Un article de Thierry LE PEUT

paru dans Arrêt sur Séries 35 (hiver 2009/2010) 

 

 

Première série de Stephen J. Cannell en indépendant, Timide et sans complexe  a la réputation d’être tout simplement l’une de ses meilleures, en dépit de sa courte vie ( treize épisodes ). Emmenée par un tandem de jeunes comédiens qui habitent littéralement leur rôle, portée par la musique dynamique d’un autre tandem, Mike Post et Pete Carpenter, écrite essentiellement par Cannell lui-même, avec le concours de Juanita Bartlett qui avait produit avec lui Deux cents dollars plus les frais,  la série est en tout cas une jolie réussite, même si la qualité de ses épisodes est inégale. Saluée à l’époque par la critique et encouragée par la profession, qui décerna à Cannell un Award de la Guilde des Scénaristes pour l’écriture du téléfilm pilote, Timide et sans complexe  est si rarement rediffusée que son retour fait toujours figure d’événement dans le Landerneau de la télévision. Elle figure sans conteste sur la liste des séries qui mériteraient bien une sortie dvd, de préférence accompagnée de suppléments qui éclaireraient sa genèse et sa production. Mais puisque les éditeurs tardent à avoir cette bonne idée, voici au moins un dossier, le plus conséquent jamais consacré à la série, pour vous convaincre de ses qualités sans faire l’impasse sur ses errances.  Dring dring !

 

big tandem

Jeff Goldblum et Ben Vereen, étonnants, impayables, tout simplement géniaux ! 

 

Timide et sans complexe a la réputation d’être l’une des meilleures séries de Stephen J. Cannell, bien que l’une des plus courtes. Saluée par la critique, elle enregistra des indices d’écoute insuffisants, perdant en quelques épisodes le public attiré par le téléfilm pilote. Ce fut à la fois la première série de Cannell en tant que producteur indépendant, après des années à travailler en qualité de scénariste et producteur au sein d’Universal, et un échec qui faillit bien couler sa toute jeune société, s’étant soldé par une perte de 800.000 dollars. Honoré d’un Writers’ Guild Award pour le scénario du pilote de la série en 1981, Cannell fut également nominé à l’Edgar Allan Poe Award et à l’Emmy Award. Ce n’est qu’un an après l’annulation de la série qu’il reviendra à l’écran avec The Greatest American Hero (Le plus grand des z’Américains héros / Ralph super-héros), une série qui, en rencontrant cette fois le succès, allait lui permettre de lancer sa société et de prospérer pendant la plus grande partie des années 1980 grâce à des shows tels que Agence tous risques, Le juge et le pilote, Riptide, Un flic dans la mafia et 21 Jump Street

Succès critique, disions-nous. Dans leur livre The Best of Crime & Detective TV, Max Allan Collins et John Javna citent quelques-unes des critiques dithyrambiques que récolta le show lors de son lancement. « C’est, en fait, la série la plus intelligente, la plus drôle, la plus enlevée, la plus envoûtante et ensorcelante de mémoire récente », lut-on dans le Miami Herald, tandis que nombre de critiques étaient d’accord pour encenser la performance du jeune inconnu Jeff Goldblum ou celle de Ben Vereen, révélé quelques années plus tôt par son rôle dans Racines 1. Cette opinion, partagée par Collins et Javna, est parvenue jusqu’à nous, notamment grâce à Jean-Jacques Schleret dont l’article publié dans Génération Séries en 1998 avait pour titre « Mark Savage dit : ‘Timide et sans complexe est l’une des meilleures séries conçues par Stephen J. Cannell.’ » et prouvait qu’il avait lu Collins et Javna 2. Dans son livre Adventures on Prime Time : The Television Programs of Stephen J. Cannell, Robert J. Thompson voit une raison toute simple à l’attitude de la critique : au contraire des travaux antérieurs de Cannell pour Universal (parmi lesquels la série Deux cents dollars plus les frais qui connut un grand succès entre 1974 et 1980), Timide et sans complexe était une « œuvre » personnelle, créée, écrite et produite par Cannell qui signa la majorité des scripts et se mit lui-même en scène en tant qu’auteur des romans policiers que dévorait son personnage principal Lionel Whitney. « Etant donné que la ‘vision individuelle’ a toujours été un prérequis à la ‘valeur artistique’ aux yeux de la communauté traditionnelle des critiques », écrit Thompson, « il n’est pas surprenant que Cannell ait été plus encensé par la critique pour Timide et sans complexe que pour aucun de ses shows jusqu’alors (à l’exception peut-être de Deux cents dollars plus les frais, et l’Emmy qu’il reçut pour ce show ne récompensait pas son écriture). »3 

Thompson a probablement raison. Il faut par ailleurs rappeler que l’opinion des critiques s’appuie en général sur les premiers épisodes d’une série – voire sur le seul pilote, au lendemain duquel la plupart des journaux publient les papiers qui seront ensuite cités partout, et pour longtemps. Or, c’est précisément le pilote de Timide et sans complexe qui a retenu l’attention et valu à Stephen J. Cannell d’être honoré d’un Writers’ Guild Award. La suite de la série, en revanche, si elle comporte effectivement de brillantes idées et des épisodes à la hauteur, trahit vite un essoufflement dont la critique n’a guère parlé et qui permet de comprendre pourquoi le public s’est rapidement éloigné, en dépit des qualités affichées par les prémices. Le petit nombre d’épisodes et son corrélat, leur très rare rediffusion, ont contribué à entretenir la « légende » d’une réussite totale, en incitant à rappeler les qualités du concept sans s’attarder sur les défauts de la série elle-même. 

