Un dossier de Thierry LE PEUT

paru dans Arrêt sur Séries 8 (mars 2002)

  

Les années soixante virent débarquer en force un héros devenu aujourd’hui l’un des plus beaux réservoirs de poncifs de la fiction télévisée. Si l’espion télé a indéniablement une dette envers le James Bond de Ian Fleming, il a su dès ses premiers pas construire ses propres repères et imposer ses propres figures fondatrices.

De John Drake au récent Monk qui empruntait les mêmes voies, suivez-nous pour un petit tour d’horizon du Secret Agent à la sauce cathodique.

  

Ian Fleming ne fut pas, loin s’en faut, le premier auteur à écrire des romans d’espionnage. Son personnage, en revanche, dont il emprunta le nom à un ornithologue, fut le premier à connaître un tel succès populaire, au point que le seul nom de James Bond suffit aujourd’hui à évoquer la plupart des clichés du genre. La naissance de James Bond eut lieu officiellement en janvier 1952, lorsque Fleming commença l’écriture d’un roman intitulé Casino Royale. Deux ans plus tard, le personnage trouvait déjà sa première incarnation, à la télévision, sous les traits de Barry Nelson, dans une dramatique d’une heure diffusée sur CBS1. On parla alors d’une série télé sur NBC, à laquelle travailla d’ailleurs Fleming, en pure perte cependant. CBS envisagea de nouveau une série en 1958, toujours avec le concours de Fleming et aussi peu de succès. Pourtant le personnage connaissait en librairie une popularité inédite, ses aventures étant publiées également en épisodes dans le magazine Playboy. Il fallut finalement attendre 1962 et la sortie du premier long métrage sous la direction de Terence Young pour que Bond trouve enfin son incarnation définitive (pour quelques années du moins) en la personne de Sean Connery. Le héros de papier accéda alors à une popularité nouvelle qui lança au début des années soixante un phénomène couramment désigné depuis par le nom d’« espionnite ». C’est ce véritable « boom » qui allait avoir des répercussions énormes sur le paysage télévisuel anglo-saxon, particulièrement aux Etats-Unis.

Et pourtant... Le premier espion cathodique à accéder à une popularité certes moindre que celle de Bond mais néanmoins remarquable commença sa carrière en Grande-Bretagne avant l’arrivée de Sean Connery. Il avait pour nom John Drake et est devenu depuis une sorte de Père Fondateur de l’espion télévisuel.

 

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  John Drake au pays des espions

 

C’est à Ralph Smart, scénariste et producteur déjà à l’origine de L’Homme Invisible à la fin des années 50, et à Lew Grade, le big boss d’ATV (Associated Television, une station du réseau ITV), que John Drake dut sa naissance. Si James Bond n’avait pas encore conquis à l’époque le medium cinématographique, le succès du personnage en librairie explique cependant en partie le choix de Smart et Grade lorsqu’ils entreprirent de lancer une nouvelle série destinée tant au marché intérieur qu’à l’exportation. A l’origine, Drake était d’ailleurs un espion volontiers tourné vers la gent féminine et adepte du coup de feu. C’est le comédien Patrick McGoohan qui, engagé pour jouer le personnage, insista pour en modifier quelque peu le caractère en substituant aux armes à feu l’intelligence et l’à propos, et en mettant un frein aux ardeurs libidineuses de l’agent secret. Drake amorçait ainsi un virage l’éloignant des clichés imposés par son aîné littéraire, ce qu’il persistera à faire durant sa carrière achevée en 1966.

Dans la première saison de la série, intitulée Danger Man (Destination Danger), diffusée à partir de septembre 1960 en Grande-Bretagne, John Drake est un agent de l’OTAN que ses missions entraînent aux quatre coins du globe et notamment dans les pays menacés par l’épouvantail communiste. La guerre froide impose à l’époque au monde une scission Est-Ouest que l’on retrouve forcément dans la fiction d’espionnage et à l’intérieur de laquelle le personnage d’ATV est amené à évoluer. La série toutefois se détourne d’un manichéisme réducteur et propose une vision souvent nuancée de son époque, transportant son héros sous des régimes totalitaires mais le faisant aussi agir avec le concours d’agents « ennemis » parfois plus conciliants que ceux de son propre camp. Cette peinture réaliste de la donne internationale et des rapports entre espions est facilitée dès la deuxième saison par un changement de format qui permet aux scénaristes, après une première livraison constituée de segments de trente minutes, de développer des histoires plus ambitieuses étendues sur soixante minutes.

C’est ce nouveau format qui permettra d’étoffer la personnalité de John Drake et d’en faire, au fil des épisodes, un personnage nuancé et intéressant. Le jeu de McGoohan et son implication dans l’écriture de la série contribueront à faire de John Drake un personnage solide et emblématique. En attendant, malheureusement, la série ne suscite pas d’engouement particulier aux Etats-Unis et est annulée en Grande-Bretagne, où elle avait connu pourtant un succès certain. Il faut en fait le succès de James Bond au cinéma, avec Dr No en 1962 et Opération Tonnerre en 1963, pour convaincre le network américain CBS que la série est viable. De nouveaux épisodes sont alors mis en production à partir de 1964 et diffusés aux Etats-Unis durant la saison 1965-1966. Au passage, le titre original est transformé par CBS en Secret Agent et le générique au clavecin d’Edwin Astley remplacé par une chanson de Johnny Rivers, Secret Agent Man, qui grimpera vite dans les charts. Le network espère ainsi donner à la série, malgré la volonté des producteurs de ne pas reprendre les clichés des aventures bondiennes, une « identité » plus accrocheuse, intégrant à la chanson un bruit de coups de feu qui va à l’encontre du personnage, que McGoohan a souhaité sans arme !

