publié en juin 2004 (ASS 17)

par Thierry Le Peut

 

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Le battage médiatique fait par Jimmy autour de Carnivàle relève du matraquage pur et simple, compréhensible certes mais parfois agaçant, quand il fallait supporter les mêmes bandes-annonces repassées des dizaines de fois dans la semaine (quelle idée aussi de regarder si souvent la même chaîne...). Il n’en reste pas moins que Carnivàle constitue effectivement un événement dans la mesure où ce programme estampillé série contribue à repousser encore les limites du format, après les autres productions justement célèbres de HBO. Carnivàle est une oeuvre à part entière, reposant sur une intrigue des plus classiques, bâtie sur des fondations rebattues, mais mise en scène avec un art cinématographique.

La lutte du Bien et du Mal qui structure l’oeuvre n’est bien sûr pas originale. Elle emprunte à toutes les mythologies, à toutes les religions ce que Stephen King et tant d’autres leur ont déjà emprunté. Mais dans ce genre d’histoire ce n’est pas l’originalité du postulat qui importe, c’est son traitement. Le choix de l’époque à laquelle se déroule cette lutte-ci est le premier trait de génie de Carnivàle, qui suffit à transporter le spectateur, en quelques images, dans un monde autonome où, d’emblée, le fantastique fait sentir sa présence. On peut bien citer à l’envi Les Raisins de la colère de John Ford, et comparer Nick Stahl à Henry Fonda, le fait est là : l’univers de Carnivàle existe d’emblée, ressenti dans ses couleurs, dans sa poussière, dans sa détresse. Il s’agit certes de l’Amérique de la Dépression mais surtout d’un monde aux airs d’après l’Apocalypse, un monde à la Mad Max où la fin du monde, d’un monde, semble déjà là, même si elle sera l’enjeu de la lutte annoncée entre les forces de la lumière et celles des ténèbres. Daniel Knauf, le scénariste, voulait une histoire à la puissance mythologique, ce simple décor suffit à en suggérer la profondeur.

Pour développer le caractère littéraire de Carnivàle, il faudrait plus d’espace qu’on n’en a ici. Car Carnivàle est une série bien écrite, qui prend le temps d’installer ses personnages, le tournage pour HBO, on le sait, libérant les scénaristes de la règle sacro-sainte des quatre actes d’une dizaine de minutes chacun. Ici on suit sereinement le personnage de Ben Hawkins, de sa découverte dans la ferme familiale – une cabane bien vite rasée – à son « adoption » par la troupe de saltimbanques que dirige le nain Samson. On pressent son importance, sa malédiction aussi, à l’attitude de sa mère, bientôt morte et enterrée. On est introduit avec lui dans l’univers de freaks de la troupe, dans ses secrets et ses codes. On rencontre avec lui les figures qui la composent. On approche de même le Père Justin Crowe et son univers, et leurs secrets propres sont révélés avec patience.

De chapitre en chapitre – la division a ici plus de sens que dans un Boston Public -, ce monde nous happe et nous tient captifs. Retournons donc voir la suite, en attendant d’en dire plus, sans doute...

Tag(s) : #Arrêt sur Télé
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