Retour sur le tournage d’une série
vraiment pas reposante...
par Thierry Le Peut
(in Arrêt sur Séries n°3, janv.-fév. 2001)
partie 1 - partie 2 - partie 3
Bill Bixby, Kenneth Johnson et Lou Ferrigno
Parfaitement inconnu avant de décrocher le rôle du colosse vert, Lou Ferrigno est devenu une star du jour au lendemain. Pourtant tout n’était pas rose dans sa vie de géant au grand coeur (il ne faut pas se fier aux grognements, Hulk a un bon coeur). D’abord parce que sa contribution à la série, pour capitale qu’elle fût, se bornait en général à bander ses muscles, à pousser des grognements et à montrer les dents. Et encore : les grognements de la créature étaient obtenus à l’issue d’un mixage savant de différents cris d’animaux ! « Je pense que Hulk devrait être capable de parler », déclara Ferrigno dans une interview publiée dans un numéro de la bande dessinée, en décembre 1978. « Dans un futur épisode, une femme pourrait lui apprendre à parler. A mesure que la série avance, il commence à faire la différence entre le crime et la justice, entre les bons et les méchants. Ce serait formidable s’il pouvait parler, comme il le fait dans la bande dessinée. » Un seul épisode permettra au comédien d’exprimer de vrais talents d’acteur : « Le roi de la plage », dans la quatrième saison, où il apparaît sans peinture et sans maquillage, en tant que Lou Ferrigno et plus en tant que Hulk. Le reste du temps, c’est à peine s’il avait l’occasion de croiser Bill Bixby (David Banner) sur le tournage, car le comédien estimait que, leurs personnages ne pouvant pas se voir (et pour cause), eux-mêmes devaient s’éviter au maximum sur le plateau ! « C’est mieux pour moi, en tant qu’acteur, de ne pas savoir ce que Lou a fait », expliquait Bill Bixby. « Le personnage que j’interprète ne sait pas ce que Hulk a fait. Si je devais le regarder jouer alors je saurais ce que Lou a fait et j’aurais du mal à en faire abstraction. Or, toute l’astuce pour moi est de faire abstraction de ce qu’il a fait. Je dois plutôt regarder autour de moi et imaginer ce que j’ai bien pu faire. C’est mieux pour moi, de la même manière que Lou ne regarde pas ce que je fais. »
Lou Ferrigno et Kenneth Johnson
UN CALVAIRE QUOTIDIEN
Pour Lou Ferrigno, le désir de faire parler son personnage n’était pas qu’un caprice d’acteur s’estimant sous-employé. Ayant souffert vers l’âge de deux ans d’une grave infection de l’oreille, il eut beaucoup de mal à s’exprimer correctement, à tel point, racontait-il, qu’à part les membres de sa famille personne n’arrivait à comprendre clairement ce qu’il disait. Devenu adulte, il souffrait toujours d’une mauvaise audition. Le maquillage n’arrangeant rien, il fallait sur le plateau qu’un technicien signale à l’acteur le début et la fin d’une prise car il n’entendait pas les instructions du réalisateur. « Généralement, un stagiaire ou un deuxième assistant s’allongeait sur le sol au-dessous de la limite du champ », rapporta Nicholas Corea, producteur, scénariste et réalisateur de la série. « Son boulot consistait, quand le réalisateur criait ‘Action’, à donner une tape sur la jambe de Lou pour lui indiquer le début de la prise, et deux pour lui signifier d’arrêter de casser le décor quand le réalisateur criait ‘Coupez’. » Un rituel vaguement surréaliste qui dura pourtant un certain temps.
Pour comble de torture, l’acteur se baladait la plupart du temps avec des tonnes de maquillage sur la peau. « J’étais là, recouvert quatre-vingts heures par semaine d’un maquillage vert. Les gens me regardaient avec un sourire en coin. Je ne pouvais avoir de contact avec personne sur le plateau », rapporta-t-il en 1984 au magazine Starlog. Son compère Bill Bixby racontait à ce sujet une anecdote à un journaliste du St Petersberg Times, en septembre 1978. « On a tourné une scène où Lou combattait un ours. A chaque fois qu’ils devaient s’étreindre, l’ours s’en tirait avec du maquillage vert partout. Et quand Lou passe à travers un mur, on doit souvent refaire la prise parce que son maquillage reste sur le mur. Ce qui veut dire qu’il faut reconstruire le mur et retourner toute la prise ! » Et entre les prises le calvaire ne s’interrompait pas puisque le comédien devait attendre, les bras séparés du corps, dans une pièce réfrigérée pour éviter que la sueur ne fasse couler son maquillage ! Du coup, Ferrigno aurait pris l’habitude (par ironie ?) de porter un petit écriteau sur lequel on pouvait lire « ATTENTION : ETRE VERT PEUT NUIRE A VOTRE SANTE ». Dans ces cas-là, il vaut mieux avoir un minimum d’humour ! On comprend que l’acteur, interrogé quelques années plus tard sur l’éventualité de reprendre son rôle, ait répondu qu’il ne voulait même pas en entendre parler.