Au total, John Drake aura vécu 46 aventures entre 1960 et 1966, dont deux en couleurs constituant l’intégralité de la quatrième saison. A l’époque, McGoohan est fatigué du rôle et travaille déjà sur une autre série, traditionnellement associée aujourd’hui à la première : Le Prisonnier. Tout en s’astreignant à un réalisme qui lui confère un statut de « classique », Destination Danger jouait la carte de l’exotisme en situant ses épisodes sous toutes les latitudes, et notamment dans les colonies britanniques. Au contraire de Bond, qui bénéficiait de moyens bien supérieurs, Drake cependant dut se contenter d’un exotisme de studio qui contribue finalement au charme encore très fort de la série. L’accent fut mis également sur les scènes de bagarres, omniprésentes, et sur l’action, qui constituait l’un des attraits majeurs du programme. On  retrouvait aussi dans de nombreux épisodes les thèmes du jeu et du chassé-croisé qui font partie intégrante du genre, ainsi que le goût des belles voitures et des femmes, quand bien même Drake mettait un point d’honneur à ne pas tomber systématiquement dans leurs bras, au contraire de son aîné du grand écran.

 

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  Chapeau melon et bottes de cuir : un autre style

 

Entretemps était apparu, toujours en Grande-Bretagne, un autre fleuron du genre, et de manière presque fortuite. The Avengers était en effet, à l’origine, une simple histoire de gangsters où un médecin s’improvisait justicier pour venger la mort de sa femme, avec le concours officieux et sporadique d’un espion en imperméable. Lorsque la série s’interrompit au terme d’une première saison de 26 épisodes, les producteurs décidèrent de conserver le personnage de l’espion, secondaire au départ, et de lui adjoindre une partenaire féminine. Le couple John Steed - Cathy Gale venait de naître et avec lui un style qui ne demandait qu’à s’affiner au fil des années, jusqu’à devenir une véritable institution confirmée par deux passages de relais, Cathy Gale cédant la place au bout de deux ans à Emma Peel qui irait elle-même jouer les Bond Girls en laissant le triste Steed en compagnie de Tara King. Steed - Gale - Peel - King : le style Chapeau Melon et Bottes de cuir a, avec ces quatre noms, marqué la télévision des années soixante et des décennies ultérieures, sacralisant carrément l’espion british bien au-delà de ce qu’avait réalisé John Drake.

L’essence de ce style est à l’opposé de celui imposé par McGoohan. Si les premières saisons privilégient des histoires assez classiques où la fantaisie n’apparaît que dans les relations de plus en plus détendues qu’entretiennent les deux vedettes, l’époque Emma Peel entraîne la série vers une réalité alternative où le traditionnel chassé-croisé entre espions côtoie volontiers le fantastique et où le réalisme des situations subit le plus irrévérencieux des traitements ! Chapeau Melon et Bottes de cuir est une série ouvertement parodique qui use de l’espionnage comme d’un prétexte et se joue, elle aussi, des clichés véhiculés par James Bond. A la virilité exacerbée de ce dernier, John Steed oppose un flegme aristocratique mené jusqu’à l’outrance, le personnage ne se séparant pour ainsi dire jamais de son chapeau melon et de son parapluie fétiche, véritables armes d’une efficacité redoutable. Si Bond séduit tout ce qui arbore une poitrine proéminente, Steed, lui, mène une vie asexuée fondée sur une relation platonique avec sa partenaire. Il faudra attendre Tara King, sa troisième équipière, pour voir cette relation évoluer vers un marivaudage plus affirmé, encore que non abouti. En revanche, Steed a le goût des belles carrosseries, automobiles s’entend, et est grand consommateur de champagne, dont la symbolique sexuelle est allègrement exploitée par les scénaristes dans le générique de la deuxième saison Emma Peel (la cinquième de la série).

Le programme est d’ailleurs riche en connotations érotiques, chacune des partenaires de Steed jouant de son charme et de ses formes au point d’imposer une véritable mode vestimentaire. Si Cathy Gale avait ouvert le bal dès 1962, avec ses combinaisons de cuir, c’est Emma Peel qui détient la palme de la sensualité, son nom même ayant été formé sur l’expression « M (pour Man) Appeal ». Objets de sensualité, les femmes de Chapeau Melon et Bottes de cuir n’en ont pas moins une forte personnalité et une indépendance qui ont ouvert une voie nouvelle aux personnages féminins à la télévision. S’il est fréquent de les voir dans des situations dramatiques, voire avilissantes, empruntées à l’esprit serial des années trente-quarante, il n’est pas rare non plus de les voir sauver la mise à leur partenaire masculin.