Cannell lui-même se souvient de la série comme de l’un de ses meilleurs travaux, confiant par exemple à Didier Liardet, dans le chapitre de Les Têtes brûlées : Les Corsaires du Pacifique que l’auteur consacre au scénariste-producteur : « Les scénarios étaient vraiment excellents, j’en avais moi-même écrit huit sur les treize qui furent tournés. »4 Excellence et paternité spécifiquement « cannellienne » : précisément l’idée que l’on retient en général de la série. La réalité, comme souvent, est quelque part à mi-chemin : Timide et sans complexe est effectivement le « bébé » de Cannell lui-même – ce qui s’explique en partie par la structure de sa jeune société à l’époque -, mais ses scénarii sont loin d’être tous aussi excellents que dans le souvenir de leur auteur.

  

LA SERIE LA PLUS PERSONNELLE DE STEPHEN J. CANNELL

 

Ayant passé les années 1970 à écrire pour Universal, travaillant notamment avec Roy Huggins sur Toma, Baretta et Deux cents dollars plus les frais, Stephen J. Cannell décida à l’orée de la décennie suivante de fonder sa propre société de production afin de conserver le contrôle de ce qu’il écrivait. Le succès de Deux cents dollars plus les frais, dû à sa vedette James Garner mais aussi à la personnalité du personnage de privé qu’il incarnait, dans la lignée du héros de Maverick qu’avait incarné Garner des années plus tôt, avait permis à Cannell d’asseoir sa réputation. On le tenait pour un scénariste prolifique capable de caractériser ses personnages en quelques répliques. Se considérant avant toute chose comme un écrivain, Cannell ne cachait pas que son rêve était d’écrire des romans policiers. C’est d’ailleurs ce qui le poussa à accepter de co-créer avec Richard Levinson et William Link une série qui ne vécut que neuf épisodes, diffusés à la même époque que Timide et sans complexe, mais qui annonce la future Arabesque et permit à Cannell de se mettre en scène, déjà, comme écrivain de polars : Stone, dont le héros interprété par Dennis Weaver était à la fois policier et auteur de romans policiers à succès. Pour Stone, Cannell écrivit des morceaux de roman policier qu’il faisait lire à l’écran par ses personnages. Exactement ce qu’il fera ensuite en écrivant Timide et sans complexe, dont le protagoniste lit en voix off des passages entiers des Mark Savage Mysteries, série de polars écrits par… Stephen J. Cannell, dont on reconnaît le visage en quatrième de couverture de chaque roman dévoré par le héros. Cannell s’offre aussi la petite fantaisie d’apparaître dans l’un des épisodes en chair et en os : c’est dans une scène de « Une vieille histoire à mourir de rire », où Lionel Whitney est hélas trop pressé pour lui demander un autographe. 

Ce désir de se mettre en scène lui-même ne disparaîtra jamais chez Cannell, qui interprètera lui-même, des années plus tard, l’un des rôles majeurs de la série Le Rebelle, celui d’un flic ripou traquant le héros sans relâche, sorte de pendant corrompu au Philip Gerard de Le Fugitif, série que créa Roy Huggins, mentor de Cannell à Universal. A plusieurs reprises, dans Timide et sans complexe, il fait commenter par les personnages les romans imaginaires dont Stephen J. Cannell est l’auteur. « A force de lire ce genre de littérature débile », s’emporte E. L. Turner dans « Mark Savage dit : ‘Le gibier le plus dangereux est le gibier de potence’ », « n’importe qui aurait le cran d’affronter un diplodocus à mains nues. Je parle pour ceux qui y croient, bien sûr. » Et il ajoute, en observant le visage de Cannell sur la quatrième de couverture : « Mais où est-ce que ce couillon est allé chercher un style pareil ? » A quoi Lionel Whitney, le fan inconditionnel, rétorque : « C’est loin d’être un couillon, c’est même le meilleur auteur de sa génération. » Dans un autre épisode, « Mark Savage dit : ‘Tôt ou tard il faut régler la note’ », parlant du détective héros de ces romans, Mark Savage, Turner déclare : « Ton Mark Savage, il a quelque chose d’anormal, c’est une espèce d’andouille ». Ces répliques insistent sur l’aspect parodique des romans Mark Savage, que l’on trouvait déjà dans les extraits lus dans Stone. Le style usité par Cannell est d’ailleurs le même d’un programme à l’autre : ainsi l’extrait lu dans le téléfilm pilote de Stone évoque-t-il l’un des dialogues de l’épisode « Une vieille histoire à mourir de rire » dans Timide et sans complexe, soulignant la parenté entre le flic et le truand qui partagent les mêmes méthodes et le même style de vie, même s’ils se tiennent chacun d’un côté du badge, ou de la Loi. Ce que s’empresse de démontrer l’intrigue de l’épisode en faisant du flic appelé Law (« Loi » en anglais) un ripou. 

