publié au printemps 2009 (ASS 33)
par Joseph de MONVALLIER

 

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Peu de séries ont réussi à traverser les âges. Par sa nature propre, la série est avant tout un objet périssable, car destinée à rencontrer le plus large succès le plus rapidement et ce de la manière la plus longue possible. La loi de l’audience. L’instantanéité inhérente aux séries télévisées les contraint à tomber dans des effets de mode et à limiter au maximum les risques en copiant les recettes qui fonctionnent ailleurs. Parfois des producteurs audacieux osent défier cette loi et instaurent à leur tour de nouvelles recettes. Pour cerner les séries qui ont révolutionné le paysage télévisuel, il faut remonter dans le temps et notamment à la période la plus fournie en la matière : les années 60.

Laissons de côté Le Prisonnier qui, trop unique, trop iconoclaste, n’a rien apporté à l’édifice des séries si ce n’est le soin apporté sur la forme. Intéressons-nous plutôt à Chapeau Melon et Bottes de Cuir, la reine des séries cultes. Cette quintessence du divertissement qui n’a cessé d’innover durant ses sept années de production (1961-1968). Chapeau Melon et Bottes de Cuira en effet tracé les grandes lignes des séries qui lui ont succédé : le duo mixte et son inévitable tension amoureuse, ainsi que la capacité de traverser tous les genres dramatiques sans pourtant perdre son identité. Deux caractéristiques uniques à l’époque et maintes fois reprises à la télévision depuis lors. Souvent d’ailleurs par ce qui s’est fait de mieux en matière de séries TV. Que serait Clair de Lune sans la relation tumultueuse entre Bruce Willis et Cybille Shepherd ? Combien de temps aurait pu durer X Files si la série n’avait pas aussi bien réussi à naviguer entre le fantastique, le drame et la pure comédie au fur et à mesure des épisodes ? Si Chapeau Melon résiste aussi bien à l’épreuve du temps, c’est tout simplement parce que tous les ingrédients de sa réussite n’ont jamais cessé d’être repris. Chapeau Melon et Bottes de Cuir a ouvert une nouvelle ère pour les séries TV.

 

Et Chapeau Melon créa la femme télévisuelle...

Lors de la méconnue première saison, John Steed n’était pas accompagné par une femme mais par un homme : le Dr Keel (Ian Hendry). Lorsque Ian Hendry décide de quitter la série en 1962, les producteurs, inquiets, se demandent comment le remplacer. Et pourquoi pas une femme ?

A cette époque les créateurs de télévision semblaient sourds à la profonde mutation de la place de la femme dans la société. Si, sur petit écran, les femmes pouvaient encore se pavaner dans les sitcoms (à l’image du célèbre I love Lucy) et accorder quelques entractes bienvenus à des espions machos (Le Saint), jamais elles n’avaient été héroïnes d’égal à égal(e) avec un homme, surtout pas dans une série d’action. Les producteurs de Chapeau Melon et Bottes de Cuir saisissent vite toutes les opportunités, commerciales aussi bien qu’artistiques, qu’offre un personnage féminin fort. C’est tout d’abord la possibilité de toucher un public plus large : les femmes peuvent enfin se reconnaître dans un personnage moderne, loin des archétypes, et ces messieurs pourront admirer les courbes en action d’une séduisante espionne. Bien vu : grâce à Mrs Gale (Honor Blackman), la deuxième saison est un énorme succès et caracole en tête des audiences en Angleterre. D’un point de vue créatif, les scénaristes aussi tirent adroitement sur la corde de la romance, ajoutant un double sens grivois au détour d’une conversation ou mettant insidieusement le duo dans une situation prétexte à tous les fantasmes. Ainsi, dans Festin de pierres, John Steed et Mrs Gale deviennent mari et femme pour les besoins de l’enquête. Un schéma repris d’innombrables fois depuis dans de nombreuses séries. Pour citer la plus connue, et sûrement un des meilleurs, on se rappellera Bienvenue en Arcadie lors de la 6ème saison d’X Files. Néanmoins, l’équipe de Chapeau Melon et Bottes de Cuircommet une erreur : la nature des relations entre Steed et Gale ne laisse planer aucun doute : Steed est clairement amoureux de Mrs Gale et ne manque pas une occasion de le lui faire savoir. Cette situation ne laisse aucune place à l’équivoque et à l’imagination du spectateur.

