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En 1993, Le Fugitif était de retour sous la forme d’un film d’action mettant en vedettes Harrison Ford et Tommy Lee Jones. Richard Kimble était toujours accusé du meurtre de sa femme mais traqué cette fois par un marshall fédéral des Etats-Unis. Réalisé par Andrew Davis qui venait de mettre en scène Steven Seagal dans Piège en haute mer, le film reçut un accueil critique et public favorable, réalisant d’excellents scores au box office et glanant quelque 400 millions de dollars à travers le monde. La traque reprenait…
Un article de Thierry Le Peut
publié dans Arrêt sur Séries n° 29
De même que la série originale aurait pu ne jamais exister, de même le film faillit bien ne jamais sortir. Warner Bros., la société productrice, s’inquiétait en effet de l’argent dépensé en écriture de scripts sans qu’une version jugée satisfaisante ait pu être retenue : deux millions de dollars, au moins neuf scénaristes, plus de vingt versions différentes furent écrites durant cinq ans et le producteur, Arnold Kopelson, ne tenait toujours pas un script définitif. Le réalisateur engagé, Walter Hill, quitta donc le projet. Harrison Ford, qui s’était dit intéressé, donna son accord à la version que lui proposa enfin Kopelson, souhaitant toutefois effectuer des retouches sur le script. Ce serait Ford qui, après projection du film Piège en haute mer, aurait approuvé le réalisateur Andrew Davis pour succéder à Walter Hill. Le tournage commença alors que le script n’était pas terminé, situation finalement assez fréquente dans l’industrie hollywoodienne. Mais un autre problème se posa lorsque l’acteur interprétant le rôle du Dr Charles Nichols, Richard Jordan, dut s’arrêter de tourner à cause d’une tumeur au cerveau qui allait lui être fatale. Les scènes déjà tournées durent être filmées à nouveau avec le nouveau comédien, Jeroen Krabbe.
Tourné en partie à Chicago, où est censé habiter le Dr Kimble dans cette réécriture de la série (qui, elle, prenait pour point de départ et d’arrivée la petite ville de Stafford dans l’Indiana), le film laissa une place à l’improvisation. Tommy Lee Jones, qui recevra finalement l’Oscar du meilleur second rôle masculin pour sa performance dans la peau du Marshall Samuel Gerard, aimait modifier certaines répliques et ajouter des tournures qui lui correspondaient, « habitant » le personnage. Surtout, l’une des scènes marquantes fut totalement improvisée : se trouvant à Chicago au mois de mars 1993 pour filmer la scène où Kimble et Gerard se rencontrent à la prison du comté, l’équipe voulut profiter du défilé de la Saint Patrick, célébration annuelle jouissant d’une grande renommée, et l’intégrer au film. On demanda donc aux organisateurs l’autorisation de filmer le défilé. Jones et Ford se mêlèrent à la foule sans être reconnus et la caméra tourna la scène où Kimble se dissimule dans le défilé tandis que Gerard le cherche désespérément. L’essentiel put être tourné avant que les stars ne fussent finalement reconnues, ce qui confère à la scène une authenticité sensible à l’écran. D’autres séquences nécessitèrent des solutions rapides, par exemple celle du barrage où la production n’avait l’autorisation de tourner qu’une seule journée. Ford et Jones réalisèrent eux-mêmes une partie des cascades : Ford, par exemple, utilisa relativement peu sa doublure, se tenant lui-même au bord du vide dans la canalisation du barrage, prenant le volant de l’ambulance dont s’empare Kimble et réalisant le saut qui serait ensuite intégré à la séquence du train.
Le Fugitif d’Andrew Davis, dans sa version écrite par David Twohy et Jeb Stuart, concentre en deux heures l’essence de la série. Il pose les bases qui seront reprises sept ans plus tard dans la série produite à nouveau par la Warner et Arnold Kopelson : un couple heureux brisé par le meurtre d’Helen Kimble, la ville de Chicago comme point central, le manchot doté d’un bras artificiel, le complot à l’origine de la mort d’Helen Kimble plutôt que le hasard, et la part importante faite à l’action, dont les canons ont évidemment bien changé depuis les années 1960. Les éléments de la « mythologie » originale sont conservés (le déraillement du train et la lutte finale avec le manchot sont deux moments forts du film) mais mis au goût du jour : ainsi le train qui déraille n’est-il plus celui où se trouvent Kimble et Gerard – qui dans la série utilisaient ce moyen de transport pour se rendre au couloir de la mort – mais un train qui percute le fourgon pénitentiaire dans lequel se trouvent les prisonniers que l’on transfère dans une autre prison.