La parenté entre Stone et Timide et sans complexe atteste l’état d’esprit dans lequel se trouve Cannell lorsqu’il écrit sa première série en tant qu’indépendant. Il s’agit pour lui de faire ses preuves, non seulement en qualité de producteur, mais également en tant qu’auteur de récits policiers. De même que ce qui l’a attiré dans Stone est la double nature du héros, à la fois écrivain et détective, de même dans Timide et sans complexe il met en scène un détective qui est aussi un grand lecteur de romans policiers, en plus de se mettre en scène lui-même en tant qu’écrivain de tels romans. L’idée de Cannell, qu’il a exprimée dans des interviews, est qu’il existe une parenté entre le travail de l’écrivain et celui du détective. La remarque est étendue au lecteur avec le personnage de Lionel Whitney, qui non seulement puise des principes de vie dans les romans mais décide de vivre lui-même la vie d’aventure de son héros favori en devenant détective privé. La base de Timide et sans complexe, c’est cette volonté de concilier la fiction et la réalité, et pas uniquement à travers le personnage de Whitney, comme on le verra tout à l’heure.

 

pilot 4

Lionel Whitney en pleine action (Jeff Goldblum dans le pilote de la série) 

 

La situation de Lionel Whitney, courtier en bourse qui décide de tout plaquer pour réaliser son rêve, alors même que son beau-père richissime lui a préparé un avenir lucratif dans son entreprise, fait évidemment écho à celle de Cannell lui-même : s’étant fait un nom au sein d’Universal, il décide de quitter un emploi lucratif pour lancer sa propre entreprise, coupant le cordon qui le liait, d’une manière presque paternelle, au vétéran Roy Huggins. Comme Whitney, Cannell se retrouve alors à la tête d’une toute petite société : raison pour laquelle les scénarii de Timide et sans complexe sont écrits essentiellement par lui-même, ainsi que par Juanita Bartlett avec qui il travaillait sur Deux cents dollars plus les frais, trois histoires seulement étant signées de scénaristes extérieurs, Shel Willens, Gordon Dawson (tous deux ayant travaillé sur Deux cents dollars plus les frais également) et Rudolph Borchert. Robert J. Thompson explique en partie l’échec de la série par la structure de la société : dans l’incapacité de contrôler ses budgets, Cannell s’est retrouvé d’emblée en dehors des clous et n’a pu produire la série qu’à perte 5. L’un des défauts les plus visibles de la série est l’inconsistance de certains scénarii, dans laquelle on peut lire tout autant l’incapacité de Cannell à fournir le matériau nécessaire, juste après avoir écrit plusieurs histoires de Stone, que la nécessité d’allonger les scènes pour « tenir » la durée standard d’un épisode. Que l’on regarde, de ce point de vue, « Mark Savage dit : ‘Le gibier le plus dangereux est le gibier de potence’ » : le teaser6 dure 53 secondes (au lieu d’une trentaine) et le générique de fin près de deux minutes, tout simplement parce que le matériau filmé et monté occupe tout juste un peu plus de quarante minutes, pour un standard de 45 à l’époque. La même nécessité de « meubler » plombe d’autres épisodes, en particulier « Une vieille histoire à mourir de rire », et ne parvient pas à cacher la pauvreté des scénarii. Voilà qui éclaire d’un jour nouveau la réputation d’excellence… 

Cannell ne pouvait qu’être conscient de cette carence, et l’on imagine assez bien l’état d’urgence dans lequel fut produite la série, surtout lorsque les taux d’audience se révélèrent en chute libre, alors même qu’ABC avait, semble-t-il, consenti un réel effort pour promouvoir le show. Dans l’épisode diffusé une semaine avant « Une vieille histoire… », « Un anniversaire à marquer d’une pierre noire », il fait lui-même dire à E. L. Turner, alors que l’action piétine au bout d’une demi-heure et que l’intrigue ne repose encore que sur une base minuscule : « On a l’air de se balader au milieu de ce bazar incroyable comme deux andouilles et sans rien comprendre », ce qui est précisément la situation des spectateurs. Les scènes sont longues, lentes, bavardes et l’ensemble manque singulièrement de rythme, alors que le rythme était la qualité première du téléfilm pilote. 

D’aucuns pourront dire que l’un des poncifs du film noir est, parfois, la confusion de l’intrigue. Mais il faudrait une bonne dose de mauvaise foi pour prétendre que le manque de rythme d’une moitié des épisodes de Timide et sans complexe est le fruit d’un emploi réfléchi de ce poncif. Car confusion ne signifie pas forcément manque de rythme : les épisodes les plus réussis le démontrent d’ailleurs, à commencer par le pilote, où l’action s’enchaîne de façon cohérente et alerte sans qu’aucun temps mort vienne la ralentir. Le délayage évident de scripts tels que « Un anniversaire… » et « Une vieille histoire… » tient à la nécessité d’allonger les scènes, non au traitement réfléchi du scénario. 