Avec Mrs Peel (Diana Rigg) qui arrive lors de la 4ème saison, les scénaristes font le bon choix : aucun indice ne sera volontairement distillé sur la nature des relations entre Emma Peel et John Steed. Paradoxalement, le spectateur est pris au piège, c’est à lui-même de trouver les réponses au gré d’un regard ou au détour d’une réplique. Les scénaristes appliquent avec beaucoup de talent l’art de la litote : en dire le moins pour laisser entendre le plus. La tension amoureuse est telle qu’on passe son temps à se demander, comme le public britannique à l’époque : l’ont-ils fait ou pas ? La réponse ne sera jamais donnée et nous n’aurons droit finalement qu’à un seul baiser d’au revoir lors de l’épisode final de la 5ème saison, le dernier avec Mrs Peel : Ne m’oubliez pas. Le couple mythique Steed-Peel marquera à jamais les annales de la télévision. S’agissait-il d’un amour profond ou d’une amitié sincère ? On ne le saura jamais.

Cette formule magique sera souvent copiée mais jamais égalée dans l’univers des séries TV. On se souvient de Loïs & Clark: les nouvelles aventures de Superman qui mettait moins en avant la complicité des deux héros éponymes que leurs fréquentes empoignades, à l’image de Clair de Lune, au risque de lasser le spectateur. Clair de Lune et Loïs et Clarkont en commun d’avoir finalement officialisé l’amour de leurs héros et d’avoir alors perdu beaucoup de leur intérêt. Le duo mixte, avec ou sans romance, est quand à lui quasiment devenu un standard pour les séries télévisées : Mission Casse-cou et Pour l’amour du risque pour les plus anciennes, Smallville et Lost pour les plus récentes. Ces séries se calent souvent sur le schéma institué par Chapeau Melon et Bottes de Cuir : mieux vaut faire galoper l’imagination du spectateur que d’être explicite.

Aujourd’hui, ce schéma paraît néanmoins usé. Il faut dire que la plupart des séries précitées n’ont jamais cherché à le bousculer et les relations entre les héros deviennent vite ronronnantes à défaut d’être excitantes. Pour les séries d’action, on assiste dorénavant au grand retour du héros masculin et solitaire (Jack Bauer dans 24, Vic Mackey dans The Shield) qui avait disparu de nos (petits) écrans depuis les années 50. Les Avengers Girls ont quant à elles engendré une impressionnante lignée de femmes d’action dans des séries où les rôles masculins sont plus qu’accessoires : Super Jaimie, Drôles de dames, Cagney & Lacey, Buffy contre les vampires, Alias

 

La loi des genres

Chapeau Melon et Bottes de Cuir est souvent cataloguée comme une série d’espionnage. A tort. Certes, Steed et son assistante du moment travaillent bien au service secret de sa majesté mais leurs enquêtes ne dépassent jamais le cadre national (sauf dans les trois premières saisons) et touchent rarement à des problèmes géopolitiques. Par ailleurs, aucune hiérarchie dans Chapeau Melon : les deux agents mènent l’enquête de leur côté et ne répondent apparemment de rien sur leur activité. Lorsque le Premier Ministre souhaite les remercier pour leur travail, ils préfèrent filer à l’anglaise tout simplement parce qu’il n’ont pas voté pour lui (Une petite gare désaffectée) ! Sur les 161 épisodes que compte la série, vous ne les verrez jamais taper un quelconque rapport. Ce n’est finalement que lors de la 6ème saison que nous découvrirons le supérieur de nos héros : Mère-Grand ! Et encore celui-ci n’a-t-il rien à voir avec la rigidité d’un M pour James Bond, c’est sûrement le personnage le plus farfelu de la série. Les scénaristes de la série préfèrent s’en servir uniquement comme d’un ressort comique. Nous découvrirons dans cette même 6ème saison son alter ego féminin, logiquement appelé Grand-Père.

