publié en juin 2004 (ASS 17) par Thierry Le Peut
à suivre : le guide des épisodes
Revoir Airwolf aujourd’hui procure d’abord la sensation d’un retour dans le passé, celui d’une Cinq pionnière qui importa toutes les séries « hyper-technologiques » de la décennie 80 : avec Supercopter, ce furent K2000 et Tonnerre mécanique qui débarquèrent sur le réseau de Berlusconi, multidiffusées et depuis récupérées par d’autres chaînes. C’est aussi un retour sur les premières armes du scénariste-producteur Donald Bellisario : derrière lui Les Têtes brûlées, Galactica et Magnum, et Code Quantum encore à naître. Appelons cela l’intérêt contextuel d’Airwolf, anecdotique avant toute chose.
Mais à revoir la série sur 13ème Rue on se rend compte aussi de ce qu’un oeil d’enfant percevait moins au milieu des années 80 : qu’une fois sortie des plans magnifiques de Monument Valley et des évolutions superbes du Loup des Airs, la série a un sérieux coup dans l’aile. La faute à des scénarii si peu ambitieux qu’ils se contentent, après un pilote de bonne facture, de reprendre des poncifs tout juste rehaussés par ce que Bellisario réussit si bien ailleurs : les personnages. Car si le duo d’Airwolf s’inscrit bien dans la thématique paternelle de Bellisario – un héros à la trentaine affirmée flanqué d’un mentor plus âgé -, et la figure d’Archangel (représentant tout de blanc vêtu d’une « Firme » assimilée à une branche de la CIA ou de la NSA) dans l’habitude d’une critique douce-amère de la politique post-Watergate également chère au créateur de Magnum, les personnages épisodiques en revanche sortent rarement de la caricature, à commencer par la « pièce rapportée » ajoutée en deuxième saison mais jamais réellement intégrée, Caitlin O’Shannessy, figure féminine qui ne trouvera jamais sa place au sein d’un casting aussi fondamentalement masculin que celui d’Agence Tous Risques à la même époque. Les deux shows partagèrent d’ailleurs la même incapacité à développer un personnage féminin fort.
D’épisode en épisode, ce sont des méchants stéréotypés – on dirait volontiers « de bande dessinée » si l’on ne craignait de blesser ce noble art –, des portraits secondaires sans épaisseur qui se succèdent dans l’ombre de héros eux-mêmes confinés à une rigidité cadavérique. Les situations mises en scène ne relèvent guère l’ensemble car se cantonnent elles aussi à des affrontements manichéens dont le paroxysme invariable est la destruction d’un engin volant au terme de la reprise elle-même invariable du thème musical accompagnant l’ultime envolée du Loup.
Pourtant l’idée de départ recèle des plis attrayants : dans le genre « héros impavide », on a vu plus charismatique que Stringfellow Hawke, sombre et taciturne mélomane amateur d’art et de paix, établi dans un chalet de montagne sis au bord d’un lac aux eaux céruléennes. Comme avec Magnum, Bellisario prenait ainsi ses distances avec la figure attendue, ce que la série ne fera pas en revanche. La blessure ouverte du héros, bien dans la « tradition » bellisarienne – Hawke a perdu son frère au Viêtnam – s’exprimait en outre avec une violence qui rendait ambigu le héros lorsque, au terme du téléfilm pilote, il épuisait les armes d’Airwolf sur le méchant incarné par l’élégant et délicieusement sadique David Hemmings. Systématiquement frappé dans son coeur par la mort de ceux qu’il aime, Stringfellow Hawke se situait entre générosité (refoulée) et colère, douceur et dureté. Bref, un personnage intéressant que la série n’exploitera pas, préférant stigmatiser sa quête d’amour dans la recherche épisodique de son frère – le syndrome du retour au Viêtnam caractéristique des années Reagan, qui furent également les années Rambo – et limitant l’expressivité du personnage à la moue boudeuse de Jan Michael Vincent.