Parvenue à maturité en plein boom de l’espionnite, entre 1962 et 1969, la série est passée à la couleur en 1967 et a connu un succès retentissant. Elle est cependant très éloignée du schéma classique à la Destination Danger, où l’agent secret fait le tour de la planète pour damer le pion aux agents du camp adverse. Steed et ses équipières quittent rarement le sol britannique et leurs investigations leur font traverser avec dérision toutes les couches de la société anglaise, particulièrement dans les saisons Emma Peel et Tara King, peuplées de personnages secondaires savoureux et empreints d’une ironie constante. Comme dans Destination Danger, le vieil esprit colonial de Sa Majesté en prend plein la figure mais tout autant l’establishment sous toutes ses formes, de l’aristocratie décadente aux hommes d’affaires sans scrupule. L’expression « jeux d’espion » est à prendre ici au sens propre, ce que font d’ailleurs les scénaristes dans plusieurs épisodes parmi les plus inspirés, comme « Jeux » et « Clowneries ». Au passage, titres et intrigues parodient parfois d’autres programmes marquants de l’espionnite anglo-saxonne, comme Des agents très spéciaux (le titre original de l’épisode « Maille à partir avec les taties », « The Girl from Auntie », reprend celui de The Girl from UNCLE, le spinoff des Agents très spéciaux) ou Mission : Impossible (« Mission très improbable »). Les « vilains » de la série sont par ailleurs souvent d’affreux mégalomanes dignes des James Bond, toujours en quête de manières originales de se débarrasser des gêneurs ou de conquérir le monde.

Cocktail particulièrement réussi d’espion-nage, de science-fiction et de fantastique baignant dans un non-sense typically british, Chapeau Melon et Bottes de cuir connaîtra un bref revival dans les années 70, davantage tourné vers l’action, mais continue de briller au firmament des chefs d’oeuvre cathodiques par ses années classiques, de Cathy Gale à Tara King.

 

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  James West ou la quintessence du spy game

 

En fait de quintessence, Les Mystères de l’Ouest est à l’Oncle Sam ce que Chapeau Melon et Bottes de cuir est à Sa Majesté : une sorte d’OVNI apparenté à plusieurs genres et qui renouvelle les thèmes de l’espionnage en les plongeant dans un fantastique et une dérision constants. Créée en 1965, la série coïncide avec l’apparition d’Emma Peel en Angleterre et donc avec l’âge classique de Chapeau Melon... La volonté de Michael Garrison, créateur et producteur, était clairement de jouer sur deux tableaux : celui de l’espionnite et celui du western, genre typiquement américain qui connaissait un énorme succès à la télévision américaine depuis les années 50 mais vivait à l’époque la fin de son âge d’or. Son personnage emprunte donc son prénom à l’Espion par excellence du moment, James (Ooh ! Jaaaames !), et son nom tout simplement au cadre de la série : West, réunissant dans son seul patronyme les deux influences qui le définissent. Quant au titre de la série, il traduit la volonté de raconter des histoires tout à fait originales dans un décor aussi riche en clichés que le récit d’espionnage : le Wild West de Buffalo Bill, expression consacrée renvoyant à l’époque mythique des pionniers, devient le Wild Wild West. Plus qu’une redondance, il s’agit bien d’un élément de caractérisation totalement différent qui sous-entend un degré supplémentaire de bizarrerie, de folie, applicable autant au cadre qu’au héros. Et c’est bien ce que se propose d’offrir Garrison: un mélange d’action et de fantaisie dont la véritable frontière, bien plus que l’exactitude historique, est l’imagination.

Dès le premier épisode, les responsables de CBS, qui programmait la même année le très classique Destination Danger importé de Grande-Bretagne, furent quelque peu déroutés par ce cocktail inédit dont ils ne surent trop que faire, craignant la réaction d’un public désarçonné. Incapables de surmonter leur surprise initiale, ils ne faciliteront pas la production de la série qui connaîtra tout de même quatre saisons, miraculeusement issues des studios de la Paramount, mais finira par disparaître sous les coups d’une campagne anti-violence particu-lièrement virulente aux Etats-Unis.

L’esprit des Mystères de l’Ouest tient pourtant à cette recette unique qui tire profit des mythes westerniens (les grandes étendues sauvages, les gunfights, la bagarre de saloon, le héros viril et solitaire) tout en en donnant une lecture innovante et résolument moderne. James West et son acolyte Artemus Gordon sont confrontés chaque semaine aux fantômes du passé ou au spectre de l’époque moderne : d’un côté des colonels mal remis de la Guerre de Sécession, de vieilles demeures coloniales ou les relations difficiles avec les Indiens, de l’autre des machines insolites et hautement improbables qui annoncent l’ère nouvelle dans un style à la Léonard de Vinci. La série emprunte par ailleurs à l’espionnage façon James Bond une pléthore de gadgets dissimulés dans les manches, le chapeau, les chaussures ou les multiples doublures de West, et l’art du travestissement où Gordon est un véritable orfèvre, digne du Rollin de Mission : Impossible. Si certains épisodes épousent une structure assez classique, tous contiennent plusieurs éléments contribuant à brouiller les repères traditionnels, qu’ils soient empruntés à la science-fiction (la miniaturisation humaine dans « La nuit d’un monde nouveau »), au fantastique (les fantômes ou les créatures de la nuit, notamment dans « La nuit de la maison hantée » et « La nuit du loup ») ou au récit historique (Robin des Bois dans « La nuit de la terreur verte »).

Comme dans toute série d’espionnage, les femmes ont une grande place dans la série mais, une fois de plus, les scénaristes jouent avec le cliché bondien plus qu’ils ne l’imitent. La femme dans Les Mystères de l’Ouest est souvent fourbe et traitée sans ménagement, à l’image d’une scène du générique où le héros l’envoie valser d’un coup de poing, sans égard pour sa féminité. On a beaucoup disserté sur le comportement et les tenues moulantes de James West qui en ont fait dans l’imaginaire contemporain une icône gay, d’autant plus naturellement que son créateur, Garrison, était lui-même homosexuel. La misogynie ambiante, cependant, se rattache aussi aux deux genres les plus représentés dans la série.

