Un article de Thierry LE PEUT

paru dans Arrêt sur Séries 5 (juin à août 2001)

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Guide des épisodes

  

« Jonathon Raven est un jeune Américain qui a passé son enfance au Japon, jusqu’au jour où ses parents furent assassinés. Pour les venger, il s’infiltrera au sein des Dragons Noirs, l’organisation responsable du meurtre de ses parents. Aujourd’hui, à Hawaii, avec l’aide de son ami Ski, vétéran de l’armée, il tente de retrouver son fils qu’il n’a jamais rencontré... »

 

  

Ainsi résumée au début de l’épisode Les Gardiens de la Nuit (en France en tout cas, c’est le seul épisode qui commence par cette introduction en voix off), Raven s’apparente au genre action-adventure largement représenté dans les séries comme au cinéma. Un héros courageux et fort, des parents assassinés, une organisation secrète, un acolyte : la recette pourrait être celle de Batman ou d’un film de Bruce Lee, voire, après quelques modifications, celle du Caméléon, dont le héros n’est pas sans points communs avec Jonathon Raven. Bien qu’ayant grandi avec ses parents jusqu’à l’adolescence, ce dernier s’est vu privé de leur affection par les assassins des Dragons Noirs, une organisation secrète existant au Japon depuis l’époque féodale au moins (pensez aux ninjas). Dès lors, sa vie n’a été guidée que par une idée, une seule : la vengeance. Devenu lui-même un Dragon Noir, le seul occidental à avoir survécu à l’entraînement de ces guerriers de l’ombre, Jonathon a finalement massacré tout son clan, à l’exception de deux hommes. Plusieurs fois la scène reviendra le hanter au cours de la série. Les mains pleines du sang de ses bourreaux et frères d’armes, le jeune homme s’est retrouvé dans la vraie vie, aussi dépourvu que les astronautes revenus de la première mission sur la Lune : sans but désormais, il aurait pu sombrer dans la dépression si un agent des services secrets américains ne l’avait « récupéré » pour en faire l’un des meilleurs assassins des Forces Spéciales, sinon le meilleur. Tout cela est raconté dans l’épisode Echec et mat, où le rapport filial unissant les deux agents, le mentor et son disciple, n’est pas sans évoquer la relation ambiguë rattachant Dale Cooper à Windom Earle dans Twin Peaks

Raven ayant été produite par la chaîne CBS quelques années après l’arrêt de Magnum, qui avait elle-même succédé à Hawaii Police d’Etat, le parallèle avec Thomas Magnum ne surprendra personne. Comme Raven, Magnum a travaillé pour les services secrets et certaines parties de sa vie ne sont pas sans reproche, comme le souligne l’épisode Déjà vu. Magnum pourtant est une série qui, si elle sait être grave, manie avec art la légèreté et la complexité des personnages. La comparaison ne peut se faire qu’au détriment de Raven, dont l’action reste la composante essentielle. La série a pu être définie comme un mélange de Magnum, de Kung Fu et de Miami Vice, ce qui peut à première vue paraître beaucoup. On pourrait croire que les producteurs n’ont pas su choisir entre ces influences diverses, parfois divergentes, et expliquer ainsi l’échec de la série, qui ne compte que vingt épisodes répartis sur deux demi-saisons. On peut se demander aussi si Raven aurait tenu jusque là sans la présence de Lee Majors, parfait en vétéran excentrique, haut en couleurs, bien loin de l’image propre et lisse de Steve Austin et du cow-boy de La Grande vallée. Toutes questions qui n’enlèvent rien aux qualités de la série et font regretter qu’elle n’ait pas eu le temps de les développer pleinement.

 

 

Un héros réussi

 

