Un article de Thierry LE PEUT
Paru dans Arrêt sur Séries 2 (septembre à novembre 2000)
L’efficacité de Glen A. Larson en tant que producteur n’est plus à faire en 1983 lorsqu’il lance Automan, une production novatrice en matière d’effets spéciaux, dans la foulée du film Tron des studios Disney en 1982. Pourtant, malgré d’indéniables qualités esthétiques, Automan ne survivra qu’une demi-saison, sans être parvenu à séduire un public.
Tron, en 1982, se voulait un film expérimental. Produit par les studios Disney, il était le premier long-métrage à se dérouler à l’intérieur d’un jeu video, dans des décors conçus par ordinateur au milieu desquels évoluaient des acteurs réels (dont Bruce ‘Scarecrow’ Boxleitner et David Warner). Si le scénario péchait par une certaine confusion, le film fut une réussite sur le plan technique et esthétique. Le genre de réussite qui attise forcément l’envie des producteurs de télévision : à la même époque, le succès de Tonnerre de Feu génère pas moins de deux séries (Tonnerre de Feu, justement, et Supercopter), rendues possibles par les budgets inflationnistes des séries durant la décennie quatre-vingt.
On ne s’étonne pas, après coup, que Glen A. Larson, qui s’était illustré cinq ans plus tôt dans le genre « série qui veut faire comme au cinéma sans en avoir les moyens », avec Battlestar Galactica, ait voulu se lancer dans une nouvelle aventure « expérimentale » avec les moyens de la télévision et tenter de s’engouffrer dans la brèche ouverte par Tron. L’ambition était louable, d’ailleurs, et lors de la diffusion française de la série le magazine L’Ecran Fantastique souligna le caractère pionnier du programme, premier à se fonder sur l’utilisation des images de synthèse alors à leurs balbutiements.
Un hologramme contre le crime
De même qu’il avait à l’époque de Galactica fait appel aux meilleurs spécialistes des effets spéciaux en engageant John Dykstra et son équipe, qui venaient de s’illustrer sur La Guerre des Etoiles, Larson se tourna en 1983 vers le producteur Donald Kushner qui avait supervisé le film Tron et embaucha Bill Kroyer, superviseur des effets d’ordinateur sur le film, ainsi que Todd Grodnick, coordinateur video sur Osterman Weekend de Sam Peckinpah, également en 1983. Pour superviser les effets spéciaux de la série, il s’adressa à David Garber, son complice de Galactica, qu’il chargea de concevoir un costume particulier permettant de transformer un acteur réel en projection holographique à la fois convaincante et économique, budget télé obligeant.
Car le héros d’Automan (un titre imposé par les partenaires de Larson mais dont lui-même n’était pas satisfait parce qu’il orientait clairement le programme vers le divertissement pour enfants) devait être un être virtuel issu tout droit des méandres d’un ordinateur, une création holographique, donc, générée par un programme informatique. Créé par un informaticien de la police souffrant d’être constamment relégué dans un bureau alors qu’il rêvait d’action sur le terrain, l’hologramme pouvait se matérialiser à volonté et prêter main forte à la police dans des enquêtes difficiles « à la Larson », c’est-à-dire sans violence excessive et contrebalancées par une bonne dose d’humour. Programme familial, Automan se voulait néanmoins une série pour adultes, dans la lignée des autres productions de Glen A. Larson.
La nature même du personnage principal de la série constituait un challenge pour les effets spéciaux. « Garber voulait réaliser l’effet central d’Automan directement à la caméra », rapporte l’un des conseillers techniques du show, Chuck Barbee. L’effet consistait à habiller l’acteur d’une combinaison spéciale reflétant la lumière, de manière à donner l’impression à l’image qu’il était fait d’énergie pure. Un tel effet permettait bien sûr de réduire le budget des effets spéciaux en évitant le recours à des techniques longues, complexes et coûteuses. Chaque épisode devant être tourné en une semaine, rythme ordinaire d’une série, il fallait pouvoir réaliser cet effet rapidement et éviter le recours systématique aux ateliers graphiques pour « animer » le personnage principal.
Le problème était que Garber ne savait pas exactement comment réaliser la combinaison requise pour habiller l’acteur. C’est Barbee qui trouva la solution, avec un petit coup de main de la société de John Dykstra, Apogee Inc., et des matériaux simples, en particulier une matière appelée Scotchlight qui permettait de refléter la lumière. Du coup, Garber l’engagea comme consultant sur le téléfilm pilote puis sur le reste de la série, en qualité de directeur de la photographie de la seconde équipe. Parmi les collaborateurs des effets spéciaux, Garber engagea aussi un jeune animateur de vingt-trois ans, Craig Clark, qui allait ensuite travailler sur The Philadelphia Experiment, Poltergeist II, Fievel au Far West, Les Valeurs de la Famille Addams ou Demolition Man, en plus de participations à des séries comme Les Simpsons et Superminds.
