the men from shiloh :

LA NOUVELLE DONNE

Un nouveau départ pour Le Virginien

par Thierry Le Peut

 

Doug McClure et James Drury avec Stewart Granger, le nouveau propriétaire du ranch Shiloh

 

Episode 9.01 :

The West vs. Colonel MacKenzie

71'

 

 

 

NBC, 16 septembre 1970

Producteur exécutif Herbert Hirschman

Ecrit par Jean Holloway

Réalisé par Murray Golden et Jerry Hopper

 

Résumé de l'épisode : Le Virginien accueille à son arrivée à la gare de Medicine Bow le nouveau propriétaire du ranch Shiloh, le Colonel Alan MacKenzie tout droit venu d’Angleterre. Durant le trajet jusqu’au ranch, le Colonel contemple avec ravissement la beauté de la terre qu’il a achetée sur une simple description, sans l’avoir vue. Arrivé devant la maison du maître, il a la surprise de se voir ouvrir la porte par Parker, son valet, à qui il avait donné de quoi s’acheter une ferme avant de le quitter. Parker, qui a été l’ordonnance du Colonel durant sa carrière militaire, n’est pas décidé à l’abandonner et a pris l’initiative de le suivre – et même de le précéder. Passé le moment d’explication, MacKenzie est, au fond, heureux de cette décision, et il le dit.

Un drame ne tarde pas à se produire. John Andrews, qui a quitté son emploi au ranch pour monter son propre élevage et fait venir son petit garçon Petey et sa sœur Faith, est arraché de son lit en pleine nuit par neuf hommes et pendu sous les yeux de son garçon. Prévenu par Faith bouleversée, MacKenzie retrouve l’enfant pétrifié en pleine nature. Choqué par ce qu’il a vu, il ne réagit plus et ne parle plus. Le Colonel insiste pour que Faith et l’enfant habitent dans sa maison le temps de se remettre. Il s’oppose aussi au shérif qui ne se donne pas assez de mal à son goût pour traquer les meurtriers et qui accuse John d’avoir volé du bétail. On retrouve en effet parmi ses bêtes un veau dont la marque initiale a visiblement été modifiée pour devenir celle d’Andrews.

MacKenzie s’oppose à la loi locale qui autorise le lynchage d’un voleur de bétail et se dresse en défenseur de la mémoire de John Andrews, qu’il n’a certes rencontré qu’une fois mais qui lui a paru un homme honnête. Surtout, il refuse que l’on dispose de la vie d’un homme sans procès et sans preuve. Aussi s’emploie-t-il à découvrir le fin mot de l’affaire, derrière laquelle il soupçonne quelque conspiration. Il se heurte ainsi frontalement aux notables locaux de la puissante Association des Eleveurs, qui ne revendique pas le lynchage de John Andrews mais légitime le recours à une justice expéditive dans un pays où la Loi ne punit pas assez sévèrement les voleurs de bétail. Invité par sa voisine Amalia Clark à prendre part à une réunion des membres de l’Association, MacKenzie dit fermement sa façon de voir et quitte l’assemblée. Il ne faut pas longtemps, cependant, pour qu’il soit pris à partie par une troupe de six cavaliers masqués qui le rouent de coups.

A force de patience et d’amour, car il s’est immédiatement attendri pour le petit Petey, le Colonel (avec le secours de Parker) parvient à rendre à l’enfant assez de confiance pour qu’il se remette à parler. L’enfant fait le récit bouleversant de la pendaison de son père, que les hommes qui l’ont emmené l’ont forcé à regarder, et il se souvient que l’un des lyncheurs montait un cheval pie, comme le poney que le Colonel a offert au garçon. MacKenzie se met donc en quête de ce cheval. Le Virginien lui apprend qu’Amalia Clark en possède un, elle-même dit l’avoir vendu au Maire Evans qui prétend l’avoir cédé à un homme de passage. La visite de MacKenzie inquiète cependant suffisamment le Maire pour qu’il envoie l’un de ses hommes, Jethro, porter un message aux autres mercenaires qu’il a engagés et qui sont arrivés par le même train que le Colonel. C’est ce que ce dernier escomptait, ayant des soupçons sur le Maire.

Avec le concours du Virginien et de Trampas, MacKenzie surprend et fait prisonniers les neuf hommes du Maire, puis il confond ce dernier : Evans voulait faire passer Andrews pour un voleur de bétail afin de racheter ses terres, comme il l’a fait avec un autre éleveur.