Reprenons donc au commencement. La première séquence du téléfilm pilote, Le retour des Dragons Noirs, nous présente Jonathon Raven à la recherche du fils qu’il n’a jamais connu. D’emblée, la sérénité du personnage est mise en contraste avec la nervosité de l’indic qui l’accompagne, et qu’il endort d’une pression sur la nuque. Sa grande confiance en lui est manifeste face à deux malfrats sans envergure qui représentent un type présent dans la plupart des épisodes : le plouc trop sûr de lui, très vite remis à sa place en quelques coups de savate. Raven démontre dans ces premiers instants sa science des arts martiaux, qui réside autant dans la maîtrise de son corps et la connaissance de techniques particulières que dans la capacité à tirer parti de tout ce qui tombe sous la main. L’aptitude du héros, comme la récurrence de ce genre de scène, constitue l’héritage Kung Fuesque de Raven, confirmé dans la suite par quelques retours en arrière où le personnage se remémore les leçons de son Sensei (son Maître), au Japon. La qualité de la série se mesurera alors à la capacité des scénaristes à varier ces passages obligés et à les intégrer à une histoire cohérente : ce qui est réussi dans un épisode comme Voyage initiatique l’est beaucoup moins dans La voie du passé ou La plage sanglante, par exemple, où le héros affronte des petits malins qui n’ont rien à voir avec l’intrigue et qu’on ne reverra d’ailleurs pas dans la suite de l’épisode. C’est là l’une des limites de la série, qui ne manque pas d’agacer à l’occasion. On remarquera aussi la finesse toute relative des dialogues associés à ces scènes, du genre : « Là-haut il y a trois types. Ils sont trois fois plus balèzes que toi ! » La démonstration de force du héros est donc, logiquement... trois fois plus impressionnante !

C’est le passé du personnage qui en fait finalement l’intérêt. Comme Magnum et la plupart des héros de Bellisario, et beaucoup de héros tout court d’ailleurs (Mulder et Jarod en tête), Raven souffre d’une blessure qui ne peut cicatriser. Le meurtre de ses parents puis la perte de sa femme, morte peu de temps après la naissance de leur enfant, le hantent à chaque instant. C’est en même temps dans la douleur qu’il a puisé sa force exceptionnelle : sans la mort de ses parents, il n’aurait pas acquis cette rage et cette maîtrise qui ont fait de lui l’un des tueurs les plus redoutables des Forces Spéciales, capable d’exterminer un clan entier de Dragons Noirs. Le drame marque l’entrée de l’enfant dans l’âge adulte et définit en grande partie le personnage. S’il est difficile de s’identifier à un homme qui, en entrant dans une pièce, calcule instantanément les différentes façons de tuer qui s’offrent à lui, ou tient tête à des tueurs entraînés et pratiquement invulnérables, rien de tel en revanche qu’une blessure d’adolescence pour rendre un héros sympathique. La quête du fils perdu ne fait qu’ajouter au capital sympathie de Raven. La moitié des épisodes de la série suit cette ligne directrice, les enfants sans famille se succédant sans que jamais le fils recherché se présente. Classique, direz-vous ? Sans doute. Pourtant les sentiments de Raven sont presque tangibles, principalement grâce au jeu de Jeffrey Meek, qui campait déjà un homme sans patrie et sans attache dans L’Exilé. L’acteur sait rendre convaincantes la souffrance et la solitude du héros, que ne masque pas son apparente invincibilité. De ce point de vue, Raven est bien plus attachant qu’un Walker ou que le personnage incarné par Sammo Hung dans Le Flic de Shanghai. Le cynisme du personnage, cette ironie qui passe pour de l’arrogance, est à la fois une ruse pour endormir la méfiance de ses adversaires et un masque derrière lequel il dissimule une détresse profonde. Mystérieux et, pour cette raison même, séduisant, Raven rêve aussi désespérément de reformer une famille après en avoir déjà perdu deux. 

Là où Chuck Norris campe un héros monolithique qui n’a aucune peur ni aucune honte à l’égard de la bête tapie en lui, arborant des valeurs morales aussi solides que ses poings, Jeffrey Meek donne de l’épaisseur à son personnage. « Je déteste la violence mais j’ai l’impression qu’elle m’entoure », déclare-t-il dans Voyage initiatique. « Et il m’arrive parfois d’être épouvanté à l’idée qu’elle puisse faire partie de ma vie en permanence. » Dans cet épisode, l’ancien tueur des Forces Spéciales essaie de faire comprendre à un enfant de quatorze ans qui pourrait être son fils que savoir se défendre, « c’est à soixante pour cent être capable de bien courir » et, pour le reste, « savoir quand se cacher et quand se battre. » La démonstration souffre bien sûr de la propension malheureuse du héros à rosser deux ou trois bonshommes par épisode, mais on attribuera ce hasard malchanceux au Destin Scénaristique qui veut que Raven s’apparente aux formula shows de la télé US, ceux où chaque histoire se rattache à un schéma récurrent ! Voyage initiatique, en tant que segment autonome, se tient convenablement et permet d’apprécier la face la moins invulnérable de Raven. « Hier encore j’en rêvais et j’espérais », confie-t-il au lendemain de ses retrouvailles avec son fils, « et tout d’un coup il est là. Il a un visage, une personnalité, une histoire. En réalité, nous sommes des étrangers. Sincèrement, je me demande si je vais pouvoir être à la hauteur... » Cette attitude place le personnage dans la mouvance moderne du héros qui doute, dessinant un contraste intéressant entre la force habituelle de Raven dès qu’il s’agit de se protéger et de protéger quelqu’un d’autre, et sa fragilité quand il lui faut construire une relation avec son coeur et non avec ses poings.