Un casting intergénérations
Le téléfilm pilote de la série fut donc programmé sur ABC le 15 décembre 1983. Il était écrit par Glen A. Larson et réalisé par Lee H. Katzin, un technicien aguerri de la télévision puisqu’il a travaillé depuis les années soixante sur de nombreuses séries, des Mystères de l’Ouest à L’Homme de l’Atlantide, et signa également en 1973 le pilote de Cosmos 1999. La série régulière commença dès la semaine suivante avec un autre épisode écrit par Larson. Le rôle de l’Automan fut attribué à un jeune acteur débutant, Chuck Wagner, qui n’était guère apparu auparavant que dans un épisode de Shérif fais-moi peur. Agé à l’époque de vingt-cinq ans, Wagner devait ensuite trouver un rôle dans le soap Hôpital Central et surtout dans plusieurs productions théâtrales jouissant d’une certaine réputation, notamment La Belle et la Bête à Broadway (il était la Bête) et Dr. Jekyll & Mr. Hyde qui confirma sa renommée de comédien. A ses côtés, âgé seulement de cinq ans de plus, Desi Arnaz Jr affichait cependant une carrière plus étoffée : fils de Lucille Ball et de Desi Arnaz, le couple de la sitcom I Love Lucy dans les années cinquante, fondateur de la société Desilu qui produisit notamment Mission Impossible et Star Trek, le petit Junior avait joué le fils de sa mère dans Here’s Lucy, la série qui prolongeait en quelque sorte I Love Lucy, entre 1968 et 1971. Il enchaîna ensuite une série de productions sans grande envergure, devenant Marco Polo dans un film de 1973 (Marco) ou occupant la place de jeune premier dans des téléfilms de série. Automan représentait pour le jeune acteur une opportunité de se faire connaître d’un public plus large, ce qui malheureusement pour lui n’arriva pas. Depuis, on ne l’a guère revu que dans The Mambo Kings, en 1992, où il incarnait son propre père jeune.
Larson confia cependant deux rôles récurrents à des comédiens chevronnés appartenant à la génération précédente. Gerald O’Loughlin avait été le lieutenant Ed Ryker dans la série The Rookies où Kate Jackson fit ses débuts avant Drôles de Dames, et on l’avait vu aussi dans plusieurs productions télé, de The Doctors en 1968 et Storefront Lawyers en 1971 à Racines II en 1979 ou encore Les Bleus et les Gris en 1982. Robert Lansing, quant à lui, avait débuté en 1959 dans une série, Young Dr. Malone, avant de devenir le détective Steve Carella dans 87th Precinct, l’adaptation télé, en 1961, des romans d’Ed McBain (ceux-là mêmes qui inspireront plus tard Steven Bochco pour Hill Street Blues), puis le soldat Frank Savage dans une série de guerre, Twelve O’Clock High et enfin « L’Homme qui n’existait pas » dans une courte série de 1966, The Man Who Never Was. Les fans de Star Trek se souviennent aussi de lui dans le rôle du Gary Seven de l’épisode « Assignment : Earth » (Mission : Terre), en 1968, et il a traîné son visage dans diverses séries, de Bonanza à Arabesque. Après Automan, il secondera Edward Woodward dans l’excellent Equalizer en 1985 puis David Carradine et Chris Potter dans Kung Fu : La Légende continue en 1992. On le reverra même dans l’un des téléfilms de réunion des héros bioniques, Bionic Showdown, en 1989. Son dernier rôle avant Kung Fu et avant sa disparition, en 1994.
Il ne restait plus, finalement, qu’à pourvoir le rôle féminin de convenance : dans le rôle du détective Roxanne Caldwell, Heather McNair jouait un peu le rôle de Patricia McPherson dans K2000, c’est-à-dire un rôle en grande partie figuratif. L’actrice n’avait d’ailleurs à son actif qu’un téléfilm, Making of a Male Model, en 1983, et ne fera pas une grande carrière après la série !
I Sing The Body Electric...
Comme dans la plupart de ses séries, Larson développa un concept d’une grande simplicité, ce que les anglo-saxons nomment un high-concept (c’est-à-dire un concept qui prime sur les scenarii et les personnages). Walter Nebicher, jeune informaticien de la police, s’ennuie derrière son bureau, harcelé par un patron vindicatif et méprisant pour qui les ordinateurs ne servent à rien, comme d’ailleurs ceux qui sont chargés de les faire fonctionner. Rêvant d’action, Nebicher s’évade en concevant des programmes informatiques sophistiqués. Jusqu’au jour où l’un d’eux produit une forme holographique inattendue douée d’une véritable personnalité et d’un aplomb certain. Nebicher baptise sa « créature » Automan, puisqu’elle s’est générée elle-même, et décide de l’utiliser pour mener en douce ses propres investigations sur les enquêtes que son service n’arrive pas à résoudre. Il seconde ainsi son aîné, le Lt Jack Curtis, un policier expérimenté qui comprend vite l’intérêt du jeune informaticien mais également qu’il vaut mieux n’en rien dire à son supérieur, le Capitaine Boyd. Afin de conserver le secret sur son « identité », Automan se fera même passer à l’occasion pour un agent fédéral, Otto J. Mann !