Faith et Petey repartent vers l’Est. Le Virginien et Trampas, qui avaient annoncé au Colonel qu’ils comptaient quitter le ranch – ils s’étaient engagés pour quelques semaines et sont finalement restés neuf ans ! -, lui annoncent à présent qu’ils ont finalement décidé de rester. La personnalité du Colonel sans doute n’y est pas pour rien, et comme le dit le Virginien, s’il s’en allait maintenant il « aurait l’impression de manquer quelque chose »…

 

 

 

 

LA FICHE TECHNIQUE :

 

Avec Stewart Granger (Colonel Alan MacKenzie), Doug McClure (Trampas), Lee Majors (Roy Tate – crédité mais absent de cet épisode) et James Drury (le Virginien). Avec Elizabeth Ashley (Faith Andrews), Martha Hyer (Amalia Clark) et Don DeFore (le Maire Evans), John Larch (le shérif). Et avec Bobby Eilbacher (Petey), John McLiam (Parker), Dennis McCarthy (Lamb), James Gavin ([Frank] Hoag), Calvin Bartlett (John [Andrews]), Don Wilbanks (Meyers), Hal Baylor (Jethro). Et Harper Flaherty (Harper – con crédité).

 

Stewart Granger
Martha Hyer
Bobby Eilbacher
Hal Baylor & Don Wilbanks

 

Doug McClure & James Drury
John Larch
John McLiam
Calvin Bartlett (à gauche)

 

Elizabeth Ashley
Don DeFore
D. McCarthy & J. Gavin
Harper Flaherty (à droite)

 

Directed by Murray Golden and Jerry Hopper. Written by Jean Holloway. Executive producer Herbert Hirschman. Music score Leo Shuken and Jack Hayes. Theme Ennio Morricone. Director of photography William Margulies asc. Art director John T. McCormack. Set decorations Robert C. Bradfield. Unit manager Henry Kline. Assistant director Richard Learman. Film editor S. Martin Weiss. Sound Theron O. Kellum. Technicolor. Main title design Jack Cole. Titles and optical effects Universal Title. Editorial supervision Richard Belding. Costume supervision Vincent Dee. Makeup Bud Westmore. Hait stylist Larry Germain.

 

 

COMMENTAIRE :

 

Stewart Granger a 57 ans quand il accepte le rôle du Colonel Alan MacKenzie. Il a tenu ses premiers rôles dans les années 1930 mais sa carrière débute vraiment dans les années 1940 (il est enfin crédité au générique !) et il a durant près de trente années incarné différents aventuriers dans des films de tous genres, aventures exotiques comme western, romance comme espionnage. Durant les années 1960, il a été Old Surehand dans trois films mettant en scène Winnetou le mescalero (incarné par Pierre Brice) et en 1967 il renouait un peu avec l’esprit des Mines du Roi Salomon dans Le dernier safari, devant la caméra de Henry Hathaway. Né à Londres, cela fait longtemps qu’il tourne avec les Américains et qu’il a une maison aux Etats-Unis (c’est en Californie qu’il s’éteint en 1993). Le passé militaire du Colonel s’appuie sur les rôles qu’a tenus le comédien durant cette longue carrière et l’arrivée du Colonel au ranch de Shiloh est le reflet de la retraite relative que prend le comédien : comme le Colonel, Granger « se retire » et la plupart de ses rôles, à présent, seront pour la télévision. Il est Sherlock Holmes dans une nouvelle adaptation du Chien des Baskerville en 1973, réalisée par le téléaste Barry Crane, apparaît dans L’Homme qui tombe à pic, Arabesque, La Croisière s’amuse, Le Magicien, Hôtel, Gabriel Bird et quelques téléfilms et mini-séries. Le rôle du Colonel est donc conçu pour faire écho à la vie réelle du comédien et le Colonel aborde en effet son nouveau statut de propriétaire de ranch avec l’esprit d’un homme qui a déjà vécu de grandes aventures et qui entend profiter d’une retraite paisible dans un décor enchanteur.

 

En le conduisant de la gare au ranch, le Virginien lui fait traverser ses terres et la beauté de Shiloh est figurée par une suite d’images qui peuvent difficilement correspondre à ce que voient réellement les personnages en suivant la route qu’on les voit suivre : ce sont des projections idéales, des clichés de carte postale qui figurent la beauté des grands espaces américains pour l’œil européen du Colonel, des plaines où paissent de vastes troupeaux, des montagnes d’où se déversent des cascades. A la beauté naturelle s’ajoute un idéal politique : le Colonel expliquera plus tard au Maire Evans qu’il est venu en Amérique à la recherche de quelque chose qui n’existe selon lui nulle part ailleurs, la liberté et la justice pour tous.

 

Le ranch de Shiloh tel qu'il se révèle  

au Colonel MacKenzie à son arrivée.

