Un article de Thierry LE PEUT
Paru dans Arrêt sur Séries 35, hiver 2009/2010 (numéro épuisé)
Dans cette série produite par Universal et confiée à Stephen J. Cannell, Robert Conrad incarne un ancien boxeur reconverti en détective privé. A ses côtés, ses complices Larry Manetti et Red West. Comme la première saison de Dallas un an plus tôt, The Duke est un programme de remplacement, conçu pour ne durer que quelques semaines. Mais, au contraire de la saga texane qui sera reconduite et deviendra un hit, The Duke disparaîtra après cet unique tour de piste. A mi-chemin entre Baretta et Deux cents dollars plus les frais, deux des créations les plus marquantes de Cannell durant les années 1970, The Duke permet à Robert Conrad d’incarner un personnage modelé sur sa propre personnalité, dans un environnement qu’il connaît bien puisque la série est filmée à Chicago, ville où il a grandi. C’est aussi l’une des rares séries à avoir abordé le monde de la boxe, dont est issu son héros.
Robert Conrad est The Duke
The Duke n’a connu que cinq épisodes (dont un téléfilm pilote d’une heure trente), en avril et mai 1979. Diffusée le vendredi soir entre 22 h et 23 h, elle faisait suite à Deux cents dollars plus les frais, que Stephen J. Cannell produisait avec Roy Huggins depuis 1974 (et jusqu’en 1980). Elle remplaçait dans ce créneau horaire le show Eddie Capra Mysteries, créé par Peter S. Fischer, où Vincent Baggetta jouait un avocat ; diffusé de septembre 1978 à janvier 1979, le programme de Fischer reprendrait sa place de juin à septembre 1979 avant d’être abandonné. Eischied occuperait alors le créneau, à partir de 1979 : la série, produite par David Gerber, mettra en scène Joe Don Baker dans le rôle d’un flic violent mais efficace, pour une douzaine d’épisodes seulement.
The Duke est donc un programme ad hoc, destiné à remplir un créneau sinistré pour quelques semaines. La série ne sera pas reconduite et elle marque la fin de la carrière de scénariste de Stephen J. Cannell au sein d’Universal : dès l’année suivante, Cannell crée sa propre société de production et se lance dans la production indépendante. Il s’associera de nouveau avec Universal pour produire ses plus gros succès au cours de la décennie 1980 (Agence Tous Risques, Riptide, Le juge et le pilote) mais en qualité de partenaire et non d’employé.
Les collaborateurs de Cannell sur la série sont des habitués de ses productions : Alex Beaton était avec lui sur Les Têtes brûlées et sur la série de téléfilms pilotes écrits en 1978-1979, Don Carlos Dunaway était l’un des scénaristes de Deux cents dollars plus les frais et avait auparavant écrit pour Toma et Baretta, quant à J. Rickley Dumm il avait participé à Adam-12 puis produit Deux cents dollars plus les frais. Tous trois se retrouvent sur Stone, que Cannell co-écrit en 1980 à la demande de Richard Levinson et William Link. Puis Beaton accompagne Cannell dans la production de Timide et sans complexe, sa première série en indépendant, avant de revenir dans le giron d’Universal. Cannell s’entoure aussi de plusieurs des acteurs de Les Têtes brûlées : non seulement il confie le rôle principal à Robert Conrad, modelant le personnage sur le comédien (ayant grandi à Chicago, Conrad y a très tôt côtoyé les rings de boxe), mais en plus il lui adjoint Larry Manetti, qui était Boyle dans Les Têtes brûlées, ainsi que Red West, partenaire de Conrad depuis Les Mystères de l’Ouest et inénarrable Andy Micklin dans Les Têtes brûlées. Manetti comme West sont des amis personnels de Conrad, le premier rencontré à Chicago en 1968, le second sur un terrain de football avant Les Mystères de l’Ouest. Jeff MacKay, alias French dans l’équipe de « Pappy » Boyington, est la guest star d’un épisode, et Dana Elcar (le colonel Lard) en réalise un autre. Conrad, qui s’essaya à la réalisation sur le tournage des Têtes brûlées, renouvelle l’expérience pour deux épisodes de The Duke, un autre étant réalisé par Lawrence Doheny qui avait également participé à la série narrant les exploits des Têtes brûlées.
The Duke témoigne en fait de la fidélité de Cannell à ses acteurs, scénaristes et collaborateurs, fidélité qui ne se démentira jamais et que l’on retrouve chez ses complices producteurs de l’époque, Glen Larson et Donald Bellisario. Ce dernier, lui aussi producteur et scénariste des Têtes brûlées, fera d’ailleurs appel à Larry Manetti pour lui confier un rôle dans la lignée du Joe Cadillac de The Duke : celui de Rick dans Magnum, où l’on retrouvera également, dans un rôle majeur, Jeff MacKay. Cannell et Bellisario se montreront également fidèles aux compositeurs Mike Post et Pete Carpenter, auteurs du thème et des partitions des Têtes brûlées comme de Deux cents dollars plus les frais, The Duke et la plupart des productions de Stephen J. Cannell.