Sorte de Mister Love du terne Dr. Nebicher, Automan a tous les atouts dont manque son géniteur : le charme, le charisme, la confiance et... une force originale. Fait d’électricité pure, Automan peut à peu près tout faire, y compris passer à travers les murs et arrêter les balles. En cas d’extrême nécessité, il peut même « fusionner » avec Walter un court laps de temps et le rendre à son tour invulnérable. Surtout, il a beaucoup d’« amis » dans les systèmes informatiques du monde entier (comprenez : les ordinateurs eux-mêmes) et ils sont toujours prêts à l’épauler, qui en coupant le système de sécurité d’un bâtiment, qui en bloquant les ascenseurs, qui encore en lui procurant des informations confidentielles.
Comme si cela ne suffisait pas, Automan est doté d’un petit compagnon, une sorte de puce informatique capable de se déplacer à la vitesse de la lumière et de générer rien qu’en les dessinant dans le vide des objets aussi insolites que fort utiles : une voiture ultra-rapide, un hélicoptère, voire un tank ou simplement une arme. Tous objets qui se dissolvent à volonté, comme le découvrent les méchants du téléfilm pilote lorsque l’avion dans lequel ils ont pris place disparaît sous leurs pieds en plein vol ! Curseur, c’est le nom de cette charmante puce douée de malice, préfigure l’Observateur de Pas de Répit sur la Planète Terre ou l’ordinateur Ziggy de Code Quantum, dont Larson compare d’ailleurs l’hologramme, Al, à son propre Automan, charmeur comme lui et capable de traverser les murs.
Automan n’a finalement qu’une faiblesse, mais elle est de taille : comme il consomme énormément d’énergie, il ne peut se matérialiser que la nuit, lorsque les gens civilisés dorment et donc cessent de tirer sur les réserves d’électricité de la planète. Lorsque le jour paraît, Automan commence donc à disparaître tout simplement, abandonnant parfois son acolyte dans une situation embarrassante voire carrément dangereuse.
Just Entertainment
« Je crois qu’Automan aurait pu devenir un hit », rêvera encore Glen A. Larson après l’annulation de la série pour cause d’audience déficiente. « Je recevais du courrier de gens disant qu’ils pensaient que c’était un programme pour enfants et qui finalement, en s’installant avec leurs gamins pour le regarder, l’avaient trouvé très divertissant. » Malheureusement, ABC perdait de l’argent avec le show et décida de l’annuler dès la fin de la saison 1983-1984, après seulement douze épisodes et le téléfilm pilote.
Indéniablement, la série offre des qualités visuelles encore très attirantes aujourd’hui, quand bien même le matériel montré dans les épisodes a bien vieilli. Née à l’époque des super-engins (Supercopter, K2000, Tonnerre Mécanique), elle devint même un succès d’audience au Mexique et en Israël, malgré le petit nombre d’épisodes. En France, c’est La Cinq qui diffusa la série à partir de 1987, la rediffusant plusieurs fois de suite. Depuis, elle a dû disparaître dans le déménagement de la défunte chaîne, puisqu’aucune chaîne n’a eu la curiosité de la remettre à l’antenne.
Ecrits par les collaborateurs habituels de Larson, les Larry Brody, Sam Egan et Doug Heyes Jr (qui ont participé respectivement à Quincy, Un Privé sous les Tropiques et Hunter ou encore Un espion modèle), les scenarii ne volent pas très haut mais se veulent avant tout distrayants donc légers. Le titre du second épisode, à lui seul, annonce clairement la couleur en réalisant un condensé de plusieurs succès musicaux de l’époque : « Staying Alive While Running A High Flashdance Fever ». Chuck Wagner y parodie d’ailleurs le Travolta de La Fièvre du Samedi soir, comme Robert Hays dans Y a-t-il un pilote dans l’avion ? Sans prétention, la série est plus proche de L’Homme qui tombe à pic, autre succès contemporain des studios Larson, que du policier à la Bochco ou des flics de Miami Vice.
La réalisation ne se distingue non plus en rien des productions standards de l’époque, confiée à des spécialistes en la matière : Winrich Kolbe (Galactica, L’Homme qui tombe à pic, K2000), Alan Crosland (Le Nouvel Homme Invisible, Super Jaimie, L’Homme qui tombe à pic, Wonder Woman, L’Homme qui valait trois milliards), Allen Baron (Drôles de Dames, Le Sixième Sens, Barnaby Jones, Kolchak The Night Stalker) ou encore Kim Manners et Bruce Seth Green qui s’illustreront plus tard, respectivement, sur The X-Files et Buffy contre les Vampires. Quant à la musique, elle est due à Stu Phillips, collaborateur de Larson sur Galactica ou L’Homme qui tombe à pic entre autres, et à Barry Hinsche (inconnu au bataillon).