 

 

Une autre fois, la carapace du personnage est à deux doigts de craquer : lorsqu’il croit avoir retrouvé Aki, son seul amour, qu’on lui avait dit morte. Capable du plus grand contrôle, Raven ne maîtrise plus ses émotions dès lors que ses sentiments les plus chers sont en jeu. Le regard égaré, il supplie Ski de l’aider dans ses recherches et ne se contient plus lorsque son ami refuse, s’inquiétant de le voir poursuivre une chimère. Ses sentiments apparaissent donc comme la plus grande faiblesse du personnage, ce que comprend bien son ennemi Osato qui, à deux reprises, pousse le personnage à réagir en menaçant la vie de son fils. On perçoit mieux, à ce type de scène, la parenté entre Raven et Jarod dans Le Caméléon : une même force, les arts martiaux mis à part, alliée à une détresse qui constitue la face sombre, constamment cachée mais dangereuse, du personnage. Tous deux éprouvent par ailleurs des difficultés à donner leur confiance, ce qui les prive de relations amoureuses équilibrées. On connaît à Raven quelques aventures mais rien de très sérieux, et le téléfilm pilote nous le montre incapable de faire l’amour à une autre femme que celle qui lui donna un fils et qu’il a perdue. C’est encore un point commun avec Magnum, qui lui aussi demeure attaché, par-delà le temps, à un unique amour. 

Jonathon Raven, enfin, souffre comme tant d’autres du syndrome... du boy-scout ! « On ne peut pas vivre en paix avec soi-même sans tenir compte du reste du monde », dit-il en substance à Kim Tanaka dans le pilote. Sous couvert de philosophie orientale, le héros se rattache ainsi à la longue tradition du Saint Bernard entraîné dans une ribambelle d’aventures pour secourir, sauver ou réconforter les autres. On ne sait pas exactement pourquoi, mais Jonathon apparaît comme une sorte d’ultime recours à des gens qui ne sont pas censés le connaître. Dans Les disciples de l’aube, par exemple, une journaliste qui a enquêté sur lui a recours à ses services pour une histoire qui relèverait plus vraisemblablement de la police. On se demande, au passage, comment font les Dragons Noirs pour ne pas retrouver Raven plus facilement lorsqu’une simple journaliste réussit sans mal à mettre à jour le passé mystérieux du personnage ! Les prémisses de Crimes en série sont tout aussi fragiles : Jonathon y fait équipe avec une enquêtrice japonaise parce qu’il a perçu une similitude entre une série de crimes commis à Hawaii et des morts identiques survenues au Japon des années plus tôt. Rien n’explique la présence naturelle du héros sur les lieux d’un crime, à l’intérieur de l’espace délimité par la police, sinon, il est vrai, les bonnes relations de Ski avec les représentants de l’ordre. Les épisodes, cependant, parviennent à varier les prémisses et plusieurs d’entre eux expliquent l’intervention du héros par le fait qu’il recherche son fils, ce qui l’amène à croiser le destin d’autres personnages (L’ennemi invisible, Le prix du mensonge), ou parce qu’il travaille avec Ski engagé tantôt pour tester la sécurité d’un musée (Apprenti cambrioleur), tantôt pour retrouver un homme disparu (Surfer n’est pas tuer). D’autres fois, c’est son passé qui le rattrape, passé professionnel dans Echec et mat, personnel dans La plage sanglante.

 

The other side of Raven

 