LE MAQUILLAGE DE HULK
Mais, concrètement, comment s’effectuait le maquillage de Lou Ferrigno en monstre vert et bestial ? C’est Norman Leavitt, maître ès maquillage, qui décrivit un jour en détail ce long processus, dans les pages de Marvel Comics. Un travail fastidieux qui pouvait durer une heure et demie et se poursuivait tout au long de la journée, les maquilleurs devant effectuer des retouches entre chaque prise, surtout les jours de beau temps, où l’acteur transpirait beaucoup. Dès 5 h 30, Ferrigno était sur le plateau, où l’attendaient ces messieurs du département maquillage, à pied d’oeuvre parfois avant quatre heures du matin, et il n’était pas rare qu’une journée de tournage se termine vers dix heures du soir. On comprend que la production ait usé, au cours des huit premiers mois de tournage, environ six maquilleurs, l’un d’eux ayant même raconté (pure médisance, selon Leavitt) qu’il avait été viré pour avoir refusé de faire cuire des oeufs à Ferrigno !
« Avant tout, les cheveux de Lou sont recouverts d’un bonnet en caoutchouc et on met un peu de vaseline sur ses sourcils et à la base des cheveux, pour éviter de mettre de la colle dans ses cheveux », expliquait Norman Leavitt. « Puis j’utilise de l’alcool pour enlever toute trace de graisse sur son front. Je prends de la colle liquide qu’on a fait sécher de manière qu’elle soit presque solide et je trace une bande sur son front, comme un T, une ligne horizontale, une autre qui descend vers le nez, et je la garde collante. Je fais alors la même chose avec la prothèse qui ira sur son front. J’utilise de la colle pour tracer la même forme, en m’assurant que ça reste aussi très collant. Puis je place la prothèse sur son front. On passe un élastique à l’arrière de sa tête, juste pour que ça reste bien en place. »
L’étape suivante est la mise en place d’une autre prothèse, sur le nez cette fois, selon le même principe. Une opération qui nécessite de recouvrir de colle le nez de l’acteur, jusqu’à ses narines, avant de faire en sorte qu’on ne distingue plus les bords de la prothèse, parfaitement raccordée à sa peau. « Je dois m’assurer qu’elle tient vraiment bien, car parfois il doit la porter durant quatorze heures. Je prends alors du latex adhésif et, à l’aide d’une éponge, j’en applique encore tout le long des bords de la prothèse, jusqu’à ce qu’on ne les voie plus. Selon la qualité de la prothèse, il en faut une couche ou plusieurs. Entre chaque couche, je sèche ça avec un sèche-cheveux et je le poudre pour obtenir un fini parfait. » Une opération minutieuse qui peut prendre trente bonnes minutes, alors que la pose de la prothèse en elle-même prend une quinzaine de minutes. Il est capital en effet que le fini soit impeccable car une fois appliqué le reste du maquillage il sera impossible d’effectuer des retouches. Il faudrait tout recommencer ! Il ne reste plus, à ce stade du processus, qu’à recouvrir tout le visage d’une dernière couche de maquillage, vert cette fois, en s’assurant de ne laisser aucun espace oublié. Leavitt s’occupe avec un soin particulier des oreilles de Lou pour ne pas abîmer les oreillettes qu’il porte en permanence à cause de ses problèmes d’ouïe.