L’échec de la série n’a donc rien de surprenant et on en trouve les causes dans les conditions de sa production. Ce qui n’enlève rien à la qualité du concept de la série, astucieusement établi dans le pilote et développé avec talent dans la moitié des épisodes. On peut se demander, à l’instar de Collins et Javna, si l’échec de Timide et sans complexe, comme d’ailleurs celui de Stone et auparavant de Los Angeles années 30 que Cannell avait co-produite au sein d’Universal, n’est pas dû à la qualité du concept et à la sincérité qu’y aurait mise Cannell ; mais on ne peut faire l’impasse sur les insuffisances réelles de la série. Que cet échec ait profondément déçu Cannell et l’ait porté à développer des concepts moins originaux, qui ont ensuite assis son éclatante réussite, c’est possible et probable : Agence tous risques est un croisement de Les sept mercenaires avec Mission impossible, Le juge et le pilote un démarquage de Magnum, Riptide une reprise de Surfside Six, 21 Jump Street une mise à jour de La Nouvelle équipe, etc. Reste, aujourd’hui, à revoir et peut-être redécouvrir Timide et sans complexe, dont les qualités, assurément, ne manquent pas.

  

QUAND WHITNEY RENCONTRE TURNER

 

La première de ces qualités, et la critique ne s’y trompa pas en encensant d’emblée Jeff Goldblum et Ben Vereen, est la performance de son tandem vedette. 

Jeff Goldblum habite le rôle de Lionel Whitney, grand garçon dégingandé dont les yeux, les mains et la bouche sont en perpétuelle activité, sauf quand il est plongé dans la lecture d’un Mark Savage. Idéaliste et passionné, Whitney conçoit la profession de détective privé comme une mission pleine de noblesse, par laquelle un homme se dévoue au service des autres. « Nous essayons de faire le plus de bien possible pour les gens », déclare-t-il, sans la moindre ironie, à un client venu lui proposer une affaire douteuse dans « La vie des millionnaires ». « Ça vous semble sans doute futile mais le métier de détective consiste à redresser les torts. » Figure à la Don Quichotte, il est persuadé de suivre sa vocation qui est de pourfendre les méchants pour rendre plus agréable la vie des honnêtes gens. Dans le ton désabusé de son héros favori, le détective de fiction Mark Savage, il voit non pas la justification du cynisme mais au contraire la nécessité de mener une croisade contre les méchants, qui gangrènent la société contemporaine. « Nous défendons la justice et nous triompherons du mal, forcément » est son credo, qu’il formule à la fin du même épisode après avoir contribué à boucler les méchants. De là, aussi, une invraisemblable naïveté. A un gamin qui vient de lui voler sa pendulette dans un parc, alors qu’il déjeunait d’un sandwich en lisant un Mark Savage, il fait la leçon en citant précisément les mots qu’il vient de lire, puis donne un billet de banque pour le consoler quand il conte sa vie malheureuse en versant quelques larmes. Et il est sincèrement dépité quand, quelques minutes plus tard, il voit le gamin monter dans une grosse voiture à l’appel de sa mère ! Incorrigible pourtant, il se lance de nouveau à la poursuite du gamin qu’il a vu reprendre ses mauvaises habitudes à la fin de l’épisode. Whitney, c’est le genre d’ahuri qui peut mettre au tapis des gorilles en quelques prises de karaté, sport qu’il pratique assidument… mais qui se laisse assommer parce qu’il n’a pas eu le temps de faire la mise en garde régulière, par laquelle le karateka doit informer son adversaire qu’il maîtrise l’art de tuer 7. Le genre de type, aussi, qui refuse de conserver l’argent issu d’une fraude, même si la police ne lui demande rien (dans « Mark Savage dit : ‘Je me demande à quoi servent les amis’ »), et qui laisse ses coordonnées sur un panneau de stop qu’il a malencontreusement démoli avec sa voiture (dans « Trente-six chandelles pour quarante-deux carats »). 

Le spectacle de cette naïveté suscite des réactions parfois sans appel. Son propre père, en le voyant laisser ses coordonnées près du panneau de stop, déclare avec perplexité : « Il est scrupuleux. Scrupuleux à en être bête. » Son partenaire, E. L. Turner, n’en revient pas non plus : « Con on est, con on reste », déplore-t-il dans « Le trésor de la rue Sierra Madre ». « Mais c’est incroyable ! Mais quel con, ce mec ! » Pourtant, la fréquentation d’un idéaliste aussi pur et intraitable n’empêche pas Turner de s’attacher à lui, voire de le défendre. Témoin ce dialogue entre Turner et son ami Scoop, escroc comme lui, dans « La vie des millionnaires » : 

SCOOP – Il est débile.

TURNER – Non ! Je l’ai cru moi aussi, dans le temps, mais c’est un type qui a des principes.

SCOOP – Il est débile.

TURNER – Non, c’est presque comme d’être débile, seulement, tu vois, c’est pas la même chose. Pour lui, ce business représente absolument tout, tu comprends, et si ça se termine mal je sais qu’il sera fichu, et j’essaye d’empêcher ça. 