On peut regretter tout autant l’emploi limité d’Ernest Borgnine, comédien confirmé ayant tourné sous la direction de grands réalisateurs, oscarisé pour son interprétation de « laideron » romantique et blessé dans Marty, confiné ici au rôle caricatural de râleur au grand coeur, aussi excessif – à l’italienne – que Hawke peut être inexpressif.
La « légende » d’Airwolf tient à son véritable héros - en dépit d’un casting franchement reluisant. L’hélicoptère futuriste volé par le héros aux Libyens – mais conçu aux Etats-Unis, il ne faut rien exagérer – et utilisé ensuite pour des missions secrètes ou pour voler au secours de la veuve et de l’orphelin. Hawke et Santini partagent le credo de Michael Knight dans K2000, conçue par celui qui devait à l’origine présider aux destinées de Magnum, Glen A. Larson. Ici, la machine n’est pas douée de parole mais dotée d’un arsenal de guerre qui fait encore bonne figure quarante ans (ou presque) après, au contraire des ordinateurs désuets d’une série comme Les Petits Génies. Reconnaissable au cri que poussent ses turbines à l’envol et à la silhouette « améliorée » du Bell 222, plus charismatique que l’engin bourrin de Tonnerre de feu dont la série s’inspire, Airwolf est aussi attendu que le Géant vert dans L’Incroyable Hulk et ses interventions promettent toujours plus d’action et de panache que les scènes parfois longuettes qui les séparent, comme les programmes d’une chaîne ponctuent les écrans de pub de la journée : chacun choisira quels moments il préfère !
Airwolf possède bien sûr quelques charmes. L’avers de la caricature est un style tranché dans le roc, aussi carré qu’une geste héroïque dépositaire des « mythes » d’une époque : de guerre froide en petites villes américaines, de vastes déserts en lieux confinés, d’espions machiavéliques en jeunes femmes en détresse, de visions nocturnes en virus meurtriers, de frères ennemis en passé mal digéré, la série contient tout ce qui fait l’ordinaire des séries contemporaines, donc la « substantifique moëlle » d’une époque cathodique. Comme Michael Knight, Hawke-le héros de bande dessinée est un avatar du cow-boy solitaire qui promène sa dégaine d’un bled à l’autre sans jamais perdre ce fond de rébellion qui caractérise « l’âme » américaine. Il arrive même à la série de jouer sur cette image de héros, lorsque le réalisateur Sutton Roley phagocyte un épisode entier (pour le nommer : "Horn of plenty", alias "Jeu truqué", 3.01).
La version française contribue malheureusement à imposer l’impression d’un produit de consommation : récurrentes, les voix employées ne suffisent pas à caractériser un personnage lorsqu’elles sont réutilisées à outrance par souci de rapidité. Même le timbre si particulier d’Henri Djanick n’est pas réservé exclusivement à Ernest Borgnine, et que dire de celui de Francis Lax, qui dans nombre de séries double à la fois un personnage récurrent (ici, Archangel) et une multitude de seconds rôles !
Après deux saisons et demie de loyaux services, l’équipe fondatrice rendra son tablier et le Canada accueillera le tournage d’une dernière série d’épisodes : Bellisario, qui avait déjà, aux Etats-Unis, passé le flambeau à Bernard L. Kowalski sous la casquette du producteur exécutif, ne s’occupera pas du devenir de sa création, confirmant le statut de commande d’un programme qui n’aura rien apporté à son oeuvre télévisuelle, dont elle comporte les caractères mais point l’âme. Aux Vincent, Borgnine et Alex Cord de la mouture originelle succèdent des visages inconnus du grand public (Barry Van Dyke donnant vie au frère jusqu’alors disparu, Saint John, tandis que Stringfellow disparaît dans les limbes – le même Van Dyke ayant en 1980 servi de « remplaçant » pour la séquelle au rabais de Galactica). Quant aux exploits de la machine, ils sont le plus souvent intégralement repris des épisodes antérieurs, la production se contentant de filmer les histoires qui occupent l’intervalle entre les évolutions de l’hélicoptère. Triste fin pour un programme qui se sera bâti tout entier sur l’attrait de ses prouesses aériennes.