A l’instar de l’âge d’or de Chapeau Melon et Bottes de cuir, Les Mystères de l’Ouest a imposé par ailleurs une galerie de vilains mégalomanes souvent savoureux. Le nain diabolique Miguelito Loveless en est l’exemple le plus fameux mais il ne doit pas occulter ses confrères qui donnent à nombre d’épisodes une coloration camp évoquant le kitsch et délirant Batman diffusé à la même époque. Plusieurs acteurs ont d’ailleurs joué les vilains dans les deux séries, comme Victor Buono (le Comte Manzeppi dans Les Mystères..., le roi Tut dans Batman) ou Burgess Meredith (le Professeur Cadwallader dans « The Night of the Human Trigger » et le Pingouin dans Batman). Ces personnages imposent une dimension théâtrale que l’on retrouve constamment dans les situations et les décors, ajoutant au côté décalé de la série et contribuant à « l’intemporaliser », ce qui eut pour effet d’en faire un programme culte un peu partout dans le monde.

 

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  Solo, Max, Robinson... Des espions en pagaille

 

Les années 1964 et 1965 virent apparaître d’autres déclinaisons marquantes de l’espionnage, chacune bénéficiant de caractéristiques (à peu près) propres. La première, antérieure aux Mystères de l’Ouest, est aussi la plus liée à James Bond, dont le nom décidément est indissociable de l’espionnite cathodique. Le producteur Norman Felton, en effet, demanda à Ian Fleming de réfléchir à une série inspirée de son personnage fétiche. Fleming, qui avait déjà travaillé sur deux projets de séries autour de Bond, proposa à Felton un personnage baptisé Napoleon Solo, élégant, redoutable et très porté sur le sexe faible. Malheureusement, la firme Eon Productions dirigée par Albert Broccoli et Harry Saltzman, les artisans de l’adaptation cinématographique, s’oppose à ce que Fleming mène à terme ce projet et essaie de le tuer dans l’oeuf. Felton réussit malgré tout à vendre la série après le départ de l’écrivain, à condition cependant d’en changer le titre, Solo étant déjà le nom d’un personnage de Goldfinger, troisième long métrage de la série cinéma. Ainsi naît The Man from UNCLE, dont le titre français, Des agents très spéciaux, montre clairement que le héros est pluriel. C’est que Napoleon Solo, interprété par Robert Vaughn, s’est vu adjoindre un équipier venu du froid, le Russe Illya Kuryakin, campé par David McCallum. La série plaide ainsi, en pleine guerre froide, pour une collaboration entre les deux pays face à une menace qui pèse sur tout le monde libre : l’organisation criminelle internationale THRUSH, variante à peine déguisée du Smersh combattu par Bond.

Des agents très spéciaux durera quatre saisons, de 1964 à 1968. Si les deuxième et troisième saisons orientent la série vers la parodie et les gadgets fantaisistes, la première et la quatrième en revanche offrent des histoires plus sérieuses, bien que l’humour en reste une composante importante. Comme John Drake, Solo et Kuryakin se déplacent beaucoup, traquant les agents de THRUSH et autres mégalomanes souvent hauts en couleurs (notamment des néo-nazis) un peu partout dans le monde. Les femmes, bien entendu, sont très présentes dans la série et sensibles au charme des deux héros, qui le leur rendent bien. Le Quartier Général de l’UNCLE (United Network Command for Law and Enforcement) est très marqué aussi par les bases secrètes dont les Bond du cinéma faisaient déjà grand usage.

L’année suivante, alors que West et Gordon font leurs premiers pas sur CBS, NBC, qui diffuse les aventures de Solo et Kuryakin, lance deux autres programmes d’espionnage. L’un est très classique et reprend en gros la recette des Agents très spéciaux avec quelques aménagements et davantage de sérieux : il s’agit de Les Espions, où Robert Culp, pressenti pour être Napoleon Solo, donne la réplique à Bill Cosby, premier acteur noir à partager la vedette d’une série d’une heure en prime-time. L’autre, en revanche, traite l’espionnage sur le mode parodique et s’autorise la plus grande fantaisie : Max la Menace, c’est son titre, compte encore parmi les « classiques » du petit écran, essentiellement grâce à son interprète vedette, Don Adams.

Les Espions fut créée par Sheldon Leonard, un acteur devenu producteur, et produite par David Friedkin et Mort Fine qui développèrent les personnages. Ceux-ci sont Kelly Robinson, joueur de tennis professionnel, et son entraîneur Alexander Scott, chargés par une agence gouvernementale de parcourir le monde sous leur couverture afin de remplir des missions secrètes. La série se voulait documentée et réaliste mais manquait singulièrement de rythme, aux dires de certains, ce qui explique peut-être qu’elle n’ait pas laissé beaucoup de traces.

Il en va autrement de Max la Menace qui compte 138 épisodes diffusés entre 1965 et 1970, plus une tentative de résurrection dans les années 80. C’est à Mel Brooks, connu pour ses parodies cinématographiques, et son complice Buck Henry que l’on doit la naissance de l’agent 86, alias Max Smart, qui en anglais signifie à la fois « élégant » et « malin ». Un patronyme-antiphrase puisque l’agent 86 est tout bêtement le moins malin, le plus maladroit, le plus fondamentalement incapable des agents secrets. Ce qui est en soi une gageure. Max travaille pour une organisation baptisée Control et dirigée par Le Chef. Bien que parfaitement incompétent, il réalise malgré tout l’exploit de damer le pion à l’organisation criminelle la plus terrifiante de la planète, connue sous le nom de Kaos et dirigée, elle, par un certain Siegfried qui consacra ses jeunes ans à oeuvrer pour le IIIè Reich. Max travaille souvent avec une femme, agent secret elle aussi, que l’on ne connaît que sous son numéro, le 99. Même si personne ne s’explique pourquoi, 99 est éperdument amoureuse de 86 et finira même par l’épouser, au cours de la quatrième saison.