 

Le Virginien a connu plusieurs patrons au cours des huit années de sa série mais, avec la neuvième, il change non seulement de patron mais aussi le titre de sa série. A voir ce premier épisode de The Men from Shiloh, on peut croire d’ailleurs que le héros n’est plus le Virginien mais son nouveau patron. En engageant Stewart Granger pour le rôle et en le plaçant en tête de la distribution, la production réussit le pari de renouveler Le Virginien tout en conservant James Drury et Doug McClure dans les rôles qu’ils portent depuis huit ans. Stewart Granger apporte une touche britannique au show mais le titre est sans équivoque : il s’agit toujours d’une histoire d’hommes et on aurait tort de se fier à l’English Touch du Colonel et de l’imaginer trop mou pour diriger un ranch. Stewart Granger s’empare immédiatement du rôle et tient l’épisode sur ses épaules, Drury et McClure assurant la continuité par une présence minimale. Ils entretiennent l’esprit du Virginien mais s’occupent de faire tourner le ranch pendant que le Colonel mène l’enquête.

 

L’intrigue prend en effet une forme policière. Le point de départ est aussi américain et westernien qu’il est possible : un homme est pendu comme voleur de bétail et l’Association des Eleveurs semble être liée à l’affaire. Il est question de la Loi des tribunaux – lente et indulgente – et de la loi de l’Ouest, celle qui autorise, justement, la pendaison d’un homme convaincu de vol de bétail. Son statut d’outsider autorise le Colonel à ne pas souscrire à cette loi et à plaider pour une justice civilisée. Au Virginien qui lui apprend qu’il est devenu automatiquement membre de l’Association des Eleveurs en acquérant Shiloh, il répond qu’il n’a jamais signé une telle clause et que personne ne lui dira comment gérer son propre ranch. Une détermination et une indépendance qui charment l’oreille du Virginien mais que le Colonel doit encore démontrer. L’enquête qu’il mène, et qui le conduit à se dresser contre les respectables éleveurs de l’Association, l’exposant aux représailles et mettant sa vie même en danger, est précisément le moyen par lequel il montre quel genre d’homme il est. Au terme de cet épisode liminaire, sa capacité de résistance est aussi clairement démontrée que son courage et son intelligence. Et le Virginien et Trampas, comme pour entériner la nouvelle ère, décident in extremis de rester à Shiloh – et donc dans la série, qui restera donc Le Virginien mais… sous l’égide de Stewart Granger.

 

John McLiam tient ici le rôle de Parker qu’il ne conservera que le temps de trois épisodes avant de céder la place à Eric Christmas (qui, finalement, ne l’incarnera lui-même que trois fois). Sa présence est cependant l’un des atouts de cette entrée en matière, faisant de l’ex-ordonnance devenu valet (ou majordome) un auxiliaire utile et immédiatement sympathique du Colonel, protecteur comme lui de l’enfant traumatisé à qui MacKenzie offre la chaleur de ses bras et la sécurité de sa maison.

 

Parker, ex-ordonnance, aujourd'hui majordome,  

 un auxiliaire bienveillant et précieux (John McLiam).

 

La présence de l’enfant est un autre atout de cet épisode. Bobby Eilbacher est bouleversant lorsqu’il raconte, en gros plan, la pendaison de John Andrews, son père dans la fiction, une performance remarquable pour un enfant de (presque) sept ans. Les scènes qu’il partage avec Stewart Granger confèrent instantanément à ce dernier une force paternelle qui s’exprime par la tendresse et une délicatesse naturelle. Ces qualités sont aussi importantes dans la définition du personnage que le courage moral et physique.

 

Les femmes ne sont pas absentes de la vie du Colonel puisque le scénario en met deux sur son chemin, Faith Andrews qu’il s’agit de protéger et de rassurer, Amalia Clark qui n’a besoin d’aucune autre force que la sienne mais qui apparaît comme une autre compagne potentielle pour le Colonel célibataire. Granger montre ainsi que son personnage est aussi à l’aise dans la délicatesse et la protection que dans un rapport mêlant séduction et force. Amalia Clark est susceptible d’être mêlée à l’affaire que tente de dénouer le Colonel et il s’agit, avec elle, de traiter d’égal à égale tout en faisant preuve de prudence. Elle ne cache pas le charme qu’elle trouve à son nouveau voisin mais se montre également sûre d’elle et affirme sans ambiguïté ses idées et ses loyautés, se présentant comme un produit de son environnement, le « dur » Wyoming, au même titre que ses homologues masculins.

 

Le Virginien et Trampas, on l’a dit, jouent ici les utilités mais leur intervention reste essentielle à la réussite du combat du Colonel, auquel ils apportent un secours indispensable pour permettre le dénouement. Cette intervention finale est une sorte d’adoubement qui scelle leur entente avec le nouveau patron de Shiloh, confirmée dans la scène finale, lorsqu’après avoir introduit un doute sur leur présence dans la suite de la saison, à l’arrivée du Colonel, ils déclarent leur intention de rester. C’est ensemble que les trois hommes résolvent cette histoire et c’est ensemble qu’ils chevauchent dans la rue principale de Medicine Bow après avoir mis Faith et Petey dans le train – ne laissant, au passage, qu’Amalia Clark comme intérêt romantique potentiel pour le Colonel. Encore que Faith dépose un baiser sur la bouche du Colonel avant de partir, et que la porte reste ouverte à un éventuel retour.

