Entretien réalisé en février et mars 2009
par Thierry Le Peut
passer à Thierry la Fronde
ou à l'entretien-carrière de Clément Michu
Jean-Claude Deret vous dit tout !
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A 87 ans ( 1 ), Jean-Claude Deret, le créateur de Thierry la Fronde, dont il a écrit tous les épisodes en s’offrant le plaisir d’y jouer le traître Florent, n’a rien perdu de son dynamisme. Comédien, scénariste, dramaturge, écrivain, auteur-compositeur-interprète, il continue de se produire sur scène et pratique au quotidien le plaisir d’écrire en tenant un blog sur Internet.
Le secret de sa longévité ? L’imagination ! C’est la Muse qu’il sert depuis toujours et qui lui a permis, en quelques décennies de carrière, de jouer les touche-à-tout sans pour autant se prendre au sérieux.
Il a accepté de répondre à nos questions sur cette carrière et particulièrement sur Thierry la Fronde. « Attendez-vous à des surprises ! » nous a-t-il dit en commençant… La parole est à Messire Florent !
(1) Au moment de cet entretien, en 2008. Jean-Claude Deret nous a quittés en décembre 2016. Cet entretien est un hommage qui est rendu à sa créativité éclectique.
Jean-Claude Deret, alias Claude Breitman, naquit le 11 juillet 1921 à Paris. Faisait-il beau ce jour-là ? On ne sait pas, mais la Fée imagination se pencha sur son berceau et lui apposa sa marque, si bien qu’il allait, plus tard, lui dédier sa vie. Coupable de trois mariages, le premier avec Jean Dunn, le deuxième avec Céline Léger, le troisième avec Dominique Meunier, il est aujourd’hui le père de trois enfants – un pour chaque mariage : Barbara, Isabelle et Arthur. Chevalier des Arts et Lettres depuis 2006, activement impliqué dans la direction du Théâtre des Funambules de Saint-Gervais-la-Forêt, il a consacré sa vie à l’écriture et à la comédie, se commettant également en qualité de chansonnier.
Fils du maire de Mennetou, village du Cher où il passa une part de son enfance, il ne sait s’il a débuté sa carrière de comédien en jouant un écolier dans un sketch de papa, ou plus tard dans un collège de Blois où il monta sur les planches, ou plus tard encore lorsque, devenu « grand », il se hissa sur d’autres planches, d’un vrai théâtre cette fois (en fait dès 1938, sous la direction de son professeur et bientôt ami Fernand Bellan), et se produisit dans les caves de Saint-Germain-des-Prés. Sa biographie « officielle » se contente de le faire débuter en 1949 avec un court-métrage de Pierre Courau, Du pied, et un spectacle intitulé A Paris. Déjà, l’ancien petit garçon de Mennetou, qui jouait à la guerre franco-anglaise avec ses camarades, mêle comédie et écriture. Quand Roger Pierre et Jean-Marc Thibault doivent renoncer à honorer un engagement au Québec, c’est Jean-Claude Deret qui les remplace avec un compère, Robert Rollis.
Dix ans passés au Québec, où il convole avec la comédienne Céline Léger (en 1959), entre théâtre, radio et télévision, et revoilà notre bonhomme de retour en France, où il s’attèle à l’écriture d’un feuilleton franco-français de nature à concurrencer les anglo-saxons Ivanhoe et autres Guillaume Tell qu’il a vus se démener sur les écrans québécois et retrouvés sur ceux de la douce France. Voici Thierry la Fronde parti pour une guerre de trois ans contre l’envahisseur anglais. Popularité oblige, les aventures du damoiseau se déclinent aussi en livres-jeunesse chez Hachette, ce qui lance le sieur Deret dans la « littérature », où il s’illustrera avec d’autres héros, comme le petit Gilles, aventurier parisien, ou la douce Anémone.