On l’aura compris, Max la Menace prenait le contrepied des séries « sérieuses », à commencer par les Agents très spéciaux diffusés sur la même NBC. On y retrouvait des gadgets improbables tous frappés de l’esprit de dérision du programme, comme le téléphone-chaussure de Max, devenu un classique parmi les classiques.Aussi gaffeur que John Drake pouvait être rusé, Max Smart se sortait des missions les moins évidentes par son absence totale de professionnalisme et sa capacité à rebondir dans les situations a priori les plus désespérées. Comme ses confrères cependant, il affronta une galerie de méchants truculents, le premier d’entre eux étant un nain machiavélique appelé Mr Big et joué par le même Michael Dunn qui allait causer tant de soucis à l’agent James West sous les traits du diabolique Miguelito Loveless cité quelques paragraphes plus haut.

  

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Bonjour Monsieur Phelps...

 

Lorsque l’agent 86 cessa ses activités pour s’occuper de ses jumeaux, en 1970, après avoir passé la bague au doigt de l’agent 99, l’espionnite était en voie de rémission. Mais elle avait atteint en quelque sorte son apogée en 1966 avec la série que beaucoup considèrent, encore aujourd’hui, comme l’archétype de la série d’espionnage. Mission : Impossible (les deux points font partie du titre original, encore qu’ils soient parfois omis), créée par Bruce Geller, allie un grand sens du réalisme, au moins émotionnel, et une écriture rigoureuse qui font de chaque épisode une mécanique bien huilée.

La série présente les missions très secrètes menées par un groupe d’agents pour le compte du Département d’Etat américain, en toute illégalité. Comme Destination Danger et Des Agents très spéciaux, le programme s’inscrit dans la lutte Est-Ouest et prend la défense des démocraties occidentales contre le danger totalitaire, qu’il vienne des pays de l’Est, de l’Amérique du Sud ou de l’Afrique. Les agents de l’Impossible Missions Force sont des hommes doués de talents particuliers enrôlés pour leur aptitude à se sortir de toutes les situations et leur grande capacité de comédiens, qui est mise en avant dans tous les épisodes. Si les gadgets et les astuces jouent un grand rôle dans les missions, ce sont pourtant les personnages qui occupent le devant de la scène. Le gadget en effet crée les conditions de la réussite de chaque mission, mais c’est avant tout par leur talent d’acteurs et de metteurs en scène que les agents mènent à bien leurs opérations. Celles-ci les conduisent en de nombreux points du globe mais l’exotisme n’est pas la carte maîtresse du show, qui se focalise sur le déroulement d’une savante machination fondée sur la dissimulation et l’illusion, et sur le comportement des agents à chaque étape de la mission, en particulier face au risque constant de dérapage.

Mieux qu’aucune autre, Mission : Impossible parvient à mettre l’accent sur le danger que représente la vie d’agent secret, mais un danger de chaque instant qui réside non dans une arme braquée sur vous mais dans un mot, un pas de travers, une simple erreur. A l’action échevelée et aux fusillades entre camps adverses, Bruce Geller répond par l’intelligence et la préméditation : les agents de l’IMF ne mènent pas d’enquête, ils ne traquent personne et ne font que rarement le coup de poing. Lorsqu’ils entrent en scène, ils ont déjà en main tous les éléments nécessaires à la compréhension de leur mission, qui prend invariablement la même forme: il s’agit de tromper quelqu’un, d’endormir sa méfiance ou de le conduire dans un traquenard imparable afin de le neutraliser définitivement. L’espionnage, plus qu’un affrontement physique, est ici une partie d’échec, un jeu au sens théâtral du terme. Le microfilm, le renseignement ou l’objet que doivent récupérer ou détruire les agents n’est rien d’autre qu’un MacGuffin, un prétexte à un jeu du chat et de la souris où le méchant de la semaine est perdant d’avance.

La série, commencée le 17 septembre 1966 (voir plus loin le dossier sur la première saison), durera huit saisons, soit plus que n’importe laquelle des autres séries citées ici. On situe cependant l’âge d’or de la série dans les deuxième et troisième saisons, celles où les scénarii et le jeu des acteurs apparaissent comme les plus rigoureux. Au-delà, la série reste de qualité mais tend parfois à se répéter et ne bénéficie plus de l’aura de deux acteurs de premier plan, Martin Landau et Barbara Bain, époux à la ville et couple culte à l’écran.

Inspirée à Bruce Geller par les films Opération Topkapi et Du rififi chez les hommes, Mission : Impossible a fait de quelques scènes très simples de véritables morceaux d’anthologie. La plupart des épisodes s’ouvrent ainsi sur trois scènes immuables qui mettent en exergue la mécanique parfaitement huilée sur laquelle repose le succès de chaque mission. La scène du magnétophone, où Jim Phelps reçoit les informations nécessaires à la préparation de la mission, la scène du choix des agents et celle du briefing préliminaire sont les passages obligés d’un scénario classique de la série. La suite de l’épisode n’est que la mise en application d’un plan dont on ne connaît que les grandes lignes, de manière à laisser suffisamment de marge pour ménager quelques effets de surprise. Le générique lui-même est un modèle du genre, tant par la musique de Lalo Schifrin, devenue un hit mondial, que par le montage très serré de plans brefs extraits de l’épisode à venir. Quelques secondes suffisent pour être emporté par un rythme dynamique, alors même que la série est plutôt avare en scènes d’action pure.