 

LE GENERIQUE :

 

 

 

 

Six images pour montrer la ville au lever du jour : nouveau jour pour le ranch de Shiloh qui change de propriétaire, pour la série qui change de titre et tente de se renouveler, pour une ville de l’Ouest à l’aube d’un nouveau siècle, les années 1900 qui sont celles de The Men from Shiloh après Le Virginien qui se déroulait dans les années 1890. Silhouettes des maisons de bois d’une ville créée de toutes pièces au milieu des plaines, comme tant d’autres au XIXe siècle. Grands pots à lait qui évoquent l’élevage. Rue déserte éclairée par les premiers rayons du soleil. Un rocking chair solitaire sur un balcon, attendant que quelqu’un y prenne place. Vue de l‘une des maisons de la rue principale dans une lumière dorée, observée depuis l’ombre d’un arbre, avec l’escalier de l’église dans un coin.

 

Medicine Bow, Wyoming, la ville où se déroulait Le Virginien, là où est établi le ranch de Shiloh. Une ville semblable à des centaines d’autres à la même époque, donc une ville-symbole de la grande Histoire de l’Ouest américain. On dira bientôt que le western est devenu « crépusculaire », mais c’est ici une nouvelle aube qui se profile. Tout est prêt pour commencer l’histoire.

 

 

 

 

Passant de l’orange au rouge, des clichés d’époque donnent ensuite un aperçu rapide de cet Ouest à la fois mythique et bien réel. Images d’une ville, sur lesquelles posent des habitants, enfants sur les escaliers d’une école, hommes assis regardant l’objectif du photographe, et quand le ton passe au rouge ce sont des visages d’Indiens qui apparaissent. Retour à l’orange, aux colons américains posant avec les enseignes qui figurent le développement du commerce et des affaires : « Groceries » (Epicerie), « Mayor » (le Maire), « Counselors at law » (les avocats), « Estate brokers » (qui enregistrent les concessions où s’installent les colons). C’est sur ces images que se dessine le titre The Men from Shiloh, en caractères minuscules. Ce qui était Le Virginien, centré sur un homme, s’élargit pour conter l’histoire des hommes de Shiloh, archétypes des hommes de l’Ouest. Shiloh devient un nom mythique, un symbole de l’Ouest.

 

 

 

 

Images de cavaliers se découpant en ombres chinoises sur un paysage monumental, puis c’est la silhouette du Colonel MacKenzie qui apparaît, comme sur un négatif, sur le même fond orange. De nouvelles images de l’Ouest, des annonces, des coupures de journaux racontant l’histoire de l’Ouest en devenir, s’intercalent entre les cartons présentant les acteurs principaux : Stewart Granger apparaît le premier, puis viennent Doug McClure (portant moustache), Lee Majors (absent du premier épisode), enfin James Drury « as the virginian », dans la tenue qui est la sienne désormais : un manteau, une chemise rayée, le chapeau, et non plus la chemise rouge et la veste noire qui le caractérisaient auparavant. Un convoi de chariots, puis un zoom arrière partant d’un cow-boy sur son cheval et révélant la longue file des bêtes qui tracent un sillon en forme de S devant lui.

 

La série prend ainsi une dimension symbolique, s’offrant comme un témoignage historique sur la vie des hommes qui ont fait l’Ouest du début du vingtième siècle. Le choix du nouveau thème musical conforte cette orientation : en le confiant à Ennio Morricone, les producteurs se rattachent à l’évolution du western au cinéma, au terme d’une décennie 1960 qui a vu apparaître la trilogie du dollar et surtout Il était une fois dans l’Ouest (1968). The Men from Shiloh n’est certes pas un western spaghetti mais ce choix de générique rattache automatiquement la série à l’évolution d’un genre qui, revisité par les Italiens, continuera d’évoluer au fil des années 1970, survivant à une remise en question de ses codes, de ses thèmes, de ses valeurs. Le choix chromatique du générique renvoie, comme la musique d’Ennio Morricone, au western spaghetti et aux génériques de Pour une poignée de dollars ou Le bon, la brute et le truand.

 

La dernière image du générique revient aux fondamentaux et affirme que, par delà ses évolutions, le genre reste indissociable d’une image emblématique qu’aucune évolution ne remettra en cause : celle du cow-boy sur son cheval, immobile au milieu d’un monde qui bouge.

 

 

 

 

 

 

Tag(s) : #Arrêt sur épisode
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