Le théâtre est une destination naturelle pour ce « touche-à-tout » qui aime se mettre en scène. Chansonnier, Deret a parfois été chanté par d’autres, mais les deux albums qu’il a commis s’intitulent sobrement « Deret chante Deret », comme son prochain spectacle au chalet Larousse, le 19 juin. Aussi a-t-il écrit pour lui-même des pièces de théâtre, comme Samuel dans l’île en 2005, tout en écrivant aussi, pour d’autres, des rôles où se mêlent l’amour du bon mot, l’irrévérence de l’« anar » provocateur et le goût, tout simplement, d’une certaine conception de l’imagination à l’œuvre, dressée comme un rempart à l’esprit de sérieux.
première partie
THIERRY LA FRONDE
Jean-Claude Deret, vous avez passé neuf ans au Canada pour y exercer votre métier de comédien. Pourquoi avez-vous quitté la France ?
On avait proposé un contrat de cabaret à Roger Pierre et Jean-Marc Thibaut à Montréal. C’était signé mais au dernier moment ils furent engagés pour un film. Pour honorer le contrat, on leur substitua deux comédiens amis, Jean-Claude Deret et Robert Rollis, ainsi qu’une comédienne, Solange Certain. Séduit par le Canada (et les Canadiennes), je résolus de retourner au Québec J’y restai plus de dix ans.
Là-bas, avez-vous confié au magazine Télé 7 Jours, vous avez vu les séries anglo-saxonnes (Ivanhoé, Guillaume Tell...) que vous alliez retrouver à la télévision française à votre retour. Et, revenu en France justement, vous auriez décidé que la télévision française pouvait elle aussi tirer de son Histoire une série populaire. Est-ce bien ainsi que les choses se passèrent et faut-il voir dans l'affrontement Thierry - Anglais une traduction littérale de cette volonté de donner aux séries anglo-saxonnes un concurrent français ?
C’est à Montréal où sévissait toujours la guéguerre entre francophones et anglophones que l’idée me vint d’un héros français de la Guerre de Cent ans. Ce qui me permettrait de railler les Anglais sans risque. De retour en France, j’ai retravaillé mon idée. Elle arrivait à point nommé.
L'idée de Thierry la Fronde, vous l'auriez empruntée bien sûr à l'Histoire mais aussi à votre enfance, passée entre autres lieux dans le village de Mennetou-sur-Cher, où Jeanne d'Arc passa une nuit. Info ou intox ?
Jeanne d’Arc est bien passée à Mennetou, petite cité médiévale du Val de Cher, ainsi qu’en témoigne une lettre du fils de Bertrand Du Guesclin, compagnon de Jeanne. En 1929, mon père, maire du village, eut l’idée de fêter le cinquième centenaire avec un défilé historique. Une plaque fut apposée sur une des trois portes de ville. Tout le village, costumé, participa au défilé. Sorte de concours de beauté, on avait élu une jeune fille pour incarner Jeanne d’Arc. (Horresco referens, on parlait de Miss Jeanne d’Arc !) La belle et solide fille chevauchait en armure un cheval de labour. Costumés en pages, les enfants des écoles, dont j’étais, suivaient Jeanne et ses cavaliers sur leurs petites bicyclettes fleuries de roses de papier crépon.
Ce souvenir de Mennetou évoque l’épisode « Le royaume des enfants », où des enfants jouent les rôles des protagonistes de la série : est-ce ce souvenir qui vous a inspiré cet épisode ?
Bien vu ! D’autre part, ce feuilleton destiné aux jeunes se devait d’en montrer.
Etiez-vous dès le départ associé à Jacques Harden, comédien et co-auteur de la série ? Le connaissiez-vous avant cette collaboration ?