  

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Et après ?

 

L’influence de Mission : Impossible dépassa largement le cadre de la série d’espionnage. Dans la décennie suivante, on retrouve le thème de la machination quasiment systématique dans Switch, une série produite par Glen Larson, où Eddie Albert partage la vedette avec Robert Wagner. Drôles de dames, dont le sujet semble a priori assez éloigné de la série de Bruce Geller, reprendra le même motif, en plus du patron invisible dont on n’entend que la voix : le Secrétaire d’Etat dans Mission : Impossible, Charlie dans Drôles de dames. Agence Tous Risques, série de pur divertissement, sera à son tour un démarquage non dissimulé de Mission (voir au milieu du présent numéro). Tant et si bien que la Paramount, détentrice des droits, essaiera de ressusciter la série à la fin des années 80, en pleine grève des scénaristes (ce qui explique que certains scénarii aient simplement été repris de la série originale, parfois sans l’assentiment des auteurs). Sans grand succès toutefois, même si cette nouvelle livraison de 35 épisodes, tournée en Australie, a été plusieurs fois rediffusée chez nous par M6.

La fin des années soixante marqua donc la fin de l’espionnite aiguë. Même Mission : Impossible, durant ses dernières années, lança ses agents sur la trace des ennemis de l’intérieur plutôt que dans une croisade internationale. Cela signifiait-il que l’espion allait disparaître pure-ment et simplement de la scène télévisuelle ? Pas tout à fait, mais il est certain que l’espionnage seul cessa d’intéresser les diffuseurs. Il fallait autre chose, un « plus » qui accompagne l’évolution des modes.

De fait, les espions numéro un de la décennie 70 ont un pied dans la science-fiction. Et quel pied ! Steve Austin et Jaimie Sommers sont tout simplement des êtres mi-humains mi-machines, des espions bioniques créés tout spécialement par les techniciens de l’Oncle Sam pour botter le derrière des agents étrangers avec toute la puissance de leurs jambes et de leur bras électroniquement modifiés. Tel qu’il fut conçu au départ par l’écrivain Martin Caidin, Steve Austin était un ancien astronaute devenu agent très secret au service d’un organisme affilié à l’Armée, après qu’un accident dramatique survenu lors d’une expérimentation top secrète l’eut presque tué et eut fait de lui le premier humain à se voir greffer des membres bioniques. Désormais doté d’une force bien supérieure à celle d’aucun homme, il payait sa dette en remplissant au bout du monde des missions fortement inspirées des exploits bondiens. Lancée en 1973 sous forme de téléfilms, L’Homme qui valait trois milliards (le prix de la « résurrection » de Steve Austin, six millions de dollars dans la version originale) devint une série hebdomadaire en janvier 1974. Elle s’éloigna alors du modèle bondien voulu par le producteur Glen Larson et s’attacha à peindre un héros humain embarqué dans des aventures peu ordinaires.

Deux ans plus tard, une série dérivée fut lancée, mettant en vedette l’alter ego féminin d’Austin, la joueuse de tennis professionnelle (une référence à Kelly Robinson de Les Espions ?) Jaimie Sommers, devenue à son tour une espionne bionique après un accident presque mortel.

L’Homme qui valait trois milliards et Super Jaimie appartiennent bien au genre espionnage par leur postulat de départ. Pourtant, les deux programmes flirtent constamment avec la science-fiction, particulièrement à la mode en ces années 70 où, après La Planète des singes et ses quatre séquelles produites entre 1969 et 1973, de quasi-inconnus nommés Spielberg et Lucas s’apprêtent à créer l’événement en sortant respectivement Rencontres du troisième type et La Guerre des étoiles. Ce sont aussi des séries humanistes qui s’attachent à peindre chaque semaine des drames individuels où les héros interviennent pour « recoller les morceaux », comme le fera plus tard Sam Beckett, archétype du boy-scout télévisuel dans Code Quantum. Si les agents bioniques ont parfois maille à partir avec des espions mégalomanes et des savants fous, comme leurs aînés de la décennie passée, ces exploits n’occupent cependant qu’une partie de leur emploi du temps.

Dans la même mouvance, deux nouvelles versions de L’Homme invisible furent produites à la mode américaine (la première datait de la fin des années 50, en Grande-Bretagne). David McCallum était, dans la première, un scientifique devenu invisible à la suite d’une expérimentation qui avait mal tourné, et il mettait son « talent » au service d’une organisation appelée Klae Corporation. Dans la seconde, Ben Murphy devenait invisible à son tour et travaillait pour l’agence Intersect. Les deux programmes en fait reprenaient la même formule, où l’espionnage était prétexte à des investigations diverses, l’essentiel étant dans le gimmick de chacune des séries : McCallum ne pouvait être visible qu’en portant une peau synthétique adaptée à ses traits et qu’il enlevait au moment opportun dès qu’il voulait se mouvoir sans être vu, quant à Ben Murphy il lui suffisait d’appuyer sur un bouton d’une montre spéciale pour disparaître à la vue de tous mais il ne pouvait rester invisible trop longtemps, sous peine de disparaître à tout jamais.