Par ailleurs, bien que la série fût tournée en pleine guerre froide, le conflit est-ouest n’y sera que rarement évoqué, nettement moins que dans les séries dites d’espionnage de la même époque. Et lorsque la série traite du conflit, elle le tourne volontairement en dérision comme dans l’épisode Meurtres distingués qui donne lieu à un choc culturel réjouissant entre l’épicurisme anglais et le jansénisme soviétique.

Ce ne sont donc pas des confrères russes que nos espions affrontent mais des mégalomanes british tous plus fous les uns que les autres. Les scénaristes de la série avaient pour seule contrainte leur propre imagination. Ne vous étonnez donc pas de croiser dans la série un homme invisible (L’homme transparent et Les évadés du monastère), des super-héros maléfiques (Le Vengeur volant), des robots destructeurs (Les Cybernautes et Le retour des cybernautes), des clowns serial killers (Clowneries)… Dans la série, un simple jeu de société peut se transformer en machine à tuer (Jeux) ! Le temps peut y être arrêté (L’heure perdue) ou même inversé (Remontons le temps). Même si, au final, le spectateur se rend compte qu’il s’agit souvent de supercheries, cette diversité de menaces permet à la série d’aborder, et souvent même de tourner en pastiche, tous les genres : le whodunnit (Le dernier des sept), le fantastique (Le mort vivant), l’horreur (Brouillard), le road movie (La chasse au trésor), la comédie romantique (Amour quand tu nous tiens), la detective story (Trop d’indices), l’angoisse (L’héritage diabolique, Le joker), le monster movie (La mangeuse d’hommes du Surrey)…Certains épisodes sont parfois des références directes à des séries ou des films célèbres : Le Prisonnier (Etrange hôtel), Des agents très spéciaux (Maille à partir avec les taties), Le train sifflera trois fois (Je vous tuerai à midi), Le faucon maltais (Le legs) La série s’offre même deux thrillers cybernétiques avant l’heure : Georges et Fred et Meurtre au programme. Enfin, la série va jusqu’à se parodier elle-même : Qui suis-je ???. La facilité déconcertante avec laquelle Chapeau Melon et Bottes de Cuirinvestit et transcende tous les genres est proprement époustouflante et unique dans l’histoire de la télévision.

Bref, pas le temps de s’ennuyer. Aucun épisode ne ressemble à un autre. Chacun possède son propre ton, sa propre ambiance. Les scénaristes ont bien compris l’avantage du format télévisé : la possibilité de prendre des risques, bien plus qu’au cinéma. Les conséquences d’un épisode raté sur une saison qui en contient une vingtaine sont en effet moindres. La liberté artistique accordée par les producteurs et les diffuseurs, conséquence directe du succès croissant de la série, a ouvert la porte à toutes les audaces. Chapeau Melon a ainsi démontré que le spectateur préférait être surpris plutôt qu’absorbé par un produit formaté. De nombreuses autres séries se sont infiltrées dans cette brèche, se montrant toutefois souvent moins audacieuses que Chapeau Melon. Les Mystères de l’ouest a réinventé le western en y intégrant les codes de l’espionnage et du fantastique. Clair de Lune, série la plus proche par le ton et l’esprit de Chapeau Melon et Bottes de Cuir, alternera aussi avec bonheur les genres et poussera au maximum l’interactivité et la complicité avec le spectateur. X Filesaussi, notamment à travers ses fameux loners, s’est souvent écartée du pur fantastique pour aborder d’autres registres, notamment la comédie et la parodie, dans des épisodes au demeurant très réussis.

 

 

Joseph de Monvallier est l'un des webmasters du site Le monde des Avengers.

Tag(s) : #Arrêt sur Télé
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