Le spectacle de sa belle-mère et de sa propre fiancée, dans le téléfilm pilote, obligent Whitney à reconnaître que la vie normale et rangée qu’elles lui proposent ne l’intéresse pas. Ce qu’il essaiera sans grand succès d’expliquer à ses parents et à ladite fiancée dans « Trente-six chandelles pour quarante-deux carats » : « Le métier de détective est la seule chose qui m’intéresse », « J’adore l’aventure que m’apporte mon boulot ». La nature de Lionel Whitney, et en cela il rejoint d’autres héros de son temps, à commencer par le privé de Magnum, c’est de refuser la vie ordinaire, même si aux yeux de son entourage il s’adonne à une activité infantile : « Ce sont des jeux d’enfant, tout le monde sait ça ! » s’emporte sa mère, « Il faut grandir un jour ou l’autre », décrète sa fiancée. 

A première vue, le personnage d’E. L. Turner est tout l’opposé. Escroc invétéré, il se sert de la naïveté de ses semblables pour vivre à leurs dépens. On peut donc penser qu’il maîtrise les subtilités de la vie réelle et n’a rien d’un idéaliste ou d’un rêveur. Aussi joue-t-il régulièrement le grand frère pour veiller sur son associé et le sortir des situations dans lesquelles il se met par inconscience du danger. Ecoutons-le dans « L’enlèvement d’une taxi-girl » : « Tu comprends, j’ai de l’estime pour toi. C’est vrai, juré. Tu es plein d’une espèce d’innocence désuète très chouette. Enfin, tu as le cœur au bon endroit, quoi. Mais si tu veux survivre dans cette jungle il va falloir que tu oses affronter les dures réalités de ce métier. Ecoute, je vais essayer de t’expliquer un détail fondamental de cette profession. Un bon nombre de témoignages semblent défendre la théorie selon laquelle les balles ont un effet désastreux chez les gens qu’elles transpercent. Et la leçon qu’on est en droit de tirer de cet axiome, c’est que face à une arme ennemie on met les bouts sur le champ, on file tout doux et après on se tient vachement, vachement peinard. » Le genre de leçon dont Whitney n’est pas dupe un instant, ce qui tend à démontrer qu’il est moins naïf qu’il n’y paraît. « Mais bon sang, arrête tes salades ! », rétorque-t-il. « Pourquoi ne pas admettre que tu es un froussard une bonne fois pour toutes ? » A quoi Turner répond : « Très bien, je suis un froussard. Mais un froussard pragmatique. Et ceux-là sont les meilleurs qui soient parce que ceux-là ne finissent jamais au bord d’un fossé avec une balle entre les deux yeux. » La leçon de ce dialogue est la suivante : il ne faut jamais prendre pour argent comptant ce que dit Turner. « Il parle sérieusement ? » demande un avocat à la fin du téléfilm pilote. « Oh ! Jamais ou presque », répond Lionel. Et surtout : les discours de Turner visent à transformer la vérité pour l’adapter à sa vision des choses. 

Turner est en effet tout le contraire d’un « réaliste » : comme Whitney, il a besoin de réinventer le réel pour y trouver sa place. Ce que Whitney décode fort bien lorsqu’il lui dit, dans « Combines et ordinateurs » : « Je te regarde et je t’écoute rêver à ces machinations compliquées, je te vois gaspiller ton énergie dans des magouilles inextricables, et ça m’inquiète. (…) Je trouve ça assez dangereux. Tu passes de l’imagination à la réalité et inversement et tu ne sais même plus où est la frontière. » On peut voir cela comme un vice ou comme un moyen de survie, mais peu importe : Whitney et Turner ont le même rapport problématique à la réalité, qu’ils n’acceptent pas telle quelle. Mais alors que l’exutoire de Lionel se trouve dans les livres, à la vérité desquels il veut croire, et dans un idéalisme irréductible, celui de Turner consiste à agir directement sur le monde pour le plier à ses besoins. L’un comme l’autre, selon les critères « normaux » - ceux que défendent par exemple les parents de Lionel dans « Trente-six chandelles pour quarante-deux carats » -, sont des enfants qui se refusent à grandir, à accepter le fait qu’ils doivent s’adapter au réel et non l’inverse. 

Retour à Stephen J. Cannell, bien sûr. Ce dont « souffrent » les protagonistes de Timide et sans complexe, c’est d’une passion pour le romanesque, un besoin d’écrire le monde. La même « maladie », en somme, que celle de l’écrivain, ce que Cannell a toujours eu le sentiment d’être, et ce qu’il essaie d’être, à sa manière, en écrivant les romans que dévore Whitney ou ceux qu’écrit Stone. Dans les deux séries, d’ailleurs, Cannell intègre le regard des autres comme une condamnation : dans Stone, le détective-écrivain est jugé sévèrement par son père, tandis que dans Timide et sans complexe Lionel est regardé comme un grand enfant par ses parents, ses beaux-parents et sa fiancée. Quant aux écrits du « Stephen J. Cannell » de fiction, Cannell les juge avec la même sévérité en faisant dire à Turner que ce n’est que « littérature débile ».

 

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 Les deux compères dans leur fief de L.A.

