, plutôt qu’à l’ensemble du public présent devant son poste de télévision. Admettre le concept de « niche », c’était admettre la diversité du public. Une fois ce changement de mentalité accompli, il devenait possible de laisser se développer des séries qui s’adressent à l’un ou l’autre de ces différents publics, au lieu de chercher toujours le dénominateur commun. Hill Street Blues n’avait pas une audience phénoménale mais elle fut défendue par NBC car elle constituait une sorte de gage de qualité : au fil de ses six saisons, elle reçut pas loin d’une centaine de nominations aux Emmy Awards. Ce n’était pas un hit mais la critique l’aimait, et elle avait ses fans.
Trente ans ont passé. Les niches n’ont cessé de se développer. L’audience des networks s’est réduite à mesure qu’augmentait le nombre de chaînes disponibles, certaines de ces chaînes s’adressent elles-mêmes à un public ciblé et leur entrée dans la production de séries a changé les règles du jeu. Des séries comme Game of Thrones n’ont pas vocation à toucher l’ensemble du public, ce qui ne les empêche pas de rencontrer un réel succès, tant critique que populaire.
Pour les networks, la nouvelle donne est terrible car ils cherchent à accueillir les nouveaux talents, à suivre les évolutions audacieuses, tout en rêvant de l’audience la plus large possible. Terra Nova n’a pas survécu plus d’une demi-saison et on voit bien en l’examinant qu’elle a trop cherché à rassembler un vaste public, au point d’y perdre toute chance de garder une âme, en dépit de ses nombreux producteurs et du prestige de certains d’entre eux. C’est l’exemple d’une série qui, avec un concept « de niche », a voulu toucher un public « familial ». Au contraire, Hawaii 5-0 peut être vue comme l’exemple d’une série qui réussit, elle, à séduire le plus grand nombre, en misant sur la combinaison, sans trop d’états d’âme, d’éléments susceptibles de lui gagner les faveurs du public : un cadre exotique, des acteurs (et actrices) séduisants, de l’action et une « mythologie » à base de conspirations et de secrets de famille(s). Le cocktail manque certainement d’âme, mais il est efficace.
Si bien que cohabitent aujourd’hui des séries très différentes, celles des networks survivant en touchant plusieurs millions de spectateurs tandis que d’autres, sur des chaînes plus petites, peuvent se contenter d’un seul million. Le grand gagnant, c’est le public, qui a accès à une offre inédite et pléthorique, et qui peut trouver aujourd’hui des séries qui n’auraient certainement pas survécu hier. S’il n’est plus possible de tout voir, on peut en revanche trouver tous les genres, tous les styles, que l’on veuille réfléchir ou se divertir, et ce d’autant plus sûrement que les progrès techynologiques ont rendu possible la création d’univers totalement imaginaires comme celui de Game of Thrones, ou accru les possibilités visuelles des reconstitutions historiques comme celle que réalise la BBC avec Ripper Street. Dans ce contexte, la production française est encore en reste. On ne le dit pas pour agiter un poncif mille fois rebattu mais avec un exemple précis en tête, celui des Revenants de Canal+ qu’on a tant célébré récemment et qui, à nos yeux, est une production poussive qui évoque davantage le fantastique de nos vieux feuilletons d’antan que les réussites venues des Etats-Unis, de Grande-Bretagne ou d’autres pays du monde. On en dit quelques mots en troisième de couverture mais on espère que le « renouveau de la fiction française » que beaucoup appellent de leurs vœux aura bientôt une autre allure que ce soufflé mal cuisiné et vite retombé. Une allure plus proche d’un Engrenages, par exemple.
En attendant cette nouvelle évolution, nous avons tenté dans ce numéro d’allier l’ancien et le moderne en poursuivant l’exploration de Game of Thrones et de Hawaii 5-0, tout en retournant dans le passé pour étudier les curieuses variations sur le même thème que furent L’Homme invisible et Le Nouvel Homme invisible, véritables cas d’école qui nous rappellent le fonctionnement de certaine industrie télé américaine dans les années 1970. Ancien et moderne, mais aussi bon et moins bon. C’est tout cela qui fait le monde des séries, hier comme aujourd’hui.
Thierry Le Peut