De retour du Québec, j’ai retrouvé Jacques Harden que j’avais connu vaguement à Saint Germain-des-Prés où j’avais dirigé trois « Caves ». Au courant de mon projet, il me présenta à un directeur de télé (section Jeunesse) en disant à ce dernier que nous allions collaborer à l’écriture. Mais, les contrats signés, dès qu’il fut question d’écrire, il se récusa, arguant être trop accaparé par son métier de comédien. Si bien qu’il n’a jamais écrit qu’une seule ligne ! Il faisait dire à Thierry en 1360 : « Je ne pardonnerai jamais aux Anglais d’avoir brûlé Jeanne d’Arc » ! [NB : Jeanne d’Arc fut brûlée en 1431.] Au bout de deux séries, un peu las de cette situation et de lui abandonner 30% des droits d’auteur, je lui fis signer un protocole d’accord où il me reconnaissait comme seul auteur. Mais le producteur (Télé-France-Films) n’accepta de modifier le générique que si j’en payais les frais. Le film n’était pas numérisé. La petite fortune que cela m’aurait coûtée fit que je laissai les choses en l’état.
Quelle était votre idée du personnage de Thierry, puisqu'il paraît que Jean-Claude Drouot ne correspondait pas du tout à cette image ?
Faux. Jean-Claude Drouot se présenta au casting pour postuler le rôle du Roi de Navarre. En le voyant, je lui proposai aussitôt le rôle de Thierry, malgré le réalisateur Robert Guez qui préférait Jean Sobieski sous prétexte, me dit-il, que les héros sont toujours blonds ! Moi, je voulais un jeune loup ; ce qu’était alors Drouot, devenu depuis un ours. Soutenu par les voix du personnel féminin de la production, mon choix fut agréé. Par la suite, chacun se vanta d’avoir découvert Drouot.
La société productrice Telfrance imposa-t-elle sa propre vision de la série et du personnage, ou aviez-vous carte blanche ? Quels étaient, le cas échéant, les « diktats » de la télé de l'époque ?
Telfrance n’était alors que Télé-France-Films et avait assez peu produit. J’avais carte blanche avec deux interdits : le sang et le sexe. Cela m’amuse, m’agace aussi, de lire des commentaires sur « ma » série ironisant sur son côté enfantin. On oublie que le feuilleton était destiné aux 7 / 12 ans.
On a souvent décrit Thierry la Fronde, à ce propos, comme une « série fauchée ». Réalisation rapide, décors minimalistes constamment réutilisés, emploi de peu de figurants, tournage en studio (à l'exception des scènes de forêt de la première saison et de scènes d'action, sur lesquelles nous reviendrons) : le budget alloué à la série était-il un problème ? Le résultat à l'écran correspondait-il à vos aspirations ou davantage à celles de Telfrance et / ou du réalisateur Robert Guez ?
Exact : pas de fric. Télé-France-Films était une toute petite société bien loin de ce qu’est devenu Telfrance. Thierry la Fronde est sans doute en grande partie la raison de cette ascension. Réalisation rapide ? Voire ! Un épisode de 26 minutes par semaine, on ne trouve plus cela aujourd’hui. Le résultat, bien évidemment, ne me satisfait pas complètement. Je devais réaliser la troisième et la quatrième séries. C’est pourquoi j’avais tué Florent à la fin de la deuxième série. Le producteur ayant confié la réalisation à Pierre Goutas, j’ai ressuscité Florent (« Le Diable ne meurt jamais »).
Vous deviez, dites-vous, réaliser les saisons trois et quatre. Clément Michu nous a raconté que c’est à la suite d’un accident durant un tournage que Robert Guez dut céder la place à Pierre Goutas. Sa mémoire l’a-t-elle trahi ?
Guez, voulant démontrer à un comédien que tout le monde pouvait monter à cheval, donna l’exemple. Le cheval s’emballa et Guez tomba. Il dut, je crois, porter un corset par la suite. Néanmoins, la série n°3 n’était pas encore certaine et Michel Canello [directeur de Télé-France-Films] m’avait promis la place de metteur en scène. D’où la mort de Florent. Pour des raisons assez floues, ce fut Pierre Goutas, qui dirigeait la deuxième équipe, qui en fut chargé. Et Florent ressuscita.