 

C’est ainsi que l’on peut voir à l’œuvre dans le goût de Turner pour le travestissement le même exercice de détournement que dans le goût de Cannell à se mettre en scène dans la série. Le moyen d’être soi-même tout en étant un autre. Turner, en effet, est un maître ès déguisement, une qualité que Cannell réemploie dans la plupart de ses productions. Cette faculté de se glisser successivement dans la peau d’un agent fédéral, d’un prêtre, d’un pilote, d’un chauffeur de maître, d’un psychiatre, d’un cheik, voire d’une vieille femme, fait de Turner un caméléon non seulement grâce au costume mais, surtout, grâce à la conviction avec laquelle il habite chacun de ses rôles. « Tu vois », dit-il dans « Trente-six chandelles… », « si tu as l’air officiel personne te demande jamais rien. » Le secret est donc d’y croire et d’agir vite, d’où la valeur de la parole dans la « profession » de Turner : elle sert à envelopper la prestation autant qu’à hypnotiser le spectateur, aussi sûrement que le serpent dans Le Livre de la jungle. Et, bien sûr, ça marche : « Je n’aime pas tes méthodes, Eddie, mais enfin toi, au moins, tu obtiens des résultats », reconnaît Lionel dans « Le trésor de la rue Sierra Madre ». En tout cas, ça marche… souvent. Car les arnaques de Turner sont souvent, aussi, la source des ennuis auxquels sont confrontés les deux détectives. 

L’épine dorsale de la série est là, dans la relation conflictuelle entre deux personnages qui, tout en se désapprouvant, s’épaulent mutuellement et opposent à la réalité leur propre conception de ce que devrait être le monde. C’est pourquoi la série ne pouvait reposer que sur deux comédiens capables eux-mêmes d’habiter leur rôle, ce que réussissent à merveille Jeff Goldblum et Ben Vereen. On peut penser que Cannell aurait souhaité faire revivre ces deux personnages, une fois son nom reconnu grâce au succès de ses productions ultérieures ; mais, Goldblum ayant entretemps entamé une carrière au cinéma (il se fait enfin connaître au milieu des années 1980 en apparaissant dans Les aventures de Buckaroo Banzai, Silverado et surtout La Mouche de Cronenberg), seul Ben Vereen reprendra son rôle pour quelques épisodes de la série J. J. Starbuck, avec Dale Robertson, en 1987-1988. Quelques mois plus tard, la série Sonny Spoon, qui ne connaît qu’une saison en 1988, peut être vue comme une tentative de ressusciter le personnage sous les traits d’un autre acteur, en l’occurrence Mario Van Peebles, détective privé qui passe son temps à se déguiser pour s’insinuer dans tous les milieux.

 

  LA COMEDIE SELON CANNELL

 

Timide et sans complexe est une comédie. Si Stephen J. Cannell n’a produit qu’une seule comédie à part entière – The Last Precinct, en 1985 -, la plupart de ses productions de la première moitié des années 1980 appartiennent au genre comedy-drama, l’action et les histoires policières étant toujours enveloppées dans une bonne dose de fantaisie et de fun. Avec Timide et sans complexe, Cannell donnait à ces qualités la première place, imposant dans le téléfilm pilote un rythme endiablé consistant à enchaîner les poursuites et les rebondissements sans temps mort, en privilégiant, précisément, l’unité de temps. Les événements contés dans les quatre-vingt-treize minutes du film se déroulent sur vingt-quatre heures, ce qui fait dire à un Lionel Whitney excédé, qui n’en est encore qu’à la moitié de l’aventure : « En dix heures tu as gâché toute ma vie ! Est-ce que tu te rends compte ? » (Est-il utile de préciser qu’il s’adresse à Turner ?) 

L’unité de temps se retrouve dans la plupart des épisodes, bâtis sur le modèle d’un enchaînement serré d’événements. C’est là un procédé de comédie autant qu’un hommage au film noir, les héros étant souvent poussés d’une action à l’autre sans comprendre ce qui leur arrive. C’est aussi ce qui rend la série très inégale : lorsque chaque scène apporte un élément qui fait progresser l’intrigue, celle-ci est réussie ; quand ce n’est pas le cas, en revanche, il ne reste qu’une suite de scènes plus ou moins futiles que ne relie qu’un fil directeur très lâche. Dans ce cas, seule la performance des deux comédiens principaux permet de faire la différence entre un épisode raté – comme « Un anniversaire à marquer d’une pierre noire » - et un autre réussi – par exemple « Mark Savage dit : ‘Tôt ou tard il faut régler la note’ ». Dans ce dernier, même si l’action piétine parfois, les échanges entre Whitney et Turner mettent suffisamment en perspective les personnages eux-mêmes pour retenir l’attention. A contrario, l’échec de « Un anniversaire… » tient à la succession de scènes peu dynamiques où même le dialogue n’apporte pas grand-chose. Les personnages bavardent et oublient l’intrigue, qui ne progresse pas ; l’action consiste alors à suivre les protagonistes d’un lieu à un autre en les plaçant en situation de fuir constamment des poursuivants divers, truands ou policiers, multipliant les rebondissements factices qui ne sont reliés que maladroitement à l’intrigue principale. La présence d’une tierce personne, la secrétaire Bernice aux yeux démesurément grossis par ses lunettes à double foyer, qui ne cesse de répéter combien elle admire la vie aventureuse des détectives apparaît elle-même comme un artifice destiné à convaincre le spectateur que l’enquête est passionnante, alors qu’elle ne l’est nullement. 