De même que Magnum serait perdu sans Higgins, Raven ne serait rien sans son compère Ski. Tout un programme à lui tout seul, Ski permet à Lee Majors d’endosser un rôle à mille lieues de l’image propre et lisse d’un Steve Austin ou d’un Heath Barkley, ses personnages de L’Homme qui valait trois milliards et de La Grande vallée, par lesquels il s’imposa à la télévision. Herman Jablonski, dont on apprend par un plan du téléfilm pilote qu’il est médaillé du Congrès pour hauts faits d’armes, est en quelque sorte un Colt Seavers viré de Hollywood, plaqué par sa femme et qui aurait perdu son sens du paraître, déambulant dans une tenue plus ou moins débraillée. La barbe abondante, la voix éraillée, un vieux chapeau vissé sur le haut du crâne, le bonhomme sort à peine de plusieurs mois d’alcoolisme chronique lorsque le héros le contacte pour l’aider à rechercher son fils. On le rencontre dans une chambre miteuse à Tulsa, Oklahoma, une bouteille vide à portée de la main, un cendrier rempli de mégots au pied du lit, la poitrine soulevée par des ronflements sonores. Monsieur cuve après une nuit probablement mouvementée, si l’on en croit la jolie créature affairée dans sa salle de bain. « Je suis en pleine forme pour un alcoolique qui n’a pas bu une goutte d’alcool depuis deux jours ! », déclare-t-il à la jeune Kim Tanaka qui, dégoûtée, demande à Raven : « C’est ça, votre arme secrète ? » 

Majors s’est semble-t-il beaucoup amusé en incarnant cet anti-héros. « Je me suis mis du coton dans la bouche, j’ai laissé pousser ma barbe pour avoir l’air d’un ours et j’ai parlé d’une voix caverneuse. Je n’avais pas besoin de me raser, j’allais travailler sur la plage à Hawaii, et on me payait pour ça ! », déclarait-il joyeusement aux journalistes. L’acteur a même pris du poids pour donner plus de crédibilité au personnage, s’empressant cependant de retrouver la ligne sitôt le tournage terminé. « J’ai 54 ans et je ne m’intéresse plus qu’aux rôles de composition », ajoutait le comédien. « Je n’ai pas l’ambition, comme Warren Beatty, de continuer à faire la cour comme un jeune premier. » 

 

 

Ski est un contrepoint idéal à la noirceur du héros. Incapable de saisir le sens de la méditation, le vieil ours ne jure que par les femmes, qui le captivent, et les armes, dont il vit entouré. Ne vous fiez pas aux apparences : sous sa chemise hawaiienne ou le smoking qu’il a revêtu afin d’entrer incognito dans une fête, il cache un véritable arsenal. Poing américain, fil coupant, revolvers de toutes tailles, armes blanches : il n’y a pas une seule manche ou un seul pli de ses vêtements qui n’abrite une arme quelconque ! Même son lit d’hôpital, dans Retrouvailles, devient une armurerie ambulante. La scène où un truand armé ou un policier zélé le déleste de tout son attirail revient comme un leitmotiv dans plusieurs épisodes, prenant en charge la part comique de la série. Autre scène récurrente : désarmé, le détective sort un deuxième pistolet ; désarmé à nouveau, un troisième, et parfois un quatrième ! Ce qui ne l’empêche pas d’être plusieurs fois molesté, ses adversaires n’étant pas toujours aussi démunis ou impressionnables qu’il le souhaiterait. Volontiers grande gueule, Ski prend soin, aussi souvent que possible, de ne provoquer plus fort que lui que si Raven est là pour donner et recevoir les coups à sa place. Après tout, chacun son rôle. A l’occasion, sa ruse le sauve d’un mauvais sort, preuve qu’un esprit vif sommeille encore dans ce corps délabré nourri aux sandwiches à la moutarde et au thon.

On aurait tort de croire pourtant que Ski n’est qu’un fanfaron sans épaisseur. Son amitié pour Jonathon est sincère et il considère comme son rôle de protéger l’aventurier contre ses penchants boy-scouts. En cas de crise grave, il est également capable de se débrouiller seul et peut se révéler particulièrement efficace : « Je ne suis peut-être plus aussi jeune qu’auparavant mais j’ai plus la pêche que pas mal de vieux bouffons », s’écrie-t-il dans Les disciples de l’aube. Ski, dans le fond, est une âme naïve contrainte de survivre dans un monde de brutes. On lui pardonne donc son inculture (« C’est qui, cet Oliver Stone ? ») comme son goût immodéré des richesses matérielles, pour lesquelles il s’improvise chasseur de trésors dans La plage sanglante.