Au sujet de Robert Guez, encore : juste avant Thierry la Fronde, vous aviez participé tous deux à la série La Déesse d’or. Etait-ce votre première rencontre ? Etiez-vous lié par Thierry la Fronde avant la production de la série ou est-ce Télé-France-Films qui choisit le réalisateur ?
D’après ce que je crois savoir, Robert Guez était un des associés de Télé-France-Films. Il était normal qu’il réalise La Déesse d’Or. Parenthèse, le héros enfant de la série était joué par Patrick Morin qui devint Patrick Dewaere. J’avais participé comme comédien à plusieurs émissions co-produites par la France et Québec. Je venais de rentrer de Montréal et j’ai représenté le quota nécessaire.
La petite Isabelle - votre fille - avait trois ou quatre ans à l'époque du début du tournage. Elle apparaîtra plus tard dans l'épisode « Les héros ». Et bien sûr votre propre épouse, Céline Léger, jouait le rôle d'Isabelle, la bien-aimée de Thierry, tandis que vous donniez vie au traître Florent. Y avait-il une raison à cette implication familiale ou était-ce pur plaisir ?
Pur plaisir, bien sûr. Mais Céline Léger, Montréalaise, n’était pas QUE la femme de l’auteur. Je l’avais connue lors d’une émission dramatique à Radio-Canada où elle débutait une carrière importante. J’avais d’ailleurs demandé qu’elle soit soumise à un essai avant qu’on lui confie le rôle d’Isabelle pour ne pas être accusé de népotisme. Ce qui se produisit quand même. Quant à ma fille, elle voulait jouer pour porter une belle robe de princesse. Elle fut un peu déçue de tourner en haillons, mais elle improvisa tout son dialogue avec « Thierry ». Pour moi, jouer le héros ou le traître, c’est tout un.
Jean-Claude Drouot, à qui Thierry la Fronde apporta la célébrité, se montra-t-il rapidement critique sur son personnage ? Comment évoluèrent vos rapports sur la série, dont vous étiez à la fois comédien, scénariste et (même si le mot n'avait pas encore à l'époque le sens qu'il a pris aujourd'hui) producteur ?
Producteur, non ! Mais il est vrai que j’étais omniprésent et m’intéressais à la série à tous les stades. Je collaborais avec les costumiers, les accessoiristes et les décorateurs, essayant, sans toujours y parvenir, de faire respecter un minimum de vérité historique. Drouot considérait un peu son rôle comme une tunique de Nessus. Bien sûr, ça brûle. Mais ça tient chaud. Il ne joua pas le jeu et ses interviews d’alors ne témoignèrent pas d’un bon esprit de camaraderie. On ne torpille pas le navire sur lequel on est embarqué. Il se plaît aujourd’hui à reconnaître que Thiery la Fronde n’a pas nui à sa carrière. Merci.
On imagine que Claude Carliez et Raoul Billerey jouèrent un rôle majeur dans la production, étant donné l'abondance des combats et l'omniprésence de leurs cascadeurs (et de Billerey lui-même) dans les rôles des « méchants » et des soldats anglais. Quelle était exactement leur place pendant le tournage ? Comment se déroulait leur travail avec Jean-Claude Drouot ?
Jean-Claude Drouot était un excellent cascadeur, d’après les professionnels. Il était même un peu casse-cou. Si dans la série il a une petite frange sur le front c’est qu’à son premier duel, il vint trop tard et trop bas à la parade et se fit entailler le front. Trois agrafes, une mèche de cheveux et on tourne.
Avez-vous été impliqué dans le choix de Jacques Loussier pour la musique de la série et dans la composition même de cette musique, devenue aujourd’hui un « classique » présent sur nombre de compilations ?
