Atlantide,
terre de rêve et d'aventure
par Thierry Le Peut
(publié dans Arrêt sur Séries n°15, décembre 2003, épuisé)
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Le mythe de l’Atlantide est destiné, dès son origine, à interroger l’homme sur sa place dans le monde et sur les valeurs qui seront les siennes. Dans le Timée de Platon, qui invente ce mythe au quatrième siècle avant J.-C., l’Atlantide est d’abord une île située jadis au-delà des colonnes d’Hercule (aujourd’hui détroit de Gibraltar) et dont l’histoire illustre la puissance d’Athènes et la responsabilité des Grecs dans la sauvegarde du « monde libre » de l’époque. Athènes en effet sut repousser la « puissante armée » qui, venue d’Atlantide, avait entrepris de mettre sous le joug l’Europe et l’Asie. Platon fait ainsi l’éloge de la Cité, évoquant son « courage » et sa « puissance », sa « magnanimité » et son « habileté dans les arts de la guerre », toutes qualités qui firent qu’Athènes, seule car abandonnée de ses alliés, délivra le monde méditerranéen de « l’envahisseur » et préserva la « liberté » de tous ses voisins.
C’est dans un autre dialogue, le Critias, que Platon revient sur le mythe et lui apporte un autre éclairage, cette fois moral. L’Atlantide est à la fois la réminiscence d’une civilisation évoluée qui disparut en une seule nuit et la démonstration que l’orgueil mène à la destruction. Doté par les dieux de toutes les richesses, le peuple d’Atlantide ne songeait qu’à la vertu et nullement à se prévaloir de l’or que l’on trouvait chez lui en abondance, au milieu d’une multitude d’autres biens. Malheureusement, lorsqu’en lui la part divine diminua au profit de l’humaine, le goût de la vertu en fut réduit d’autant et la corruption se mit à gangrener la communauté tout entière. Si bien que Zeus, « s’apercevant du malheureux état d’une race qui avait été vertueuse, résolut de les châtier pour les rendre plus modérés et plus sages. »
Aventures sur continents oubliés
On retrouve ainsi dans le mythe la fascination pour les mondes perdus et leurs richesses oubliées, richesses qui attiseront de nouveau la convoitise lorsque les explorateurs de la Renaissance rapporteront de leurs voyages des récits fabuleux. Déjà Marco Polo grossit les richesses découvertes aux confins de l’Asie, évoquant dans son Livre des Merveilles des pays gorgés d’or, dans des descriptions propres à éveiller la convoitise et l’admiration. L’Amérique du Sud est une autre de ces terres de rêve que l’Europe s’empressera de piller et dont les civilisations inspireront de nouvelles variantes du mythe : du royaume de Mu (évoqué dans l’épisode « L’oiseau du fond des temps » de Man From Atlantis) à l’Eldorado du Candide de Voltaire, c’est la nostalgie d’un âge oublié et le rêve d’un pays de Cocagne qui animent ces visions.
La littérature s’empare à son tour du mythe, particulièrement Pierre Benoit dont le livre L’Atlantide publié en 1919 inspire aussitôt le cinéma, adapté dès 1921 par Jacques Feyder dans une entreprise gigantique filmée en plein désert. Entre effets spéciaux spectaculaires et poncifs de la veine « monde perdu », l’Atlantide sert de prétexte à des récits plus soucieux d’aventure que de réflexion métaphysique. En 1936, B. Reeves Eason et Joseph Kane réalisent pour Republic Pictures un serial de douze épisodes, Undersea Kingdom, où un étudiant-catcheur, une journaliste, un scientifique et le jeune fils de ce dernier, recherchant la cause de tremblements de terre, découvrent la cité mythique en proie à une guerre fratricide entre Atlantes. Comme les aventures de Flash Gordon, celles-ci mêlent sans honte plusieurs influences, essentiellement antiques et mongoles, à la manière de beaucoup de récits de science-fiction de cette époque comme ceux d’Edmond Hamilton (le créateur du Captain Future devenu en France Capitaine Flam) et d’Edgar Rice Burroughs (John Carter, l’aventurier de Mars, aussi bien que Tarzan dont les exploits s’aventurent fréquemment dans le fantastique). En témoignent les noms mêmes des personnages, Unga Khan, Darius et autres Moloch.