Robert Conrad avec Larry Manetti et Patricia Conwell
Série oubliée, The Duke offre à Robert Conrad un rôle taillé tout exprès pour lui. On peut y sentir l’influence de Rocky, dont les deux premiers opus sont sortis en 1976 et 1979, mais Cannell s’est aussi inspiré de la vie personnelle de Conrad pour écrire le personnage d’Oscar « Duke » Ramsey – « The Duke » étant, bien avant la série, l’un des surnoms de Conrad. Orphelin, Ramsey a été sorti de la rue par Benny Lyle, qui lui a appris à boxer, l’a envoyé au lycée et a ensuite managé sa carrière de boxeur. Conrad, qui a commencé la boxe à l’âge de six ans, n’a aucun mal à entrer dans la peau du boxeur pour les séquences de combat qui ouvrent le téléfilm pilote. Il incarne sans peine un héros qui a sensiblement le même âge que lui (la quarantaine) et qui traverse une période critique de sa vie, l’heure d’admettre qu’il est temps pour lui de renoncer aux combats. Ce moment critique n’est pas sans rappeler la situation de Cannell lui-même, qui après avoir fait ses premières armes au sein d’Universal envisage de quitter la firme pour donner une nouvelle orientation à sa carrière. Comme Cannell un an plus tard, Ramsey se retrouve avec de nouvelles cartes en main. Lui cependant ne sait pas quoi en faire. La mort de Benny Lyle joue le rôle du rite de passage qui le rend maître de son destin. Une fois punis les meurtriers, il prend la décision de devenir détective privé et d’ouvrir un bar, en souvenir de son manager, et en association avec son ami Joe Cadillac et une riche fille de bonne famille qui s’est intéressée à sa carrière peu de temps auparavant, Dedra Smith.
Sur ces bases, le personnage de « Duke » Ramsey possède la gaucherie de Rocky Balboa et la connaissance des rues de Baretta. Son look, très seventies, le rattache aux séries policières qui, comme Baretta, Sergent Anderson et Serpico, mettent en scène des policiers habillés comme l’homme de la rue. « Je ne vous aime pas, Ramsey, mais vous avez l’intelligence de la rue », lui dit le Sergent Mick O’Brien, un policier fort en gueule du 11th Precinct en lui suggérant de mettre cette qualité à profit en demandant une licence de détective privé. Et Ramsey de rire à cette idée : « Comme à la télé, comme Rockford ? », avant d’y adhérer. Petite précision : Rockford est le héros de Deux cents dollars plus les frais, un détective privé.
Duke Ramsey n’est pas un personnage élégant à l’aise partout. Issu de la rue, élevé sur les rings, il est honnête et franc mais pas très à son aise dans les salons, comme le montre une scène du pilote où il accompagne la très chic Dedra Smith à une fête de charité donnée par et pour la jet set. La cuisine gastronomique – en l’occurrence les escargots – ne vaut pas une bonne bière à ses yeux et il ne s’embarrasse pas de paraître lourdaud auprès de ses commensaux. C’est cette simplicité un peu lourde qui l’apparente à Rocky Balboa. Tantôt guindé tantôt décontracté, Conrad se coule parfaitement dans le personnage.
S’il est capable de défier un mafieux en présence de ses gardes du corps (Byrne Piven dans « Blues for the Duke »), ou d’en remontrer à des bouseux qui veulent le passer à tabac (dans « Nothin’ cept Noise »), Ramsey n’est pas un va-t-en-guerre, tout au contraire. « Tough but nice » (« Rude mais sympa »), selon les termes d’un adolescent auquel il offre son amitié dans « Zoo under Wacker Street Bridge », il rechigne à aller à la rencontre des problèmes dans « Nothin’ cept Noise », prévenant la femme qui l’exhorte à se rendre dans un quartier chaud de la ville qu’au premier couteau qu’il aperçoit il abandonne l’affaire. « I’m not a fighter » (« Je ne suis pas un combattant »), plaide-t-il plus tard, n’acceptant de faire usage de ses poings que lorsqu’il n’a plus le choix. Une attitude évidemment surprenante pour quelqu’un qui s’est battu toute sa vie, et qui situe Ramsey dans la lignée de Jim Rockford, bientôt prolongée par le Magnum de Bellisario.
Ramsey appartient en outre à la famille des héros socialement impliqués. Dès le téléfilm pilote, il joue les pères de substitution pour le petit-fils de son manager, Oscar Lyle, puis, dans « Zoo under Wacker Street Bridge », il prend sous son aile un ado en souffrance, qu’il rencontre en travaillant au Juvenile Hall avec Barbara, la fille de Benny Lyle. On retrouvera cet intérêt pour la dimension éducative de ses personnages dans des téléfilms comme Charley Hannah, où Conrad jouera avec son propre fils Shane, et dans les séries produites en famille, High Mountain Rangers, Jesse Hawkes et High Sierra Search and Rescue, qui mettront en vedettes des sauveteurs.
L’autre atout de The Duke, outre Conrad, est la ville de Chicago. Tournée en extérieurs durant l’hiver 1978-1979, la série s’ancre dans la ville enneigée, à travers plusieurs poursuites en voiture, de nombreux plans d’ensemble et l’utilisation de sites variés, comme la gare ferroviaire où se déroule le dénouement de « Nothin’ cept Noise ».
Cinq épisodes sont bien peu pour affirmer les qualités d’une série. The Duke n’aura pas eu l’opportunité de développer ses personnages au-delà d’une poignée d’histoires qui se laissent regarder avec plaisir. Elle aura su laisser une large place à ses figures secondaires, du jeune Ritchie de « Zoo under Wacker Street Bridge » (auprès duquel on reconnaît une future vedette alors débutante, Gary Sinise) à l’improbable tribu de hillbillies de « Nothin’ cept Noise », l’un des épisodes dirigés par Conrad lui-même, structuré autour d’une chanson dont le titre est inscrit sur une porte de garage : « A man has to fight to stay on his feet ». Sa courte vie ne l’a pas imprimée dans les mémoires, pourtant Conrad y offre l’une de ses performances les plus personnelles, faite de décontraction et de générosité. Il n’en faut pas davantage pour avoir envie de la découvrir.
Le téléfilm pilote est sorti en VHS dans plusieurs pays