Non, mais nous avons collaboré ensuite en bons copains. J’ai sauté de joie en entendant son générique pour la première fois chez John William. Puis, il s’agit de mettre des paroles pour un disque de John William qui trustait alors les génériques comme Laura. Guez proposa un concours, à qui écrirait le meilleur texte. Je répondis que ce rôle me revenait de droit. Il persista néanmoins et proposa un texte qui avait le défaut de ne pas coller avec la musique. On ne s’improvise pas parolier ou poète.
Comment se fit le casting des compagnons de Thierry ?
J’ai choisi ou proposé nombre de comédiens apparaissant dans la série, notamment Robert Bazil (Boucicault), Yves Barsacq (Le Prieur). Quant à Robert Rollis (Jehan) et Fernand Bellan (Judas), je les ai pratiquement imposés, comme Clément Michu le fut pas Robert Guez. J’étais présent à tous les castings.
Est-ce par manque de moyens qu'il fut décidé à partir de la deuxième saison que tous les compagnons n'apparaîtraient plus dans chaque épisode ?
En partie. Il y a aussi le fait qu’avec moins de compagnons dans chaque épisode, je pouvais davantage centrer l’action et mettre en valeur le comédien.
Pourquoi le comédien Bernard Rousselet (Pierre) disparut-il de la quatrième saison ?
Question délicate. Rousselet traitait son personnage par-dessus la jambe et n’apprenait pas son texte. A mes reproches, il répondit que ce n’était pas du Tourgueniev. A cette époque, les comédiens commençaient à se croire indispensables. Ils se pensaient propriétaires de leur personnage, s’imaginant même que l’auteur, moi, n’était pas nécessaire et Rousselet semblait me mettre au défi de me passer de lui.
Je rappelle qu’un film Thierry la Fronde fut mis en préparation, acteurs engagés et contrats signés, sans ma participation. Avec Jean-Claude Drouot. L’ayant appris par hasard, j’y mis le holà. En ce qui concerne Thierry la Fronde, je suis farouchement possessif.
Beaucoup des comédiens apparaissant dans la série ont fait du doublage : Michel Gatineau, Sadi Rebbot, Claude Bertrand, Michel Paulin, Harden lui-même. Venaient-ils essentiellement de la télévision ou du théâtre ?
Je ne sais pas. Il y eut une forme de cooptation, notamment entre des acteurs de doublage. Ce qui a entraîné pas mal d’erreurs sur les âges des protagonistes. A l’époque où se situe le feuilleton, les fils du roi d’Angleterre étaient des jeunes hommes. Lancastre a 20 ans, Clarence 22, le Prince Noir 26. On est loin du compte.
La présence de Jean Comes Noguès, connu aujourd’hui pour ses romans à destination de la jeunesse (notamment « Le faucon déniché »), dans l’épisode « La chanson d’Isabelle » (3.10) est-elle due au hasard ?
Oui. Je ne le connaissais pas.
Nous évoquions tout à l'heure les tournages en extérieurs. Où furent-ils réalisés ? Si les scènes de forêt sont nombreuses dans la première saison, elles se raréfient dès la deuxième, au point que les scènes dialoguées sont filmées devant des photographies où – c’est ce que nous a conté Clément Michu, qui nous confiait également que ces clichés étaient pris par les techniciens de la série - on ne voit même pas les feuilles des arbres bouger ! Coupes budgétaires ? Souci de tourner plus vite ?
Les deux, mon général. La forêt est le plus souvent celle de Rambouillet ou des Vaux de Cernay. Quelques-unes sont de Sologne. D’autres, hélas, sont bien des photos.
Dans le tout dernier épisode de la série, « La Fille du roi », Céline Léger a une scène où elle s'emporte contre le rôle de « potiche » auquel la confinent Thierry et ses joyeux compagnons. De fait, le rôle d'Isabelle est très conventionnel dans la première saison et le personnage prend peu à peu de l'assurance en jouant un rôle actif dans nombre des missions de Thierry. Cette évolution était-elle le résultat d'une demande de Céline Léger ou un jeu de votre part ?