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L’Atlantide à toutes les sauces
A l’instar de la troublante Antinea du récit de Benoit, de séduisantes créatures peuplent fréquemment les mondes visités dans les histoires faisant appel à l’Atlantide. C’est le cas entre autres dans Atlantis, terre engloutie (Atlantis, The Lost Continent) que réalise George Pal en 1961, et dans Hercule à la conquête de l’Atlantide de Vittorio Cottafavi, qui la même année réutilise le personnage d’Antinea. Parfois l’Atlantide est bien loin du cadre de l’histoire : dans Fire Maidens from outer space de Cy Roth, en 1956, l’action se situe sur la treizième lune de Jupiter, où des astronautes retrouvent le dernier survivant de l’Atlantide entouré de pulpeuses créatures. Au récit traditionnel d’aventure, ces histoires empruntent aussi le manichéisme et l’icône du méchant machiavélique, tyran ou mégalomane, tel le Professeur Ziebrecken de City beneath the sea, un serial pour enfants faisant suite au Plateau of Fear du même producteur Guy Verney tourné en 1961 pour la télévision britannique. La cité sous-marine s’appelle ici Aegira et non Atlantide mais le sujet rappelle le film de George Pal. En 1965, le dernier film de Jacques Tourneur, The City under the sea, rebaptisé War Gods of the Deep aux Etats-Unis, projette lui aussi ses héros au coeur d’une cité sous-marine, appelée cette fois Lyonesse, peuplée de créatures mi-hommes mi-poissons et d’un Capitaine du XVIIème siècle interprété par Vincent Price. Le point de départ de l’intrigue est ici une enquête sur des phénomènes observés à la surface, puis l’enlèvement de l’une des protagonistes.
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Les années 70, avant ou parallèlement à la production de Man from Atlantis, amènent de nouvelles variantes du mythe. Irwin Allen, producteur durant la décennie précédente de Voyage au fond des mers, où il exploitait déjà la fascination des profondeurs, commet en 1971 un nouveau City beneath the sea où il est question d’une cité sous-marine baptisée Pacifica et où Allen recycle les vedettes de ses séries, notamment Richard Basehart de Voyage au fond des mers et le trio Robert Colbert – James Darren – Whit Bissell d’Au Cœur du Temps. Deux ans plus tard, les Atlantes deviennent des dévoreuses d’hommes dans Les Gloutonnes, aussi connu sous le titre plus explicite de Les exploits érotiques de Maciste, devant la caméra de Jesus Franco. La même année, il est de nouveau question d’un pêcheur et de mutants dans Beyond Atlantis d’Eddie Romero et en 1977 Alex March réalise un Retour du Capitaine Nemo où ce dernier, interprété par Jose Ferrer, essaie d’empêcher le Roi d’Atlantis (Horst Bucholz) d’asservir le monde. Kevin Connor, réalisateur de plusieurs films du même acabit avec Doug McClure en vedette, emballe pour sa part en 1978 Warlords of Atlantis (Les sept cités d’Atlantis) dans lequel, outre McClure, on retrouve l’esprit d’aventure qui entoure le mythe de la cité perdue.
De fil en aiguille, nous revoici donc à la porte de Man from Atlantis. La série se situe au carrefour des influences évoquées jusqu’ici, tournée bien plus vers les poncifs de l’aventure que vers la science-fiction, qui n’est chez elle qu’un prétexte. Plusieurs thèmes la rattachent aux films qui l’ont précédée : dans « Le géant », c’est l’or qui attire l’un des personnages dans un monde parallèle ; dans « Le monde englouti », ce sont des cristaux, pour l’extraction desquels Schubert soumet à sa volonté celle des habitants du monde parallèle, dans une réminiscence de Atlantis, terre engloutie. Une forme de modernisation du mythe, qui assimilerait les Atlantes à des extraterrestres, est également aux sources de la série puisque son héros Mark Harris serait un habitant d’un autre monde. La série tente par ailleurs de perpétuer la tradition des monstres marins qui peuplent presque immanquablement les rêveries des Atlantidophiles verniens, à travers une méduse géante et un hippocampe à deux têtes, sacrifiant à l’occasion à une mécanisation-actualisation avec le « robot vivant » et les ordinateurs omniprésents de Schubert, ou à certains poncifs de la SF comme les mondes parallèles et les déplacements dans le temps. Las ! les moyens dont bénéficia cette modeste production télé ne permettent pas de visualiser correctement ces fantasmes, mieux servis par l’imagerie générée autour de la série, notamment les puzzles présentant Mark Harris ou le Cétacé dans des situations hautement « aventuresques ».
Artworks pour des puzzles inspirés de L'Homme de l'Atlantide
empruntés au site Space : 1970