L’autre changement majeur est l’implication de Gerard : policier responsable de l’enquête sur la mort d’Helen Kimble dans la série, il devient marshall fédéral chargé de traquer Richard Kimble le fugitif mais totalement étranger à l’enquête qui a conduit à la condamnation du médecin. Ce changement est essentiel : car là où la série enfreint la crédibilité en faisant traquer Kimble par le policier qui l’a arrêté – dont on se demande s’il a jamais une autre enquête à mener ! –, transformant un simple inspecteur de police local en agent fédéral (la recherche d’un fugitif sur l’ensemble du territoire américain est l’affaire du FBI) et l’obligeant de surcroît à être singulièrement borné pour ne jamais réviser sa vision des faits malgré les nombreux éléments nouveaux qui apparaissent au cours de quatre années de poursuite ; là donc où la série originale joue avec la crédulité du téléspectateur, le film au contraire rend à Gerard son intelligence et sa perspicacité. Très vite, en reprenant à son compte l’enquête sur la mort d’Helen Kimble, le marshall Gerard s’étonne de l’inconsistance étonnante du dossier. Mis en présence du manchot par Kimble, il ne continue pas de nier l’implication du bonhomme dans le meurtre mais enquête au contraire sur lui. Surtout, il se demande pourquoi Kimble revient dans la ville où il a été condamné alors que c’est précisément l’endroit le plus dangereux pour lui. Gerard est ainsi un personnage bien plus crédible dans le film qu’il ne l’était dans la série. Cela tient bien sûr à la nature du support : ce que la série faisait durer par nécessité, le film doit le résoudre en deux heures. Mais les modifications apportées au personnage de Gerard, en le rendant plus intéressant, conservent en même temps ce qui définissait déjà le Gerard de la série : ce n’est pas la culpabilité de Kimble qui l’intéresse mais son arrestation. N’ayant joué aucun rôle dans les événements antérieurs, il ne fait que son travail en poursuivant le fugitif, ce qu’illustre l’une des répliques les plus mémorables du film, par sa simplicité même : à Kimble qui pointe une arme sur lui en disant qu’il n’a pas tué sa femme, Gerard répond « J’en ai rien à cirer » (« I don’t care »).
Dans la série, déjà, l’attitude de Gerard le rendait plus intéressant que Kimble, personnage à la bonté monolithique, aussi innocent dans ses rapports avec les gens que vis-à-vis de la justice. Mais le Gerard de la série était antipathique au public, à la fois parce qu’il harcelait le gentil Dr Kimble et parce qu’il se montrait incroyablement borné. Au contraire, le Gerard du film attire plutôt la sympathie, d’abord par son attitude compétente et intègre, ensuite parce qu’il accomplit un cheminement inverse de celui du policier de la série : au lieu de mettre un point d’honneur à ne pas chercher la vérité, estimant qu’elle a déjà été établie et que ce n’est pas son rôle de la remettre en question, Gerard cherche à savoir, ne se contentant pas des conclusions de la police. Ignorant, il s’ouvre à la vérité et cherche à comprendre l’homme qu’il traque.
La performance d’Harrison Ford colle parfaitement au personnage de Richard Kimble. Habitué aux rôles de « héros malgré lui », image personnifiée de l’innocence et du brave type, Ford transmet durant l’essentiel du film le sentiment d’urgence qui convient au concept mais aussi la détermination de l’homme décidé à prouver son innocence. En dépit des événements qui ponctuent sa fuite, Kimble accomplit en quelques jours le travail que la police n’aura pas su réaliser en plusieurs semaines voire plusieurs mois : les policiers de Chicago ne sont d’ailleurs pas montrés à leur avantage, reprenant à leur compte l’étroitesse d’esprit que l’on pouvait reprocher au Gerard de la série mais sans avoir sa rigueur.
Nominé aux Oscars dans sept catégories, le film valut une statuette à Tommy Lee Jones, récompensé également par un Golden Globe et l’Association des Critiques de Films de Los Angeles. Les autres nominations rendaient hommage au réalisateur, à la musique, à la prise de vues, au son et au montage. Un succès inattendu pour Warner qui engrangea plus de 180 millions de dollars aux Etats-Unis (le film resta en tête du box office six semaines) et près de 400 dans le monde. De quoi faire naître le désir d’une suite : celle-ci se fera sans Richard Kimble, innocenté, mais autour du personnage de Sam Gerard lancé en 1998 à la poursuite de Wesley Snipes dans U.S. Marshals. La vraie suite du Fugitif aura pourtant bien lieu au tournant du nouveau millénaire, lorsque Warner et Arnold Kopelson envisagent d’adapter de nouveau le concept, sous forme cette fois d’une nouvelle série télévisée.
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