Une réaction de ma part contre une certaine phallocratie. Un jour, Robert Guez a déclaré aux compagnons réunis en petit comité qu’il voulait réaliser un Temps des Copains au Moyen-âge, ce qui n’avait rien à voir avec ma conception. J’ai dû parfois protester contre une interprétation erronée des réactions d’Isabelle. Guez rassura les compagnons en promettant de minimiser le rôle d’Isabelle dans sa mise en scène. Un seul des compagnons, Fernand Bellan, qui fut mon premier professeur d’art dramatique, eut le courage de m’en avertir. Je dois dire que son fils Marc, Philippe de Craon dans un épisode (« Le Filleul du Roi ») est encore aujourd’hui mon meilleur ami.
Est-ce Fernand Bellan ou vous-même qui proposa le choix de Marc pour incarner Philippe de Craon ?
Je connaissais Marc et c’est tout naturellement que j’ai pensé à lui pour Philippe de Craon. On rencontre fréquemment dans le milieu artistique ce type de cooptation. Les enfants suivent les traces des parents et nul ne s’offusque de voir un fils reprendre la boulangerie de son père.
Puisque nous évoquions le dernier épisode, on y voit quelque chose d'assez inhabituel dans une série : une conclusion. Thierry et Isabelle, promis l'un à l'autre par le roi Jean, s'éloignent ensemble sur le cheval du héros, comme en une version chevaleresque de la dernière vignette d'un Lucky Luke. Cette scène finale était-elle une idée de vous ou des comédiens ? Elle prouve en tout cas que la fin de la série semblait acquise au terme de la quatrième saison.
TOUTES les idées du feuilleton sont de moi. Il n’y a aucune vanité dans cette déclaration mais un souci de vérité. Que Thierry et Isabelle partent ensemble (pour se marier ?) n’est pas la preuve que la série est close. Rien ne dit qu’un problème ne surgira pas comme cela s’est produit dans « Une journée tranquille » et que le mariage ne sera pas remis. Cependant, la commande d’une cinquième série ne se présentant pas, je pouvais laisser croire à une fin de série.
Vous parliez d’« une certaine phallocratie » sur le tournage, dont fut un peu victime Céline Léger. Cela impliquait-il une forme de « mise à l’écart » de la comédienne elle-même, ou les différents acteurs incarnant les compagnons adhéraient-ils simplement à la conception de Robert Guez (un Temps des copains au Moyen-Age) ?
De tout un peu, mais ils craignaient aussi que le personnage féminin ne finisse par nuire à leur importance. Ils évoquaient avec une certaine goujaterie la « femme de l’auteur »…
La série présente, cela dit, un bon nombre de personnages féminins qui n’ont pas la langue dans leur poche, à commencer par Dame Martin, incarnée d’abord par Claudine Cheret, ensuite par Fiama Walter, jusqu’à la petite Marguerite dont la détermination s’impose à son entourage dans l’avant-dernier épisode, « Le drame de Rouvres ». Alors, envie personnelle de J.-C. Deret ou réaction, dans une certaine mesure, à la « phallocratie » ambiante ?
J’aime les personnages et les personnages féminins du Moyen-âge sont attachants. Femmes poètes, écrivains, peintres, graveurs. Et que dire de Trotula, tante de Marie de France qui écrivit le premier ouvrage médical sur les maladies de la femme ?
Revenons au contexte même de la série. Vous avouez un goût pour l'Histoire, en particulier médiévale, l'archéologie, les noms aussi... Tout cela était-il déjà en vous à l'époque de la création de la série ? Comment en êtes-vous venu à vous intéresser au Moyen-Age et comment avez-vous cherché à traduire cette passion dans la série ?