C’est à la fin de la décennie que l’on retrouve un personnage d’espion pur et dur, toujours influencé par la figure de Bond et interprété au demeurant par un acteur qui s’était déjà illustré au temps de l’espionnite : il a pour nom Sloane et prend les traits de Robert Conrad, alias Jim West dans Les Mystères de l’Ouest. Malheureusement, cette série produite par Quinn Martin avec son complice des Rues de San Francisco, Cliff Gould, ne vivra que douze épisodes. Quelques années plus tôt, en 1972, Conrad avait déjà réendossé le rôle d’un agent secret pour une autre aventure éphémère intitulée L’Homme de Vienne, tournée dans les décors naturels de la cité autrichienne. Avec Sloane, agent spécial, il renoua pour quelques semaines avec la veine mi-dramatique, mi-parodique des Mystères de l’Ouest dans un cadre empruntant à la fois à Des Agents très spéciaux et à Max la Menace. Thomas Remington Sloane III était en effet un agent travaillant pour une organisation secrète baptisée UNIT, en lutte contre son alter ego criminel KARTEL. A l’instar des locaux secrets de l’UNCLE, le Quartier Général d’UNIT était dissimulé dans les sous-sols d’une boutique apparemment anodine, en l’occurrence un magasin de jouets. Sloane bénéficiait de gadgets mis au point dans l’officine d’UNIT et recevait par ailleurs le concours de deux « personnages » insolites : le premier était un ex-méchant passé du bon côté et qui, outre sa grande taille et sa carrure de footballeur, possédait une main en fer qu’il pouvait remplacer à volonté par une batterie d’ustensiles fort utiles en mission. Le second était un ordinateur très perfectionné répondant au doux nom d’Effie et doté, lui, d’une voix sensuelle et amoureuse !


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  Espions des années 80

 

La décennie 80 ne marqua pas le retour de l’espionnite mais eut recours plusieurs fois à la figure de l’espion, dans des déclinaisons plus ou moins renouvelées. En 1982, Robert Urich campait un océanographe travaillant en fait pour les services secrets dans Gavilan, créée par l’un des scénaristes des James Bond, Tom Mankiewicz, et où il donne la réplique à Patrick McNee post-Chapeau Melon. Le programme ne vécut que quelques semaines, faute d’originalité. On notera au passage que, deux ans plus tôt, Glen Larson avait tenté de réactualiser l’espion séducteur et viril en livrant à CBS un Magnum dans la mouvance de James Bond. Tom Selleck avait malheureusement (pour Larson) insisté pour retravailler le personnage dans un sens moins caricatural, faisant intervenir Donald Bellisario qui allait redéfinir le détective et en faire le Thomas Magnum que l’on connaît aujourd’hui. Quelques scènes du téléfilm pilote, cependant, trahissent encore la première version, lorsque le beau détective contemple de charmantes hôtesses de l’air au clair de lune. Dans un épisode ultérieur, « Fiction ou réalité », Selleck parodiera toutefois le mythe bondien à la faveur d’une histoire partagée entre la réalité et les rêveries d’une femme écrivain.

Larson, lui, confirma son attachement à l’espionnage en créant en 1984 Espion à la mode (ou Espion modèle), où c’était cette fois Richard Anderson, le patron de Steve Austin et Jaimie Sommers lors de la décennie précédente, qui reprenait du service en qualité de chef officieux d’une photographe et de son modèle, en fait deux espions travaillant pour le gouvernement américain. La mort de l’acteur principal, Jon-Erik Hexum, en cours de tournage entraîna malheureusement un bouleversement dans la distribution et la série ne survécut pas à sa première saison, malgré un concept finalement assez attrayant, mêlant voyages à l’étranger, action et jolies filles.

L’exploitation la plus durable et la plus inspirée de la figure de l’espion fut en définitive une comédie romantique créée par deux nouveaux-venus dans le paysage télévisuel, Eugenie Ross-Leming et Brad Buckner, autour de la comédienne Kate Jackson, ex-Drôle de dame. Les deux font la paire vit le jour en septembre 1983 sur CBS et dura quatre saisons. Le concept revisitait en fait le motif de l’espion à la mode du vaudeville romantique particulièrement apprécié dans les années 80. Amanda King, une ménagère tout ce qu’il y a de plus banal, croisait accidentellement la route d’un agent secret surnommé Scarecrow (l’Epouvantail) et se trouvait entraînée dans un univers à mille lieues du sien. Fondée sur un quiproquo, la série joue à fond la carte du chassé-croisé, celui des espions comme celui des protagonistes qui finiront d’ailleurs par unir leurs destins. Le rythme est vif, à l’image de la musique composée par Arthur Rubinstein, et les situations souvent réjouissantes. Comme les espions de la grande époque, Lee Stetson (c’est le vrai nom de Scarecrow) et Amanda King s’offriront même quelques excursions en Europe, dans la région des grands lacs, loin de Washington où se déroulent la plus grande partie de leurs aventures2. Tout en reprenant quelques « incontournables » de la tradition d’espionnage, comme le complexe ultra-secret auquel on accède par... une penderie, la série délaisse les gadgets à gogo et privilégie la relation entre les deux personnages principaux.