Après le maquillage du visage, c’est au tour du corps. Qu’on se rassure : le temps qu’exige chaque étape de cette longue opération n’est pas proportionnel à la surface maquillée. Il faut en fait moins de temps pour peindre en vert l’ensemble du corps de Lou Ferrigno qu’il n’en a fallu pour rendre son visage aussi repoussant que possible. Une demi-heure et le tour est joué. Le maquilleur se charge alors des pieds et des mains puis vaporise un dernier produit (un genre de laque) pour faire en sorte que le maquillage ne s’en aille pas. Une précaution qui limitera les dégâts mais n’empêchera pas toute cette peinture de partir dès que l’acteur touchera quelque chose. Un exemple tout bête, auquel fut confrontée l’équipe de maquillage à plusieurs reprises au cours de la série : lorsque Hulk prend une femme dans ses bras (ce qui lui arrive dès le téléfilm pilote, quand il transporte le Dr Elaine Marks hors du laboratoire en flammes), non seulement il y perd un peu de son vert épiderme mais la pauvre doit aussi changer de vêtements quatre ou cinq fois pour compléter la prise !
Tout cela rend très éprouvant le rôle de Hulk : une leçon à retenir par tous ceux qui pensaient que Lou Ferrigno n’avait pas grand chose à faire dans la série ! Sans ces longues heures de préparation, répétées cinq jours par semaine, point de Hulk, donc point de série. Une autre palme du mérite devrait revenir, cela dit, aux maquilleurs qui ne pouvaient quitter le plateau tant que l’acteur y était.
LA TRANSFORMATION DE HULK
Nick Corea, producteur, scénariste et réalisateur (on lui devra le premier film de réunion, en 1988), affirmait que le budget effets spéciaux de la série était le plus élevé de tout ce que produisait Universal pour la télévision, supérieur même à celui de Buck Rogers au XXVème siècle, produite juste à côté (et qui était pourtant une série de science-fiction se déroulant dans le futur et dans l’espace). Info ou intox ? Toujours est-il que le studio tirera la sonnette d’alarme en 1980, sommant les producteurs de réduire les dépenses, faute de quoi le show serait purement et simplement annulé. Une injonction qui faillit causer le départ de Kenneth Johnson, le géniteur de la créature refusant de produire un Hulk au rabais. Corea ayant adopté la même attitude, au point paraît-il d’envoyer sur les roses l’exécutif d’Universal qui l’avait convoqué dans son bureau pour lui demander de remplacer Johnson, la série fut finalement maintenue mais l’équipe avait eu chaud. Il fut même question un moment d’adjoindre à Banner un acolyte, un peu comme le Rick Jones de la bande dessinée, qui le suivrait partout avec un camping car : l’astuce aurait permis de limiter les frais de tournages en extérieurs et de construction des décors en faisant se dérouler une partie de l’action, chaque semaine, dans le véhicule ! On l’a échappé belle. (Tiens, et le camion de K2000, ce ne serait pas un peu la même chose ?)
La technique utilisée pour filmer la métamorphose de Banner en Hulk fut, dit-on, soufflée par Kenneth Johnson lui-même. Elle était au demeurant fort simple, il s’agissait du stop motion. On filme quelques images, on arrête la caméra, on maquille l’acteur, on filme de nouveau quelques instants, on arrête de nouveau la caméra, on maquille derechef et ainsi de suite, jusqu’au moment où ce n’est plus Bill Bixby qui se présente devant l’objectif mais son compère Ferrigno, la transition se faisant dans un fondu enchaîné à l’image. Mais laissons Bixby nous donner quelques détails sur le déroulement des opérations. « D’abord on me met les lentilles de contact, puis je viens devant la caméra. Ensuite ils me posent une prothèse sur le front et changent la couleur de ma peau. Ça demande une heure et demie dans la salle de maquillage pour ça. Une fois que j’ai été filmé dans cet état, ils enlèvent tout et recommencent à zéro. La troisième séquence de la transformation est celle où mes cheveux tournent au vert et où la couleur de ma peau devient encore plus verte. Tout ça prend deux heures de plus à mettre en place. Enfin, Lou prend le relais en tant que Hulk. » A l’écran, l’effet est rendu plus saisissant encore par l’utilisation de la musique et une prise de vues privilégiant les gros plans, auxquels on ajoute quelques inserts de vêtements déchirés par le gonflement inopiné des muscles du personnage. A l’arrivée, un Hulk pas content du tout engoncé dans un pantalon trop serré (et qui lui arrive aux genoux) et se débarrassant rageusement des oripeaux qui lui couvrent les épaules (avouez qu’il est quand même plus impressionnant sans tous ces lambeaux qui masquent son imposante musculature).
Sur le tournage de "Terror in Times Square" (saison 1)