J’ai vécu à Mennetou-sur-Cher (Monesto) jusqu’à l’âge de 13 ans. J’habitais le Prieuré d’une ancienne abbaye de Bénédictines, que mon père avait acheté et que je possède toujours. Céline Léger dont je vis séparé y habite. Ce Prieuré est inclus dans le rempart qui cerne la ville. On ne peut pénétrer au centre du bourg qu’en passant par une des trois portes de ville. Celle qui jouxte mon Prieuré s’appelle la Porte Bonne-Nouvelle. Notre jeu favori était la Guerre de Cent ans. Les gamins vivant intra-muros, comme moi, étaient les Français, ceux qui habitaient hors les murs étaient les assaillants anglais.
Si nombre de personnages de la série sont plutôt stéréotypés, certains s'imposent également, notamment grâce à des comédiens remarquables. Je pense à l'inventeur génial de « Jouets dangereux » (4.07), Jekiele, auquel Armontel prête une malice et une fausse ingénuité absolument délicieuses, ou encore au cuisinier Taillevent incarné à deux reprises par Pierre Tornade, ou à l'ermite Guillaume dans « Ogham » (1.10). Avez-vous pris un plaisir particulier à créer certains de ces personnages ? D'où vous venait l'inspiration, certains étant des personnages historiques (Froissart, Geoffroy Chaucer, le captal de Buch, le duc de Clarence...) tandis que d'autres étaient pure invention ?
Encore une fois, j’aime les personnages, vrais ou inventés, surtout s’ils sortent de la norme. Il y avait presque toujours en présence un personnage historique et un personnage de fiction. J’ai beaucoup lu, prenant plaisir à tordre un peu la vérité. Mes points de départ sont le plus souvent un fait historique ou un fait de société. « Ogham » que vous citez est un peu une exception en ce sens que je m’interdisais le fantastique et la sorcellerie. (N’oubliez pas l’époque de la production et la cible 7/12 ans.) Mais Jekiele frôle la science-fiction, et « Le Trésor des Templiers » l’ésotérisme. Un peu de polar avec « Fausse-Monnaie » et un petit message humaniste avec « Le Fléau de Dieu ». Bref, j’ai utilisé sans vergogne tous les ingrédients des feuilletons.
Pour l'amateur de séries - comme de romans-feuilletons -, le retour régulier de personnages-phares est une forme de plaisir, notamment quand ceux-ci sont des « méchants ». Charles de Navarre est en quelque sorte le Moriarty de Thierry, tandis que Florent meurt, renaît et meurt à nouveau en l'espace de quatre saisons. Etiez-vous sensible à ce plaisir du feuilleton ou cette récurrence était-elle une demande extérieure (de Telfrance, par exemple, ou du public de la série) ?
J’ai une belle collection de romans de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Y compris tout l’œuvre de Victor Hugo. J’adore le feuilleton traditionnel comme j’aime la chanson réaliste. Télé-France-Films m’a laissé assez libre. Le feuilleton marchait bien, s’est vendu dans une trentaine ou une quarantaine de pays, pourquoi se plaindre ? Quant au public, je n’ai eu qu’à me louer de sa fidélité, à part deux ou trois lettres d’insultes auxquelles j’ai toujours répondu avec courtoisie. Il est curieux que l’ORTF m’ait toujours adressé les lettres de plaintes ou d’insultes mais jamais les lettres de compliments. S’il y en eut.
Les deux premières saisons, diffusées à la suite en 1963-1964, présentent une continuité, tandis que le début de la troisième marque un « nouveau départ », avec Thierry et Isabelle cherchant à réunir les compagnons éparpillés. Ce début de troisième saison est-il dû à la volonté de tenir compte du temps écoulé entre la diffusion des saisons 2 et 3, ou à une volonté de présenter les deux premières saisons comme un « bloc » allant de la « naissance » de Thierry la Fronde à la paix de Brétigny, sorte de conclusion (au moins temporaire) aux deux premières saisons ?