  

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Les années 90 entre hommage et parodie

 

Après Les deux font la paire, aucune série majeure ne revisitera le « mythe » de l’espion avant la fin du millénaire. Quelques tentatives émaillent bien les années 90 mais toutes ont connu une vie brève, malgré des qualités certaines. On s’arrêtera d’abord sur Spy Game (Jeux d’espion), une production de Sam Raimi et John McNamara où Linden Ashby et Allison Smith plagient sans vergogne le couple Steed-King de la quatrième époque de Chapeau melon et bottes de cuir. Lancée en 1997, juste après le succès au cinéma du Mission Impossible de Brian De Palma, Spy Game se situait dans la lignée parodique de Max la Menace et d’une partie des aventures des Agents très spéciaux. Une dérision constante faite de reparties plus ou moins drôles, de gadgets omniprésents et d’une réalisation « nerveuse » rendait la série plutôt plaisante, en plus de la participation notable de Patrick Macnee qui, avec quinze ans de plus que dans Gavilan, faisait ainsi un clin d’oeil appuyé à son personnage de Steed. Malheureusement, le spectacle, produit comme Les deux font la paire par Warner Bros., ne dura que treize épisodes.

C’est Glenn Gordon Caron, ancien producteur de Remington Steele et créateur de Clair de lune, qui créa la surprise en 1999 avec Un agent très secret, une sorte de combinaison inspirée des espions bioniques et de la comédie romantico-policière des années 80. Le héros en est un assureur obèse qui, après sa mort accidentelle, se réveille dans le corps totalement artificiel d’un athlète de vingt-six ans dans lequel on a transplanté son cerveau. Sa personnalité est sauvegardée mais il « appartient » dorénavant au gouvernement des Etats-Unis qui a financé les recherches dont il est l’heureux bénéficiaire. Heureux, si du moins l’on considère qu’on peut l’être en vivant à quelques kilomètres de sa femme et de sa fille que l’on a interdiction de revoir, sous peine de mort, la sienne et celle de sa famille perdue. Pour ne rien arranger, on demande à ce héros malgré lui de devenir un super-espion au service de la nation ! Avec un tel concept, on ne devait pas s’attendre à une série d’espionnage « classique » et Un agent très secret se contente en effet d’emprunter le motif de l’espion pour développer une histoire dont l’intérêt est, plus encore qu’avec Les deux font la paire, dans les personnages. Souffrant parfois de quelques lenteurs mais riche en situations farfelues autant qu’en émotion, la série fut malheureusement annulée au terme de sa première saison, malgré un accueil critique favorable.

Entretemps, c’est le circuit de la syndication qui avait, dès mars 2000, accouché d’un nouvel avatar de l’espionnite next generation. On le devait cette fois à Barry Sonnenfeld qui réutilisait au passage quelques idées de son populaire Men In Black tout en dépoussiérant le mythe de James Bond. Secret Agent Man, introduite chaque semaine par la chanson de Johnny Rivers qui servit de générique américain à Destination Danger dans les années 60, reprend les intentions ultra-parodiques de Spy Game et la plupart des poncifs du genre (la base secrète, les gadgets plus ou moins efficaces, l’espion séducteur et l’espionne venimeuse), autour d’un tandem mixte dans l’esprit des indétrônables Steed et King. Flegmatique et parfois inventive, peut-être, malheureusement, au-dessus des moyens mis en oeuvre, la série disparut après douze épisodes.

On terminera enfin avec une nouvelle mouture de L’Homme invisible, produite cette fois pour SciFi Channel sous la direction d’Edward Ledding (également producteur de Spy Game), Jonathan Glassner (Stargate SG-1) et David Levinson. Invisible Man, annulée au terme de sa seconde saison en 2002, avait le mérite de sortir des sentiers battus. Toujours construite sur le schéma du buddy show, ici un agent malgré lui et un dur à cuire de l’espionnage, la série conservait la dérision de beaucoup de shows antérieurs et pratiquait le mélange des genres sans toutefois abuser des gadgets et en bousculant quelque peu l’image de l’espion élégant et maître de lui.

 

Si l’on voulait donc évoquer en une phrase quarante ans d’espionnage à la télévision, il serait difficile d’en évincer l’ombre omniprésente de James Bond, le Monsieur Espion toutes catégories. Soit il inspire, plus ou moins fortement, les espions créés pour la télévision, soit il fonctionne comme un contre-exemple dont l’espion télé s’éloigne avec plus ou moins de réussite. La création de Secret Agent Man en 2000 démontre combien forte demeure l’empreinte de l’archétype bondien. On pourrait aussi supposer qu’en reprenant le thème musical de Destination Danger la série de Sonnenfeld fermait la boucle et que la télévision, après plusieurs échecs cuisants au cours des années 90, allait s’intéresser à d’autres chats. Mais la saga de l’espion n’est pas terminée puisqu’une autre série lancée en 2001 s’attaque au mythe en le revisitant sur le mode « familial », à la manière des Deux font la paire : dans Alias, en effet, une espionne de charme mène double vie et relance une fois de plus la machine, tandis que The Agency, avec Gil Bellows post-Ally McBeal, s’intéresse aux coulisses de la CIA. On a beau faire, les concepts ont la vie dure... Et nous voilà contraints d’écrire, non pas FIN mais...

 

 

NOTES

1. Cette diffusion eut lieu dans le cadre du Climax Mystery Theater le 21 octobre 1954.

2. Bien qu’annoncé dès la création d’Arrêt sur Séries, le dossier sur Les deux font la paire n’a toujours pas eu le bonheur de côtoyer nos pages. Que les fans de Scarecrow et Mrs King se rassurent cependant : il est en bonne voie et devrait, si tout va bien, voir enfin le jour dans notre prochain numéro, en juin 2002. Croisez les doigts !

Tag(s) : #Dossiers, #Dossiers 1960s
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