 

Sous le soleil, la noirceur

 

S’il est indéniable que la série fait une utilisation très « carte postale » du cadre hawaiien, une partie des épisodes s’ouvrant sur un montage de plans très touristiques célébrant la nature lumineuse, les eaux limpides peuplées de naïades enivrantes et de voiles rayonnantes, les plages dorées, Raven sait aussi jouer de la dichotomie entre une face diurne enchanteresse et un monde nocturne plus inquiétant. Une partie de la série se passe la nuit, dans les milieux interlopes d’Honolulu, comme c’était déjà le cas dans certains des épisodes les plus « urbains » et sombres de Magnum. Les producteurs n’ont cependant pas cherché à montrer la réalité : de bars de nuit en riches villas dissimulées derrière de larges murs, les personnages entraînent le téléspectateur dans un Honolulu très Miami Vice où l’on se déplace fréquemment en limousine blanche aux vitres teintées, où les entrepreneurs fortunés côtoient les dealers de luxe et les clubs très fermés. Tape-à-l’oeil, Raven ? En partie, oui, et la musique de Christopher Franke, du groupe Tangerine Dream, celui-là-même qu’engagera Straczynski pour signer la partition très marquée de Babylon 5, ajoute à ces allures d’affiche pour agence de voyage. La série flirte ainsi sur une vague « tendance » sans pourtant basculer dans le superficiel. Il s’agit plutôt d’un parti pris esthétique qui permet d’allier la modernité des villes et l’inspiration urbaine du film noir avec la splendeur des paysages naturels offerts par l’archipel. Des épisodes entiers délaissent d’ailleurs la Ville pour la nature vierge, à l’instar de Voyage initiatique et de Terre de paradis

Les lieux remplissent ainsi la même fonction que les personnages principaux, les uns lumineux et ouverts, les autres clos et sombres. Entre les deux, la maison du héros figure un espace vierge, celui du repos et de la méditation. On n’en a jamais une vue d’ensemble mais seulement une poignée de plans distincts les uns des autres : la porte d’entrée et une allée qui y conduit, l’intérieur, sobre et chaleureux, le jardin, qui donne sur la mer et une plateforme où Raven se recueille dans la position du lotus. Parfois, comme dans le pilote, cet espace quasiment sacré est violé par les tueurs mais la plupart du temps il permet aux personnages de goûter une relative sérénité. Là encore, on pense à Magnum et au nid douillet de Robin Masters, également en bord de mer et en grande partie coupé du reste du monde, véritable jardin d’Eden au coeur d’un Paradis par ailleurs souillé par le crime. Partiellement du moins, car d’autres lieux échappent à la corruption : le bar de Rick dans Magnum a simplement changé de propriétaire en devenant le Big Kahuna, toujours situé sur la plage de Waikiki et tenu par un personnage sympathique, le Big Kahuna lui-même (mais ses amis l’appellent B.K.). On y croise des serveuses en pareo ornées de couronnes de fleurs et les héros y bouclent souvent une enquête, à moins qu’ils n’y reçoivent un client, une amie, une alliée. Là ont lieu, comme il se doit, plusieurs scènes à dominante comique, chargées de détendre un peu l’atmosphère, souvent d’ailleurs aux dépens de Ski.

Les histoires de la série ménagent régulièrement des rebondissements assez noirs, en particulier dans leur traitement des rapports familiaux. Dès le pilote, Ken Tanaka est presque tué par un membre de sa propre famille, un yakuza. Dans Surfer n’est pas tuer, un officier de la Marine américaine est prêt à tuer son propre fils et cause finalement la mort de son autre fils. Dans Echec et mat, la vengeance orchestrée dans l’ombre par un ancien agent des services secrets aboutit presque à l’exécution de sa fille. Dans Les Gardiens de la nuit, un malfrat se sert de son frère pour retrouver un butin caché. Dans Retrouvailles, Jonathon est manipulé par sa belle-soeur. Ce ne sont que quelques exemples des relations dépeintes dans la série, où l’issue ne prend pas toujours la forme d’un happy end : à la fin de Les disciples de l’aube, par exemple, la « cliente » de Raven ne retrouve pas son frère, tué sous ses yeux. Toute cette noirceur répond bien sûr à celle du héros lui-même, et confère à la série une identité qui va au-delà de la « carte postale » hawaiienne. 

Raven mêle donc plusieurs influences tout en trouvant assez facilement sa propre identité, grâce aux talents conjugués de ses deux acteurs principaux. Si les deux demi-saisons de la série comportent déjà des épisodes plus faibles, ou disons un peu trop classiques comme Les disciples de l’aube et Terre de paradis, elles réussissent néanmoins à imposer un style qui aurait pu s’épanouir dans une troisième saison un peu moins chaotique. Après Duo d’enfer, qui n’avait guère duré davantage, Frank Lupo, l’ancien partenaire de Stephen J. Cannell sur Agence Tous Risques, Riptide et Rick Hunter, confirmait avec cette aventure sa capacité à croquer des personnages très typés, d’emblée sympathiques et dotés d’un minimum d’épaisseur.

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