C’est exact. La paix de Brétigny était une étape importante de la saga. Une autre étape aurait été Thierry en prison en Angleterre, évadé malgré lui et accusé de forfaiture. C’est le scénario que je réserve si un producteur se réveille un jour…
L’épisode « Brétigny » (2.13), qui met fin à la deuxième saison, apparaît plutôt mal ficelé, comme s’il avait été bâclé. La mort de Florent, par exemple, est traitée comme un incident secondaire après que Thierry a passé le plus clair de l’épisode sur les routes, en allées et venues assez redondantes. Au montage, la chute du traître par la fenêtre est immédiatement suivie d’une scène où il n’est même plus question de lui, comme s’il n’avait pas été l’opposant principal de Thierry durant deux saisons ! Sa seconde mort, dans « Le drame de Rouvres », sera certes également expéditive mais au moins elle s’intègrera mieux à l’histoire. Y a-t-il une raison à cela, due aux circonstances du tournage et aux choix du réalisateur ou de la production ?
Peut-être une certaine fatigue de l’Auteur !
Certains épisodes présentent un aspect, disons, « expérimental ». Je pense par exemple à « La ville morte » (3.12), presque sans parole. Etait-ce une volonté délibérée de votre part, ou cet épisode recèle-t-il un secret ???
Un secret, non, mais un cadeau fait aux cascadeurs qui voulaient briller autant que les comédiens de la série.
L’épisode « Thierry et l’archiprêtre » (2.07) révèle la véritable identité de Boucicault, le compagnon amnésique, une identité surprenante d’ailleurs. N’avez-vous jamais eu envie de revenir à cette « vie antérieure » dans la suite de la série ? L’idée, d’ailleurs, est-elle née entièrement de votre imagination ou vous a-t-elle été soufflée par quelque personnage authentique, ou quelque histoire issue des chroniques de l’époque ?
L’histoire est issue d’une chronique mais du diable si je me souviens de laquelle ! Arnaud de Cervolles, l’Archiprêtre, est une figure incontournable de l’époque. Et Boucicault appartient à cette même race de truands et de mercenaires de l’époque.
Vous avez signé, en plus des scénarios de la série, plusieurs romans destinés à la jeunesse mettant en scène les exploits de Thierry. Etait-ce une commande d’éditeur ou une initiative personnelle ? un plaisir d’auteur ou un travail purement alimentaire ?
Ces « premières armes » est (si je mets sont, le mot qui suivra sera, lui, au singulier ! Que de soucis !) une formule médiévale pour retracer les débuts d’un héros. Je me devais de les écrire. D’autant plus que cela rentrait dans le cadre d’une collection de chez Hachette. Les novélisations utilisant souvent des photos sont à la fois publicitaires et alimentaires.
Vous avez fait bien d’autres choses depuis Thierry la Fronde et on vous en parle toujours ! Que représente cette série dans votre carrière ? Lui gardez-vous une tendresse particulière ou la considérez-vous comme un travail parmi d’autres ?
Une tendresse, bien sûr. Les sentiments de Thierry, sa volonté de résistance, ses élans sont les miens. Certes, je n’ai pas son courage physique. Je vous conterai peut-être un jour comment, avec quelques étudiants, nous avons pris des ambulances pour franchir les lignes allemandes et aller à la rencontre des troupes de débarquement. Le groupe s’appelait SAESRP, section d’Ambulance, d’évacuation et de secours de la région parisienne, était animé par des officiers français de l’Armée d’armistice (!). Il permettait, en fait, à des étudiants d’échapper au S.T.O. et tenait ses assises dans un bâtiment dépendant de la Préfecture de Police. Je n’arrive pas à en retrouver trace. Tout ça pour avoir la gloire d’entrer dans Paris en libérateurs avec la Division Leclerc !
En choisissant de jouer Florent, je devenais l’ombre du héros, je participais à lui donner du relief. Thierry la Fronde, c’est moi…