Il n’est pas certain, toutefois, que ces faiblesses ne tiennent qu’à la production de la série, et à l’urgence dans laquelle on imagine qu’elle a été écrite et tournée. Puisque le ressort comique de Timide et sans complexe est précisément cet enchaînement qui fait passer les personnages d’un lieu à un autre, multipliant les quiproquos et les poursuites, il est possible que Cannell ait sincèrement tenté d’écrire des histoires où ce procédé supplanterait l’intrigue policière, reléguée délibérément au second plan. « Une vieille histoire à mourir de rire », écrit et réalisé par Cannell, pose ainsi comme postulat le désoeuvrement des détectives, en manque de clients. Turner trompe l’ennui en jouant aux courses, tandis que son partenaire se met en tête de résoudre une affaire vieille de quarante ans. Ce type de postulat est caractéristique de Deux cents dollars plus les frais et de Magnum, deux séries dont l’un des propos est de démythifier la profession de détective privé en en soulignant les aspects les moins glamour. Le glamour, justement, Cannell le fait revenir par la bande, en amenant au premier plan un meurtre commis dans les années 1940, c’est-à-dire à la « grande époque » du film noir américain. Le meurtre de Sable Hill n’est que la transposition de l’affaire du Dahlia Noir, le plus célèbre des crimes irrésolus de la police de L.A., qui donnera aussi matière à un épisode de Rick Hunter inspecteur choc. Cannell fait donc porter à Whitney et à Turner un feutre semblable à celui que portaient les détectives des films de Huston et consorts, nomme un inspecteur de police Bogart et fait surgir dans l’enquête un policier à la retraite affublé du patronyme de Law (la Loi), rescapé de ces années-là. Détectives ballottés de Charybde en Scylla, victimes de situations qu’ils ne comprennent pas, inspecteur sarcastique et incompétent contre détectives assimilés aux escrocs et truands, dialogues à l’emporte-pièce dans la bouche du vieux briscard de la police, vieilles coupures de journaux se rapportant aux années 1940, scènes de bureau et de bar, fusillades dans les ruelles – dont une scène de nuit où l’on sent le plaisir que Cannell a pris à la mise en scène -, tout concourt au pastiche. La confusion de l’intrigue, dans un tel contexte, ne peut être que volontaire. Même l’ennui est un élément intégré au script : « Ça devait être excitant de vivre dans les années 40. Des meurtres comme celui de Sable Hill, ça n’arrive plus aujourd’hui », commente Whitney. « Autrefois, c’était plus romantique. De nos jours, les meurtres sont des assassinats sordides, des règlements de comptes à minuit dans les petites ruelles. » Mais lorsque, justement à ce moment-là, surgit une voiture dont les occupants mitraillent les héros avant de disparaître, le « romantisme » de ces années-là est censé faire irruption dans la réalité d’aujourd’hui. Là où le bât blesse, c’est donc dans l’incapacité de l’histoire à convaincre réellement. En réitérant la réussite du téléfilm pilote, Cannell tenait là un script idéal ; mais la sauce ne prend pas en raison du manque de rythme de la réalisation et du manque de substance de la plupart des scènes. Même celles où intervient le flic tout droit sorti des années 40 paraissent plates, sans épaisseur. La prestation de James Whitmore Jr en inspecteur sarcastique, plus occupé à soupçonner les détectives qu’à les épauler, devait être un hommage, elle se perd finalement dans le manque de direction dont souffre l’intrigue. Survient alors une longue séquence où les deux détectives s’introduisent incognito dans le commissariat pour y subtiliser des informations : l’enchaînement des actions et des gags est bien dans l’esprit de la série mais l’absence de ligne directrice rend toute la séquence futile. Au final, « Une vieille histoire à mourir de rire » est comme un soufflé au fromage trop vite retombé. Prometteur, mais décevant. 

« Comtesse à vendre » offre au contraire l’exemple d’un hommage réussi, où la composante comique de la série convainc davantage. Cannell l’a écrit avec Juanita Bartlett, complice de Deux cents dollars plus les frais, dévoyée avec l’accord d’Universal en échange de la promesse de Cannell d’écrire un pilote pour la firme (qui sera celui d’Agence tous risques), et le réalisateur est Rod Holcomb, collaborateur durable de Cannell, avant et après Timide et sans complexe. Le scénario rend un hommage explicite au Faucon maltais en faisant de ses méchants les copies du trio Gutman-Cairo-Wilmer du film de Huston et en faisant de la recherche d’un joyau le moteur de l’action. Pas de femme fatale ici, mais une vieille femme de ménage qui se révèle être une authentique comtesse russe. Le dénouement a lieu dans l’un des studios Samuel Goldwyn d’Hollywood, là même où est tournée la série : on lit d’ailleurs sur un panneau l’inscription « Viva Gereghty », écrite par les techniciens en l’honneur du directeur de la photographie de la série, William Gereghty, et ce panneau est l’un de ceux qui ont servi au décor de toilettes publiques de l’une des scènes de l’épisode. Le gage de la réussite, ici, est de ne jamais perdre de vue l’intrigue principale, comme Cannell avait réussi à le faire dans le téléfilm pilote. On en vient même à se demander si l’apparition de l’ombre de la perche sur le mur blanc devant lequel jouent les acteurs (vingt-huitième minute de l’épisode) n’est pas aussi un hommage au Faucon maltais, où l’ombre d’un technicien apparaît aussi sur le dossier d’un sofa (à la soixante-quatrième minute du film) ! Il y a fort à parier en tout cas que ce « défaut » ne soit pas vraiment une maladresse. 

Les épisodes les plus réussis de la série sont finalement tous des épisodes où, comme ici, l’hommage et la comédie se marient bien. Ainsi de « Mark Savage dit : ‘Tôt ou tard il faut régler la note’ », où la relation de Lionel avec la troublante Avon est tout entière un pastiche du film noir, comme c’est le cas aussi avec le personnage de Debbie Shelton dans « Mark Savage dit : ‘Je me demande à quoi servent les amis’ », que Whitney remet finalement à la police en dépit des sentiments qu’il éprouve pour elle, rejouant la scène finale du Faucon maltais entre Bogart et Mary Astor. Dans « Combines et ordinateurs », qui s’inspire de l’intrigue de Fais pas ta rosière de Raymond Chandler, la situation est inversée mais l’hommage identique, puisque c’est cette fois Turner qui se prend pour un avatar du privé hard boiled et tombe sous le charme de la belle. « L’enlèvement d’une taxi girl » réussit également à ne pas perdre de vue l’intrigue principale, s’ouvrant et se fermant sur la lecture d’un Mark Savage dont l’ombre plane sur tout l’épisode, bel exemple de « à la manière de ». Enfin, « Le trésor de la rue Sierra Madre » paye son tribut à un autre film de John Huston et est mené avec suffisamment d’entrain et de rythme pour toucher juste lui aussi. 

 

Il est juste de considérer Timide et sans complexe comme l’une des idées les plus originales de Stephen J. Cannell. Toutefois, la série n’a pas complètement transformé l’essai du pilote et reste une tentative avortée. Elle s’inscrit dans la continuité du travail de Cannell à Universal – Deux cents dollars plus les frais, Los Angeles années 30, Richie Brockelman Private Eye, Stone – et est certainement l’une de ses œuvres les plus personnelles, excellente introduction finalement à sa carrière de producteur indépendant, ne serait-ce que par les rapports ténus entre la fiction et les aspirations réelles de Cannell à l’époque. En outre, Cannell y confirme ce que ses précédentes productions annonçaient déjà avec la participation importante des compositeurs Mike Post et Pete Carpenter (au travail sur Deux cents dollars plus les frais mais aussi sur Les Têtes brûlées, Richie Brockelman Private Eye et The Duke) : l’introduction du rock dans la partition des séries, mêlé de diverses influences comme le folk et la country. Donald Bellisario, partenaire de Cannell sur Les Têtes brûlées, en tirera la leçon en faisant appel au tandem pour composer la musique de Magnum en remplacement de la partition très jazzy de Iain Freebairn Smith. C’était le début d’une nouvelle époque. Enfin, Timide et sans complexe est, avec d’autres séries de Cannell (Hunter en particulier), l’un des programmes de l’époque qui filme le plus (et le mieux) Los Angeles, de très nombreuses scènes étant tournées en extérieurs (notamment à North Hollywood où les héros ont leur bureau). 

 

Notes 

1. Max Allan Collins et John Javna, The Best of Crime & Detective TV, Harmony Books, 1988, p. 28.

2. in Génération Séries n°26, oct.-nov.-décembre 1998, pp. 43-45.

3. Robert J. Thompson, Adventures on Prime Time : The Television Programs of Stephen J. Cannell, Praeger, 1990, p. 95.

4. Didier Liardet, Les Têtes brûlées : les Corsaires du Pacifique, Yris, 2ème édition, 2001, p. 85.

5. Voir Robert J. Thompson, op. cit., p. 95.

6. Le teaser (en anglais : ce qui a pour but d’appâter, de séduire) est la séquence diffusée avant le générique. Certaines séries (comme Hawaii Police d’Etat ou The X Files) en font une séquence autonome qui commence l’histoire par un incident marquant, donnant le ton de l’épisode et incitant le public à ne pas zapper pendant le générique. D’autres, et c’est le cas de Timide et sans complexe, le traitent comme une bande-annonce constituée des « meilleures scènes » de l’épisode. Dans ce cas, le teaser n’excède pas, en général, une trentaine de secondes.

7. Le gag n’est utilisé qu’une fois, dans l’épisode « La vie des millionnaires ». Ailleurs, Whitney utilise les arts martiaux sans forcément faire de mise en garde, signe que Cannell ne tenait pas plus que cela à cette démonstration de naïveté chez son personnage.

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